Pensées diverses VII – Fragment n° 8 / 10 – Papier original : RO 51-1

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 184 p. 419 v° à 421 v° / C2 : p. 395-395 v°

Éditions de Port-Royal :

     Chap. XVI - Diverses preuves de Jésus-Christ : 1669 et janvier 1670 p. 128-129 / 1678 n° 3 p. 128

     Chap. XXVIII - Pensées Chrestiennes : 1669 et janvier 1670 p. 271 / 1678 n° 69 p. 263

     Chap. XXXI - Pensées diverses : 1669 et janvier 1670 p. 331 / 1678 n° 26 p. 326

Éditions savantes : Faugère II, 191, VIII ; II, 370, XXXI ; I, 210, CI ; I, 196, LV / Havet XXV.93 bis, XIX.2, XXIV.43, VII.16 / Brunschvicg 741, 798, 895, 6 / Tourneur p. 133-3 / Le Guern 667 / Lafuma 811 à 814 (série XXIX) / Sellier 658

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Bibliographie

 

 

BOCHET Isabelle, « Le firmament de l’Écriture ». L’herméneutique augustinienne, Paris, Études augustiniennes, 2004.

CAZELLES Henri, Introduction à la Bible, tome 2, Introduction critique à l’Ancien Testament, Paris, Desclée, 1973.

CHÉDOZEAU Bernard, L’univers biblique catholique au siècle de Louis XIV. La Bible de Port-Royal, I, Les Préfaces de l’Ancien Testament, Une théologie scripturaire (1672-1708), Paris, Champion, 2013.

DELASSAULT Geneviève, Le Maistre de Sacy et son temps, Paris, Nizet, 1957.

DESCOTES Dominique, “Force et violence dans le discours chez Antoine Arnauld”, in Antoine Arnauld. Philosophie de la connaissance, Études réunies par J.-C. Pariente, Vrin, Paris, 1995, p. 33-64.

DESCOTES Dominique, “De la XIe Provinciale aux Pensées”, Courrier du Centre International Blaise Pascal, 16, 1994, p. 35-38 ; repris in Treize études sur Blaise Pascal, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2004, p. 75-83.

Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, Paris, Cerf, 1993.

FERREYROLLES Gérard, “Les païens dans la stratégie argumentative de Pascal”, in Pascal. Religion, Philosophie, Psychanalyse, Revue philosophique de la France et de l’étranger, n° 1, janv.-mars 2002, p. 21-40.

GOUHIER Henri, Blaise Pascal. Conversion et apologétique, Paris, Vrin, 1986.

LEDUC-FAYETTE Denise, Pascal et le mystère du mal. La clef de Job, Paris, Cerf, 1996.

LHERMET J., Pascal et la Bible, Paris, Vrin, 1931.

McKENNA Antony, Pascal et son libertin, Paris, Garnier, 2017.

MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES-CDU, 1993.

MICHEL Alain, “Saint Augustin et le rhétorique pascalienne : la raison et la beauté dans l’Apologie de la religion chrétienne”, XVIIe siècle, 135, avril-juin 1982, p. 133-168.

MOREAU Denis, Deux cartésiens. La polémique entre Antoine Arnauld et Nicolas Malebranche, Paris, Vrin, 1999, p. 49 sq.

PÉRIER Étienne, Préface de l’édition de Port-Royal, in Pensées, III, Documents, éd. Lafuma, Paris, Luxembourg, 1951.

REGUIG-NAYA Delphine, Le corps des idées. Pensées et poétiques du langage dans l’augustinisme de Port-Royal. Arnauld, Nicole, Pascal, Mme de La Fayette, Racine, Paris, Champion, 2007.

SELLIER Philippe, Pascal et la liturgie, Paris, Presses Universitaires de France, 1966.

SELLIER Philippe, “Rhétorique et apologétique : Dieu parle bien de Dieu”, in Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., Paris, Champion, 2010, p. 239-250.

SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970.

SUSINI Laurent, L’écriture de Pascal. La lumière et le feu. La « vraie éloquence » à l’œuvre dans les Pensées, Paris, Champion, 2008.

THIROUIN Laurent, Pascal ou le défaut de la méthode. Lecture des Pensées selon leur ordre, Paris, Champion, 2015.

 

 

Éclaircissements

 

Les deux plus anciens livres du monde sont Moïse et Job,

 

Les deux plus anciens livres du monde sont Moïse et Job : Moïse est dit auteur du Pentateuque ; Pascal pense qu’il rapporte les premiers âges du monde, grâce à la tradition héréditaire (voir Preuves de Moïse 6 (Laf. 296, Sel. 327).

Sur Moïse, voir la liasse Preuves de Moïse.

Le Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, p. 579, résume les opinions rabbiniques sur l’époque à laquelle aurait vécu Job. Certains auteurs juifs pensent qu’il aurait vécu à l’époque d’Abraham ; d’autres pensent qu’il était contemporain de Moïse, ou encore qu’il revenait de l’exil de Babylone. Une thèse veut que Job n’ait pas existé, de sorte que l’ensemble du livre serait à considérer comme une parabole sur la souffrance du juste, la rétribution et le châtiment. Voir Leduc-Fayette Denise, Pascal et le mystère du mal. La clef de Job, p. 37 sq. : Job est-il une figure mythique ? p. 37 sq. Port-Royal le considère comme un personnage historique, et s’indigne que certains rabbins aient présenté Job comme une « fiction poétique » proposée par Moïse aux Hébreux éprouvés pendant leur traversée du désert : p. 38.

