Pensées diverses III – Fragment n° 11 / 85 – Papier original : RO 423-1

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 118 p. 367 v° / C2 : p. 325

Éditions savantes : Faugère I, 270, XVII / Havet Prov. 423 p. 288 / Brunschvicg 913 / Tourneur p. 97 / Le Guern 552 / Lafuma 653 (série XXV) / Sellier 537

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Bibliographie

 

 

Sur les opinions probables, la référence principale est naturellement Les Provinciales, notamment les lettres 5 à 10, ainsi que le Factum des curés de Paris (premier Écrit des curés de Paris). Voir l’édition des Provinciales par L. Cognet et G. Ferreyrolles, Paris, Garnier, 1992, dont l’Introduction fournit une information claire et précise sur cette polémique. Voir aussi, pour approfondir, l’édition des Grands écrivains de la France, par L. Brunschvicg, P. Boutroux et F. Gazier, tomes IV à VII, Paris, Hachette, 1914, qui contient de substantielles explications historiques, ainsi que les textes des casuistes que Pascal mentionne.

 

ARNAULD Antoine, Dissertation théologique sur la probabilité, comprise dans les éditions des Provinciales comportant les notes de Wendrock (Pierre Nicole).

CARIOU Pierre, Pascal et la casuistique, Paris, Presses Universitaires de France, 1993.

DANIEL Gabriel, Réponse aux Provinciales de L. de Montalte, ou Entretiens de Cléandre et d'Eudoxe, chez Donato Donati, Amsterdam, 1697.

DESCOTES Dominique, “Les Provinciales et l’axiomatique des probabilités”, La campagne des Provinciales, Chroniques de Port-Royal, 58, Paris, 2008, p. 189-197.

ESCOBAR Y MENDOZA Antonio, Liber Theologiae moralis viginti et quatuor Societatis Jesu doctoribus reseratus. Lyon, 1644 ; ed. novissima, J. Gautherin, Lyon, 1646.

FABRI Honoré, Notae in notas W. Wendrockii, Cologne, J. Busdeum, 1659.

FERREYROLLES Gérard, Blaise Pascal. Les Provinciales, coll. Études littéraires, Paris, Presses Universitaires de France, 1984.

FRANKLIN James, The science of conjecture. Evidence and probability before Pascal, Baltimore and London, The John Hopkins Press, 2001.

MAYNARD Abbé, Les Provinciales et leur réfutation, Firmin Didot, Paris, 1851, 2 vol.

MESNARD Jean, “Perspectives modernes sur la casuistique”, in De la morale à l’économie politique, Op. cit., n° 6, Pau, 1996, p. 110 sq.

NOUËT Jacques, Réponses aux Lettres Provinciales publiées par le secrétaire du Port-Royal contre les PP. de la Compagnie de Jésus sur la sujet de la morale desdits Pères, Liège, Hovius, 1658.

 

Voir l’article Probabilisme du Dictionnaire de théologie catholique.

 

 

Éclaircissements

 

Probabilité.

Chacun peut mettre, nul ne peut ôter.

 

Cette note oppose implicitement la casuistique aux autres sciences, pour montrer en quoi elle est vicieuse.

Mesnard Jean, “Perspectives modernes sur la casuistique”, in De la morale à l’économie politique, Op. cit., n° 6, Pau, 1996, p. 110 sq. Pascal contre la doctrine des opinions probables.

Pascal a montré dans ses traités d’hydrostatique que la physique progresse par l’élimination progressive des faux principes qui empêchent de voir les vrais problèmes, à l’aide de méthodes rigoureuses comme la démonstration par l’absurde. Dans le cas de la recherche sur la pression atmosphérique, par exemple, Pascal écrit dans la Conclusion des traités de l’équilibre des liqueurs et de la pesanteur de la masse de l’air, OC II, éd. J. Mesnard, p. 1097-1098 : « il y avait trois erreurs dans le monde qui empêchaient absolument la connaissance de cette cause de l’union des corps » entre « lesquels il y aurait du vide » : l’une « qu’on a cru presque de tout temps que l’air est léger, parce que les anciens auteurs l’ont dit » ; la seconde « qu’on s’est imaginé que les éléments ne pèsent point dans eux-mêmes », et la troisième « qu’une pompe élève l’eau [...] autant qu’on voudrait, sans aucunes bornes ». Chacun de ces principes était une raison suffisante pour masquer aux savants le problème de la pesanteur de l’air. Leur destruction progressive par des “expériences nouvelles touchant le vide” a permis à Pascal d’établir la possibilité du vide et de fonder la théorie de l’équilibre des liqueurs.

