Pensées diverses II – Fragment n° 21 / 37 – Papier original : RO 7-2

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 109 p. 357-357 v°  / C2 : p. 313 v°

Éditions de Port-Royal : Chap. IX - Injustice, & corruption de l’homme : 1669 et janvier 1670 p. 72-73 / 1678 n° 3 p. 73-74

Éditions savantes : Faugère II, 143, VII / Havet XXIV.54 / Michaut 18 / Brunschvicg 479 / Tourneur p. 91-2 / Le Guern 525 / Lafuma 618 (série XXIV) / Sellier 511

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Bibliographie

 

 

BREMOND Henri, Histoire littéraire du sentiment religieux en France depuis la fin des guerres de religion jusqu’à nos jours, IV, La conquête mystique. L’école de Port-Royal, Paris, Colin, 1967 (rééd.).

GOUHIER Henri, B. Pascal. Conversion et apologétique, Paris, Vrin, 1986.

ICARD Simon, Port-Royal et saint Bernard de Clairvaux (1608-1709), Paris, Champion, 2010.

LAPORTE Jean, La doctrine de Port-Royal, La Morale (d’après Arnauld), I, Paris, Vrin, 1951-1952.

MESNARD Jean, “L’incipit dans les fragments des Pensées”, Littératures, 29, automne 1993.

MESNARD Jean, Pascal, coll. Les écrivains devant Dieu, Paris, Desclée de Brouwer, 1965.

 

 

Éclaircissements

 

Ce fragment est marqué par une articulation logique nette. Il comporte

1. une hypothèse initiale : S’il y a un Dieu

2. la réfutation brève de l’hypothèse contraire, exclue comme pis-aller ;

3. une première conséquence introduite par le mot donc, qui définit ce qui est mauvais (l’attachement aux créatures) ;

4. une proposition adjointe sur la présence de la concupiscence en l’homme ;

5. une seconde conséquence double : a. l’homme doit haïr la concupiscence qui l’anime ; b. il doit haïr tout ce qui le détourne de Dieu.

La structure de l’argument est lisible sur la disposition du manuscrit elle-même.

La reconstitution de Pol Ernst (Album p. 85) paraît établir un lien entre le fragment précédent et celui-ci. Du point de vue logique cependant, la liaison n’est cependant pas évidente : dans les deux cas, il est bien question de la concupiscence, mais les points de vue ne sont pas identiques. L’aspect du manuscrit ne paraît pas propre à soutenir cette reconstitution.

 

S’il y a un Dieu il ne faut aimer que lui

 

C’est le premier commandement de Dieu. Voir le Deutéronome VI, 5. « Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre cœur, de toute votre âme, et de toutes vos forces. ». Repris dans Matthieu XXII, 37. Commentaire de Port-Royal : « Saint Augustin expliquant ce commandement qui est le plus grand et le plus indispensable de tous, dit qu’aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme, et de toutes ses forces, c’est rapporter toutes les pensées de son esprit, tous les mouvements de son cœur, et toutes les actions de sa vie à celui de qui on tient et son esprit et son cœur et sa propre vie [August. Tom. 3 de Doctrin. Christian. L. 2, c. 22]. Et il ajoute que par ce premier précepte tout l’homme, pour le dire ainsi, est obligé d’aimer Dieu, c’est-à-dire qu’il ne doit point y avoir aucune partie ni dans l’homme ni dans toute l’étendue de la vie de l’homme qui n’aime Dieu, ou qui aime quelque autre chose que Dieu ; et qu’ainsi dans le moment qu’il se présente à notre esprit quelque objet qui demande notre amour, il doit être comme absorbé en cet amour dominant qui règne en nous, et rapporté uniquement à cet autre objet souverain, où se porte toute l’impétuosité de notre cœur ». Mais « parce que Dieu nous commande aussi d’aimer nos frères, saint Augustin nous apprend encore que quiconque aime son prochain, comme il y est obligé, doit le porter de tout son pouvoir à aimer aussi lui-même Dieu de tout son cœur, de toute son âme et de toutes ses forces ». La suite du commentaire touche la question de savoir si ce commandement est possible.

Bartmann Bernard Mgr., Précis de théologie dogmatique, I, p. 188 sq. L’amour, essence du christianisme, est le commandement principal du christianisme ; c’est par lui que l’homme est enfant de Dieu. Commandement de l’amour donné par le Christ : « tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force ». Jean I, IV, 10 sq. : « ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais lui qui nous a aimés le premier et envoyé son Fils, comme victime de propitiation pour nos péchés. Bien-aimés, si Dieu nous a aimés ainsi, nous devons aussi nous aimer les uns les autres ». L’amour du prochain est compris dans l’amour de Dieu : p. 189.

