Pensées diverses I – Fragment n° 20 / 37 – Papier original : RO 123-1

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 97 p. 337 v°  / C2 : p. 289 v°-291

Éditions savantes : Faugère I, 317, II ; II, 214, IV / Havet XXIV.76 et 77, XXV.94 ter / Brunschvicg 874, 815, 872  / Tourneur p. 79-2 / Le Guern 487 / Lafuma 567 à 569 (série XXIII) / Sellier 473

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Bibliographie

 

 

ADAM Michel, “La signification du miracle dans la pensée de Pascal”, Revue philosophique de la France et de l’étranger, n° 4, octobre-décembre 1981, Paris, Presses Universitaires de France, p. 401-423.

GRES-GAYER Jacques M., Le Jansénisme en Sorbonne, 1643-1656, Klincksieck, Paris, 1996.

LAPORTE Jean, La doctrine de Port-Royal, La Morale (d’après Arnauld), Paris, Vrin, 1951-1952, 2 vol.

LHERMET Joseph, Pascal et la Bible, Paris, Vrin, 1931.

MESNARD Jean, “La monarchie de droit divin, concept anticlérical”, in FERREYROLLES Gérard (dir.), Justice et force. Politiques au temps de Pascal, Actes du colloque de Clermont-Ferrand, 20-23 septembre 1990, Klincksieck, Paris, 1996, p. 111-138.

ORCIBAL Jean, “La signification du miracle et sa place dans l’ecclésiologie pascalienne”, Chroniques de Port-Royal, n° 20-21, 1972, p. 66-82.

SELLIER Philippe, “De la tyrannie”, FERREYROLLES Gérard (dir.), Justice et force. Politiques au temps de Pascal, Actes du colloque de Clermont-Ferrand, 20-23 septembre 1990, Klincksieck, Paris, 1996, p. 365-374 ; Port-Royal et la littérature, Pascal, 2e éd., Paris, Champion, 2010, p. 399-409.

SHIOKAWA Tetsuya, Pascal et les miracles, Paris, Nizet, 1977.

WANEGFFELEN Thierry, Une difficile fidélité. Catholiques malgré le concile en France, XVIe-XVIIe siècles, Presses Universitaires de France, Paris, 1999.

 

 

Éclaircissements

 

Il ne faut pas juger de ce qu’est le pape par quelques paroles des Pères (comme disaient les Grecs dans un concile, Règles importantes), mais par les actions de l’Église et des Pères et par les canons.

 

Les conciles de Bâle, Ferrare, Florence et Rome ont eu lieu de 1431 à 1445. Voir Conciliorum œcumenicorum decreta, Bologne, Edizioni Dehoniane, 1996, p. 453-591. La session XVIII (26 juin 1434) traite de l’autorité et du pouvoir du concile général : p. 477 sq. La session XXIII (26 mars 1436) traite de l’élection du souverain pontife : p. 494 sq. Ces conciles traitaient de l’unité de l’Église d’Occident avec celle d’Orient, pour résoudre les désaccords qui duraient depuis longtemps. Des prélats d’orient grecs étaient présents. Des décrets d’union furent établis, sous forme de bulles, en faveur de l’union avec les Grecs, les Arméniens, les Coptes, les Syriens, sans que ces décisions paraissent avoir eu beaucoup d’effets. C’est après le transfert du concile de Ferrare à Florence (décret du 10 janvier 1439) que fut approuvé le décret d’union avec les Grecs, auxquels Pascal fait allusion.

 

Règles importantes

 

GEF XIV, p. 314, propose une note qui traduit une certaine perplexité : « Il est difficile d’interpréter l’ordre de ces mots d’une façon satisfaisante » ; les auteurs pensent que « dans l’esprit de Pascal, règles importantes se rapportent aux mots qui suivent : actions de l’Église et des Pères, canons. Quant au fond, Havet a montré qu’il s’agit du concile qui se tint de 1438 à 1442 à Ferrare et à Florence, sous l’influence de Bessarion ». Ils citent d’après Havet le passage de Bossuet, Remarques sur l’histoire des conciles d’Éphèse et de Chalcédoine de M. Dupin, ch. I, remarque 5, « c’est entrer dans l’esprit des Grecs schismatiques, qui dans le concile de Florence, voulaient prendre pour honnêteté et pour compliment tout ce que les Pères écrivaient aux papes pour se soumettre à  leur autorité ».

