Pensées diverses II – Fragment n° 6 / 37 – Papier original : RO 12-2

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 105 p. 351-351 v°  / C2 : p. 305 v°

Éditions de Port-Royal : Chap. XXVIII - Pensées chrestiennes : 1669 et janvier 1670 p. 260-261 /

1678 n° 44 p. 253

Éditions savantes : Faugère I, 328, XXI / Havet XXIV.25 / Michaut 26 / Brunschvicg 868 / Tourneur p. 84-2 / Le Guern 510 / Lafuma 598 (série XXIV) / Sellier 495

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Bibliographie

 

 

Encyclopédie saint Augustin, Paris, Cerf, 2005.

GRES-GAYER Jacques M., En Sorbonne. Autour des Provinciales, Édition critique des Mémoires de Beaubrun (1655-1656), Paris, Klincksieck, 1997.

HANSON R. P. C., The search of the christian doctrine of God. The arian controversy, 318-381, Grand Rapid, Michigan, Baker Academic, 2e éd., 2007.

ICARD Simon, Port-Royal et saint Bernard de Clairvaux (1608-1709), Paris, Champion, 2010.

LAPORTE Jean, La doctrine de Port-Royal, La Morale, Paris, Vrin, 1951-1952, 2 vol.

LE GUERN Michel, Pascal et Arnauld, Paris, Champion, 2003.

MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, Paris, SEDES-CDU, 1993.

MEURILLON Christian, “Les combinaisons pascaliennes ou les avatars de la pensée ternaire”, in Équinoxe, 6, été 1990, p. 49-82.

RUBENSTEIN Richard E., Le jour où Jésus devint Dieu. L’« affaire Arius » ou la grande querelle sur la divinité du Christ au dernier siècle de l’empire romain, Paris, La découverte, 2004.

THÉRÈSE d’AVILA, Œuvres complètes, éd. Marcelle Auclair, Paris, Desclée de Brouwer, 1964.

 

 

Éclaircissements

 

Ce texte ne traduit pas une tendance au figurisme (dont l’apparition dans les idées jansénistes est postérieure). Ce que Pascal souligne, c’est la permanence d’une situation de persécution des justes et des saints qui se produit à l’intérieur de l’Église et par l’Église, qui permet de comprendre, à l’aide de l’exemple des saints passés, ce qui arrive dans le présent aux défenseurs de saint Augustin et de la grâce.

Havet se livre à une réflexion critique sur cette « manière de considérer les choses » comme effet de « l’enthousiasme », paradoxalement propre à développer l’esprit de critique et à « frayer le chemin » aux idées de Voltaire » (Pensées, II, éd. de 1866, p. 134).

 

Ce qui nous gâte pour comparer ce qui s’est passé autrefois dans l’Église à ce qui s’y voit maintenant est qu’ordinairement on regarde saint Athanase, sainte Thérèse et les autres, comme couronnés de gloire et [...], à présent que le temps a éclairci les choses, cela paraît ainsi, mais au temps où on le persécutait, ce grand saint était un homme qui s’appelait Athanase

 

Ce qui s’est passé autrefois dans l’Église : il faut entendre l’Église primitive : voir Arnauld Antoine, La fréquente communion, Préface, p. 87 sq. L’Église primitive n’est pas celle qui est décrite dans les Actes des apôtres : les hérétiques ne l’entendent ainsi que pour échapper plus facilement à l’autorité des Pères.

« De sorte que l’Église primitive est proprement l’Église dans sa pureté et dans l’exacte observation de sa discipline, telle qu’elle était avant d’avoir été altérée par le relâchement des fidèles. Et parce qu’il nous reste peu d’écrits des trois premiers siècles, à cause de la persécution qui a duré tout ce temps, et qui a empêché, comme dit saint Jérôme, que saint Cyprien, qui a été choisi de Dieu pour être le défenseur de la pénitence, ne nous a laissé plus d’écrits, Monsieur le cardinal Du Perron prend pour le temps de la primitive Église le quatrième et le cinquième siècle, qu’il appelle le temps des quatre premiers conciles, depuis l’empereur Constantin, jusqu’à l’empereur Marcien, parce que la plupart des pères ayant écrit en ce temps, nous pouvons voir dans leurs écrits toutes les maximes de la foi, et toute la pureté de sa discipline. Ainsi l’Église primitive n’est autre chose que l’Église du temps de saint Basile, du temps de saint Ambroise, du temps de saint Augustin : et tâcher de suivre l’Église primitive en ce point de la pénitence, n’est autre chose que tâcher de rétablir la discipline de l’Église telle que nous la trouvons dans les écrits de ces pères, qui est le temps où l’Église a paru toute formée au-dehors dans la perfection de sa vertu, et dans l’ordre de sa discipline, laquelle a passé dans les siècles suivants, sans que l’Église ait jamais fait aucune ordonnance qui lui soit contraire » : p. 88.

Laporte Jean, La doctrine de Port-Royal, La Morale, I, p. 129 sq. Qu’appelle-t-on Église primitive ? Voir La fréquente communion, Œuvres, XXVII, p. 125. C’est l’Église dans sa pureté et dans l’exacte observation de sa discipline, « telle qu’elle était avant d’avoir été altérée par le relâchement des fidèles ». Du Perron la place aux IVe et Ve siècles.