L’incipit en si : voir Mesnard Jean, “L’incipit dans les fragments des Pensées”, Littératures, 29, automne 1993, p. 31. Tournure syntaxique familière à Pascal. La conjonction si introduit une constatation ou une hypothèse, dont la principale tire les conséquences. Le verbe est toujours au présent. Le conditionnel n’apparaît que lorsque la condition est niée. La tournure contribue à mettre l’esprit du lecteur en suspens, à le faire participer à l’enquête.

Fausseté 12 (Laf. 214, Sel. 247). La vraie religion doit avoir pour marque d’obliger à aimer son Dieu. Cela est bien juste et cependant aucune ne l’a ordonné, la nôtre l’a fait. Elle doit encore avoir connu la concupiscence et l’impuissance, la nôtre l’a fait.

Prophéties VIII (Laf. 503, Sel. 738). Dans ces promesses-là chacun trouve ce qu’il a dans le fond de son cœur, les biens temporels ou les biens spirituels, Dieu ou les créatures, mais avec cette différence que ceux qui y cherchent les créatures les y trouvent, mais avec plusieurs contradictions, avec la défense de les aimer, avec l’ordre de n’adorer que Dieu et de n’aimer que lui, ce qui n’est qu’une même chose et qu’enfin il n’est point venu Messie pour eux, au lieu que ceux qui y cherchent Dieu le trouvent et sans aucune contradiction avec commandement de n’aimer que lui et qu’il est venu un Messie dans le temps prédit pour leur donner les biens qu’ils demandent. Le même fragment situe en ce point la différence qui se trouve entre les Juifs et les chrétiens : la doctrine des Juifs n’était pas vraie, quoiqu’elle eût les miracles, les prophéties et la perpétuité, parce qu’elle n’avait pas cet autre point de n’adorer et n’aimer que Dieu.

Le commandement d’amour de Dieu va directement contre la tendance de l’homme à s’aimer lui-même : voir Amour propre (Laf. 978, Sel. 743). La nature de l’amour propre et de ce moi humain est de n’aimer que soi et de ne considérer que soi.

Laf. 617, Sel. 510. Qui ne hait en soi son amour propre et cet instinct qui le porte à se faire Dieu, est bien aveuglé. Qui ne voit que rien n’est si opposé à la justice et à la vérité. Car il est faux que nous méritions cela, et il est injuste et impossible d’y arriver, puisque tous demandent la même chose. C’est donc une manifeste injustice où nous sommes nés, dont nous ne pouvons nous défaire et dont il faut nous défaire. Cependant aucune religion n’a remarqué que ce fût un péché, ni que nous y fussions nés, ni que nous fussions obligés d’y résister, ni n’a pensé à nous en donner les remèdes.

Mesnard Jean, Pascal, coll. Les écrivains devant Dieu, Paris, Desclée de Brouwer, 1965, p. 88. La grâce, qui suscite un amour sensible de Dieu, indispensable à toute action bonne, sert à la reconnaissance des signes divins, c’est-à-dire à la connaissance de Dieu.

Nicole-Wendrock commente cette question de l’amour de Dieu dans une note à la dixième Provinciale consacrée à la réfutation de la doctrine du P. Sirmond, dont la première partie est intitulée Vraie notion de l’amour de Dieu, tr. Joncoux, II, p. 80-84.

Certains passages d’Arnauld permettent de comprendre plus concrètement ce que Port-Royal entend par l’amour de Dieu, et son caractère exclusif.

Arnauld Antoine, De la fréquente communion, Partie II, ch. XII, éd. 1696, p. 456 sq.

« Qu’est-ce donc qu’aimer Dieu, ou avoir une véritable contrition de son péché ? Que chacun consulte son cœur, et s’il y trouve quelque affection un peu violente, ou de mari envers sa femme, ou de père envers ses enfants, ou d’ami envers son ami, qu’il en examine les mouvements ; et il lui sera facile d’apprendre ce que c’est qu’aimer Dieu, et de reconnaître qu’il y a beaucoup de personnes qui se persuadent faire souvent des actes d’amour de Dieu, qui n’ont pas seulement les ombres de cet amour.

Qu’est-ce que tous les hommes entendent quand ils disent qu’une honnête femme aime son mari ? Ne veulent-il marquer autre chose sinon que cette femme pense souvent en elle-même qu’elle l’aime ; comme on prétend que former la même pensée au regard de Dieu, ce soit l’aimer ? Jamais personne n’eut ce sentiment, et il se trouvera beaucoup de femmes qui ont eu des affections très ardentes pour leurs maris, et qui peut-être jamais en leur vie n’ont fait de semblables réflexions. Une femme aimer son mari, c’est avoir un certain poids, et une certaine inclination dans sa volonté, qui la porte avec une douce et secrète violence à le servir, à lui obéir, à se conformer à ses volontés, à s’efforcer de lui plaire en toutes choses, à n’être touchée que de ses intérêts, et n’avoir de joie que dans son consentement, à ressentir plus vivement ses afflictions que les siennes propres, à trouver des charmes dans sa présence, à languir dans son absence, à ne craindre rien tant que de blesser en la moindre chose la pureté de son amour, et enfin être prête à donner sa vie, si l’occasion s’en présentait, pour conserver celle de son mari. Voilà ce que les hommes appellent aimer, et non pas des paroles et des pensées, qui se sont que des productions de l’esprit, et non point des effusions du cœur.