La remarque de Havet sur le concile en question est pertinente, mais il n’a pas identifié l’ouvrage auquel Pascal fait allusion.

Pascal mentionne ici un ouvrage de Guy Drappier, curé de la paroisse de Saint-Sauveur de Beauvais, intitulé Règles très importantes tirées de deux passages, l’un du concile de Florence, et l’autre de Glaber, rapportés par Mgr de Marca, archevêque de Toulouse, et des anciens papes, pour servir d’éclaircissement à l’examen du livre du P. Bagot intitulé Défense du droit épiscopal. Il ne semble pas que cette référence ait été identifiée à ce jour.

Dictionnaire de Port-Royal, art. Drappier Gui, p. 345. Originaire de Beauvais, il fait ses études à la Faculté de théologie de Paris. Il est lié à Jacques de Sainte-Beuve. Il interrompt ses études en raison de son soutien à Antoine Arnauld en 1656.  Il n’est donc que bachelier en théologie. Il n’est pas docteur, mais ses ouvrages sont pleins d’érudition (que certains disent empruntée) et marqués par l’esprit richériste. En 1657, il est nommé curé de la paroisse de Saint-Sauveur de Beauvais, où il demeurera jusqu’à sa mort. Il meurt le 3 décembre 1716 à 92 ans. Voir quelques renseignements sur Drappier dans Hermant Godefroy, Mémoires, IV, éd. A. Gazier, Paris, Plon, 1907.

L’ouvrage de Guy Drappier ne porte aucune indication de lieu et de date. Il y a eu une deuxième édition en 1658.

Baudry de Saint-Gilles D’Asson Antoine, Journal d’un solitaire de Port-Royal, éd. Ernst et Lesaulnier, Paris, Nolin, 2008, p.  202. Le livre du p. Bagot, la Défense du droit épiscopal et de la liberté des fidèles touchant les messes et les confessions d’obligation, contre l’écrit d’un certain docteur anonyme, Paris, Cramoisy, 1655, répond à un ouvrage intitulé L’obligation des fidèles de se confesser à leur curé pour répondre aux Réflexions des réguliers sur le chapitre XXI du concile général de Latran en l’année 1215, sous le pape Innocent III, Paris, 1653. Gres-Gayer et Lesaulnier diffèrent sur l’auteur auquel répond Bagot. Saint-Gilles l’attribue à Jean Rousse, mais Gres-Gayer Jacques M., Le Jansénisme en Sorbonne, 1643-1656, p. 221, à Mazure. Le 2 mars 1656, le syndic Guyart défère à la faculté la Défense du droit épiscopal et de la liberté des fidèles du P. Bagot. Celui-ci voulait réfuter un livre de Mazure, L’obligation des fidèles de se confesser à leur curé, qui traitait de la question de l’interprétation du canon de Latran IV concernant la confession annuelle au « propre pasteur ».

La mention Règles importantes est seulement une référence qui n’introduit pas de citation expresse. Le problème que traite Guy Drappier contre le P. Bagot est de savoir si le titre d’évêque universel accordé au pape, lui permet de se conduire comme si tous les autres évêques devaient lui être soumis. Son livre s’oppose à la maxime « Le pape peut par soi, et par ses délégués, faire toutes les fonctions de pasteur en toutes les parties de l’Église universelle, dont il est le chef, sans qu’il soit obligé d’attendre le consentement des évêques, ou des pasteurs particuliers », savoir « baptiser, conférer le sacrement de mariage, celui de l’extrême onction, celui de la pénitence et distribuer l’Eucharistie aux fidèles ». L’ouvrage reproche au P. Bagot d’accorder au pape le privilège et l’honneur d’être comme seul évêque, usurpant ainsi ce qui leur appartient aux autres évêques ; il montre que Bagot pousse l’absurdité jusqu’à se contredire lui-même en affirmant que dans les « questions difficiles et plus grande conséquences », « il est nécessaire qu’il écoute ses conciles généraux. Il ne décide point les controverses avec une souveraine autorité » ; et que « Jésus-Christ a donné au pape en la personne de saint Pierre quelques prérogatives sur les autres évêques et le soin de gouverner toute l’Église », mais sans lui accorder de « faire toutes les fonctions de pasteur en toutes les parties de l’Église universelle, sans qu’il fût obligé d’attendre le consentement des évêques ou des pasteurs particuliers ». Pascal s’est peut-être rappelé la phrase dans laquelle Drappier cite le concile de Florence « qui a jugé à propos de ne point se servir de l’autorité ni du témoignage des saints Pères en particulier, pour régler le pouvoir du pape : mais seulement des canons ou des Actes des conciles généraux ».