Ce qui s’y voit maintenant : allusion aux affaires du jansénisme et à la persécution qui s’abat sur Port-Royal du côté de l’Église. Sur la situation de la persécution qui s’abat à certaines époques sur les chrétiens par l’Église elle-même, voir le texte attribué à Arnauld (Œuvres, XXII, p. 567), Jugement équitable sur les contestations présentes, pour éviter les jugements téméraires et criminels, tiré de saint Augustin, « Il y a des tempêtes dans l’Église, aussi bien que dans le monde. Il s’y élève des troubles et des factions. Il y a quelquefois des innocents persécutés, et qui succombent sous les efforts de la calomnie. Et S. Augustin nous apprend qu’il y a plus qu’on ne pense de saints opprimés, et même condamnés par les ministres de l’Église, que Dieu, qui les voit en secret, couronne en secret : Hos coronat in occulto Pater in occulto videns » (De vera religione, c. 8). »

Pascal en tire la conclusion dans le fragment Miracles III (Laf. 884, Sel. 444). Après tant de marques de piété ils ont encore la persécution qui est la meilleure des marques de la piété.

Pascal consacre plusieurs fragments à la relation que les chrétiens doivent avoir avec les grandes figures qui peuvent leur servir de modèles ou au contraire de repoussoirs. Mais l’exemple des saints est d’un ordre plus élevé.

Laf. 770, Sel. 635. L’exemple de la chasteté d’Alexandre n’a pas tant fait de continents que celui de son ivrognerie a fait d’intempérants. Il n’est pas honteux de n’être pas aussi vertueux que lui, et il semble excusable de n’être pas plus vicieux que lui. On croit n’être pas tout à fait dans les vices du commun des hommes quand on se voit dans les vices de ces grands hommes. Et cependant on ne prend pas garde qu’ils sont en cela du commun des hommes.

Grandeur 13 (Laf. 117, Sel. 149). Qui se trouve malheureux de n’être pas roi sinon un roi dépossédé ? Trouvait-on Paul Emile malheureux de n’être pas consul ? Au contraire tout le monde trouvait qu’il était heureux de l’avoir été, parce que sa condition n’était pas de l’être toujours. Mais on trouvait Persée si malheureux de n’être plus roi, parce que sa condition était de l’être toujours qu’on trouvait étrange de ce qu’il supportait la vie. Qui se trouve malheureux de n’avoir qu’une bouche et qui ne se trouverait malheureux de n’avoir qu’un œil ? On ne s’est peut-être jamais avisé de s’affliger de n’avoir pas trois yeux, mais on est inconsolable de n’en point avoir.

Mais les seuls exemples valables sont ceux des saints et des martyrs.

Morale chrétienne 9 (Laf. 359, Sel. 391). Les exemples des morts généreuses des Lacédémoniens et autres, ne nous touchent guère, car qu’est-ce que cela nous apporte ? Mais l’exemple de la mort des martyrs nous touche car ce sont nos membres. Nous avons un lien commun avec eux. Leur résolution peut former la nôtre, non seulement par l’exemple, mais parce qu’elle a peut-être mérité la nôtre. Il n’est rien de cela aux exemples des païens. Nous n’avons point de liaison à eux. Comme on ne devient pas riche pour voir un étranger qui l’est, mais bien pour voir son père ou son mari qui le soient.

Le rapprochement entre les exemples allégués par Pascal et la situation de Port-Royal est visible dans le texte : le grand saint Athanase est, comme Arnauld, accusé de plusieurs crimes, et condamné en tel et tel concile. Les accusations portées contre lui et les amis de Port-Royal sont analogues : qu’ils troublent la paix, qu’ils font schisme. La situation est la même du côté de ses ennemis : Tous les évêques y consentent et le pape enfin.

 

et sainte Thérèse une fille.

 

Thérèse d’Avila (1515-1582), Vie écrite par elle-même, ch. XXXII, in Œuvres complètes, éd. Marcelle Auclair, Paris, Desclée de Brouwer, 1964, p. 232-240. 

Arnauld avait cependant été beaucoup plus net lorsqu’il a écrit sa Seconde lettre à un duc et pair, p. 108-110.