C’est par cette image imparfaite que nous devons juger si l’amour de Dieu règne dans nos âmes, si nous sentons dans le fond de notre cœur un détachement des choses du monde, un attachement à celles de Dieu, un mépris des vanités et des pompes de ce siècle, une joie dans l’attente des biens éternels, une crainte mortelle de tomber dans la disgrâce de Dieu, un désir pressant de lui plaire en toutes choses, un ferme dessein de fuir toutes les occasions qui nous pourraient engager dans le péché, et enfin une véritable disposition dans la volonté d’abandonner père, mère, frères, sœurs, parents, amis, biens, fortunes, grandeurs, honneur, estime, plutôt que d’abandonner le service de Jésus-Christ, et la voie étroite de l’Évangile. Si, dis-je, sans nous flatter et sans nous séduire nous-mêmes, nous trouvons toutes ces dispositions dans notre cœur, au moins en quelque degré (ce qui se connaît mieux par les actions et par le règlement de notre vie que par des sentiments purement intérieurs, qui nous peuvent tromper facilement), nous avons quelque sujet de croire que nous aimons Dieu, et de rendre grâces à sa miséricorde infinie d’avoir répandu dans nos âmes quelques flammes de ce feu céleste, que Jésus-Christ est venu apporter du ciel en terre » : p. 457-458.

Voir l’analyse de Laporte Jean, La doctrine de Port-Royal, La Morale, I, p. 106. Pour Arnauld, l’amour de Dieu ne supporte ni exception, ni interruption : « il n’y a point de moment dans la vie où nous ne soyons obligés d’aimer Dieu », Discours sur l’amour de Dieu, Œuvres, XXVI, p. 7. L’amour de Dieu est commandé : p. 85 sq. C’est un commandement dans toute la force du terme, et la distinction du P. Sirmond d’un commandement de douceur qui oblige sans obliger absolument, est contradictoire : p. 92. On peut opposer à Arnauld l’objection que l’amour ne se commande pas : p. 94. Mais c’est se faire une fausse idée de l’amour de le concevoir comme passif et purement extatique. L’amour réel est disposition ou inclination de la volonté libre : p. 95. Il faut en juger par la notion courante de l’amour : voir le Discours sur l’amour de Dieu, Œuvres, XXVI, p. 5-6, cité ci-dessus. Les extases et les transports se trouvent bien dans l’amour de Dieu, mais dans la mystique : p. 95. Ce qui est commandé, c’est une intention, un amour de la justice, la disposition à obéir à la loi de Dieu sans autre intention que de faire sa volonté : p. 99. L’objection qu’on ne commande pas l’amour n’est donc pas recevable : l’amour d’une chose ou d’une personne quelconque n’est pas en notre pouvoir, on ne peut donc le commander ; mais à tout homme on peut commander d’aimer Dieu parce qu’il est naturellement aimable à tout homme : p. 101. Il ne faut aimer que Dieu, sans interruption ni exception, et cet amour suffit : p. 106. Cet amour doit être unique : p. 108. Dans le cas des parents et des amis, conformément à la distinction de l’uti et du frui, il faut les aimer d’une dilectio transitoria qui n’existe qu’en fonction d’un bien dernier que le bien intermédiaire considéré permet d’obtenir, la dilectio mansoria, qui mérite seule le nom d’amour, demeurant attachée au bien dernier : p. 109-110. L’amour de Dieu, l’intention droite ou la bonne volonté ne sont qu’une même chose, quiconque aime Dieu agit bien : p. 119.

La question de l’amour de Dieu est traitée de manière à la fois plaisante et grave dans la Provinciale X, contre les casuistes jésuites qui en contestent la nécessité à lire avec les notes de Wendrock, particulièrement la Note III, Dissertation théologique sur le commandement d’aimer Dieu, qui permet de mesurer la différence de conception sur l’amour de Dieu selon Port-Royal et selon le P. Antoine Sirmond, jésuite.

La différence avec la manière dont l’amour de Dieu est conçu par François de Sales, par exemple, peut se mesurer à la lecture du Traité de l’amour de Dieu, Œuvres, éd. Pléiade, p. 333 sq. On ne sait si Pascal a lu cet ouvrage ; une recherche approfondie serait nécessaire sur ce point.