L’un des thèmes de Drappier, qui est commun avec l’auteur des Provinciales, est qu’il soutient que le pape est sujet à l’erreur ; il donne l’exemple de saint Pierre à propos de la circoncision. Voir le dossier thématique sur l’infaillibilité du pape.

Drappier a poursuivi la polémique en 1658, mais cette fois contre Pierre de Marca, qui s’était plaint de la manière dont il était cité, avec la Lettre de l’auteur des Règles très importantes etc., à Monseigneur de Marca, archevêque de Toulouse, pour servir de réponse à la plainte qu’il a faite de cet écrit, en l’assemblée du clergé, le 1er février 1657.

 

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L’unité et la multitude :

 

Ce fragment fait ici pendant aux fragments relatifs à la diversité, qui, tant qu’elle n’est pas associée à l’unité, foisonne à l’infini, et tourne bientôt à la tyrannie (voir plus bas).

Misère 14 (Laf. 65, Sel. 99). Diversité. La théologie est une science, mais en même temps combien est-ce de sciences ? Un homme est un suppôt, mais si on l’anatomise, que sera-ce ? la tête, le cœur, l’estomac, les veines, chaque veine, chaque portion de veine, le sang, chaque humeur du sang ?

Une ville, une campagne, de loin c’est une ville et une campagne, mais à mesure qu’on s’approche, ce sont des maisons, des arbres, des tuiles, des feuilles, des herbes, des fourmis, des jambes de fourmis, à l’infini. Tout cela s’enveloppe sous le nom de campagne.

 

Duo aut tres / in unum.

 

Il ne faut pas traduire Deux ou trois en un, car le manuscrit montre qu’il s’agit de deux formules disjointes. L’édition Sellier-Ferreyrolles fait une coupure entre Duo aut tres et in unum, en les séparant par un trait oblique.

Lhermet Joseph, Pascal et la Bible, p. 202, mentionne les hypothèses de Brunschvicg et Chevalier qui pensent que c’est un rapprochement de deux textes de saint Jean, dans l’Évangile, X, 30 : « Ego et Pater unum sumus » ; le second élément viendrait de la première Lettre de saint Jean, V, 7 : « quoniam tres sunt qui testimonium dant in coelo, Pater, Verbum et Spiritus Sanctus et hi tres unum sunt » ; tr. de Port-Royal : « Car il y en a trois qui rendent témoignage dans le ciel, le Père, le Verbe, et le Saint-Esprit ; et ces trois sont une même chose. ». Mais ces textes n’ont pas grand rapport avec celui de Pascal, et ne touchent en rien l’autorité pontificale dont il traite dans ce fragment.

Havet allègue saint Paul, la première Épître aux Corinthiens, XIV, référence à laquelle souscrit Lhermet.

XIV, 29. « Prophetae duo aut tres dicant et ceteri dijudicent » ; tr. de Port-Royal : « Pour ce qui est aussi des prophètes, qu’il n’y en ait point plus de deux ou trois qui parlent, et que les autres en jugent. »

XIV, 23. « Si ergo conveniat universa Ecclesia in unum… » ; tr. de Port-Royal : « Si toute une Église étant assemblée en un lieu… »

L’édition Sellier renvoie à Matthieu, XVIII, 20 : « Ubi enim sunt duo vel tres congregati in nomine meo, ibi sum in medio eorum ». Tr. de Port-Royal : « Car en quelque lieu que se trouvent deux ou trois personnes assemblées en mon nom, je m’y trouve au milieu d’eux ».

Ces passages éclaircissent la pensée de Pascal : il faut juger de ce qu’est le pape par les actions de l’Église et des Pères par les canons.

Lhermet renvoie au fragment Laf. 604, Sel. 501. Église, pape.

