Pensées diverses III – Fragment n° 12 / 85 – Papier original : RO 423-3

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 118 p. 367 v° / C2 : p. 325

Éditions savantes : Faugère I, 288, LXVIII / Havet Prov. 423 p. 294 / Brunschvicg 939 / Tourneur p. 97 / Le Guern 553 / Lafuma 654 (série XXV) / Sellier 538

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Bibliographie

 

 

DANIEL Gabriel, Réponse aux Provinciales de L. de Montalte, ou Entretiens de Cléandre et d’Eudoxe, Chez Eugène Henry Fric, Bruxelles, 1697, ou chez Donato Donati, Amsterdam, 1697.

DUCHÊNE Roger, L’Imposture littéraire dans les Provinciales de Pascal, 2e éd., Publications de l’Université de Provence, Aix-en-Provence, 1985.

GAZIER Augustin, Blaise Pascal et Antoine Escobar. Étude historique et critique avec trois similigravures, H. et E. Champion, Paris, 1912.

LANSON Gustave, “Les Provinciales et le livre de La Théologie Morale des Jésuites”, Revue d’Histoire Littéraire de la France, 1900, p. 169-195.

MAYNARD Ulysse, Les Provinciales ou les lettres écrites par Louis de Montalte à un provincial de ses amis et aux révérends pères jésuites, publiées sur la dernière édition revue par Pascal, et leur réfutation [...] par M. l’abbé Maynard, Paris, Didot, 1851, 2 vol.

NOUËT Jacques, Réponses aux Lettres Provinciales publiées par le secrétaire du Port-Royal contre les PP. de la Compagnie de Jésus sur le sujet de la morale desdits Pères, Paris, 1657 et 1658.

PASCAL, Les Provinciales, éd. Cognet et Ferreyrolles, p. XXXIX.

 

 

Éclaircissements

 

Vous ne m’accusez jamais de fausseté sur Escobar parce qu’il est commun.

 

Vous ne m’accusez jamais de fausseté… : Pascal commence à s’adresser directement aux pères jésuites à partir de la onzième lettre (18 août 1656). Il semble donc bien que ce fragment soit destiné à la seconde vague des Provinciales. Mais il est difficile d’être plus précis.

Pascal Blaise, Les Provinciales, éd. Cognet et Ferreyrolles, p. XXXIX, et la note de la p. 80. Antonio Escobar y Mendoza (1589-1669) est un jésuite espagnol, théologien, exégète et prédicateur. Son Liber theologiae moralis viginti quatuor Societatis Jesu doctoribus reseratus, Lyon, 1644, est une refonte d’un ouvrage rédigé en espagnol en 1630. C’est un manuel qui eut grand succès : une édition de Bruxelles, 1651, précise qu’à cette date il en existe plus de quarante éditions. Le fragment ne se comprend que si l’on part du principe qu’Escobar est moins un casuiste que le compilateur des décisions de théologie morale des autres auteurs. La fin de la VIIIe Provinciale montre en quel sens le livre d’Escobar peut être commun : dans une brève annexe bibliographique, Pascal écrit : « J’ai toujours oublié à vous dire, qu’il y a des Escobars de différentes impressions. Si vous en achetez, prenez de ceux de Lyon, où à l’entrée il y a une image d’un agneau, qui est sur un livre scellé de sept sceaux, ou de ceux de Bruxelles en 1651. Comme ceux-là sont les derniers, ils sont meilleurs et plus amples que ceux des éditions précédentes de Lyon des années 1644 et 1646 ». En 1659 a été ajoutée l’indication suivante : « Depuis tout ceci on en a imprimé une nouvelle édition à Paris chez Piget, plus exacte que toutes les autres. Mais on peut encore bien mieux apprendre les sentiments d’Escobar dans la grande Théologie morale dont il y a déjà deux volumes in folio imprimés à Lyon. Ils sont très dignes d’être vus pour connaître l’horrible renversement que les Jésuites font de la morale de l’Église ». Cette addition n’est certainement pas de Pascal : pour avoir une idée de la manière dont Escobar était « commun » en 1656, il faut s’en tenir à la première indication.

Sur Escobar et sa Théologie morale, consulter

Gazier Augustin, Blaise Pascal et Antoine Escobar. Etude historique et critique avec trois similigravures, H. et E. Champion, Paris, 1912. Voir p. 40 sq., des indications sur la personnalité d’Escobar.

Lanson Gustave, “Les Provinciales et le livre de La Théologie Morale des Jésuites”, Revue d’Histoire Littéraire de la France, 1900, p. 169-195.

Pascal, Œuvres, éd. Le Guern, I, p. 1170 sq. Pascal et Escobar.

Duchêne Roger, L’Imposture littéraire dans les “Provinciales” de Pascal, 2e éd., Publications de l’Université de Provence, Aix-en-Provence, 1985, p. 131 sq. Le livre d’Escobar, construit selon un ordre scolastique plutôt que systématique ; sans idée synthétique : c’est une suite de cas particuliers résolus : p. 132. Nota bene : il ne va pas de soi qu’un livre construit sans idée synthétique, comme une suite de cas particuliers, réponde à ce qu’on appelle un ordre scolastique.