Voir les remarques de Icard Simon, Port-Royal et saint Bernard de Claivaux (1608-1709), p. 447 sq., sur l’amour de soi et l’amour de Dieu. Voir Saint Bernard de Clairvaux, L’amour de Dieu, La grâce et le libre arbitre, Œuvres complètes, XXIX, Paris, Cerf, 1993.

Frigo Alberto, “Pascal et les « membres pensants » : penser l’Église, régler l’amour”, Courrier du Centre International Blaise Pascal, Clermont-Ferrand, n° 32, 2010, p. 56-60.

Bremond Henri, Histoire littéraire du sentiment religieux en France depuis la fin des guerres de religion jusqu’à nos jours, IV, La conquête mystique. L’école de Port-Royal, Paris, Colin, 1967 (rééd.), contient dans son chapitre « La prière de Pascal », p. 318-417, des analyses sur l’amour de Dieu chez Pascal qui ont fait date, quoiqu’elles imposent quelques réserves.

 

et non les créatures passagères.

 

Preuves par discours II (Laf. 427, Sel. 681). Je vois ces effroyables espaces de l’univers qui m’enferment, et je me trouve attaché à un coin de cette vaste étendue, sans que je sache pourquoi je suis plutôt placé en ce lieu qu’en un autre, ni pourquoi ce peu de temps qui m’est donné à vivre m’est assigné à ce point plutôt qu’en un autre de toute l’éternité qui m’a précédé et de toute celle qui me suit. Je ne vois que des infinités de toutes parts, qui m’enferment comme un atome et comme une ombre qui ne dure qu’un instant sans retour.

La question que pose ce commandement est celle de ses limites. Pascal l’a éprouvé dans sa famille, selon le rapport de Gilberte dans sa Vie de M. Pascal. Voir le passage où il est question de l’amour pour ses proches, 1re version, § 59-63, OC I, éd. J. Mesnard, p. 592-593 :

« Il avait une extrême tendresse pour nous et pour tous ceux qu’il croyait être à Dieu ; mais cette affection n’allait pas jusques à l’attachement, et il en donna une preuve bien sensible à la mort de ma sœur, qui précéda la sienne de dix mois. Car lorsqu’il reçut cette nouvelle, il ne dit autre chose, sinon : « Dieu nous fasse la grâce d’aussi bien mourir ! » et il s’est toujours tenu depuis dans une soumission admirable aux ordres de la Providence de Dieu, sans faire jamais sur cela d’autre réflexion que des grandes grâces que Dieu avait faites à sa sœur pendant sa vie, et des circonstances du temps de sa mort ; ce qui lui faisait dire sans cesse : « Bienheureux ceux qui meurent, pourvu qu’ils meurent au Seigneur ! » Et lorsqu’il me voyait dans de continuelles afflictions pour cette perte que je ressentais si fort, il se fâchait et me disait que cela n’était pas bien, et qu’il ne fallait pas avoir ces sentiments-là pour la mort des justes, et qu’il fallait au contraire louer Dieu de ce qu’il l’avait si tôt récompensée des petits services qu’elle lui avait rendus.

C’est ainsi qu’il faisait voir qu’il n’avait nul attachement pour ceux qu’il aimait ; car, s’il eût été capable d’en avoir, c’eût été sans doute pour ma sœur, parce qu’assurément c’était la personne du monde qu’il aimait le plus.

Mais il n’en demeurait pas là ; car non seulement il n’avait point d’attachement pour les autres, mais il ne voulait point du tout que les autres en eussent pour lui. Je ne parle pas de ces attachements criminels et dangereux, car cela est grossier et tout le monde le voit bien, mais je parle des amitiés les plus innocentes ; et c’était une des choses sur lesquelles il s’observait le plus régulièrement, afin de n’y donner point de sujet, et même pour l’empêcher. Et comme je ne savais pas cela, j’étais toute surprise des rebuts qu’il me faisait quelquefois, et je le disais à ma sœur, me plaignant à elle que mon frère ne m’aimait pas, et qu’il semblait que je lui faisais de la peine, lors même que je lui rendais mes services les plus affectionnés dans ses infirmités. Ma sœur me disait sur cela que je me trompais, qu’elle savait bien au contraire qu’il avait une affection pour moi aussi grande que je la pouvais souhaiter.

C’est ainsi que ma sœur remettait mon esprit, et je ne tardais guère à en voir les preuves ; car aussitôt qu’il se rencontrait quelque occasion où j’avais besoin du secours de mon frère, il l’embrassait avec tant de soin et de témoignages d’affection, que je n’avais pas lieu de douter qu’il ne m’aimât beaucoup ; de sorte que j’attribuais au chagrin de sa maladie les manières froides dont il recevait les assiduités que je lui rendais pour le désennuyer ; et cette énigme ne m’a été expliquée que le jour même de sa mort, qu’une personne des plus considérables par la grandeur de son esprit et de sa piété, avec qui il avait eu de grandes communications sur la pratique de la vertu, me dit qu’il lui avait donné cette instruction entre autres, qu’elle ne souffrît jamais de qui que ce fût qu’on l’aimât avec attachement ; et que c’était une faute sur laquelle on ne s’examinait pas assez parce qu’on n’en connaissait pas assez la grandeur, et qu’on ne considérait pas qu’en fomentant et en souffrant ces attachements, on occupait un cœur qui, ne devant être qu’à Dieu, c’était lui faire un larcin de la chose du monde qui lui est la plus précieuse.