Unité / Multitude : en considérant l’Église comme unité le pape qui en est le chef est comme tout ; en la considérant comme multitude le pape n’en est qu’une partie. Les Pères l’ont considérée tantôt en une manière, tantôt en l’autre. Et ainsi ont parlé diversement du pape.

Saint Cyprien, sacerdos Dei.

Mais en établissant une de ces deux vérités ils n’ont pas exclu l’autre.

La multitude qui ne se réduit point à l’unité est confusion. L’unité qui ne dépend pas de la multitude est tyrannie.

Il n’y a presque plus que la France où il soit permis de dire que le concile est au-dessus du pape.

Toujours selon Lhermet, p. 203, Pascal ébauche l’argument des Pères et des canons, contre le caractère absolu de l’autorité pontificale. Saint Paul parle du charisme de la prophétie, entendue comme communication avec Dieu. Il n’est pas un privilège réservé à un seul, mais, parmi les prophètes, un ou deux peuvent prendre la parole devant l’assemblée chrétienne, et les autres doivent porter un jugement de valeur. D’où il résulte que dans la primitive Église, on n’attribuait pas l’infaillibilité doctrinale à une individualité, mais à la totalité des prophètes. Pascal s’autorise de ces considérations pour limiter l’autorité pontificale.

 

Erreur à exclure l’un des deux, comme font les papistes qui excluent la multitude, ou les huguenots qui excluent l’unité.

 

Les papistes veulent que toute l’Église soit soumise à un seul homme, le pape.

Les huguenots (nom donné en France aux calvinistes) rejettent l’unité qui est incarnée par le pape et se divisent en une multitude confuse de sectes.

Papiste : Furetière définit ce terme comme suit : terme odieux dont les huguenots se servent pour injurier les bons catholiques romains qui obéissent au pape. Richelet définit les papistes comme catholiques romains, « ceux qui reconnaissent et suivent les sentiments du pape », et ajoute entre parenthèse : « les huguenots n’aiment pas fort les papistes qui ne cherchent qu’à les traverser ». Sur ce terme, voir Levillain Philippe (dir.), Dictionnaire historique de la papauté, art. Papisme, Paris, Fayard, 1994, p. 1249-1253. La dénomination de papiste est surtout employée depuis la Réforme pour désigner péjorativement la complète soumission à l’autorité du pape ; mais le terme est aussi employé dans les milieux catholiques gallicans dans un sens proche d’ultramontanisme, pour qualifier la position qui accorde au pape une primauté juridictionnelle et l’infaillibilité dogmatique. Dans le mouvement gallican, le terme de papiste sert à désigner notamment les jésuites qui soutiennent fermement les prérogatives du pape. Voir la vue d’ensemble que propose Jean Mesnard dans son étude “La monarchie de droit divin, concept anticlérical”, in Ferreyrolles Gérard (dir.), Justice et force. Politiques au temps de Pascal, p. 111-138.

L’emploi du terme papiste par Pascal ne touche que les partisans de l’autorité pontificale lorsqu’elle tend à la tyrannie, et ne met nullement en question sa fidélité au pape comme tête de l’Église. Voir la profession de foi de la XVIIe Provinciale, § 4 : « Grâces à Dieu, je n’ai d’attaches sur la terre qu’à la seule Église Catholique, Apostolique et Romaine, dans laquelle je veux vivre et mourir, et dans la communion avec le Pape son souverain chef, hors de laquelle je suis très persuadé qu’il n’y a point de salut ».

Le caractère polémique de la dénomination papistes a sans doute paru gênant : il a eu pour conséquence la substitution à ce mot de la formule ceux qui sont trop attachés au pape sur les copies.

 

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Il n’est pas possible de croire raisonnablement contre les miracles.

 

Voir Shiokawa Tetsuya, Pascal et les miracles, particulièrement p. 166 sq., sur les « résistances humaines aux miracles ».

Le rapport entre cette phrase et le reste des notes prises sur ce papier n’est pas immédiatement évident.

Orcibal Jean, “La signification du miracle et sa place dans l’ecclésiologie pascalienne”, Chroniques de Port-Royal, n° 20-21, 1972, p. 66-82.