« Mais comment ces écrivains n’ont-ils point considéré, qu’il y a eu des temps dans la vie de sainte Thérèse même, qui a été l’ornement de ces derniers siècles, où elle a été encore plus décriée que ces vierges, puisqu’elle l’a été non seulement touchant la foi, mais aussi touchant les mœurs : Que plusieurs d’abord l’ont crue [Ils croyaient si assurément, que c’était le Diable, que quelques personnes me voulaient conjurer. La Sainte en sa Vie ch. 29] possédée du Diable et l’ont voulu conjurer : Que depuis et vers la fin de sa vie elle a été traitée [Les uns l’appelaient endiablée, d’autres une hypocrite et une dissimulée. Vie de la Sainte par l’évêque de Tarassone 2. part. ch. 13] d’endiablée, d’hypocrite, de dissimulée [Les choses qu’on déposa contre la Sainte Mère et contre les religieux et les religieuses de son ordre et celles qu’on leur imposa furent en si grand nombre, qu’on n’épargna aucune action infâme dont on pût taxer la réputation d’une vile femmelette, de laquelle celle de la Sainte ne fût noircie et injurieusement souillée, puis qu’en ce qui concerne l’honnêteté, on dit d’elle le dernier des opprobres, qu’on puisse reprocher à une coureuse, et à une femme destituée de crainte de Dieu. Les mémoires ou les écrits diffamants couraient d’une main en une autre. Ibid.] de perdue d’honneur [On disait qu’on avait trop tardé à la présenter devant les Juges du Saint Office, et sa réputation était perdue dans les places publiques, voire même dans les chaires. Un Religieux qui était en estime en grand crédit commença dans une assemblée à dire publiquement beaucoup de mal d’elle la comparant à Magdeleine de la Croix, femme remplie de l’esprit de mensonge, renommée dans toute l’Espagne pour ses tromperies et pour la communication qu’elle avait avec le Diable. Ibid.]. Qu’on la décriait publiquement dans les chaires des Églises, et qu’on la comparait avec une Madeleine de la Croix, femme remplie de l’esprit de mensonge et renommée dans toute l’Espagne pour ses tromperies et pour sa communication avec le Diable [On déposa contre elle des choses très grièves, et l’affaire en vint à tel point, que la Sainte et ses Religieuses furent acculées au Saint Office et chargées de mille mensonges et rêveries qu’on leur imposa. L’autorité des personnes qui les accusaient et l’estime de vertu qu’elles avaient était telle, que de la part de l’Inquisition on fit information du fait. Et cette poursuite fut si avancée, qu’on attendait chaque jour qu’on les dût prendre et les mener prisonnières à l’Inquisition. Ibid. ch. 13.] : Que l’on déposa contre elle et ses religieuses des choses si atroces, qu’elles furent accusées au saint Office et chargées de mille mensonges : Que l’Inquisition fit informer contre elle et ses filles, et qu’on attendait chaque jour qu’on les y dût mener prisonnières [Le livre de la Vie de la Sainte Mère avait été saisi par l’Inquisition il y avait environ douze ans, Vie de la Mère Anne de Jésus liv. 4 ch. 12.] : Que ses livres furent saisis par la même Inquisition pour être censurés [Elle fut fort contente du déshonneur de la prison : Vie de la Sainte par l’évêque de Tarass. 2. part. ch. 13.] : Que son Général lui marqua l’un de ses monastères pour prison [Le Nonce étant grandement indigné contre la Sainte lui commanda de ne sortir jamais du Monastère d’Avila, disant, que c’était une femme inquiète et une coureuse. Ibid. 1. Le même 1. Partie ch. 28] : Que le Nonce du Pape la traita de femme inquiète et de coureuse : Qu’il entreprit d’abattre de fond en comble le nouvel édifice des Déchaussés : Qu’il y travailla avec très grande rigueur, bannissant les uns, emprisonnant les autres, et les condamnant généralement, comme si c’eût été des gens d’une nouvelle secte infectée d’erreurs, ou de si mauvaise vie, qu’il fut nécessaire d’en retrancher le cours de peur qu’ils n’infectassent et ne perdissent le monde.

Comment ces écrivains n’ont-ils point considéré, que le mérite de la vertu de cette sainte était alors d’autant plus grand aux yeux de Dieu qu’elle était plus ruinée de réputation aux yeux des hommes et dans l’esprit du Général et des premiers de son ordre, du nonce du pape, de plusieurs prélats, religieux et laïques : Qu’elle dit elle-même par un raisonnement bien contraire à celui de ces écrivains, et qui est gravé dans le cœur des religieuses dont je parle [Vie de sainte Thérèse écrite par elle même, ch. 31] : Qu’elle était affligée lorsqu’elle voyait, que des personnes de marque la tenaient en grande estime, et disaient beaucoup de bien d’elle ; et que jetant aussitôt les yeux sur la vie de Jésus-Christ et des saints, il lui semblait qu’elle prenait un chemin tout contraire à celui qu’ils ont tenu, parce qu’ils ne marchaient que par la voie des mépris et des injures. Que cela la remplissait de crainte, et d’une si grande honte, qu’elle n’osait pas lever la tête, ni paraître devant personne. Ce qu’elle ne sentait pas lorsqu’elle était pressée de persécutions ; parce qu’il lui semblait, qu’alors l’âme marche en dame et en maîtresse, qu’elle est dans son royaume, et qu’elle a toutes choses sous ses pieds. Que les grandes grâces de Jésus-Christ sont des assurances de grandes traverses : Qu’il y a mille personnes qui veillent sur les actions des âmes remplies de Dieu, et qui les éclairent pour les décrier, lors que nulle ne jette la vue sur les déportements des autres pour les reprendre ; et que celles qui sont les plus mortes au monde sont les plus persécutées du monde, et les martyres du siècle.

Vous avez bien jugé, Monseigneur, par l’exemple de cette sainte, que dans l’Église de Jésus-Christ plus la vertu est pure, et détachée des affections du monde, plus la providence divine permet au démon de la couvrir du voile des calomnies, selon la pensée d’un Père grec, afin qu’elle soit exposée par cet obscurcissement aux persécutions des langues des hommes, qui sont ses couronnes et ses récompenses. Et vous avez reconnu en cette dernière occasion que lorsque Dieu ne permet pas que ses fidèles servantes soient accusées dans leurs mœurs par la médisance la plus hardie, le diable la rend assez effrontée pour les attaquer en des matières de foi, leur faisant en cela la même faveur qu’il a faite à tant de saints, qui par toute l’intégrité de leur foi n’ont pu se sauver de ces attaques. »

Il n’est pas question de folie ni de dérangement mental dans ce long rapport. La lecture folle proposée par Z. Tourneur ne s’impose pas. Voir la transcription diplomatique.