Nous avons bien vu ensuite que ce principe était bien avant dans son cœur ; car, pour l’avoir toujours présent, il l’avait écrit de sa main sur un petit papier séparé, où il y a ces mots : « Il est injuste qu’on s’attache à moi, quoiqu’on le fasse avec plaisir et volontairement. Je tromperais ceux à qui j’en ferais naître le désir ; car je ne suis la fin de personne et n’ai pas de quoi les satisfaire. Ne suis-je pas prêt à mourir ? et ainsi l’objet de leur attachement mourra. Donc, comme je serais coupable de faire croire une fausseté, quoique je la persuadasse doucement, et qu’on la crût avec plaisir, et qu’en cela on me fît plaisir ; de même, je suis coupable si je me fais aimer, et si j’attire les gens à s’attacher à moi. Je dois avertir ceux qui seraient prêts à consentir au mensonge qu’ils ne le doivent pas croire, quelque avantage qui m’en revînt ; et de même, qu’ils ne doivent pas s’attacher à moi ; car il faut qu’ils passent leur vie et leurs soins à Dieu ou à le chercher ».

Ce qui n’empêche pas Pascal d’écrire dans la Pensée n° 15P (Laf. 931, Sel. 759). J’ai une tendresse de cœur pour ceux à qui Dieu m’a uni plus étroitement.

Voir la discussion de Voltaire, Lettres philosophiques, XXV, § X, éd. Ferret et McKenna, p. 171. « Il faut aimer, et très tendrement, les créatures ; il faut aimer sa patrie, sa femme, son père, ses enfants ; et il faut si bien les aimer que Dieu nous les fait aimer malgré nous. Les principes contraires ne sont propres qu’à faire de barbares raisonneurs. »

Boullier David Renaud, Sentiments de M*** sur la critique des Pensées de Pascal par M. Voltaire, § X-XI, p. 49. Pascal veut dire qu’il faut aimer Dieu par dessus tout ; « on ne doit rien aimer que pour lui, en lui, par rapport à lui, et d’un amour subordonné au sien ».

 

Le raisonnement des impies dans La Sagesse n’est fondé que sur ce qu’il n’y a point de Dieu. Cela posé, dit‑il, jouissons donc des créatures. C’est le pis‑aller.

 

Sur l’importante distinction de l’uti et du frui, de l’user et du jouir, voir le commentaire du fragment Prophéties VIII (Laf. 502, Sel. 738). Il y a deux principes qui partagent les volontés des hommes la cupidité et la charité. Ce n’est pas que la cupidité ne puisse être avec la foi en Dieu et que la charité ne soit avec les biens de la terre, mais la cupidité use de Dieu et jouit du monde, et la charité au contraire.

Havet fait remarquer que le discours des impies dans la Sagesse ne nie pas l’existence de Dieu, mais l’immortalité de l’âme. Mais le raisonnement de Pascal n’en est pas compromis.

Pis-aller : le plus grand malheur qui puisse arriver. L’argument est que, contrairement aux impies qui croient prendre le parti le plus assuré et qui assure le plus de bonheur, ils choisissent en réalité le parti qui suppose le plus de misère dans la condition humaine et qui conduit au pire destin. Ils jouent pour ainsi dire au pire. Noter que Pascal raisonne ici en termes de partis, d’une manière qui rappelle de loin l’argument du pari. La manière de raisonner des impies est inspirée par le désespoir.

Sagesse, II, 1-6. Voir la Bible de Port-Royal : « Les méchants ont dit dans l’égarement de leurs pensées : Le temps de notre vie est court et fâcheux. L’homme après sa mort n’a plus de biens à attendre, et on ne sait personne qui soit revenu des enfers. 2. Nous sommes nés comme à l’aventure, et après la mort nous serons comme si nous n’avions jamais été. La respiration est dans nos narines comme une fumée, et l’âme comme une étincelle de feu qui remue notre cœur. 3. Lorsqu’elle sera éteinte, notre corps sera réduit en cendre. L’esprit se dissipera comme un air subtil, notre vie disparaîtra comme une nuée qui passe, et s’évanouira comme un brouillard qui est poussé en bas par les rayons du soleil, et qui tombe, étant appesanti par sa chaleur. 4. Notre nom s’oubliera avec le temps, sans qu’il reste aucun souvenir de nos actions parmi les hommes. 5. Car le temps de notre vie est une ombre qui passe, et après la mort, il n’y a plus de retour ; le sceau est posé et nul n’en revient. 6. Venez donc, jouissons des biens présents ; hâtons-nous de jouir des créatures pendant que nous sommes jeunes. » La suite appelle à la débauche et à l’injustice.