Il en va tout autrement lorsque l’on entre dans le domaine du probable, c’est-à-dire des propositions dont on ne connaît de manière certaine ni la vérité, ni la fausseté.

L’édition des Provinciales assorties de notes de Wendrock contient une Dissertatio theologica de probabilitate composée par Arnauld, et traduite en français par Melle de Joncoux sous le titre de Dissertation théologique sur la probabilité (Wendrock, Lettres provinciales, I, éd. 1700, p. 105-272), qui résume certaines idées des disciples de saint Augustin sur la probabilité, par opposition à celles des casuistes et des jésuites. Voir p. 107 : pour les augustiniens, il n’y a pas d’opinion probable en soi, car Dieu voit toutes choses en elles-mêmes. Il n’y a d’idées douteuses que pour l’homme, à cause de l’obscurcissement de son esprit corrompu par le péché, qui l’empêche de savoir certainement si une opinion est vraie ou fausse. L’homme « ne juge le faux et le vrai probables que parce qu’il ignore la fausseté de l’un et la vérité de l’autre » : p. 108. « La probabilité des opinions ne vient que des ténèbres de l’esprit humain » : p. 108. L’homme est alors dans le doute. Ce qui paraît probable à l’un, peut sembler évident à l’autre, à proportion de leurs lumières respectives. Mais il n’y a pas de proposition qui soit probable universellement et à l’égard de tout le monde : p. 110 sq.

Un augustinien dirait donc que l’on peut conserver les opinions vraies et même en ajouter à celles qui sont établies ; mais on peut aussi supprimer celles qui sont fausses, improbables ou peu sûres.

Il en va directement au contraire parmi les casuistes relâchés. La casuistique, telle qu’ils la pratiquent, est une sorte de figure défigurée de la méthode géométrique, et même des disciplines d’autorité.

L’opinion probable n’est ni une opinion vraie, ni une opinion fausse. Le mot probable signifie susceptible de preuve, mais dont la démonstration certaine n’est pas actuellement donnée.

La doctrine des casuistes repose sur la définition fondamentale que Pascal emprunte à Escobar : « Une opinion est appelée probable, lorsqu’elle est fondée sur des raisons de quelque considération » : voir Escobar, Liber theologiae moralis, Examen III, cap. III, De conscientia probabili, n. 8, p. 24.

Les casuistes proposent des critères de la probabilité, des conditions auxquelles une opinion doit répondre pour être rendue probable. Voir notamment Nouët, Impostures XX, in Réponses aux Lettres Provinciales publiées par le secrétaire du Port-Royal contre les PP. de la Compagnie de Jésus sur la sujet de la morale desdits Pères, p. 183 ; Fabri Honoré,  Notae in notas W. Wendrockii, 1659, rédigées contre les notes de Wendrock, p. 43, In quintam Epistolam nota I sive Dissertatio theologica de probabilitate, Sectio I. Controversiae status exponitur, § 1, Cavilli Jesuitarum, laus Parochorum. p. 47, § II, Quid sit opinio probabilis. Pour être probable, il faut qu’une opinion ne blesse pas le sens commun, qu’elle passe communément pour ne pas contenir d’erreur, qu’elle ne soit pas généralement abandonnée : « On ne doit pas appeler probable une opinion inventée par quelques docteurs contre le sentiment commun, mais unanimement rejetée comme improbable », écrit le jésuite Gabriel Daniel, Entretiens de Cléandre et d’Eudoxe, p. 80 sq. Elle ne doit pas choquer les vérités universellement admises dans l’Église, c’est-à-dire contredire aucun canon, aucun décret des supérieurs, et comme le souligne l’abbé Maynard, être avancée contre le sentiment ordinaire des docteurs. Une opinion qui remplit toutes ces conditions, si elle est soutenue par un motif suffisant pour faire impression sur un bon esprit, peut être dite probable.