Pour Pascal, les miracles « distinguent aux choses douteuses » : Miracles III (Laf. 901, Sel. 449). Les miracles discernent aux choses douteuses, entre les peuples juif et païen, juif et chrétien, catholique hérétique, calomniés calomniateurs, entre les deux croix. La dispute sur la primauté pontificale, et l’affaire de la signature du Formulaire, qui constitue une tyrannie de la hiérarchie ecclésiastique, est de cette situation où le miracle est un moyen de discerner. Pascal pense peut-être au miracle de la sainte Épine.

Miracles III (Laf. 865, Sel. 439). Les miracles ne sont plus nécessaires à cause qu’on en a déjà, mais quand on n’écoute plus la tradition, quand on ne propose plus que le pape, quand on l’a surpris, et qu’ainsi ayant exclu la vraie source de la vérité qui est la tradition, et ayant prévenu le pape qui en est le dépositaire, la vérité n’a plus de liberté de paraître, alors les hommes ne parlent plus de la vérité. La vérité doit parler elle-même aux hommes.

Pascal distingue l’affaire des propositions, qui n’engageait pas la vérité dans la mesure où seul leur sens hérétique était supposé être condamné, et l’affaire du Formulaire, qui était une véritable tyrannie, contre laquelle il fallait que Dieu se déclare par un miracle.

Miracles III (Laf. 881, Sel. 443). Les cinq propositions condamnées, point de miracle. Car la vérité n’était point attaquée, mais la Sorbonne, mais la bulle.

Les miracles et la règle de la tradition ecclésiologique sont directement liés dans l’esprit de Pascal.

 

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Le pape est premier. Quel autre est connu de tous ? quel autre est reconnu de tous, ayant pouvoir d’insinuer dans tout le corps parce qu’il tient la maîtresse branche qui s’insinue partout ? Qu’il était aisé de faire dégénérer cela en tyrannie !

 

Voir Mesnard Jean, OC I, p. 75, sur le texte de ce fragment dans le Manuscrit de Sainte-Beuve et dans Desmolets.

Gres-Gayer Jacques M., Le jansénisme en Sorbonne, 1643-1656,  p. 112-113. Partialité de la cour romaine dans l’affaire des propositions. La papauté ne cherche qu’à protéger son autorité en renvoyant à des décisions antérieures, qui ne se rapportent en rien aux questions présentes, et, en prétendant imposer à tous le silence, n’écoute pas les théologiens. La source de ce comportement est une conception exagérée de l’autorité pontificale, à laquelle s’ajoute la doctrine « inouïe » de l’infaillibilité, qui a tout faussé depuis les origines de la querelle sur la grâce.

Sellier Philippe, Port-Royal et la littérature, II, 2e éd., p. 34-38. L’autorité du Concile œcuménique fait que la rareté des conciles, selon Port-Royal, marque le déplorable mauvais fonctionnement de l’Église. Le pape devrait conduire le concile comme un président préside une assemblée, rien de plus. Le concile seul est infaillible. Le refus de la tyrannie pontificale est un leitmotiv à Port-Royal. Le pape n’est pas le tyran des évêques, ni les évêques ceux des curés. En général, le clergé ne doit pas tyranniser les laïcs.

Les problèmes posés par la position et l’autorité du pape dans l’Église sont traités par Wanegffelen Thierry, Une difficile fidélité. Catholiques malgré le concile en France, XVIe-XVIIe siècles, p. 75-79. L’un des principaux maux de l’Église est la tendance pontificale à exercer une véritable tyrannie. Cette vue n’est pas spécifiquement protestante, c’est celle de nombreux catholiques : un bon concile ne se fait pas en présence du pape. Les jésuites au contraire sont défenseurs de la supériorité absolue du pouvoir pontifical sur le concile comme sur les évêques. On passe peu à peu de la tyrannie papale à la superstition papiste. Peu à peu se développe une opposition catholique critique, hostile moins au concile de Trente qu’à l’esprit tridentin. Il faut distinguer entre concile de Trente et tridentinisme, entendu comme construction confessionnelle catholique commencée bien avant le concile, mais fortement développée ensuite. Le concile de Trente a favorisé la montée en puissance de la monarchie romaine au sein de l’Église catholique, alors que le conciliarisme visait à tempérer l’autorité pontificale. La papauté a effectué une « OPA » sur le concile, afin que toute l’autorité conciliaire vienne renforcer la monarchie romaine. Les catholiques ne font pas une critique radicale de la papauté, comme les protestants, mais s’en prennent aux abus dont l’autorité pontificale peut être la cause ou le prétexte.

