Pensées diverses III – Fragment n° 37 / 85 – Papier original : RO 427-10

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 126 p. 373 / C2 : p. 331

Éditions savantes : Faugère II, 388 / Havet VI.25 bis / Brunschvicg 21 / Tourneur p. 102-3 / Le Guern 578 / Lafuma 684 (série XXV) / Sellier 563

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Bibliographie

 

 

Voir la bibliographie du fragment précédent.

 

DESCOTES Dominique, “Le problème de l’ordre chez Pascal”, in Papasogli Benedetta (dir.), Le Pensées di Pascal : dal disegno all’edizione, Studi francesi, 143, Torino, Rosenberg et Sellier, mai-août 2004, p. 281-300.

MARIN Louis, La critique du discours. Sur la « logique de Port-Royal » et les « Pensées » de Pascal, Paris, Minuit, 1975.

MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES-CDU, 1993.

SELLIER Philippe, Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., Paris, Champion, 2010.

THIROUIN Laurent, Pascal ou le défaut de la méthode. Lecture des Pensées selon leur ordre, Paris, Champion, 2015.

 

 

Éclaircissements

 

Ordre.

 

Voir le dossier de la liasse Ordre.

 

La nature a mis toutes ses vérités chacune en soi-même. Notre art les renferme les unes dans les autres, mais cela n’est pas naturel. Chacune tient sa place.

 

Art : tout ce qui se fait par l’adresse et par l’industrie de l’homme ; et en ce sens il est opposé à nature (Furetière).

Ces lignes concordent-elles avec le fragment Laf. 683, Sel. 562 ? Ordre. Pourquoi prendrai-je plutôt à diviser ma morale en 4 qu’en 6. Pourquoi établirai-je plutôt la vertu en 4, en 2, en 1. Pourquoi en abstine et sustine plutôt qu’en suivre nature ou faire ses affaires particulières sans injustice comme Platon, ou autre chose. Mais voilà, direz-vous, tout renfermé en un mot : oui mais cela est inutile si on ne l’explique. Et quand on vient à l’expliquer, dès qu’on ouvre ce précepte qui contient tous les autres ils en sortent en la première confusion que vous vouliez éviter. Ainsi quand ils sont tous renfermés en un ils y sont cachés et inutiles, comme en un coffre et ne paraissent jamais qu’en leur confusion naturelle. La nature les a tous établis, sans renfermer l’un en l’autre.

La différence semble se trouver dans le fait que dans le fragment précédent, Pascal écrit que la nature a établi ses vérités dans une certaine « confusion », alors que dans le présent fragment, il dit au contraire que chaque vérité tient sa place. Il paraît difficile de concilier ces deux affirmations.

C’est l’objection que Havet oppose à Pascal, éd. des Pensées, I, 1866, p. 91 : « Ne serait-il pas plus exact de dire que c’est nous qui faisons aux choses dans notre langage des places distinctes, et que dans la nature tout est mêlé ? Pascal, en raillant les divisions des philosophes, ne paraît pas s’être souvenu, non plus que Port-Royal après lui, qu’elles ont été adoptées par la religion, qui distingue trois vertus théologales et quatre cardinales. » L’objection n’est pas lumineuse.

La nature a mis toutes ses vérités chacune en soi-même : l’expression en soi-même désigne-t-elle la nature, ou les vérités ? Il faut entendre que chaque vérité a une place propre qui la place en rapport avec les autres. En revanche, l’art, c’est-à-dire les techniques de la rhétorique et de la logique, les renferment les unes dans les autres : Pascal fait sans doute allusion à la manière dont les rhétoriciens classent les idées sous des catégories d’arguments, ou dont les logiciens les classent par genre, espèces, substances, attributs et accidents, inclus les uns dans les autres. On sait par l’opuscule De l’esprit géométrique, II, De l’art de persuader, que Pascal n’accorde aucun crédit aux catégories de la logique, qu’il estime pleines de confusion. Ces cadres artificiels forcent l’ordre naturel des vérités.

Il est dès lors naturel qu’une fois prise l’habitude d’imposer des catégories artificielles, elles revêtent un caractère de confusion.

La recherche de l’ordre ne doit pas pour Pascal plaquer sur les idées des divisions à la manière de Charron, mais à trouver un ordre qui donne à chaque idée la place que lui assigne la nature.

Sur ce point, voir Thirouin Laurent, Pascal ou le défaut de la méthode. Lecture des Pensées selon leur ordre, Paris, Champion, 2015.

Le meilleur exemple d’une telle recherche se trouve dans le fragment Laf. 532, Sel. 457. Pyrr[honisme]. J’écrirai ici mes pensées sans ordre et non pas peut-être dans une confusion sans dessein. C’est le véritable ordre et qui marquera toujours mon objet par le désordre même. Je ferais trop d’honneur à mon sujet si je le traitais avec ordre puisque je veux montrer qu’il en est incapable.