Alors que le vrai et le faux ne sont pas susceptibles de degrés, la probabilité comporte du plus et du moins : il existe des opinions plus probables que d’autres, selon le poids des raisons qui les appuient. De la définition s’ensuit, selon le P. Pirot, « que l’opinion la moins probable est celle qui a des raisons moins considérables, et de moindre importance » : la probabilité peut diminuer indéfiniment sans atteindre la fausseté (une opinion démontrée fausse n’est par définition jamais probable), ou grandir indéfiniment sans atteindre la certitude (une opinion démontrée n’est plus probable, mais vraie). Enfin quoique l’une des propositions paraisse plus probable que l’autre, cela n’empêche pas que l’esprit ne donne à la moins probable un vrai consentement.

Par définition, la probabilité d’une opinion repose sur un fondement susceptible de lui servir de confirmation. Celui-ci relève soit du jugement de la raison, soit de l’autorité.

Dans le premier cas, c’est le raisonnement personnel appuyé sur certaines raisons, juge de la probabilité d’une opinion (probabilité dite intrinsèque). Dans le second (probabilité extrinsèque), c’est l’autorité d’une autre personne qui fournit le fondement exigé pour constituer la probabilité (Escobar, Liber theologiae moralis, Ex. III, cap. IV, p. 14 sq.). Parmi les « raisons » qui peuvent rendre une opinion probable figure l’autorité d’un théologien sérieux : « Une opinion probable est celle qui a un fondement considérable : or l’autorité d’un homme savant et pieux n’est pas de petite considération, mais plutôt de grande considération », car « un homme adonné particulièrement à l’étude ne s’attacherait pas à une opinion, s’il n’y était attiré par une raison bonne et suffisante » (Provinciale V). La probabilité extrinsèque exige donc quelque docteur de mérite qui ait traité la question ex professo et dont le sentiment soit reconnu probable même par ses adversaires, écrit l’abbé Maynard (éd. des Provinciales, I, p. 195-196), en écho à Escobar : « Dixisti unum doctorem doctum sufficere ad opinionem probabilem constituendam : an aliqua addeunda conditio ? Sine ulla conditione asserit Filliucius tom. 2. cap. 4. n. 134. Addiderim tamen non sufficere doctorem doctum esse, si pius simul non sit ; etsi singularis opinio sit contra communem ; tunc enim talis opinio deberet irrefragabili niti ratione, ut esset admittenda. » À quoi s’ajoutent les confirmations de « Sanchez, qui est un des plus célèbres de nos Pères [...] : Vous douterez peut-être si l’autorité d’un seul docteur bon et savant rend une opinion probable : à quoi je réponds qu’oui » (Provinciale V, éd. Cognet et Ferreyrolles, p. 85-86, qui cite Escobar, Liber theologiae moralis, p. 24, De conscientia probabili).

Il en découle d’abord que la probabilité d’une proposition n’est plus alors relative à l’obscurité de l’esprit qui l’examine : à partir du moment où l’avis d’un docteur la rend probable, la probabilité devient comme un caractère inhérent à cette opinion, qui peut être considérée comme probable en soi, par elle-même et objectivement.

De là viennent les conséquences suivantes. Primo, dès lors que deux opinions ont chacune reçu l’assentiment d’un docteur grave, elles sont toutes deux probables. Secundo, la probabilité ne dépendant pas du contenu des opinions, mais de l’assentiment des docteurs qui les soutiennent, elle subsiste même lorsque les opinions sont différentes, voire contraires : deux casuistes graves peuvent être « de contraires avis ; mais, parce qu’ils (sont) tous deux savants, chacun rend son opinion probable » (Provinciale V, éd. Cognet et Ferreyrolles, p. 86-87).

Sur ces premières conséquences repose la doctrine des sphères de probabilité. Le casuiste Diana, qui écrit que l’on peut soutenir comme probable une opinion rejetée par les Papes sans pour autant les contredire, « en laissant leur opinion dans toute la sphère de probabilité », s’explique comme suit : « Je réponds à la décision de ces trois Papes, qui est contraire à mon opinion, qu’ils ont parlé de la sorte en s’attachant à l’affirmative, laquelle en effet est probable, à mon jugement même ; mais il ne s’ensuit pas de là que la négative n’ait aussi sa probabilité. Et dans le même traité, r. 65, sur un autre sujet, dans lequel il est encore d’un sentiment contraire à un Pape, il parle ainsi : Que le Pape l’ait dit comme chef de l’Église, je le veux ; mais il ne l’a fait que dans l’étendue de la sphère de probabilité de son sentiment » (Provinciale VI, éd. L. Cognet et G. Ferreyrolles, p. 100).