L’autorité dans l’Église : Laporte Jean, La doctrine de Port-Royal, La Morale, II, p. 314 sq. Les principaux éléments de la constitution de l’Église. L’unité y provient de la chaire de Pierre : c’est la primauté de Pierre et du Saint-Siège. Le pape est l’évêque universel, mais les évêques sont-ils seulement les vicaires du pape ? : p. 316. Cela dépend de l’origine de leur pouvoir, soit du pape, soit de Jésus-Christ : p. 317. L’épiscopat est proprement la chaire de Pierre ; le pape est chef ministériel et non chef essentiel : p. 320. Les évêques ont le droit de condamner une erreur sans attendre la sentence de Rome, et d’examiner les décrets pontificaux, voire de les rejeter : p. 324. L’autorité propre des curés : p. 324 sq. L’autorité des simples fidèles : p. 325.

Sur les libertés de l’Église gallicane, voir Laporte Jean, La doctrine de Port-Royal, La Morale, II, p. 326 sq. Les libertés de l’Église gallicane ont pour fondement sur la limitation de l’autorité du pape par celle des évêques : p. 326 sq.

Qu’il était aisé de faire dégénérer cela en tyrannie : voir le dossier thématique sur la Tyrannie.

Sellier Philippe, “De la tyrannie”, in Ferreyrolles Gérard (dir.), Justice et force. Politiques au temps de Pascal, p. 365-374 ; Port-Royal et la littérature, Pascal, 2e éd., Paris, Champion, 2010, p. 399-409. Sur le lien entre la réflexion de Pascal sur la tyrannie et la question de l’autorité pontificale.

Misère 7 (Laf. 58, Sel. 92). La tyrannie consiste au désir de domination universel et hors de son ordre. Diverses chambres de forts, de beaux, de bons esprits, de pieux dont chacun règne chez soi, non ailleurs. Et quelquefois ils se rencontrent et le fort et le beau se battent sottement à qui sera le maître l’un de l’autre, car leur maîtrise est de divers genre. Ils ne s’entendent pas. Et leur faute est de vouloir régner partout. Rien ne le peut, non pas même la force : elle ne fait rien au royaume des savants, elle n’est maîtresse que des actions extérieures. Ainsi ces discours sont faux...

Misère 6 (Laf. 58, Sel. 91). Tyrannie. La tyrannie est de vouloir avoir par une voie ce qu’on ne peut avoir que par une autre. On rend différents devoirs aux différents mérites, devoir d’amour à l’agrément, devoir de crainte à la force, devoir de créance à la science. On doit rendre ces devoirs-là, on est injuste de les refuser, et injuste d’en demander d’autres. Ainsi ces discours sont faux, et tyranniques : je suis beau, donc on doit me craindre, je suis fort donc on doit m’aimer, je suis... Et c’est de même être faux et tyrannique de dire : il n’est pas fort, donc je ne l’estimerai pas, il n’est pas habile, donc je ne le craindrai pas.

Voir dans Laf. 604, Sel. 501, sur les rapports de l’Église et du pape : La multitude qui ne se réduit pas à l’unité est confusion. L’unité qui ne dépend pas de la multitude est tyrannie.