Sur l’auteur inconnu du Livre de Job, voir la notice de la Bible, éd. Sellier, coll. Bouquins, p. 617 sq.

Sur la date de rédaction du livre de Job, voir Cazelles Henri, Introduction à la Bible, tome 2, Introduction critique à l’Ancien Testament, p. 596 sq.

Suivant certains talmudistes, le livre qui porte le nom de Job, écrit en langue arabe, aurait été traduit en hébreu par Moïse. La Bible de Port-Royal note en effet que Moïse « pourrait bien l’avoir [mis] en hébreu » ; elle ajoute que c’est peut-être ce qui « a donné lieu au sentiment qui est commun parmi les hébreux, que Moïse en est l’auteur ».

La Préface du livre de Job dans la Bible de Port-Royal conclut qu’il est « visible qu’on ne peut rien assurer sans témérité sur ce sujet ». Voir Chédozeau Bernard, L’univers biblique catholique au siècle de Louis XIV. La Bible de Port-Royal, I, p. 442. La préface se débarrasse de ces discussions en disant qu’il suffit de savoir que c’est l’Esprit Saint qui est l’auteur véritable du Livre.

 

l’un juif l’autre païen, qui tous deux regardent Jésus-Christ comme leur centre commun et leur objet : Moïse en rapportant les promesses de Dieu à Abraham, Jacob, etc., et ses prophéties ;

 

Moïse en rapportant les promesses de Dieu à Abraham, Jacob, etc. et ses prophéties : les promesses de Dieu aux patriarches sont rapportées dans la Genèse.

Sur les promesses de Dieu à Abraham, voir Genèse, XII, XIII, XVII et XXII.

Sur les promesses faites par Dieu à Jacob, voir Genèse, XXVIII.

Etc. renvoie probablement aux promesses faites par Dieu à Isaac ; voir Genèse, XXVI.

Voir Dossier de travail (Laf. 388, Sel. 7). Jésus-Christ que les deux Testaments regardent, l’Ancien comme son attente, le Nouveau comme son modèle, tous deux comme leur centre. Le présent fragment envisage le côté de l’Ancien Testament. La suite du texte montre, par la modestie des évangélistes, qu’ils ont voulu témoigner sincèrement du Christ.

Voir le dossier thématique sur Le livre de Job. Sur le caractère prophétique du livre de Job, tel que Pascal le connaissait, voir Leduc-Fayette Denise, Pascal et le mystère du mal. La clef de Job, p. 139 sq.

Voir la Préface du livre de Job dans Chédozeau Bernard, L’univers biblique catholique au siècle de Louis XIV. La Bible de Port-Royal, I, p. 436-464.

Cazelles Henri, Introduction à la Bible, tome 2, Introduction critique à l’Ancien Testament, p. 581 sq.

Steinmann Jean, Le livre de Job, Paris, Cerf, 1955.

Ce fragment fait pendant à la mise en regard de Job avec Salomon dans le fragment Misère 18 (Laf. 69, Sel. 103). Misère. Job et Salomon. De même dans Dossier de travail (Laf. 403, Sel. 22) : Misère. Salomon et Job ont le mieux connu et le mieux parlé de la misère de l’homme, l’un le plus heureux et l’autre le plus malheureux. L’un connaissant la vanité des plaisirs par expérience, l’autre la réalité des maux.

Une discussion rabbinique porte sur la question de savoir si Job est juif ou non. Voir Pensées, éd. Havet, t. 2, Delagrave, 1866, p. 169. Job, selon la Bible, était de la terre de Hus, que la tradition place en Arabie. L’Appendice des Septante situe cette terre sur les confins de l’Idumée (c’est-à-dire le pas d’Edom) et de l’Arabie (Cazelles Henri, Introduction à la Bible, tome 2, Introduction critique à l’Ancien Testament, p. 599), c’est-à-dire entre la Mer Morte au nord, et la Mer Rouge au sud. La Bible considère donc Job comme d’origine arabe.

Pour Pascal, le fait que Job est païen ne semble pas faire de doute. Sur Job païen, voir Ferreyrolles Gérard, “Les païens dans la stratégie argumentative de Pascal”, in Pascal. Religion, Philosophie, Psychanalyse, Revue philosophique de la France et de l’étranger, n° 1, janv.-mars 2002, p. 21-40 ; voir p. 35.

C’est une sorte de paradoxe que le païen Job soit mis en regard du grand prophète d’Israël Moïse, et qu’un païen regarde Jésus-Christ comme son centre et son objet. Voir plus bas les commentaires de la Bible de Port-Royal sur les citations de Pascal.

La préface du Livre de Job dans la Bible de Port-Royal présente Job comme un « saint juif », considéré même comme la figure du Christ : voir Chédozeau Bernard, L’univers biblique catholique au siècle de Louis XIV. La Bible de Port-Royal, I, p. 440-441.

Voir la notice de la Bible, éd. Sellier, Bouquins, p. 617 sq. Port-Royal a vu dans Job une figure de la « patience » du Christ, de sa confiance lors de la Passion, mais aussi un exemple pour tout chrétien, toute vie comportant des épreuves. La Bible de Sacy explique : « Job, couvert d’ulcères et de vers, et couché sur son fumier, est devenu à toute la terre un plus grand objet de vénération, que Salomon même assis sur son trône magnifique et revêtu de sa pourpre. On ne parle plus de ce dernier qu’avec tremblement en considérant sa chute effroyable. Et l’on ne pense au contraire au premier qu’avec une extrême consolation en voyant les avantages que Dieu a tirés de sa victoire pour attirer l’affermissement de tous ses élus ».