La leçon fille est proposée par les Copies. Elle est compatible avec le manuscrit. Elle appelle cependant une précaution. On peut être tenté de comprendre que Thérèse s’est fait reprocher son inconduite. Mais les dictionnaires de l’époque ne permettent pas de s’arrêter à cette interprétation : le mot fille, pris absolument, ne désigne jamais les femmes de mauvaise vie et les « personnes qui se prostituent dans les lieux publics » (Furetière) ; on n’y trouve dans ce sens que l’expression fille de joie.

Ce mot désigne en revanche d’une part « l’état de celle qui n’a point été mariée » (Furetière), mais surtout « les personnes qui se sont consacrées à Dieu, qui ont fait vœu de virginité, soit qu’elles soient enfermées dans un couvent, soit qu’elles vivent sous la conduite de quelque Père spirituel » ; on parle en ce sens des Filles de la Visitation, des Filles de la Miséricorde, etc. Cet état est justement celui de Thérèse d’Avila.

L’édition de Port-Royal va précisément dans ce sens, en indiquant que Thérèse est « une religieuse comme les autres » (p. 257), c’est-à-dire une personne ordinaire, et nullement exceptionnelle. Cela s’accorde avec ce que Pascal dit de saint Athanase, savoir qu’il apparaissait à ses contemporains comme un homme qui s’appelait Athanase, et non comme un grand saint.

La leçon fille semble donc devoir être retenue, et interprétée en ce sens.

Havet estime que, sous la figure de sainte Thérèse, Pascal entend désigner la mère Angélique ou la mère Agnès (éd. des Pensées, II, 1866, p. 133).

 

Elie était un homme comme nous et sujet aux mêmes passions que nous, dit saint Pierre pour désabuser les chrétiens de cette fausse idée, qui nous fait rejeter l’exemple des saints comme disproportionné à notre état. C’étaient des saints, disons‑nous, ce n’est pas comme nous.

 

Sur le prophète Élie, voir le Premier livre des Rois. Sur le cycle d’Élie, voir Cazelles Henri (dir.), Introduction à la Bible, t. 2, Introduction critique à l’ancien Testament, Paris, Desclée, 1973, p. 310-314.

Pascal fait erreur sur l’auteur de la lettre à laquelle il fait allusion : il ne s’agit pas de saint Pierre, mais de saint Jacques, dans sa lettre, V, 17. « Élie était un homme sujet comme nous à toutes les misères de la vie ; et cependant ayant prié Dieu avec grande ferveur qu’il ne plût point, il cessa de pleuvoir sur la terre durant trois ans et demi. 18. Et ayant prié de nouveau, le ciel donna de la pluie, et la terre produisit son fruit. »

Havet, éd. des Pensées, II, 1866, p. 100, commente l’expression mêmes passions comme suit : aux mêmes infirmités, aux mêmes misères, au sens du grec πάθη. Le latin donne passibilis.

 

Que se passait‑il donc alors ? Saint Athanase était un homme appelé Athanase, accusé de plusieurs crimes, condamné en tel et tel concile pour tel et tel crime. Tous les évêques y consentent et le pape enfin. Que dit‑on à ceux qui y résistent ? Qu’ils troublent la paix, qu’ils font schisme, etc.

 

Sur la vie et les tribulations de saint Athanase dans sa lutte contre l’arianisme, voir Hanson R. P. C., The search of the christian doctrine of God. The arian controversy, 318-381, 2007, ou pour une information plus rapide, Rubenstein Richard E., Le jour où Jésus devint Dieu. L’ « affaire Arius » ou la grande querelle sur la divinité du Christ au dernier siècle de l’empire romain, 2004. On trouvera aussi un récit accessible des « caractère et aventures d’Athanase » dans Gibbon, Histoire du déclin et de la chute de l’empire roman, coll. Bouquins, Paris, Robert Laffont, 1983, p. 583 sq.

Sur l’influence que saint Athanase a eue sur saint Augustin, voir l’article qui lui est consacré dans l’Encyclopédie saint Augustin, Paris, Cerf, 2005, p. 108 sq. 

Né vers 298 non loin d’Alexandrie, Athanase est issu d’une famille chrétienne aisée et reçoit une instruction profane littéraire et philosophique. Il entre jeune dans le clergé chrétien d’Alexandrie, et il s’impose très vite par ses qualités comme secrétaire et homme de confiance de l’évêque Alexandre : il est le probable rédacteur du mémorandum envoyé en 322 par Alexandre à ses collègues évêques pour expliquer et justifier le synode d’Alexandrie de 321 qui a déposé le prêtre Arius et ses sectateurs. Il participe au premier concile de Nicée (325), et succède à Alexandre en 328. Patriarche d’Alexandrie, il s’attire l’hostilité des Ariens, et se voit accusé de viol, de meurtre, de sacrilège, et condamné par les conciles de Tyr, d’Arles, de Milan, puis par le pape Libère qui finit par ratifier sa condamnation. Il subit à plusieurs reprises l’exil, et même la condamnation pontificale, mais finit par triompher. Un homme appelé Athanase, accusé de plusieurs crimes, condamné en tel et tel concile pour tel et tel crime : les Mémoires de Beaubrun, éd. Gres-Gayer, p. 829, citent une Lettre d’un bachelier à un docteur de Sorbonne, qui résume les accusations qui ont été portées contre Athanase par ses ennemis :