Sur le Livre de la Sagesse, attribué par les manuscrits grecs de la Bible à Salomon, voir Cazelles Henri, Introduction à la Bible, tome 2, Introduction critique à l’Ancien Testament, Paris, Desclée, 1973, p. 717 sq. La Sagesse et les impies : p. 719 sq. Les impies regardent la mort comme une amie à laquelle ils sont dignes d’appartenir ; ils nient toute vie après la mort. Les impies dont la vie est longue seront parmi les morts dans l’opprobre pour toujours : p. 720.

Sirmond Antoine, De immortalitate animae, II ch. IV, Paris, Soly, 1635, p. 66-67. Même raisonnement sur le texte de la Sagesse. Nous donnons ci-dessous la traduction française, Démonstration de l’immortalité de l’âme, Paris, Soly, 1637, p. 48-49.

« Voyez comme il [sc. l’auteur du livre de la Sagesse] parle pour eux en la Sagesse, chap. 2. Nous sommes venus du néant, et nous serons dès meshui, comme si nous n’eussions jamais été. Et après, Venez donc et jouissons des biens, qui se présentent à nous, et nous servons des créatures, pendant qu’elles sont en leur fleur, qui ne durera, guères, si nous ne savons la cueillir en diligence. Et encore un peu après : ça que personne d’entre nous ne s’épargne à se donner du bon temps, à prendre ses plaisirs, et en laisser les marques en tout lieu ; car c’est là notre part et tout notre héritage. Voilà comment parlent les fols, par la bouche du Sage. Que si les maximes, sur lesquelles ils se fondent étaient véritables, n’est-il pas vrai qu’il y aurait bien de la peine à renverser les conclusions qu’ils en tirent, et à leur persuader la vertu, ou dissuader le vice, si la récompense de l’un, et le châtiment de l’autre n’était que pour la vie présente. Or est-il que leurs maximes ne seraient que trop vraies, si nos âmes n’étaient immortelles. Et donc si nous ne voulons avouer ce en quoi nous paraîtrions non seulement ridicules, mais aussi méchants à l’extrémité, que la nature nous ait précipués de la raison au-dessus des bêtes, afin seulement que nous pussions les surpasser en malice, et nous rendre déserteurs volontaires de ses lois, reconnaissons qu’elle nous a destinés une autre vie que celle-ci ».

Il est difficile de dire si Pascal a connu ce passage.

Ce passage a servi au P. Desmares pour s’en prendre aux maximes défendues par le P. Le Moine. Voir Desmares Toussaint, Lettre d’un ecclésiastique au P. de Lingendes, XXV, § X, p. 10-11. « Je finis par ce qu’il dit en la page 282 où il forme un chapitre entier, qui porte pour titre, Que l’austérité n’est point nécessaire : & suivant ce beau & évangélique dessein, il dit en la page 283. Qu’il n’est point nécessaire d’être le persécuteur & le tyran de sa chair, d’être le comite & le bourreau de ses sens. Ainsi S. Paul avait grand tort de châtier son corps ; Ainsi Job n’était pas sage de faire un accord avec ses yeux, afin de ne voir pas les beautés qu’il ne pouvait pas légitimement souhaiter. Ainsi S. Jean sortant du désert était un extravagant, & S. Pierre après lui de commencer leurs prédications par la pénitence. Y a-t-il des maximes qui enseignent le libertinage si celles-là ne l’enseignent ? Et que disaient autre chose les impies & les athées dans le Chapitre 2 de la Sagesse. Venez donc & jouissons des biens qui se présentent, & usons des plaisirs de la créature pendant notre jeunesse : Remplissons-nous de vin & nous chargeons de parfums, & gardons-nous bien de laisser écouler le temps, sans cueillir toutes les fleurs de ses plaisirs : Couronnons-nous de roses avant qu’elles viennent à se flétrir ; qu’il n’y ait point de prairie qui ne porte des marques de notre volupté ; Que personne de nous ne se dispense de prendre sa part dans ces délices, & que par tout nous laissions des marques de notre joie. Ne semble-t-il pas que c’est de là que le Père Le Moine a tiré cette belle & chaste maxime qu’il a abrégée sous ces excellentes paroles, qu’il n’est point nécessaire d’être le persécuteur & le tyran de sa chair, d’être le comite & le bourreau de ses sens, tout ce qu’il a oublié, a été d’ajouter ces termes qui suivent dans l’Écriture, mais qu’il a voulu laisser au Lecteur à inférer, quoniam hæc est pars nostra & hæc est sors : afin qu’on ne lui reprochât pas qu’il enseignait ouvertement l’impiété, & parlait en athée, pendant qu’il faisait semblant d’enseigner la dévotion, & d’en ôter toutes les épines en ne lui laissant que les roses. »

 

Mais s’il y avait un Dieu à aimer il n’aurait pas conclu cela mais bien le contraire. Et c’est la conclusion des sages : il y a un Dieu, ne jouissons donc pas des créatures.