Leduc-Fayette Denise, Pascal et le mystère du mal. La clef de Job, p. 37 sq. Port-Royal le considère comme un personnage historique ; p. 38. Mais Job est aussi considéré comme une allégorie du juste inculpabilis, dans la perspective de l’exégèse telle que la pratique Pascal ; p. 53. Il est celui des hommes qui a le mieux parlé de la misère humaine, parce qu’il en a eu l’expérience. Chez Pascal, ce nom est une « référence codée », un « motif cheville » ; p. 113 sq.

Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, article Job, livre de, p. 578 sq. Troisième livre de la section des Hagiographes de la Bible hébraïque. Le livre se présente sous la forme d’un dialogue poétique inclus dans un ensemble rédigé en prose, qui explore, sans le résoudre, le mystère de la justice et s’interroge sur le sens de la souffrance humaine. Job représente le juste exemplaire craignant Dieu, Job le patient, ou comme celui du blasphémateur, Job l’impatient. Actuellement, l’exégèse voit en Job un poème.

Saint Augustin, La crise pélagienne, I, Œuvres de saint Augustin, 21, Bibliothèque augustinienne, Paris, Desclée de Brouwer, 1966, p. 597. La sainteté de Job.

 

et Job : Quis mihi det ut, etc.

 

Leduc-Fayette Denise, Pascal et le mystère du mal. La clef de Job, p. 114, et 144 sq. Les citations de Job reproduites par Pascal à partir du texte de la Vulgate sont extraites d’un ensemble, Job, XIX, 23-25.

Voir Job, XIX, 23, « Quis mihi tribuit ut scribantur sermones mei ? Quis mihi det ut exarentur in libro ? ».

Tr. de Port-Royal : « Qui m’accordera que mes paroles soient écrites ? Qui me donnera qu’elles soient tracées dans un livre ? ».

Commentaire de la Bible de Port-Royal : « Un interprète qui paraît s’être appliqué avec plus de soin à développer les sens cachés et à éclaircir les obscurités de ce livre, dit que ce souhait de Job ne regarde nullement ce qu’il a dit jusqu’alors, mais ce qu’il va dire, qui étant un grand mystère, demandais aussi cette préparation qui rend nécessairement attentifs ceux qui le doivent entendre. Qui m’accordera, dit Job, que mes paroles soient gravées sur une lame de plomb avec une plume de fer, etc. ? Ce saint homme se voyant sans espérance d’aucune consolation du côté de ses amis, se console, comme le dit saint Jérôme, dans son extrême misère par l’espérance et la certitude de la résurrection : Miserias suas resurrectionis spe et veritate solatur. [En marge : Hieron. Ep. 61. Advers. err. Joan]. Quoique quelques-uns aient prétendu détourner à un autre sens ce que dit Job, le même saint, et après lui les plus savants interprètes soutiennent que l’on ne doit et qu’on ne peut point l’entendre d’une autre manière que de l’avènement de Jésus-Christ et de la résurrection des morts [Jerosol. Ta. Codurcius. Estius. Menoch. in hunc loc. Bed. in Job. l. 2. c. 2. Tirinus] ; et que nul autre n’en a parlé aussi clairement que lui après même la naissance du Sauveur du monde. Nullum tam aperte post Christum, quam iste ante Christum de resurrectione loquitur. Job ne trouvant donc, comme dit le vénérable Bède, dans aucun homme la juste consolation qu’il en pouvait espérer, se tourne vers Dieu, et prophétise par son Esprit l’avènement du Seigneur et la résurrection à venir, comme étant toute la consolation qui le soutenait dans un état si terrible, par l’espérance très certaine qu’il avait de jouir alors d’une éternelle félicité, qui devait être la récompense de tant de maux qu’il souffrait. Et parce que cette vérité de l’Incarnation et de la Résurrection était un mystère très relevé, il y prépare ses auditeurs d’une manière très digne d’attirer leur attention, en témoignant qu’il souhaite que ce qu’il va annoncer puisse être écrit de telle sorte qu’il ne s’efface jamais de la mémoire des hommes, mais qu’il subsiste dans tous les siècles. C’est aussi, dit un interprète, ce que Job a obtenu. Car, comme le remarque saint Jean Chrysostome, le triomphe de la pénitence de ce juste et la prédiction de ce mystère ont été sans comparaison plus sûrement consacrés à l’éternité par les caractères ineffaçables de ce livre tout divin qu’ils n’auraient pu l’être étant gravés dans une lame de plomb ou sur la pierre ».

 

Scio enim quod Redemptor meus vivit, etc.

 

Voir Job, XIX, 25. « Scio enim quod Redemptor meus vivit, et in novissimo de terra surrecturus sum ».

Tr. de Port-Royal : « Car je sais que mon Rédempteur est vivant, et que je ressusciterai de la terre au dernier jour ».

Commentaire de Port-Royal : « Il ne dit pas, selon la remarque d’un auteur [Codurc. in hunc loc. Gregor. Moral. Ler 14. c. 26], Je crois, mais il dit : Je sais, parce que la lumière de la foi l’assurait de cette grande vérité, et ne lui laissait aucun sujet d’en douter. Il est aussi remarquable, selon saint Grégoire, qu’il ne dit pas : mon créateur ; mais mon Rédempteur ; faisant connaître par là clairement, qu’il parlait de Dieu, qui après avoir créé toutes choses, a paru dans notre chair au milieu de nous, et nous a rachetés du péché et de la mort éternelle par le mérite de la mort qu’il a soufferte pour nous. »

Sellier Philippe, Pascal et la liturgie, p. 29. Début du premier répons de Matines des Défunts.