« ce saint fut condamné dans les faux conciles de Césarée, de Tyr, d’Antioche, de Milan, et par le pape Libère, non seulement comme hérétique mais comme accusé de divers crimes. En 329 il fut accusé d’avoir exigé des voiles pour son église en forme de tribut, en 331 au concile de Césarée d’avoir rompu un calice, d’avoir été rebelle à l’empereur, en 335 en celui de Tyr, d’avoir coupé la main à Arsène, d’avoir corrompu une femme, etc., brûlé des maisons en 336, de crime de lèse-majesté par cinq évêques, et d’avoir empêché qu’on ne portât des blés en Alexandrie. En 339 d’avoir fait plusieurs meurtres, d’avoir volé le blé destiné aux veuves. En 341 d’être retourné en son évêché avant que d’avoir été rétabli. En 346, d’avoir irrité Constant contre Constance son frère. En 351, d’avoir favorisé Magnence. Dans le concile d’Arles, tenu en 353, on ne proposa que de juger de sa personne et non de sa foi, Sulpice Sévère, cap. 2. Dans celui de Milan, il s’agissait de le condamner simplement comme sacrilège ».

Pascal mentionne saint Athanase, dans la Provinciale XVII, éd. Cognet, Garnier, p. 339.

Voir aussi le Second écrit des curés de Paris, in Provinciales, § 20, éd. Cognet, Garnier, p. 426.

« C’est ainsi que saint Athanase, saint Hilaire et d’autres saints évêques de leur temps ont été traités de rebelles, de factieux, d’opiniâtres, et d’ennemis de la paix et de l’union ; qu’ils ont été déposés, proscrits et abandonnés de presque tous les fidèles, qui prenaient pour un violement de la paix le zèle qu’ils avaient pour la vérité. C’est ainsi que le saint et fameux moine Étienne était accusé de troubler la tranquillité de l’Église par les trois cent trente évêques qui voulaient ôter les images des églises, ce qui était un point qui assurément n’était pas des plus importants pour le salut ; et néanmoins parce qu’on ne doit jamais relâcher les moindres vérités sous prétexte de la paix, ce saint religieux leur résista en face, et ce fut par ce sujet qu’il fut enfin condamné, comme on voit dans les Annales de Baronius ann. 754. »

Arnauld Antoine, Apologie pour les religieuses de Port-Royal, Quatrième partie, Chapitre X, Œuvres, XXIII, p. 602 sq. Comparaison des défenseurs de saint Athanase avec Port-Royal avec les défenseurs de Jansénius : « on leur reproche sans cesse qu’ils ne sont qu’une poignée de gens qui résistent à toute l’Église. C’est ce qu’on disait des défenseurs de saint Athanase, qui étaient en fort petit nombre, comme remarque Sulpice Sévère. Pauci quibus fides chara et veritas potior erat, injustum judicium non receperunt. Et on ne parlait de lui que comme d’un sacrilège, que presque tout l’univers avait condamné [...]. On ne prêche autre chose sur le sujet de Jansénius, sinon qu’il faut se tenir au gros de l’arbre, qu’il faut être de l’avis du gros de l’Église, et que c’est faire schisme et s’en séparer, que de suivre l’opinion de peu de personnes contraires à celle de tous les autres. On avait alors autant de droit de le dire sur le sujet de saint Athanase ; et si ces raisons doivent faire aujourd’hui condamner Jansénius, sans qu’on veuille seulement écouter les raisons qu’on a de douter s’il a été justement condamné, elles devraient aussi faire condamner saint Athanase » : p. 603.

Autre référence à saint Athanase dans Arnauld, voir Pascal, Œuvres, éd. Le Guern, I, p. 952 sq., Réflexions d’un docteur de Sorbonne sur l’Avis donné par Monseigneur l’évêque d’Alet sur le cas proposé touchant la souscription de la dernière constitution du pape Alexandre VII, et du formulaire de l’assemblée générale du clergé de France, avril 1657, que M. Le Guern attribue à Pascal. Voir le § XII, p. 969 sq. Cette attribution ne repose que sur des arguments fragiles (voir p. 1332), mais le rapprochement montre que l’exemple d’Athanase était à l’époque familier au groupe de Port-Royal : « Il ne faut pas douter que saint Athanase ayant été condamné par plusieurs conciles, et même par le pape Libère, comme un méchant et un perturbateur de l’Église, il n’y eût une infinité de personnes simples qui le croyaient tel, parce qu’ils ne présumaient pas que ces conciles l’eussent voulu condamner s’il n’eût été véritablement coupable des crimes dont on l’accusait » (p. 969).

Athanase est aussi cité plusieurs fois dans Arnauld Antoine, Considérations sur ce qui s’est passé a l’Assemblée de la Faculté de Théologie de Paris tenue le 4 novembre 1655. Sur le sujet de la Seconde lettre de Monsieur Arnauld Docteur de Sorbonne, Paris, 1655, 34 p. in-4°.

L’exemple de saint Athanase a été souvent invoqué dans les disputes jansénistes, lors des interventions des docteurs lors du procès fait à Arnauld, comme en témoignent les Mémoires de Beaubrun : voir dans Gres-Gayer Jacques M., En Sorbonne. Autour des Provinciales,l’avis du docteur Meusnier, p. 176-177, de M. Deschateaux, p. 282, Le Mercier, p. 318, Perrault, p. 326, De Mincé, p. 383. Beaubrun signale aussi des écrits dans lesquels Arnauld lui-même invoque le cas d’Athanase, notamment, p. 693, la Première lettre apologétique du 10 mars 1656, Œuvres, XX, p. 85-106.

