Pensées diverses III – Fragment n° 16 / 85 – Papier original : RO 423-4

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 119 p. 369 / C2 : p. 325 v°

Éditions savantes : Faugère II, 100, XXIII / Havet XXV.34 bis / Brunschvicg 391 / Tourneur p. 98-4 / Le Guern 557 / Lafuma 658 (série XXV) / Sellier 542

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Bibliographie

 

 

Anthologie. L’art de la conversation, éd. HELLEGOUARC’H Jacqueline, Paris, Garnier, 1997. Voir la bibliographie générale, p. XXXIX.

GIOCANTI Sylvia, Penser l'irrésolution. Montaigne, Pascal, La Mothe Le Vayer : trois itinéraires sceptiques, Paris, Champion, 2001.

GIOCANTI Sylvia, “L’écriture sceptique d’une apologie de la religion chrétienne : les Pensées de Pascal”, in Pascal a-t-il écrit les Pensées ?, Littératures, Presses universitaires du Mirail, 55, 2007, p. 51-92.

McKENNA Antony, “Les Pensées de Pascal : une ébauche d'apologie sceptique”, in MOREAU Pierre-François (dir.), Le retour des philosophies antiques à l'âge classique, II, Le scepticisme au XVIe et au XVIIe siècle, Albin Michel, Paris, 2001, p. 348-361.

McKENNA Antony, “Pascal et le cœur”, Courrier du Centre International Blaise Pascal, 16, 1994, p. 9-12.

McKENNA Antony, “Une question de cohérence : l’argument ad hominem dans les Pensées de Pascal”, in RONZEAUD Pierre (dir.), Pascal, Pensées, Littératures classiques, n° 20, Klincksieck, Paris, 1994, p. 23-44.

 

 

Éclaircissements

 

Conversation.

Beugnot Bernard, L’entretien au XVIIe siècle, Presses de l’Université de Montréal, 1971.

Génétiot Alain, Poétique du loisir mondain, de Voiture à La Fontaine, p. 355 sq. Une poésie de la conversation. Esprit et rhétorique de la conversation : p. 401 sq.

Anthologie. L’art de la conversation, éd. Hellegouarc’h Jacqueline, Garnier, 1997. Voir la bibliographie générale, p. XXXIX.

Le titre signifie-t-il que Pascal a entendu les propos de ce fragment dans des conversations ? Si c’est le cas, on peut rapprocher ce fragment de celui dans lequel Pascal indique que son style repose sur les « entretiens ordinaires de la vie » : voir Laf. 745, Sel. 618. La manière d’écrire d’Épictète, de Montaigne et de Salomon de Tultie est la plus d’usage qui s’insinue le mieux, qui demeure plus dans la mémoire et qui se fait le plus citer, parce qu’elle est toute composée de pensées nées sur les entretiens ordinaires de la vie, comme quand on parlera de la commune erreur qui est parmi le monde que la lune est cause de tout, on ne manquera jamais de dire que Salomon de Tultie dit que lorsqu’on ne sait pas la vérité d’une chose il est bon qu’il y ait une erreur commune, etc.

De l’avis des théoriciens de l’honnêteté, les conversations ont un effet bénéfique pour la formation de l’esprit. Voir ce qu’écrit par exemple le chevalier de Méré, Conversations, éd. Boudhors, Paris, Fernand Roches, 1930, p. 17. Le meilleur moyen pour se rendre habile et savant, n'est pas d'étudier beaucoup, mais de s'entretenir souvent des choses qui ouvrent l'esprit. Voir aussi Méré, Discours, De la conversation, éd. Boudhors, Paris, Fernand Roches, 1930, p. 99 sq. La conversation, considérée par opposition au conseil ou à la conférence : p. 103. La conversation est pure, libre, honnête, le plus souvent enjouée ; elle vise au bonheur.

Mais la conversation peut avoir ses dangers, tout comme le soliloque : voir Raisons des effets 17 (Laf. 99, Sel. 132). L’homme est ainsi fait qu’à force de lui dire qu’il est un sot il le croit. Et à force de se le dire à soi-même on se le fait croire, car l’homme fait lui seul une conversation intérieure, qu’il importe de bien régler. Corrumpunt bonos mores colloquia prava.

La conversation est une réalité ambiguë. Pascal le remarque dans le fragment Laf. 814, Sel. 658. Comme on se gâte l’esprit on se gâte aussi le sentiment. On se forme l’esprit et le sentiment par les conversations, on se gâte l’esprit et le sentiment par les conversations. Ainsi les bonnes ou les mauvaises le forment ou le gâtent. Il importe donc de tout de bien savoir choisir pour se le former et ne le point gâter. Et on ne peut faire ce choix si on ne l’a déjà formé et point gâté. Ainsi cela fait un cercle d’où sont bienheureux ceux qui sortent.