 

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Le style de l’Évangile est admirable en tant de manières, et entre autres en ne mettant jamais aucune invective contre les bourreaux et ennemis de Jésus-Christ. Car il n’y en a aucune des historiens contre Judas, Pilate, ni aucun des Juifs.

 

Lhermet J., Pascal et la Bible, p. 443 sq. Pascal introduit l’emploi du critère interne dans l’étude des Évangiles. Il a conscience de son originalité, puisqu’il l’indique dans ce passage. La Préface de Port-Royal note que Pascal « avait fait plusieurs remarques très particulières sur le style de l’Écriture. »

Invective, selon Furetière, désigne un emportement de paroles par lequel on blâme, on décrie quelque personne ou quelque chose. Mais ce mot ne signifie pas nécessairement insulte ou injure. Pascal fait expressément la distinction dans le fragment Commencement 12 (Laf. 162, Sel. 194). Commencer par plaindre les incrédules, ils sont assez malheureux par leur condition. Il ne les faudrait injurier qu’au cas que cela servît, mais cela leur nuit.

Commencement 6 (Laf. 156, Sel. 188). Plaindre les athées qui cherchent, car ne sont-ils pas assez malheureux. Invectiver contre ceux qui en font vanité.

L’invective peut répondre à un mouvement de charité lorsqu’elle tend à tirer une personne d’erreur ou à lui reprocher une faute, sans chercher à la blesser elle-même. La XIe Provinciale est entièrement consacrée à montrer que si l’injure blessante est toujours blâmable, l’invective qui tend à attaquer l’erreur pour en détourner les auditeurs est permise, et même salutaire. Pascal y formule quatre règles que doit respecter toute raillerie d’esprit chrétien. La plus importante est que « l’esprit de charité porte à avoir dans le cœur le désir du salut de ceux contre qui on parle et à adresser ses prières à Dieu en même temps qu’on adresse ses reproches aux hommes » (éd. Cognet, Garnier, p. 206).

Sur la distinction de la polémique violente et de la réfutation légitime, voir Descotes Dominique, “De la XIe Provinciale aux Pensées”, Courrier du Centre International Blaise Pascal, 16, 1994, p. 35-38 ; repris in Treize études sur Blaise Pascal, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2004, p. 75-83.

Pour envisager le problème chez des auteurs contemporains, voir

Descotes Dominique, “Force et violence dans le discours chez Antoine Arnauld”, in Antoine Arnauld. Philosophie de la connaissance, Études réunies par J.-C. Pariente, p. 33-64.

Moreau Denis, Deux cartésiens. La polémique entre Antoine Arnauld et Nicolas Malebranche, p. 49 sq.

Wiel Véronique, Écriture et philosophie chez Malebranche,  Paris, Champion, 2004.

Sellier Philippe, “Rhétorique et apologétique : Dieu parle bien de Dieu”, in Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., 2010, p. 239-250. Les anciens Pères avaient fait de grands efforts pour montrer que l’Écriture, qui au fond décevait leur attente d’artistes, mettait en œuvre elle aussi de belles figures : l’invective chez le prophète Amos ou la gradation chez saint Paul. Saint Augustin déplore néanmoins dans la Bible l’absence de clausules harmonieuses. Les Pères compensaient le caractère fruste de la rhétorique sacrée par la sagesse et l’importance vitale des instructions que les Écritures apportaient. Pascal pense que l’inspiration divine ayant présidé au choix des formes rhétoriques de la Bible, celles-ci sont nécessairement les meilleures : Dieu parle bien de Dieu.

Lhermet J., Pascal et la Bible, p. 446. Pascal est frappé par l’union de deux qualités qui semblent s’exclure, la naïveté et la lucidité.

Pour éviter le contresens sur ce passage, voir Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 560. Il ne s’agit pas de dire que la beauté littéraire est une marque de la transcendance (argument des musulmans sur le Coran), mais de montrer que les évangélistes se moquaient de la rhétorique.

Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., p. 274. La simplicité du Christ, signe de l’union en lui de l’humain et du divin.

Pascal suit en l’occurrence l’esprit augustinien.

Bochet Isabelle, « Le firmament de l’Écriture ». L’herméneutique augustinienne, Paris, Études augustiniennes, 2004, p. 39 sq. Saint Augustin sur la simplicité du style des Écritures. Cette simplicité déconcerte les lettrés : p. 40. Augustin répond que la vérité prime sur l’éloquence ; mais la justification la plus profonde est que la simplicité du style biblique est une manifestation de la transcendance divine, car « la sagesse de Dieu, devant s’abaisser jusqu’au corps humain, s’est abaissée d’abord jusqu’au langage humain », Contra Adim., 13, 2, Bibliothèque augustinienne, XVII, p. 280-281. Voir aussi De civitate Dei, XV, 25, Bibliothèque augustinienne, XXXVI, p. 154-155. Grégoire de Nysse justifie de la même manière les expressions anthropomorphiques de l’Écriture par la condescendance de Dieu, C. Eunom., II. La simplicité de l’Écriture l’adapte à tous, jusqu’aux plus petits, et purifie l’orgueil des savants.

Michel Alain, “Saint Augustin et le rhétorique pascalienne : la raison et la beauté dans l’Apologie de la religion chrétienne”, XVIIe siècle, 135, avril-juin 1982, p. 133-168.