Havet, dans son édition des Pensées, II, p. 100, signale que parmi les docteurs qui ont défendu Arnauld dans l’affaire de la censure, le docteur Nicolas Perrault a comparé Antoine Arnauld à saint Jérôme : « Et c’est en vain que l’on me répondrait que M. Arnauld n’est pas saint Jérôme ; car lorsque saint Jérôme écrivait les ouvrages qu’il nous a laissés, il n’était pas alors saint Jérôme, mais seulement saint Jérôme prêtre, ce Jérôme abandonné du pape Sirice, et accablé de tant de calomnies par le clergé de Rome, que les uns disaient qu’il fallait le chasser de la ville, d’autres qu’il fallait le lapider, et d’autres qu’il fallait le jeter dans la rivière. Voilà quel était alors ce Jérôme prêtre, que nous ne connaissons plus aujourd’hui que par le seul nom de saint Jérôme ». Ce discours a été reproduit dans les Œuvres d’Arnauld, XX, p. 491, parmi les Suffrages des docteurs pour M. Arnauld. Havet ne cite d’ailleurs pas ce discours sans une certaine ironie, le déclarant « fort spirituel et tout à fait digne du nom qu’il porte » (Nicolas Perrault est le frère de l’auteur des Contes). Cet avis est résumé dans les Mémoires de Beaubrun, voir Gres-Gayer Jacques M., En Sorbonne. Autour des Provinciales, Édition critique des Mémoires de Beaubrun (1655-1656), Paris, Klincksieck, 1997, p. 326.

Arnauld est aussi expressément comparé à saint Athanase luttant contre l’arianisme dans les Mémoires de Fontaine ; voir l’éd. de P. Thouvenin, Paris, Champion, 2001, p. 623.

Les comparaisons vont parfois jusqu’au détail des événements, comme p. 719, dans le cas de la Seconde lettre apologétique, Œuvres, XX, p. 107-158, qui justifie le retrait des docteurs augustiniens des débats de Sorbonne.

Le Guern Michel, Pascal et Arnauld, p. 105 sq., considère les réflexions sur saint Athanase comme une ébauche de l’Éclaircissement de cette question morale et ecclésiastique, si un docteur ou un bachelier peut en sûreté de conscience souscrire une censure, qui condamne comme hérétique et impie une proposition qu’il sait être véritable et catholique, et traite comme criminelle une personne qu’il croit innocente (février 1656) d’Arnauld, notamment § XII. Extraits de ce texte.

Sur l’Arianisme : voir Simon Marcel et Benoit André, Le judaïsme et le christianisme antique, Nouvelle Clio, Paris, Presses Universitaires de France, 1968, p. 170 sq. Le conflit naît à Alexandrie, vers 318-320, entre l’évêque Alexandre et l’un de ses prêtres, Arius, à propos de la nature du Fils. Chassé d’Alexandrie, Arius entreprend de répandre ses idées auprès des évêques des grandes villes comme Césarée et Nicomédie. Constantin décide de réunir un grand concile pour régler définitivement le conflit. Arius récuse cette distinction orthodoxe entre création et engendrement : il soutient que Dieu étant unique, le Logos ne peut qu’être une créature. La Trinité prend chez lui une allure particulière : la monade divine reste seule et repliée sur elle-même ; elle crée une créature parfaite, le Logos, qui crée à son tour une autre créature parfaite, le Saint-Esprit. Le Fils n’est donc pas Dieu ; ce n’est plus qu’un être parfait qui propose son exemple. Le concile de Nicée condamne cette doctrine.

Voir Maraval Pierre, Le christianisme de Constantin à la conquête arabe, Paris, Presses Universitaires de France, 1997, p. 313 sq.

Voir pour compléter Bartmann Bernard, Précis de Théologie dogmatique, I, p. 201. Séparation du Fils et de l’Esprit du Père, dont ils sont les créatures. Arius met à part le Dieu unique et très haut, que sa perfection absolue rend inaccessible ; il le sépare du Fils, être divin du second ordre, que Dieu produit librement, avant tous les temps, comme sa créature : p. 201. Condamnations ecclésiastiques : p. 201.

 

Quatre sortes de personnes, zèle sans + science, science sans zèle, ni science ni zèle, et zèle et science. Zèle + lumière.

Les trois premiers le condamnent, les derniers l’absolvent et sont excommuniés de l’Église, et sauvent néanmoins l’Église.

 

Zèle lumière est écrit en marge de droite, à part du texte, et un signe + est écrit au-dessus de lumière. Voir dans le commentaire du manuscrit, sur la présence d’un signe de renvoi au milieu de zèle sans science, et l’interprétation que l’on peut en donner.

Sur ce type de classification combinatoire, voir Meurillon Christian, « Les combinaisons pascaliennes ou les avatars de la pensée ternaire », in Équinoxe, 6, été 1990, p. 49-82 ; et Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., p. 80. Noter qu’il s’agit là d’une des rares classifications combinatoires qui soit complète avec quatre termes.

Voir des classifications de différentes « sortes de personnes » dans les fragments suivants :

Commencement 10 (Laf. 160, Sel. 192). Il n’y a que trois sortes de personnes : les uns qui servent Dieu l’ayant trouvé, les autres qui s’emploient à le chercher ne l’ayant pas trouvé, les autres qui vivent sans le chercher ni l’avoir trouvé. Les premiers sont raisonnables et heureux, les derniers sont fous et malheureux. Ceux du milieu sont malheureux et raisonnables.