 

L’édition de Port-Royal donne un texte un peu différent : « s’ils eussent su qu’il y avait un Dieu ils eussent conclu tout le contraire ». Cette expression suppose que l’auteur sait que les impies se trompent, ce qui donne une certaine impression de dogmatisme et de supériorité. Mais les éditeurs ont sans doute eu peur de la concession implicite dans l’irréel s’il y avait un Dieu à aimer. Pascal, lui, semble s’inscrire dans les principes des impies qu’il combat, pour mieux faire sentir que, dans l’hypothèse contraire, ils auraient tout naturellement raisonné de manière différente, c’est-à-dire comme les sages.

C’est précisément ce que dit le commentaire de la Bible de Port-Royal, pour commenter le passage de la Sagesse cité plus haut : « il semble que saint Paul [I. Cor. 15, v. 32] avait en vue ces paroles de la Sagesse, lorsqu’il rapporte en ces termes les paroles des impies : « Ne pensons qu’à boire et à manger puisque nous mourrons demain. Ô âme non moins extravagante qu’incrédule, dit saint Augustin ; quelle est cette fureur qui vous fait dire : Passons notre vie dans les festins puisque nous mourrons demain ? Vous ne me séduisez pas en parlant de la sorte, mais vous m’épouvantez et vous m’instruisez. Terruisti, non seduxisti. Vivons, dites-vous, dans les délices, puisque la vie est courte et que la mort est inévitable. Et moi je me dis au contraire : Usons avec modération des biens de ce monde ; combattons l’intempérance par le jeûne ; craignons Dieu qui est notre créateur et qui sera indubitablement notre juge ; mettons notre gloire à l’aimer et à le servir, afin que notre misère se termine avec notre vie, et que la mort qui est si certaine et qui est si proche soit pour nous un passage à une éternité bienheureuse ».

Mesnard Jean, Pascal, coll. Les écrivains devant Dieu, Paris, p. 76. La haine de soi enferme une aspiration vers Dieu : elle n’est pas seulement reconnaissance de son indignité, mais désir d’en être délivré, et entraîne une exigence de conversion.

 

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Donc tout ce qui nous incite à nous attacher aux créatures est mauvais puisque cela nous empêche, ou de servir Dieu, si nous le connaissons, ou de le chercher si nous l’ignorons.

 

Le verbe servir doit être compris au sens de la distinction uti et frui qui a été mentionnée plus haut : servir Dieu, c’est le prendre pour fin dernière. Dans l’expression servir Dieu, si nous le connaissons, connaître Dieu ne signifie pas seulement le connaître théoriquement par raisonnement, mais agir par une vraie foi du cœur. Mais selon le fragment Conclusion 1 (Laf. 377, Sel. 409), il y a loin de la connaissance de Dieu à l’aimer (voir le commentaire de ce fragment sur la question du rapport de la connaissance et de l’amour de Dieu). Une connaissance purement théorique et une croyance tiède, ne suffisent pas pour servir vraiment Dieu.

Le chercher si nous l’ignorons : la Lettre sur la possibilité des commandements, 2, § 33, OC III, éd. J. Mesnard, p. 657, rappelle qu’il y a plusieurs manières de chercher Dieu : « la manière dont nous cherchons Dieu faiblement, quand il nous donne les premiers souhaits de sortir de nos engagements, est bien différente de la manière dont nous le cherchons, quand, après qu'il a rompu les liens, nous marchons vers lui en courant dans la voie de ses préceptes ». Il s’agit, dans le présent fragment, du premier sens : celui qui ignore Dieu n’a même pas la recherche au sens le plus faible.

Pascal, De l’Esprit géométrique, 2, De l’art de persuader, § 3-5, OC III, éd. J. Mesnard, p. 413-414. « § 3. Je ne parle pas ici des vérités divines, que je n’aurais garde de faire tomber sous l’art de persuader, car elles sont infiniment au-dessus de la nature : Dieu seul peut les mettre dans l’âme, et par la manière qu’il lui plaît. Je sais qu’il a voulu qu’elles entrent du cœur dans l’esprit, et non pas de l’esprit dans le cœur, pour humilier cette superbe puissance du raisonnement, qui prétend devoir être juge des choses que la volonté choisit, et pour guérir cette volonté infirme, qui s’est toute corrompue par ses sales attachements. Et de là vient qu’au lieu qu’en parlant des choses humaines on dit qu’il les faut connaître avant que de les aimer, ce qui a passé en proverbe, les saints au contraire disent en parlant des choses divines qu’il les faut aimer pour les connaître, et qu’on n’entre dans la vérité que par la charité, dont ils ont fait une de leurs plus utiles sentences. »

Gouhier Henri, B. Pascal. Conversion et apologétique, p. 30 sq. Ce n’est pas la connaissance de Dieu qui déclenche l’amour de Dieu, mais l’amour qui, en nous portant vers lui, rend possible la connaissance de Dieu.