Delassault Geneviève, Le Maistre de Sacy et son temps, p. 155. Dans la traduction du Nouveau testament de Mons, Sacy choisit un style simple, conformément à l’esprit de l’Écriture. Dans le choix des mots, le traducteur s’efforce de se conformer à l’usage du plus grand nombre de ceux qui, par leur science et leur autorité dans l’Église, méritent d’être écoutés. Voir p. 156 : Barcos n’apprécie pas cette traduction, et reproche à Saci de vouloir trop éclairer le texte (Troyes, ms. 2220, f° 14, 15 juillet 1667). Voir p. 157 : critique de Bossuet dans la lettre au Maréchal de Bellefond du 1er déc. 1674 : la traduction affecte « trop de politesse, ses auteurs y ayant voulu faire trouver un agrément que le Saint Esprit » avait « dédaigné dans l’original ». La critique de Barcos sur les traductions de l’Ancien Testament par Sacy, p. 163 ; voir la Correspondance de Barcos, p. 370 sq., lettre à Sacy du 13 janvier 1669.

Voir la Préface du Nouveau testament de Mons, deuxième partie, citée dans Chédozeau Bernard, Port-Royal et la Bible, p. 364 sq. Saint Augustin commentateur de saint Paul : « On a considéré en même temps cette règle excellente du même Père, qu’un discours n’est éloquent que lorsqu’il est proportionné à celui qui parle : Non est enim eloquentia quae personae non congruit eloquentis ; et que si le discours d’un roi pour être éloquent doit être différent de celui d’un particulier, à plus forte raison celui de Dieu même et de ceux qui ont parlé par son esprit doit être différent de celui des hommes. Ainsi on a tâché d’éviter avec un extrême soin toutes les paroles qui pouvaient paraître avoir quelque chose d’humain et de recherché ; et on a eu soin d’employer partout les expressions les plus simples et les plus naturelles. »

On trouve dans les Pensées de nombreuses réflexions sur le style des Évangiles et la manière dont ils racontent la vie du Christ.

Preuves de Jésus-Christ 18 (Laf. 316, Sel. 347). Qui a appris aux évangélistes les qualités d’une âme parfaitement héroïque, pour la peindre si parfaitement en Jésus-Christ ? Pourquoi le font-ils faible dans son agonie ? Ne savent-ils pas peindre une mort constante ? Oui, car le même saint Luc peint celle de saint Étienne plus forte que celle de Jésus-Christ. Ils le font capable de crainte, avant que la nécessité de mourir soit arrivée, et ensuite tout fort. Mais quand ils le font si troublé c’est quand il se trouble lui-même et quand les hommes le troublent il est tout fort.

La rhétorique des évangélistes n’est en fait pas différente de celle du Christ lui-même :

Preuves de Jésus-Christ 12 (Laf. 309, Sel. 340). Preuves de Jésus-Christ. Jésus-Christ a dit les choses grandes si simplement qu’il semble qu’il ne les a pas pensées, et si nettement néanmoins qu’on voit bien ce qu’il en pensait. Cette clarté jointe à cette naïveté est admirable.

Laf. 675, Sel. 554. Style. Quand on voit le style naturel on est tout étonné et ravi, car on s’attendait de voir un auteur et on trouve un homme. Au lieu que ceux qui ont le goût bon et qui en voyant un livre croient trouver un homme sont tout surpris de trouver un auteur. Plus poetice quam humane locutus es. Ceux-là honorent bien la nature qui lui apprennent qu’elle peut parler de tout, et même de théologie.

Pascal ne soutient pas que la beauté littéraire est une marque de la transcendance. Mais il est frappé par la simplicité du Christ, qui lui paraît être le signe de l’union chez le Christ de l’humain et du divin. Les Évangiles le font parler avec le style naturel qui convient aux choses surnaturelles.

Étienne Périer, Préface de l’édition de Port-Royal, in Pensées, III, Documents, éd. Lafuma, Paris, Luxembourg, 1951, p. 141.

« Voici donc quelle est cette pensée, et en quel état on l’a trouvée parmi ces fragments : Un artisan qui parle des richesses, un Procureur qui parle de la guerre, de la Royauté, etc. Mais le riche parle bien des richesses, le Roy parle froidement d’un grand don qu’il vient de faire, et Dieu parle bien de Dieu.

Il y a dans ce fragment une fort belle pensée ; mais il y a peu de personnes qui la puissent voir, parce qu’elle y est expliquée très imparfaitement et d’une manière fort obscure, fort courte, et fort abrégée : en sorte que si on ne lui avait souvent ouï dire de bouche la même pensée, il serait difficile de la reconnaître dans une expression si confuse et si embrouillée. Voici à peu prés en quoi elle consiste.

Il avait fait plusieurs remarques très particulières sur le style de l’Écriture et principalement de l’Évangile, et il y trouvait des beautés que peut-être personne n’avait remarquées avant lui. Il admirait entre autres choses la naïveté, la simplicité, et pour le dire ainsi la froideur avec laquelle il semble que Jésus-Christ y parle des choses les plus grandes et les plus relevées, comme sont, par exemple, le Royaume de Dieu, la gloire que possèderont les saints dans le ciel, les peines de l’enfer, sans s’y étendre, comme ont fait les Pères, et tous ceux qui ont écrit sur ces matières. Et il disait que la véritable cause de cela était que ces choses qui à la vérité sont infiniment grandes et relevées à notre égard, ne le sont pas de même à l’égard de Jésus-Christ, et qu’ainsi il ne faut pas trouver étrange qu’il en parle de cette sorte sans étonnement et sans admiration ; comme l’on voit sans comparaison qu’un Général d’armée parle tout simplement et sans s’émouvoir du siège d’une place importante, et du gain d’une grande bataille ; et qu’un Roi parle froidement d’une somme de quinze ou vingt millions, dont un particulier et un artisan ne parleraient qu’avec de grandes exagérations.