Pascal s’est surtout servi d’Escobar comme recueil de références. Il a cependant vérifié les textes dans les auteurs cités par le jésuite. Sa fidélité dans la citation des auteurs a été définitivement établie par l’édition des Grands Écrivains de la France par Brunschvicg Boutroux et Gazier, qui fournit les textes originaux des citations alléguées dans les Provinciales. Voir sur ce point l’édition de Louis Cognet et Gérard Ferreyrolles.

Les polémistes jésuites répondent moins sur Escobar qu’en invoquant les grands casuistes, connus des théologiens, mais ignorés du public mondain.

Dans sa Septième imposture, in Nouët Jacques, Réponses aux Lettres Provinciales publiées par le Secrétaire du Port-Royal contre les PP. de la Compagnie de Jésus sur le sujet de la morale desdits Pères, chez Mathias Hovius (à l’enseigne du paradis terrestre), 1658, p. 117, à propos du Contrat Mohatra (un contrat de crédit assez douteux), le P. Nouët se débarrasse rapidement d’Escobar pour entreprendre la défense des casuistes qu’il cite : l’auteur des Provinciales, écrit-il, « n’est pas excusable de corrompre ce qu’il sait et de reprendre ce qu’il ignore. Il blâme le P. Escobar d’avoir donné des expédients de rendre ce contrat permis. Lett. 8, p. 4, impression de Cologne, p. 121, et en cela il est fort ignorant, ou extrêmement présomptueux. Ignorant s’il ne sait pas qu’en reprenant cet auteur, il se déclare à même temps contre Navarre, l’un des plus estimés casuistes de ce temps, contre Sylvestre Maître du sacré Palais, contre Pierre de Navarre, excellent théologien, contre Bonacina, dont le nom est illustre dans l’École, et contre plusieurs autres qu’il est inutile de rapporter. Présomptueux, si le sachant il a la témérité de les reprendre, et de les soumettre à sa censure ». Après quoi le P. Nouët justifie Bonacina à l’aide de plusieurs autres casuistes. De manière semblable, le P. Andoche Morel, dans sa Réponse générale à l’auteur des lettres qui se publient depuis quelques temps contre la doctrine des jésuites, par le prieur de Sainte-Foi, prêtre théologien, Lyon, Barbier, 1656, p. 13-14, récuse ce que Pascal écrit sur le jeûne en invoquant l’autorité des casuistes « Tostat, Paludanus, Cajetan, Navarre, Medina », pour ajouter que l’auteur des Provinciales fait semblant de méconnaître le mérite de ces « savants » théologiens, et qu’Escobar a seulement « dit la même chose ».

Les réponses des jésuites portent le plus souvent sur le contexte des maximes de morale que Pascal cite, parce qu’ils estiment qu’il conduit à les apprécier avec plus d’indulgence. Mais Escobar ne fournit pas toujours ce contexte. Aussi les polémistes préfèrent-ils citer les auteurs originaux. Ils jugent du reste sans doute plus important de défendre les casuistes d’autorité, plutôt qu’Escobar qui ne fait que transcrire les décisions d’autrui.

Deux défenses tardives des écrivains de la Compagnie ont été publiées par la suite :

Daniel Gabriel, Réponse aux Provinciales de L. de Montalte, ou Entretiens de Cléandre et d’Eudoxe, Chez Eugène Henry Fric, Bruxelles, 1697, ou chez Donato Donati, Amsterdam, 1697.

Maynard Ulysse, Les Provinciales ou les lettres écrites par Louis de Montalte à un provincial de ses amis et aux révérends pères jésuites, publiées sur la dernière édition revue par Pascal, et leur réfutation [...] par M. l’abbé Maynard, Paris, Didot, 1851, 2 vol.

Pascal interprète autrement la conduite de ses adversaires. Escobar y Mendoza est devenu célèbre lorsque les Provinciales ont fait connaître au grand public son recueil de maximes de morale des casuistes contemporains. Pascal ironise sur cette soudaine célébrité dans les Provinciales : voir Provinciale VI, § 6 : « Vous ne lisez donc guère Escobar, me dit-il. Je ne l’ai que d’hier, mon Père, et même j’eus de la peine à le trouver. Je ne sais ce qui est arrivé depuis peu, qui fait que tout le monde le cherche. » Aux yeux de Pascal, si les jésuites répondent peu sur le livre d’Escobar, c’est parce que sa Théologie morale, depuis qu’il l’a révélée au public, est devenue courante dans les bibliothèques mondaines, et que la vérification des textes allégués dans les Provinciales est facile à faire, pour peu que l’on sache un peu de latin. En revanche, les livres des autres casuistes étaient beaucoup plus difficiles à trouver, plus lourds et plus techniques, et par conséquent, illisibles par les gens du monde. En répondant sur Cajetan, Caramuel ou Medina, les jésuites rendaient la vérification plus difficile que sur Escobar.

Pascal a tiré du nom d’Escobar un adjectif satirique : voir Laf. 692, Sel. 571. Montalte. Les opinions relâchées plaisent tant aux hommes qu’il est étrange que les leurs déplaisent. C’est qu’ils ont excédé toute borne. Et de plus il y a bien des gens qui voient le vrai et qui n’y peuvent atteindre, mais il y en a peu qui ne sachent que la pureté de la religion est contraire à nos corruptions. Ridicule de dire qu’une récompense éternelle est offerte à des mœurs escobartines.

 

La Théologie morale d’Escobar.