Pensées diverses I – Fragment n° 6 / 37 – Papier original : RO 141 r° / v°

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 90 p. 331 à 333  / C2 : p. 282 à 284

Éditions de Port-Royal :

       Chap. XXIX - Pensées morales : 1669 et janvier 1670 p. 279-280  / 1678 n° 17 et 20 p. 274-276

       Un § a été ajouté dans l’édition de 1678 : Chapitre XXV - Faiblesse de l’homme : 1678 n° 10 p. 191

Éditions savantes : Faugère II, 374, XLI ; I, 209, C ; I, 223, CL ; I, 205, LXXXII ; I, 187, XXVII ; I, 235, CLXXXV ; I, 216, CXXV ; I, 291, LXX / Havet XXV.194, VI.12, III.10, VI.1, VI.1 bis, XXIV.92, VI.48 note / Brunschvicg 579, 407, 531, 99, 380, 120, 370, 938  / Tourneur p. 70 et 69-3 / Le Guern 473 / Lafuma 536 à 543  (série XXIII) / Sellier 458 et 459

 

Avertissement : nous conservons les textes barrés verticalement par Pascal. Ces textes sont signalés ci-dessous sur un fond bleuté plus foncé.

 

 

Dieu, et les apôtres, prévoyant que les semences d’orgueil feraient naître les hérésies et ne voulant pas leur donner occasion de naître par des termes propres, a mis dans l’Écriture, et les prières de l’Église, des mots et des semences contraires pour produire leurs fruits dans le temps.

De même qu’il donne dans la morale la charité qui produit des fruits contre la concupiscence.

 

-------

Quand la malignité a la raison de son côté, elle devient fière et étale la raison en tout son lustre.

 

-------

Quand l’austérité ou le choix sévère n’a pas réussi au vrai bien et qu’il faut revenir à suivre la nature, elle devient fière par ce retour.

-------

Celui qui sait la volonté de son maître sera battu de plus de coups

à cause du pouvoir qu’il a par la connaissance ;

Qui justus est justificetur adhuc,

à cause du pouvoir qu’il a par la justice.

À celui qui a le plus reçu sera le plus grand compte demandé

à cause du pouvoir qu’il a par le secours.

 

Il y a une différence universelle et essentielle entre les actions de la volonté et toutes les autres.

-------

La volonté est un des principaux organes de la créance, non qu’elle forme la créance, mais parce que les choses sont vraies ou fausses selon la face par où on les regarde. La volonté qui se plaît à l’une plus qu’à l’autre détourne l’esprit de considérer les qualités de celle qu’elle n’aime pas à voir. Et ainsi l’esprit, marchant d’une pièce avec la volonté, s’arrête à regarder la face qu’elle aime, et ainsi il en juge par ce qu’il y voit.

 

Toutes les bonnes maximes sont dans le monde, on ne manque qu’à les appliquer. Par exemple, on ne doute pas qu’il ne faille exposer sa vie pour défendre le bien public, et plusieurs le font, mais pour la religion point.

-------

Il est nécessaire qu’il y ait de l’inégalité parmi les hommes. Cela est vrai, mais cela étant accordé, voilà la porte ouverte non seulement à la plus haute domination mais à la plus haute tyrannie.

Il est nécessaire de relâcher un peu l’esprit, mais cela ouvre la porte aux plus grands débordements.

Qu’on en marque les limites. Il n’y a point de bornes dans les choses. Les lois y en veulent mettre et l’esprit ne peut le souffrir.

 

 

Nature diversifie et imite. Artifice imite et diversifie.

 

Hasard donne les pensées, le hasard les ôte : point d’art pour conserver ni pour acquérir.

 

Pensée échappée, je la voulais écrire. J’écris au lieu qu’elle m’est échappée.

-------

Digression.

-------

Tour menu, cela sied.

-------

En voulez-vous de me bien garer les pères, et les...

-------

Je les ai relevés depuis, car je ne les avais pas...

 

 

 

Ensemble de notes portant sur des sujets divers, relevant de la théologie et de l’observation du moraliste.

Certaines notes, d’une autre main que celle de Pascal, demeurent actuellement indéchiffrées.

Qui justus est justificetur adhuc : Qui est juste, soit justifié encore.

 

Analyse détaillée...

 

Fragments connexes

 

Misère 6 (Laf. 58, Sel. 91). Tyrannie.

La tyrannie est de vouloir avoir par une voie ce qu’on ne peut avoir que par une autre. On rend différents devoirs aux différents mérites, devoir d’amour à l’agrément, devoir de crainte à la force, devoir de créance à la science.

On doit rendre ces devoirs-là, on est injuste de les refuser, et injuste d’en demander d’autres.

Ainsi ces discours sont faux, et tyranniques : « je suis beau, donc on doit me craindre, je suis fort donc on doit m’aimer, je suis... » Et c’est de même être faux et tyrannique de dire : « il n’est pas fort, donc je ne l’estimerai pas, il n’est pas habile, donc je ne le craindrai pas. »

Misère 7 (Laf. 58, Sel. 92). La tyrannie consiste au désir de domination universel et hors de son ordre.