Voilà quelle est la pensée qui est contenue et renfermée sous le peu de paroles qui composent ce fragment ; et cette considération jointe à quantité d’autres semblables pouvait servir assurément dans l’esprit des personnes raisonnables, et qui agissent de bonne foi, de quelque preuve de la divinité de Jésus-Christ. »

Saint Augustin, La doctrine chrétienne, De doctrina christiana, IV, VI, 9, Bibliothèque augustinienne, 11/2, Paris, Institut d’études augustiniennes, 1997, p. 333.

Sellier Philippe, “La rhétorique de Saint-Cyran et le tournant des Provinciales”, in Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., p. 287-304.

Susini Laurent, L’écriture de Pascal. La lumière et le feu. La « vraie éloquence » à l’œuvre dans les Pensées, 2008.

 

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Si cette modestie des historiens évangéliques avait été affectée aussi bien que tant d’autres traits d’un si beau caractère, et qu’ils ne l’eussent affecté que pour le faire remarquer, s’ils n’avaient osé le remarquer eux-mêmes, ils n’auraient pas manqué de se procurer des amis qui eussent fait ces remarques à leur avantage. Mais comme ils ont agi de la sorte sans affectation et par un mouvement tout désintéressé, ils ne l’ont fait remarquer à personne, et je crois que plusieurs de ces choses n’ont point été remarquées jusqu’ici ; et c’est ce qui témoigne la froideur avec laquelle la chose a été faite.

 

Modestie : modération.

Froideur : par opposition à affectation et intérêt, froideur a ici le sens de naturel et de désintéressement.

Havet, éd. Pensées, II, Delagrave, 1866, p. 39 et commentaire p. 44. Havet transcrit : que pour le faire remarquer ; s’ils n’avaient osé le remarquer eux-mêmes, ils n’auraient pas manqué de se procurer des amis... Plus bas : ils ne l’ont fait remarquer par personne... Sur le fait que l’absence d’invective dans les Évangiles vient de ce que les évangélistes n’ont jamais le ton oratoire sur aucun sujet. Sur Pilate, Havet note qu’ils ne cherchent pas à le condamner pour avoir livré Jésus-Christ, mais plutôt à le représenter comme témoignant pour lui et désavouant les Juifs. Ils tiennent à faire entendre que ce sont les Juifs qui sont les ennemis du Christ et des siens, et non l’autorité romaine, qu’ils paraissent bien aise de ménager et de maintenir dans une neutralité bienveillante.

 

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Jamais on ne fait le mal si pleinement et si gaiement que quand on le fait par conscience.

 

C’est le thème de la Provinciale XV ; voir § 3 :

« Je ne ferai pas voir seulement que vos écrits sont remplis de calomnies, je veux passer plus avant. On peut bien dire des choses fausses en les croyant véritables, mais la qualité de menteur enferme l’intention de mentir. Je ferai donc voir, mes Pères, que votre intention est de mentir et de calomnier ; et que c’est avec connaissance et avec dessein que vous imposez à vos ennemis des crimes dont vous savez qu’ils sont innocents, parce que vous croyez le pouvoir faire sans déchoir de l’état de grâce » ; § 5 : « Ô théologie abominable et si corrompue en tous ses chefs que si, selon ses maximes, il n’était probable et sûr en conscience qu’on peut calomnier sans crime pour conserver son honneur, à peine y aurait-il aucune de ses décisions qui fût sûre ? Qu’il est vraisemblable, mes Pères, que ceux qui tiennent ce principe le mettent quelquefois en pratique ! L’inclination corrompue des hommes s’y porte d’elle-même avec tant d’impétuosité qu’il est incroyable qu’en levant l’obstacle de la conscience, elle ne se répande avec toute sa véhémence naturelle. [...] On ne doit pas être surpris des mauvais effets que causa cette doctrine. Il faudrait admirer au contraire qu’elle ne produisît pas cette licence. L’amour-propre nous persuade toujours assez que c’est avec injustice qu’on nous attaque ; et à vous principalement, mes Pères, que la vanité aveugle de telle sorte que vous voulez faire croire en tous vos écrits que c’est blesser l’honneur de l’Église que de blesser celui de votre Société. Et ainsi, mes Pères, il y aurait lieu de trouver étrange que vous ne missiez cette maxime en pratique. Car il ne faut plus dire de vous comme font ceux qui ne vous connaissent pas : Comment ces bons Pères voudraient-ils calomnier leurs ennemis, puisqu’ils ne le pourraient faire que par la perte de leur salut ? Mais il faut dire au contraire : comment ces bons Pères voudraient-ils perdre l’avantage de décrier leurs ennemis, puisqu’ils le peuvent faire sans hasarder leur salut ? Qu’on ne s’étonne donc plus de voir les Jésuites calomniateurs : ils le sont en sûreté de conscience, et rien ne les en peut empêcher ; puisque, par le crédit qu’ils ont dans le monde, ils peuvent calomnier sans craindre la justice des hommes, et que, par celui qu’ils se sont donné sur les cas de conscience, ils ont établi des maximes pour le pouvoir faire sans craindre la justice de Dieu » ; § 7 : « Et, quoiqu’il vous soit aussi impossible de le prouver de qui que ce soit, qu’à votre P. Crasset de ces ecclésiastiques d’Orléans, votre conscience néanmoins demeure en repos : parce que vous croyez que cette manière de calomnier ceux qui vous attaquent est si certainement permise, que vous ne craignez point de le déclarer publiquement et à la vue de toute une ville. »

C’est toute la casuistique et la doctrine de la direction d’intention comme moyen de se tranquilliser la conscience qui soutient ce fragment. La XVe Provinciale traite précisément un cas dans lequel des hommes font le mal, c’est-à-dire qu’ils commettent des calomnies contre des innocents, avec ce qui leur semble une excellente raison, savoir qu’ils défendent la réputation de leur compagnie.