Il en découle que la probabilité d’une opinion ne rend pas l’opinion contraire improbable. En d’autres termes, alors que dans la géométrie, la démonstration d’une proposition entraîne la fausseté de la proposition contraire, les opinions probables ne sont pas soumises au principe de non-contradiction : « l’affirmative et la négative de la plupart des opinions ont chacune quelque probabilité, au jugement de nos docteurs », explique le bon Père Jésuite des Provinciales, « et assez pour être suivies avec sûreté de conscience. Ce n’est pas que le pour et le contre soient ensemble véritables dans le même sens, cela est impossible ; mais c’est seulement qu’ils sont ensemble probables, et sûrs par conséquent. ». Les opinions des casuistes se contredisent, mais le principe des sphères de probabilité fait qu’elles ne s’entredétruisent pas. Par suite, comme dans la casuistique la vérité d’une opinion ne prouve pas la fausseté de la proposition contraire, le raisonnement par l’absurde grâce auquel on peut en géométrie discerner le vrai du faux, n’a pas lieu dans le domaine des opinions probables.

Cette conséquence est renforcée par le fait qu’une opinion probable pour un docteur doit l’être aussi pour tout le monde. Car il en résulte cette règle qu’un confesseur est obligé d’admettre tout avis trouvé probable par un casuiste, « quand même il s’assurerait qu’il serait absolument faux », les confesseurs doivent « absoudre leurs pénitents qui ont des opinions probables, sur peine de péché mortel ». D’après le P. Bauny : « Quand le pénitent, dit-il, suit une opinion probable, le confesseur le doit absoudre, quoique son opinion soit contraire à celle du pénitent », et « refuser l’absolution à un pénitent qui agit selon une opinion probable est un péché qui, de sa nature, est mortel » (Bauny, Tr. 4, de Poenit. q. 13, p. 93). Par suite, un pénitent peut aussi invoquer une opinion, pourvu qu’elle ait été trouvée probable par un docteur quelconque. Les confesseurs probabilistes peuvent répondre ce qui leur plaît, mais aussi « ce qu’il plaît à ceux qui (les) interrogent » ; par conséquent, « un docteur étant consulté peut donner un conseil, non seulement probable selon son opinion, mais contraire à son opinion, s’il est estimé probable par d’autres, lorsque cet avis contraire au sien se rencontre plus favorable et plus agréable à celui qui le consulte, si forte haec illi favorabilior seu exoptatior sit » (Provinciale V, éd. Cognet et Ferreyrolles, p. 88).

Par définition, le seul fait qu’une opinion a été énoncée par un docteur grave sans que l’Église s’y oppose la rend probable. Une fois formulée, « en peu d’années, on la voit insensiblement s’affermir ; et, après un temps considérable, elle se trouve autorisée par la tacite approbation de l’Église, selon cette grande maxime du Père Bauny : « Qu’une opinion étant avancée par quelques casuistes, et l’Église ne s’y étant point opposée, c’est un témoignage qu’elle l’approuve » (Provinciale VI, éd. Cognet et Ferreyrolles, p. 102). Suivant le premier Écrit des Curés de Paris, « les maximes qu’ils n’avaient jetées d’abord que comme de simples pensées furent bientôt données pour probables ; ils passèrent de là à les produire pour sûres en conscience, et enfin aussi sûres que les opinions contraires » (Provinciales, éd. Cognet et Ferreyrolles, p. 408).

Dans la doctrine des casuistes, non seulement les opinions probables contraires ne se suppriment pas entre elles, mais elles se renforcent par leur contrariété, et confirment du même coup l’ensemble du système de la probabilité.

Comme toutes les sciences, la casuistique s’accroît au fil des années de propositions nouvelles. Les opinions croissent donc par addition et accumulation continuelles : comme chaque docteur grave peut rendre probable une opinion inédite, il peut toujours en ajouter aux anciennes ; il y a même intérêt, dans la mesure où son prestige s’accroît d’autant qu’il a su rendre probables des opinions qui ne l’étaient pas avant lui. « Et c’est ce qui n’appartient qu’aux grands personnages. Le P. Bauny y excelle. Il y a du plaisir de voir ce savant casuiste pénétrer dans le pour et le contre d’une même question qui regarde encore les prêtres, et trouver raison partout, tant il est ingénieux et subtil » (Provinciale VI, éd. Cognet et Ferreyrolles, p. 106). Mais comme une opinion probable ne supprime pas la probabilité de l’opinion contraire, ni n’est supprimée par elle, nul ne peut retrancher : comme l’indique une note des Pensées, dans la probabilité seule l’addition est admise : Chacun peut mettre, nul ne peut ôter. La casuistique ne peut que croître démesurément comme un cancer, ayant comme la géométrie, mais pour des raisons différentes, une infinité d’infinités de propositions à exposer (Transition 4 - Laf. 199, Sel. 230).