Diverses chambres de forts, de beaux, de bons esprits, de pieux dont chacun règne chez soi, non ailleurs. Et quelquefois ils se rencontrent et le fort et le beau se battent sottement à qui sera le maître l’un de l’autre, car leur maîtrise est de divers genre. Ils ne s’entendent pas. Et leur faute est de vouloir régner partout. Rien ne le peut, non pas même la force : elle ne fait rien au royaume des savants, elle n’est maîtresse que des actions extérieures.

Misère 9 (Laf. 60, Sel. 94), sur le désordre des lois.

Morale chrétienne 11 (Laf. 361, Sel. 393). Es-tu moins esclave pour être aimé et flatté de ton maître, tu as bien du bien, esclave, ton maître te flatte. Il te battra tantôt.

Preuves de Jésus-Christ 1 (Laf. 298, Sel. 329). L’ordre. Contre l’objection que l’Écriture n’a pas d’ordre.

Le cœur a son ordre, l’esprit a le sien qui est par principe et démonstration. Le cœur en a un autre. On ne prouve pas qu’on doit être aimé en exposant d’ordre les causes de l’amour ; cela serait ridicule.

Jésus-Christ, Saint Paul ont l’ordre de la charité, non de l’esprit, car ils voulaient échauffer, non instruire.

Saint Augustin de même. Cet ordre consiste principalement à la digression sur chaque point qui a rapport à la fin, pour la montrer toujours.

Preuves par discours I (Laf. 418, Sel. 680). N’y a-t-il point une vérité substantielle, voyant tant de choses vraies qui ne sont point la vérité même ?

Preuves par discours I (Laf. 423, Sel. 680). Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point ; on le sait en mille choses.

Je dis que le cœur aime l’être universel naturellement et soi-même naturellement, selon qu’il s’y adonne, et il se durcit contre l’un ou l’autre à son choix. Vous avez rejeté l’un et conservé l’autre ; est-ce par raison que vous vous aimez ?

Pensées diverses (Laf. 655, Sel. 539). Les discours d’humilité sont matière d’orgueil aux gens glorieux et d’humilité aux humbles. Ainsi ceux du pyrrhonisme sont matière d’affirmation aux affirmatifs. Peu parlent de l’humilité humblement, peu de la chasteté chastement, peu du pyrrhonisme en doutant. Nous ne sommes que mensonge, duplicité, contrariété et nous cachons et nous déguisons à nous-mêmes.

Pensées diverses (Laf. 701, Sel. 579). Quand on veut reprendre avec utilité, et montrer à un autre qu’il se trompe, il faut observer par quel côté il envisage la chose, car elle est vraie ordinairement de ce côté-là, et lui avouer cette vérité, mais lui découvrir le côté par où elle est fausse. Il se contente de cela, car il voit qu’il ne se trompait pas et qu’il manquait seulement à voir tous les côtés. Or on ne se fâche pas de ne pas tout voir, mais on ne veut pas être trompé. Et peut-être que cela vient de ce que naturellement l’homme ne peut tout voir, et de ce que naturellement il ne se peut tromper dans le côté qu’il envisage, comme les appréhensions des sens sont toujours vraies.

Pensées diverses (Laf. 741, Sel. 617), sur les effets de la machine arithmétique et l’existence d’une volonté chez les animaux : La machine d’arithmétique fait des effets qui approchent plus de la pensée que tout ce que font les animaux ; mais elle ne fait rien qui puisse faire dire qu’elle a de la volonté comme les animaux.

Miracles III (Laf. 905, Sel. 450). Pyrrhonisme.

Chaque chose est ici vraie en partie, fausse en partie. La vérité essentielle n’est point ainsi, elle est toute pure et toute vraie. Ce mélange la détruit et l’anéantit. Rien n’est purement vrai et ainsi rien n’est vrai en l’entendant du pur vrai. On dira qu’il est vrai que l’homicide est mauvais : oui, car nous connaissons bien le mal et le faux. Mais que dira-t-on qui soit bon ? La chasteté ? Je dis que non, car le monde finirait. Le mariage ? non, la continence vaut mieux. De ne point tuer ? non, car les désordres seraient horribles, et les méchants tueraient tous les bons. De tuer ? non, car cela détruit la nature. Nous n’avons ni vrai, ni bien que en partie, et mêlé de mal et de faux.

 

Mots-clés : ApôtresBienCharitéConcupiscenceConnaissanceCréance (voir Croire)Dieu – Différence – DominationÉcriture – Église – EspritHérésie – Inégalité – JustifierLimiteLoiMalignitéMaximeMoraleNécessaireOrgueilPouvoirPrièreRaisonReligionTyrannieUniverselVolonté (voir Vouloir)Vrai.