 

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Comme on se gâte l’esprit, on se gâte aussi le sentiment.

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On se forme l’esprit et le sentiment par les conversations, on se gâte l’esprit et le sentiment par les conversations. Ainsi les bonnes ou les mauvaises le forment ou le gâtent. Il importe donc de tout de le bien savoir choisir pour se le former et ne le point gâter. Et on ne peut faire ce choix si on ne l’a déjà formé et point gâté. Ainsi cela fait un cercle d’où sont bienheureux ceux qui sortent.

 

Raisons des effets 17 (Laf. 99, Sel. 132). L’homme est ainsi fait qu’à force de lui dire qu’il est un sot il le croit. Et à force de se le dire à soi-même on se le fait croire, car l’homme fait lui seul une conversation intérieure, qu’il importe de bien régler. Corrumpunt bonos mores colloquia prava.Il faut se tenir en silence autant qu’on peut et ne s’entretenir que de Dieu qu’on sait être la vérité, et ainsi on se le persuade à soi-même.

Thirouin Laurent, Pascal ou le défaut de la méthode. Lecture des Pensées selon leur ordre, p. 245.

Sentiment : voir sur le sentiment les références suivantes.

Grandeur 6 (Laf. 110, Sel 142). Nous connaissons la vérité non seulement par la raison mais encore par le cœur. C’est de cette dernière sorte que nous connaissons les premiers principes et c’est en vain que le raisonnement, qui n’y a point de part essaie de les combattre. Les pyrrhoniens, qui n’ont que cela pour objet, y travaillent inutilement. Nous savons que nous ne rêvons point, quelque impuissance où nous soyons de le prouver par raison ; cette impuissance ne conclut autre chose que la faiblesse de notre raison, mais non pas l’incertitude de toutes nos connaissances, comme ils le prétendent. Car la connaissance des premiers principes : comme qu’il y a espace, temps, mouvement, nombres, aussi ferme qu’aucune de celles que nos raisonnements nous donnent et c’est sur ces connaissances du cœur et de l’instinct qu’il faut que la raison s’appuie et qu’elle y fonde tout son discours. Le cœur sent qu’il y a trois dimensions dans l’espace et que les nombres sont infinis et la raison démontre ensuite qu’il n’y a point deux nombres carrés dont l’un soit double de l’autre. Les principes se sentent, les propositions se concluent, et le tout avec certitude quoique par différentes voies – et il est aussi inutile et aussi ridicule que la raison demande au cœur des preuves de ses premiers principes. Pour vouloir y consentir qu’il serait ridicule que le cœur demandât à la raison un sentiment de toutes les propositions qu’elle démontre pour vouloir les recevoir. Cette impuissance ne doit donc servir qu’à humilier la raison – qui voudrait juger de tout – mais non pas à combattre notre certitude. Comme s’il n’y avait que la raison capable de nous instruire, plût à Dieu que nous n’en eussions au contraire jamais besoin et que nous connussions toutes choses par instinct et par sentiment, mais la nature nous a refusé ce bien ; elle ne nous a au contraire donné que très peu de connaissances de cette sorte ; toutes les autres ne peuvent être acquises que par raisonnement. Et c’est pourquoi ceux à qui Dieu a donné la religion par sentiment du cœur sont bien heureux et bien légitimement persuadés, mais ceux qui ne l’ont pas nous ne pouvons la donner que par raisonnement, en attendant que Dieu la leur donne par sentiment du cœur, sans quoi la foi n’est qu’humaine et inutile pour le salut. Le dossier de ce texte contient une ample bibliographie sur le cœur et le sentiment.

Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., p. 94-95, analyse du sens des mots principes, cœur, et sentiment dans ce fragment. Le cœur, faculté des principes, est caractérisé par l’immédiateté du sentiment, d’ordre instinctif et nécessaire ; son caractère naturel et spontané : p. 89. Le cœur et l’expérience : p. 89.

Laporte Jean, Le cœur et la raison selon Pascal, Elzévir, Paris, 1950.

Gouhier Henri, Blaise Pascal. Conversion et apologétique, p. 54 sq.

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 117 sq. Cœur dans la Bible : p. 118. Cœur chez saint Augustin : p. 121 sq. Cœur chez Pascal : p. 125. Voir p. 537 sq.

Thirouin Laurent, Pascal ou le défaut de la méthode. Lecture des Pensées selon leur ordre, p. 22 sq. et p. 245. Remarques sur le paradoxe selon lequel, lorsque Pascal parle du sentiment, qui est censé être une intuition immédiate, dénuée de progrès et d’approfondissement, il le présente souvent comme soumis à une histoire.

McKenna Antony, Pascal et son libertin, Paris, Garnier, 2017, p. 35-51, sur le « sentiment de Pascal ».