Preuves par discours II (Laf. 427, Sel. 681). Qu’ils reconnaissent enfin qu’il n’y a que deux sortes de personnes qu’on puisse appeler raisonnables : ou ceux qui servent Dieu de tout leur cœur parce qu’ils le connaissent, ou ceux qui le cherchent de tout leur cœur parce qu’ils ne le connaissent pas. Mais pour ceux qui vivent sans le connaître et sans le chercher, ils se jugent eux-mêmes si peu dignes de leur soin, qu’ils ne sont pas dignes du soin des autres et qu’il faut avoir toute la charité de la religion qu’ils méprisent pour ne les pas mépriser jusqu’à les abandonner dans leur folie.

Miracles II (Laf. 858, Sel. 437). L’Église a trois sortes d’ennemis : les Juifs qui n’ont jamais été de son corps, les hérétiques qui s’en sont retirés, et les mauvais chrétiens qui la déchirent au dedans. Ces trois sortes de différents adversaires la combattent d’ordinaire diversement, mais ici ils la combattent d’une même sorte.

L’origine de ce passage remonte sans doute à l’Épître de saint Paul aux Romains, X, 2 : « Testimonium enim perhibeo illis quod aemulationem Dei habent sed non secundum scientiam ». Tr. de la Bible de Port-Royal : « je puis leur rendre ce témoignage qu’ils ont du zèle pour Dieu ; mais leur zèle n’est point selon la science ». Saint Paul parle en l’occurrence des Juifs. Saint Augustin cite et commente ce passage dans le Sermon CLX, sous la forme : « Testimonium, inquit, eis perhibeo, quia zelum habent, sed non secundum scientiam ». Saint-Cyran la reprend sous une forme encore différente, dans la Lettre à un ecclésiastique de ses amis touchant les dispositions à la prêtrise, ch. II : « « Zelum habes, sed non secundum scientiam ». Pascal fait à son tour une application nouvelle à la citation de saint Paul, en visant les conflits qui ont lieu, non plus entre chrétiens et juifs, mais à l’intérieur de l’Église.

La même citation a trouvé d’autres applications. Campanella lui fait écho dans sa défense de Galilée. Voir Campanella Tommaso, Apologia pro Galileo, Apologie de Galilée, ch. III, éd. M.-P. Lerner, p. 28 : « Quicunque quaestionis, etiam ad religionem vel ex parte spectantis, judices fieri volunt, zelum Dei habere debent, et scientiam, ut docet s. Bernardus in Apologia, ex dictis apostoli ad Rom. 10 » ; « Quiconque veut s’instituer juge d’une question concernant aussi la religion, ne serait-ce que partiellement, doit avoir le zèle de Dieu et la science, comme l’enseigne saint Bernard dans l’Apologie à partir de ce que dit l’apôtre au chapitre 10 de l’Épître aux Romains ». Campanella y revient à la p. 82 sq. « Ergo probatum est, quod nec zelus, Dei sine scientia, ut dicebat Bernardus, nec scientia sine zelo Dei possit de his judicare » ; « On a donc prouvé qu’en ces matières, ni le zèle de Dieu sans la science, comme le disait saint Bernard, ni la science sans le zèle de Dieu, n’est en mesure de juger ». Tout le chapitre III de l’Apologia traite la question du rapport du zèle et de la science. Les éléments de la typologie de Pascal sont esquissés dans ce texte. Science sans zèle : « ceux qui possèdent la science, mais non le zèle de Dieu se prosternent devant les hommes qui dominent au tribunal ou à l’université, et, par suite, ils n’osent pas prendre position en faveur de la vérité », p. 28. Zèle sans science : « ceux qui possèdent le zèle de Dieu mais non la science, s’ils n’ont pas reçu de Dieu une révélation expresse, ne sont en aucune manière capables en dépit de toute leur sainteté de juger d’une question de ce genre » : p. 30. Un principe pose par la suite une exigence qui peut tenir lieu de combinaison zèle et science : « le théologien spéculatif devant disputer contre les hétérodoxes doit connaître la philosophie des choses du ciel et du monde d’ici bas ». Mais aucun de ces rapprochements n’est apparemment suffisant pour assurer qu’on peut y voir une source certaine.

Une note de P. Lerner indique que l’on ne trouve pas dans l’Apologia de passage s’appuyant sur l’Épître aux Romains, X. En revanche, dans les Sermons sur le Cantique des cantiques, Sermo XIX, Opera, I, Venise, 1568 (S. Bernardi opera, I, Rome, 1957, p. 113), saint Bernard utilise cette Épître, XII, 1, dans ces termes : « Unde Apostolus : Rationabile, inquit, obsequium vestrum. Alioquin facillime zelo tuo spiritus illudet erroris, si scientiam negligas ». L’erreur de référence serait due au fait que Campanella cite de mémoire. Pascal n’a pu consulter la traduction des Sermons de saint Bernard sur le Cantique des cantiques, Paris, J. Du Puis, 1663, p. 133 : « Dieu est sagesse ; il ne veut pas qu’on l’aime seulement avec ardeur, mais avec prudence. C’est ce qui fait dire à l’Apôtre, Que votre culte soit raisonnable. Autrement si vous négligez la science, l’esprit d’erreur se jouera bientôt de votre zèle. Cet ennemi artificieux n’a point de plus forte machine, pour ôter l’amour d’un cœur, que lorsqu’il peut faire en sorte qu’il soit destitué de prudence et de discrétion ».