En découle l’énorme production des auteurs de la Compagnie de Jésus, qui fait souffrir l’Église entière. Voir le Premier écrit des curés de Paris, in Provinciales, éd. cit., p. 407-408 :

« Ces opinions accommodantes ne commencèrent pas par cet excès, mais par des choses moins grossières, et qu’on proposait seulement comme des doutes. Elles se fortifièrent peu à peu par le nombre des sectateurs, dont les maximes relâchées ne manquent jamais : de sorte qu’ayant déjà formé un corps considérable de casuistes qui les soutenaient, les ministres de l’Église, craignant de choquer ce grand nombre, et espérant que la douceur et la raison seraient capables de ramener ces personnes égarées, supportèrent ces désordres avec une patience qui a paru par l’événement, non seulement inutile, mais dommageable : car, se voyant ainsi en liberté d’écrire, ils ont tant écrit en peu de temps, que l’Église gémit aujourd’hui sous cette monstrueuse charge de volumes. La licence de leurs opinions, qui s’est accrue avec le nombre de leurs livres, les a fait avancer à grands pas dans la corruption des sentiments et dans la hardiesse de les proposer. Ainsi les maximes qu’ils n’avaient jetées d’abord que comme de simples pensées furent bientôt données pour probables ; ils passèrent de là à les produire pour sûres en conscience, et enfin pour aussi sûres que les opinions contraires, par un progrès si hardi, qu’enfin les puissances de l’Église commençant à s’en émouvoir, on fit diverses censures de ces doctrines. L’Assemblée générale de France les censura en 1642, dans le livre du P. Bauny Jésuite, où elles sont presque toutes ramassées ; car ces livres ne font que se copier les uns les autres. La Sorbonne les condamna de même ; la Faculté de Louvain ensuite, et feu M. l’Archevêque de Paris aussi, par plusieurs censures. De sorte qu’il y avait sujet d’espérer que tant d’autorités jointes ensemble arrêteraient un mal qui croissait toujours. Mais on fut bien éloigné d’en demeurer à ce point : le P. Héreau fit, au Collège de Clermont, des leçons si étranges pour permettre l’homicide, et les PP. Flahaut et Le Court en firent de même à Caen de si terribles pour autoriser les duels, que cela obligea l’Université de Paris à en demander justice au Parlement, et à entreprendre cette longue procédure qui a été connue de tout le monde. Le P. Héreau ayant été, sur cette accusation, condamné par le Conseil à tenir prison dans le Collège des Jésuites, avec défense d’enseigner dorénavant, cela assoupit un peu l’ardeur des casuistes ; mais ils ne faisaient cependant que préparer de nouvelles matières, pour les produire toutes à la fois en un temps plus favorable. »

Pascal ne s’en prend pas à cette doctrine des casuistes seulement en raison des erreurs théoriques qu’elle contient. Il pense que, comme elle rend probables toutes les opinions quelles qu’elles soient, elle détruit le souci de la recherche de la vérité, qui est le nerf de la religion chrétienne.

Laf. 721, Sel. 598. Probabilité. L’ardeur des saints à chercher le vrai était inutile si le probable est sûr. La peur des saints qui avaient toujours suivi le plus sûr. Sainte Thérèse ayant toujours suivi son confesseur.

Nota bene : Pascal ne s’en prend qu’à la casuistique corrompue dont les principes sont ceux qui aboutissent à ces conséquences. Mais il existe des casuistes dans le groupe de Port-Royal, comme le docteur Jacques de Sainte-Beuve. Leurs principes sont cependant tout différents. Voir Cariou Pierre, Les idéalités casuistiques. Aux origines de la psychanalyse, P. U. F., Paris, 1992, et du même auteur, Pascal et la casuistique, Paris, P. U. F., 1993.