Saint Augustin, Tract. 97 in Joan. « Non diligitur quod penitus ignoratur ; sed cum diligit quod ex quantulacumque parte cognoscitur, ipsa efficitur dilectione, ut melius et plenius cognoscatur ».

Laf. 617, Sel. 510. Qui ne hait en soi son amour propre et cet instinct qui le porte à se faire Dieu, est bien aveuglé. Qui ne voit que rien n’est si opposé à la justice et à la vérité.

 

Or nous sommes pleins de concupiscence, donc nous sommes pleins de mal, donc nous devons nous haïr nous‑mêmes

 

Voir les dossiers thématiques sur la concupiscence et sur les deux délectations.

Gouhier Henri, Blaise Pascal. Conversion et apologétique, p. 49 sq. La haine de soi. Commentaire de ce fragment : p. 50. La haine de soi signe de la vraie religion : p. 51.

Morale chrétienne 22 (Laf. 373, Sel. 405). Il faut n’aimer que Dieu et ne haïr que soi.

Fausseté 18 (Laf. 220, Sel. 253). Nulle autre religion n’a proposé de se haïr, nulle autre religion ne peut donc plaire à ceux qui se haïssent et qui cherchent un être véritablement aimable. Et ceux-là s’ils n’avaient jamais ouï parler de la religion d’un Dieu humilié l’embrasseraient incontinent.

Conclusion 5 (Laf. 381, Sel. 413). Ceux qui croient sans avoir lu les Testaments c’est parce qu’ils ont une disposition intérieure toute sainte et que ce qu’ils entendent dire de notre religion y est conforme. Ils sentent qu’un Dieu les a faits. Ils ne veulent aimer que Dieu, ils ne veulent haïr qu’eux-mêmes.

Laf. 564, Sel. 471. La vraie et unique vertu est donc de se haïr, car on est haïssable par sa concupiscence, et de chercher un être véritablement aimable pour l’aimer. Mais comme nous ne pouvons aimer ce qui est hors de nous, il faut aimer un être qui soit en nous, et qui ne soit pas nous. Et cela est vrai d’un chacun de tous les hommes. Or il n’y a que l’être universel qui soit tel. Le royaume de Dieu est en nous. Le bien universel est en nous, est nous-même et n’est pas nous.

Laf. 617, Sel. 510. Qui ne hait en soi son amour propre et cet instinct qui le porte à se faire Dieu, est bien aveuglé. Qui ne voit que rien n’est si opposé à la justice et à la vérité. Car il est faux que nous méritions cela, et il est injuste et impossible d’y arriver, puisque tous demandent la même chose. C’est donc une manifeste injustice où nous sommes nés, dont nous ne pouvons nous défaire et dont il faut nous défaire. Cependant aucune religion n’a remarqué que ce fût un péché, ni que nous y fussions nés, ni que nous fussions obligés d’y résister, ni n’a pensé à nous en donner les remèdes.

 

et tout ce qui nous excite à autre attache qu’à Dieu seul.

 

Attache : se dit figurément en morale de l’engagement qu’on à quelque chose. Ce jeune homme a une forte attache avec cette femme, il a beaucoup d’attache à l’étude (Furetière).

Sur les réserves que cette formule demande, voir ce que Pascal écrit sur l’amour de soi comme partie du corps mystique dans la liasse Morale chrétienne.

Morale chrétienne 21 (Laf. 372, Sel. 404). Être membre est n’avoir de vie, d’être et de mouvement que par l’esprit du corps. Et pour le corps, le membre séparé ne voyant plus le corps auquel il appartient n’a plus qu’un être périssant et mourant. Cependant il croit être un tout et ne se voyant point de corps dont il dépende, il croit ne dépendre que de soi et veut se faire centre et corps lui-même. Mais n’ayant point en soi de principe de vie il ne fait que s’égarer et s’étonne dans l’incertitude de son être, sentant bien qu’il n’est pas corps, et cependant ne voyant point qu’il soit membre d’un corps. Enfin quand il vient à se connaître il est comme revenu chez soi et ne s’aime plus que pour le corps. Il plaint ses égarements passés. Il ne pourrait pas par sa nature aimer une autre chose sinon pour soi-même et pour se l’asservir parce que chaque chose s’aime plus que tout. Mais en aimant le corps il s’aime soi-même parce qu’il n’a d’être qu’en lui, par lui et pour lui. Qui adhaeret Deo unus spiritus est.