Mais il a pu lire la traduction, d’un style plus archaïque, des Sermons de saint Bernard, premier abbé de Clairvaux…, tome second, Paris, Pierre Billaine, 1620, p. 108 : « Dieu est la sagesse même : et veut non seulement être aimé doucement, mais aussi sagement. D’où vient ce que dit l’Apôtre : Votre service, dit-il, soit raisonnable. Autrement l’esprit d’erreur et d’ignorance trouvera moyen aisé de se moquer de votre zèle si vous méprisez la science. Et le cauteleux ennemi n’aura aucun trait de finesse qui ait plus de force pour déraciner l’amour du cœur, que de trouver le moyen de pouvoir faire qu’il se comporte en la dilection imprudemment et sans raison ». Sur la question de savoir si Pascal a lu saint Bernard, voir Icard Simon, Port-Royal et saint Bernard de Clairvaux (1608-1709), Paris, Champion, 2010, p. 402 sq. Le passage de saint Bernard est fort bref, et appartient à un sermon qui n’est nullement consacré au sujet du zèle et de la science. Il ne fait qu’exploiter un passage tout aussi bref de saint Paul, qui peut d’ailleurs être exploité dans un sens très différent (comme c’est le cas dans la Bible de Port-Royal).

On peut en fait invoquer un ouvrage plus récent, qui renvoie également à saint Paul, et que Pascal connaissait à coup sûr : à propos des ecclésiastiques qui ont suscité l’affaire Liancourt, Arnauld écrit, dans la Lettre à une personne de condition (1655), Œuvres XIX, p. 312 : « Je sais, Monsieur, ce que peut un zèle qui paraît visiblement n’être pas selon la science, comme dit saint Paul, et à quoi se peuvent porter des esprits qui témoignent avoir plus de chaleur que de lumière, lorsqu’ils sont une fois préoccupés de cette créance, que leurs sentiments particuliers sont des vérités certaines et indubitables. Mais je n’aurais jamais cru que des ecclésiastiques, qui font profession de piété, se fussent tellement laissé emporter à leur chaleur, que de violer si ouvertement la discipline de l’Église, et d’exercer sur les consciences une si injuste domination ».

L’édition de M. Le Guern, Pléiade, II, p. 1501, renvoie aussi à Godefroy Hermant, Vérités académiques, ou réfutation des préjugés populaires dont se servent les jésuites contre l’Université de Paris, Paris, 1643.

Enfin on aurait tort d’omettre de rapprocher ce texte du fragment Raisons des effets 9 (Laf. 90, Sel. 124). Gradation. Le peuple honore les personnes de grande naissance, les demi-habiles les méprisent disant que la naissance n’est pas un avantage de la personne mais du hasard. Les habiles les honorent, non par la pensée du peuple mais par la pensée de derrière. Les dévots qui ont plus de zèle que de science les méprisent malgré cette considération qui les fait honorer par les habiles, parce qu’ils en jugent par une nouvelle lumière que la piété leur donne, mais les chrétiens parfaits les honorent par une autre lumière supérieure. Ainsi se vont les opinions succédant du pour au contre selon qu’on a de lumière.

Zèle sans science : ce sont les dévots.

Science sans zèle : ce sont les chrétiens tièdes.

Science et zèle : parfaits chrétiens.

Ni science ni zèle : à qui correspond cette catégorie ? sans doute à ceux qui ne croyant pas, ne peuvent avoir de zèle pour ce qu’ils ne connaissent pas. Voir Provinciale IV, § 14 : « Comment s’imaginer que les Idolâtres et les Athées aient dans toutes les tentations qui les portent au péché, c’est-à-dire une infinité de fois en leur vie, le désir de prier le véritable Dieu qu’ils ignorent, de leur donner les véritables vertus qu’ils ne connaissent pas ? »

Le rapprochement avec le fragment Raisons des effets 9 explique peut-être la présence de la note zèle lumière en marge, et le discret renvoi dans le corps du texte signalé dans le commentaire du manuscrit.

En quel sens faut-il entendre ici le mot science ? Parlant dans De la fréquente communion, Partie I, ch. XXIX, des « Conditions » qui font« un bon directeur », Antoine Arnauld demande « qu’il soit docte » : il a besoin pour cela de trois sciences : celle que l’on apprend dans les écoles qui le rend disciple des docteurs, celle qu’on apprend de la tradition catholique qui le rend disciple de l’Église, et celle qu’on tire de la communication familière avec Jésus-Christ, qui le rend disciple du Christ : p. 281-282.

Pascal a peut-être pensé que le mot science, quoique fourni par la tradition, convenait assez mal, dans la mesure où il peut paraître faire allusion à la science rationnelle ou à l’érudition (« celle que l’on apprend dans les écoles et qui [...] rend disciple des docteurs ». Cependant, ce fragment montre que Pascal n’entend pas opposer le zèle religieux à la science prise en ce sens, mais à ce qu’il appelle la lumière, « celle qu’on tire de la communication familière avec Jésus-Christ, qui le rend disciple du Christ », autrement dit les clartés de la foi. Il est possible et même probable que la note en marge ait servi à préparer une correction ultérieure du texte, que Pascal a laissée en suspens après avoir noté cet aide-mémoire.