Pensées diverses II – Fragment n° 21 / 37 – Papier original : RO 7-2

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 109 p. 357-357 v°  / C2 : p. 313 v°

Éditions de Port-Royal : Chap. IX - Injustice, & corruption de l’homme : 1669 et janvier 1670 p. 72-73 / 1678 n° 3 p. 73-74

Éditions savantes : Faugère II, 143, VII / Havet XXIV.54 / Michaut 18 / Brunschvicg 479 / Tourneur p. 91-2 / Le Guern 525 / Lafuma 618 (série XXIV) / Sellier 511

 

 

 

S’il y a un Dieu il ne faut aimer que lui et non les créatures passagères. Le raisonnement des impies dans La Sagesse n’est fondé que sur ce qu’il n’y a point de Dieu. Cela posé, dit‑il, jouissons donc des créatures. C’est le pis‑aller. Mais s’il y avait un Dieu à aimer il n’aurait pas conclu cela mais bien le contraire. Et c’est la conclusion des sages : il y a un Dieu, ne jouissons donc pas des créatures.

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Donc tout ce qui nous incite à nous attacher aux créatures est mauvais puisque cela nous empêche, ou de servir Dieu, si nous le connaissons, ou de le chercher si nous l’ignorons. Or nous sommes pleins de concupiscence, donc nous sommes pleins de mal, donc nous devons nous haïr nous‑mêmes et tout ce qui nous excite à autre attache qu’à Dieu seul.

 

 

Le fragment se présente comme un raisonnement, qui à partir d’une alternative, s’il y a un Dieu, et s’il n’y a point de Dieu, et tire progressivement les conclusions qui s’imposent de la première hypothèse. Le commandement d’aimer Dieu seul implique que l’homme doit haïr la concupiscence qui le pousse à n’aimer que soi.

 

Analyse détaillée...

 

Fragments connexes

 

Fausseté 12 (Laf. 214, Sel. 247). La vraie religion doit avoir pour marque d’obliger à aimer son Dieu. Cela est bien juste et cependant aucune ne l’a ordonné, la nôtre l’a fait.

Elle doit encore avoir connu la concupiscence et l’impuissance, la nôtre l’a fait.

Elle doit y avoir apporté des remèdes, l’un est la prière. Nulle religion n’a demandé à Dieu de l’aimer et de le suivre.

Fausseté 18 (Laf. 220, Sel. 253). Nulle autre religion n’a proposé de se haïr, nulle autre religion ne peut donc plaire à ceux qui se haïssent et qui cherchent un être véritablement aimable. Et ceux-là s’ils n’avaient jamais ouï parler de la religion d’un Dieu humilié l’embrasseraient incontinent.

Morale chrétienne 22 (Laf. 373, Sel. 405). Il faut n’aimer que Dieu et ne haïr que soi.

Conclusion 5 (Laf. 381, Sel. 413). Ceux qui croient sans avoir lu les Testaments c’est parce qu’ils ont une disposition intérieure toute sainte et que ce qu’ils entendent dire de notre religion y est conforme. Ils sentent qu’un Dieu les a faits. Ils ne veulent aimer que Dieu, ils ne veulent haïr qu’eux-mêmes. Ils sentent qu’ils n’en ont pas la force d’eux-mêmes, qu’ils sont incapables d’aller à Dieu et que si Dieu ne vient à eux ils sont incapables d’aucune communication avec lui et ils entendent dire dans notre religion qu’il ne faut aimer que Dieu et ne haïr que soi-même, mais qu’étant tous corrompus et incapables de Dieu, Dieu s’est fait homme pour s’unir à nous. Il n’en faut pas davantage pour persuader des hommes qui ont cette disposition dans le cœur et qui ont cette connaissance de leur devoir et de leur incapacité.

Prophéties VIII (Laf. 503, Sel. 738). Dans ces promesses-là chacun trouve ce qu’il a dans le fond de son cœur, les biens temporels ou les biens spirituels, Dieu ou les créatures, mais avec cette différence que ceux qui y cherchent les créatures les y trouvent, mais avec plusieurs contradictions, avec la défense de les aimer, avec l’ordre de n’adorer que Dieu et de n’aimer que lui, ce qui n’est qu’une même chose et qu’enfin il n’est point venu Messie pour eux, au lieu que ceux qui y cherchent Dieu le trouvent et sans aucune contradiction avec commandement de n’aimer que lui et qu’il est venu un Messie dans le temps prédit pour leur donner les biens qu’ils demandent.

Pensées diverses (Laf. 564, Sel. 471). La vraie et unique vertu est donc de se haïr, car on est haïssable par sa concupiscence, et de chercher un être véritablement aimable pour l’aimer. Mais comme nous ne pouvons aimer ce qui est hors de nous, il faut aimer un être qui soit en nous, et qui ne soit pas nous. Et cela est vrai d’un chacun de tous les hommes. Or il n’y a que l’être universel qui soit tel. Le royaume de Dieu est en nous. Le bien universel est en nous, est nous-même et n’est pas nous.

Pensées diverses (Laf. 617, Sel. 510). Qui ne hait en soi son amour propre et cet instinct qui le porte à se faire Dieu, est bien aveuglé. Qui ne voit que rien n’est si opposé à la justice et à la vérité. Car il est faux que nous méritions cela, et il est injuste et impossible d’y arriver, puisque tous demandent la même chose. C’est donc une manifeste injustice où nous sommes nés, dont nous ne pouvons nous défaire et dont il faut nous défaire. Cependant aucune religion n’a remarqué que ce fût un péché, ni que nous y fussions nés, ni que nous fussions obligés d’y résister, ni n’a pensé à nous en donner les remèdes.

 

Amour propre (Laf. 978, Sel. 743). La nature de l’amour propre et de ce moi humain est de n’aimer que soi et de ne considérer que soi.

 

Mots-clés : AmourConcupiscence – Créature – DieuHaineImpieJouirMalRaisonnementSagesse.