La présence de ce terme de tyrannie conduit P. Ernst, Les Pensées de Pascal. Géologie et stratigraphie, p. 202, à rapprocher ce texte d’un passage de la XVIIe Provinciale, relatif à la contrainte qui serait appliquée à tous les ecclésiastiques de signer le Formulaire : § 29. « La question demeure donc toujours dans ce point de fait, sans qu’on puisse en aucune sorte l’en tirer pour la mettre dans le droit. Et ainsi on n’en peut faire une matière d’hérésie ; mais vous en pourriez bien faire un prétexte de persécution, s’il n’y avait sujet d’espérer qu’il ne se trouvera point de personnes qui entrent assez dans vos intérêts pour suivre un procédé si injuste, et qui veuillent contraindre de signer, comme vous le souhaitez, que l’on condamne ces propositions au sens de Jansénius, sans expliquer ce que c’est que ce sens de Jansénius. Peu de gens sont disposés à signer une confession de foi en blanc. Or, c’en serait signer une en blanc, qu’on remplirait ensuite de tout ce qu’il vous plairait, puisqu’il vous serait libre d’interpréter à votre gré ce que c’est que ce sens de Jansénius qu’on n’aurait pas expliqué. Qu’on l’explique donc auparavant, autrement vous nous feriez encore ici un pouvoir prochain, abstrabendo ab omni sensu. Vous savez que cela ne réussit pas dans le monde. On y hait l’ambiguïté, et surtout en matière de foi, où il est bien juste d’entendre pour le moins ce que c’est que l’on condamne. Et comment se pourrait-il faire que des docteurs, qui sont persuadés que Jansénius n’a point d’autre sens que celui de la grâce efficace, consentissent à déclarer qu’ils condamnent sa doctrine sans l’expliquer, puisque, dans la créance qu’ils en ont, et dont on ne les retire point, ce ne serait autre chose que condamner la grâce efficace, qu’on ne peut condamner sans crime ? Ne serait-ce donc pas une étrange tyrannie de les mettre dans cette malheureuse nécessité, ou de se rendre coupables devant Dieu, s’ils signaient cette condamnation contre leur conscience, ou d’être traités d’hérétiques, s’ils refusaient de le faire ? » Pol Ernst fait le rapprochement avec la Gazette du 1er décembre 1656 : p. 203.

Soumission 6 (Laf. 172, Sel. 203). Terrorem potius quam religionem.

 

C’est pourquoi Jésus-Christ leur a posé ce précepte : Vos autem non sic.

 

Vos autem non sic : Luc, XXII, 25-26 : « Dixit autem eis : Reges gentium dominantur eorum : et qui potestatem habent super eos benefici vocantur. Vos autem non sic : sed qui major est in vobis, fiat sicut minor et qui praecessor est, sicut ministrator » ; tr. de Port-Royal : « Mais Jésus leur dit : Les rois des nations les traitent avec empire ; et ceux qui ont l’autorité sur elles en sont appelés les bienfaiteurs. Il n’en sera pas de même parmi vous ; mais que celui qui est le plus grand devienne comme le moindre, et celui qui gouverne, comme celui qui sert ».

Commentaire de Port-Royal : comme les apôtres devaient « posséder dans l’Église la dignité éminente de l’apostolat, il était très nécessaire que leur divin maître les affermît auparavant sur le fondement solide du mépris d’eux-mêmes, et leur apprît à s’abaisser sincèrement d’autant plus qu’ils se verraient élevés par leur dignité au-dessus des autres. Il leur fait donc voir ici la différence infinie qui devait être entre les Grands de l’État et ceux de l’Église, en leur montrant que la grandeur de ces premiers consistait dans la domination avec laquelle ils gouvernaient leur sujet, et le faste qu’ils faisaient paraître en affectant la qualité de bienfaiteurs à l’égard de ceux qui étaient sous leur puissance : quoique souvent ils se glorifiaient d’un titre qui ne leur convenait point, puisqu’ils travaillaient plutôt à procurer leurs intérêts propres que ceux des peuples qui étaient soumis à leur empire. Car c’est à peu près le sens que, selon les Interprètes, paraît être renfermé dans les paroles de Jésus-Christ. Au lieu donc de cette domination toute séculière et de cette vaine affectation d’un titre emprunté de bienfaiteur, le Fils de Dieu exigeait de ses apôtres, et de tous leurs successeurs, une vraie humilité du cœur, qui les abaissât très sincèrement au-dessous de ceux qui seraient soumis à leur conduite ; et un fonds inépuisable de charité qui les rendît véritablement, et non dans la seule idée, les pères et les bienfaiteurs des peuples, à l’exemple de celui dont il est dit : Qu’il allait partout en faisant du bien à tout le monde, et en guérissant toutes sortes de personnes. Car ces deux vertus de l’humilité et de la charité sont vraiment essentielles aux pasteurs, qui sans cela ressemblent aux Grands du monde, à qui Jésus-Christ leur déclare ici qu’ils doivent être très opposés et de sentiment et de conduite. »