Pascal a noté un trait de conversation qui lui a inspiré de l’agacement dans le fragment Miracles III (Laf. 896, Sel. 448). Mon Dieu que ce sont de sots discours. Dieu aurait-il fait le monde pour le damner, demanderait-il tant de gens si faibles, etc. Pyrrhonisme est le remède à ce mal et rabattra cette vanité.

 

Grands mots à la religion : Je la nie.

 

Grands mots. Les dictionnaires du temps ne relèvent pas cette expression, qui doit sans doute être entendue, comme aujourd’hui, au sens de proclamation emphatique, mais sans portée ni fondement.

Pascal a dit ce qu’il pensait de ce genre de discours dans le fragment Preuves par discours II (Laf. 427, Sel. 681). On sait assez de quelle manière agissent ceux qui sont dans cet esprit. Ils croient avoir fait de grands efforts pour s’instruire, lorsqu’ils ont employé quelques heures à la lecture de quelque livre de l’Écriture, et qu’ils ont interrogé quelque ecclésiastique sur les vérités de la foi. Après cela, ils se vantent d’avoir cherché sans succès dans les livres et parmi les hommes. Mais, en vérité, je leur dirais ce que j’ai dit souvent, que cette négligence n’est pas supportable.

 

Conversation.

Le pyrrhonisme sert à la religion.

 

Sur le pyrrhonisme et le scepticisme, voir le dossier consacré au fragment Contrariétés 14 (Laf. 131, Sel. 164).

Voir dans le commentaire de l’édition savante l’usage que l’édition Bossut fait de cette phrase.

On peut entendre cette deuxième déclaration comme une réponse à la précédente déclaration. Cette interprétation peut s’appuyer sur un texte comme le fragment Laf. 691, Sel. 570 : Le pyrrhonisme est le vrai. Car après tout les hommes avant Jésus-Christ ne savaient où ils en étaient, ni s’ils étaient grands ou petits. Et ceux qui ont dit l’un ou l’autre n’en savaient rien et devinaient sans raison et par hasard. Et même ils erraient toujours en excluant l’un ou l’autre. Quod ergo ignorantes quaeritis religio annuntiat vobis. Pascal voudrait alors dire que, contre les grands mots à la religion que l’on entend parfois dans les conversations, la réponse peut être que le pyrrhonisme sert à la religion, en ce sens que l’on peut s’en servir pour ébranler les certitudes trop enracinées, et donner une cure de scepticisme qui aboutira à l’humiliation, prélude à la conversion. L’idée peut trouver un fondement dans l’Entretien avec M. de Sacy. Dans les Pensées, Pascal entend administrer à son lecteur une sévère « cure de scepticisme » (Ph. Sellier). Le pyrrhonisme enseigne aux hommes leur faiblesse dans la connaissance et la morale, et il ouvre ainsi la voie à l’humilité, qui est elle-même le chemin de la conversion.

L’idée que l’apologétique de Pascal trouve un fondement dans le scepticisme a fait l’objet d’interprétations récentes. Voir notamment :

Giocanti Sylvia, “L’écriture sceptique d’une apologie de la religion chrétienne : les Pensées de Pascal”, in Pascal a-t-il écrit les Pensées ?, Littératures, Presses universitaires du Mirail, 55, 2007, p. 51-92. Voir p. 82. Le scepticisme sert la religion. Rendre effective l’humiliation sceptique de la raison. On trouve une étude plus générale sur ce point dans Giocanti Sylvia, Penser l'irrésolution. Montaigne, Pascal, La Mothe Le Vayer : trois itinéraires sceptiques, Paris, Champion, 2001.

McKenna Antony, "Les Pensées de Pascal : une ébauche d'apologie sceptique", in Moreau Pierre-François (dir.), Le retour des philosophies antiques à l'âge classique, II, Le scepticisme au XVIe et au XVIIe siècle, p. 348-361.

McKenna Antony, “Pascal et le cœur”, Courrier du Centre International Blaise Pascal, 16, 1994, p. 9-12.

McKenna Antony, “Une question de cohérence : l’argument ad hominem dans les Pensées de Pascal”, in Ronzeaud Pierre (dir.), Pascal, Pensées, Littératures classiques, n° 20, 1994, p. 23-44.

Il ne faut pas confondre cette interprétation des Pensées avec celle de Victor Cousin et de ses épigones, qui considèrent que Pascal s’est jeté dans la religion parce qu’il était tourmenté par le pyrrhonisme de Montaigne, mais en un sens positif : l’apologie de Pascal est par nature fondée sur des principes inspirés du scepticisme, qui obligent l’homme à vivre dans le vraisemblable, et non avec des certitudes fondées en métaphysique.

On pourrait a contrario entendre cette note en un sens ironique. Si l’on suppose que Pascal place cette phrase dans la bouche d’un libertin, comme c’est le cas de la précédente, elle peut être interprétée comme une manière ironique de souligner la contradiction qu’il y a à présenter le pyrrhonisme comme l’appui de la religion chrétienne, alors que les sceptiques mettent en cause les dogmes de cette religion même. Cette seconde interprétation paraît pourtant difficilement recevable.