Sur l’impossibilité de discerner le sentiment du cœur de la fantaisie, voir le fragment Laf. 530, Sel. 455. Tout notre raisonnement se réduit à céder au sentiment. Mais la fantaisie est semblable et contraire au sentiment ; de sorte qu’on ne peut distinguer entre ces contraires. L’un dit que mon sentiment est fantaisie, l’autre que sa fantaisie est sentiment. Il faudrait avoir une règle. La raison s’offre mais elle est ployable à tous sens. Et ainsi il n’y en a point.

 

Conversation

 

Les théoriciens de l’honnêteté soutiennent que les conversations ont un effet bénéfique pour la formation de l’esprit. Les œuvres du chevalier de Méré doivent évidemment être une référence indispensable à consulter sur ce sujet. Voir les Conversations, éd. Boudhors, Paris, Fernand Roches, 1930, p. 17. Le meilleur moyen pour se rendre habile et savant, n’est pas d’étudier beaucoup, mais de s’entretenir souvent des choses qui ouvrent l’esprit.

Voir ce qu’écrit par exemple le chevalier de Méré, Discours, De la conversation, éd. Boudhors, Paris, Fernand Roches, 1930, p. 99 sq.

De la conversation, in Méré, II, Les discours, éd. C.-H. Boudhors, Paris, Roches, 1930, p. 99-132. « La conversation veut être pure, libre, honnête, et le plus souvent enjouée, quand l’occasion et la bienséance le peuvent souffrir, et celui qui parle, s’il veut faire en sorte qu’on l’aime, et qu’on le trouve de bonne compagnie, ne doit guère songer, du moins autant que cela dépend de lui, qu’à rendre heureux ceux qui l’écoutent » : p. 103. Nécessité de la modération dans la conversation : p. 103 sq. La conversation, considérée par opposition au conseil ou à la conférence : p. 103.

Méré n’aborde guère la manière dont les conversations peuvent « gâter l’esprit ».

Reguig-Naya Delphine, Le corps des idées. Pensées et poétiques du langage dans l’augustinisme de Port-Royal. Arnauld, Nicole, Pascal, Mme de La Fayette, Racine, p. 308. Différence des positions de Pascal et de Nicole sur la conversation.

Génétiot Alain, Poétique du loisir mondain, de Voiture à La Fontaine, Paris, Champion, 1997, p. 355 sq. Une poésie de la conversation. Esprit et rhétorique de la conversation : p. 401 sq.

La conversation peut avoir ses dangers : voir Raisons des effets 17 (Laf. 99, Sel. 132). L’homme est ainsi fait qu’à force de lui dire qu’il est un sot il le croit. Et à force de se le dire à soi-même on se le fait croire, car l’homme fait lui seul une conversation intérieure, qu’il importe de bien régler. Corrumpunt bonos mores colloquia prava.Il faut se tenir en silence autant qu’on peut et ne s’entretenir que de Dieu qu’on sait être la vérité, et ainsi on se la persuade à soi-même. Voir la source de la citation dans le commentaire de ce fragment. La mauvaise influence des colloquia prava contraint à se tenir en silence, en suite de quoi on comprend que c’est une obligation morale de ne s’entretenir que de Dieu.

Belin Christian, La conversation intérieure, La méditation en France au XVIIe siècle, p. 231.

Les mauvaises discussions : voir Montaigne, Essais, III, 8, De l’art de conférer, éd. Balsamo et alii, Pléiade, p. 967. « Mais comme notre esprit se fortifie par la communication des esprits vigoureux et réglés, il ne se peut dire combien il perd, et s’abâtardit par le continuel commerce et fréquentation que nous avons avec les esprits bas et maladifs ». Ce passage est tiré de L’art de conférer, que Pascal mentionne avec éloge dans L’art de persuader, § 22, OC III, éd. J. Mesnard, p. 423. Sur le jugement de Pascal sur ce texte de Montaigne, voir Thirouin Laurent, Pascal ou le défaut de la méthode. Lecture des Pensées selon leur ordre, p. 31 sq.

 

Cercle

 

Lalande André, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, p. 132. Faute de logique qui consiste à définir ou à démontrer une chose A au moyen d’une chose B qui ne peut être définie que par la chose A. Dans le cas où B peut être défini ou démontré soit par A, soit indépendamment de A, il y a cercle, mais il n’est pas vicieux.

Sur la théorie du cercle vicieux, voir Aristote, Organon IV, Les seconds analytiques, I, 3, éd. Tricot, Vrin, 1979, p. 17. Impossibilité de la démonstration circulaire. Si elle était possible, elle permettrait de prouver les principes eux-mêmes, de sorte que les mêmes choses seraient à la fois antérieures et postérieures à elles-mêmes. Le raisonnement circulaire revient à dire qu’une chose existe si elle existe, ce qui est un moyen facile de tout prouver : p. 18.

Le raisonnement de Pascal compose le cercle suivant : pour éviter de se gâter l’esprit, il faut choisir les bonnes conversations. Pour choisir les bonnes conversations, il faut avoir le jugement bien formé et non gâté. Le cercle vicieux, si on le transfère dans le domaine de la pédagogie, devient un renvoi à l’infini : pour apprendre à bien juger, il faut un maître qui lui-même juge bien ; mais pour que ce maître ait un bon jugement, il faut qu’il ait eu lui-même un maître doté d’un bon jugement ; et ainsi de suite à l’infini.

Thirouin Laurent, Pascal ou le défaut de la méthode. Lecture des Pensées selon leur ordre, p. 25 sq. La présentation pascalienne du sentiment aboutit toujours à mettre en évidence un cercle vicieux.