Pensées diverses III – Fragment n° 4 / 85 – Le papier original est perdu

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 115 p. 365 v° / C2 : p. 323

Éditions savantes : Faugère II, 132, XI / Havet VI.6 / Brunschvicg 312 / Le Guern 545 / Lafuma 645 (série XXV) / Sellier 530

______________________________________________________________________________________

 

 

Bibliographie

 

 

Voir la bibliographie du dossier thématique sur les lois.

 

CHINARD Gilbert, En lisant Pascal. Notes sur les Pensées et l’économie du monde, Giard et Droz, Lille et Genève, 1948.

FERREYROLLES Gérard, Pascal et la raison du politique, Presses Universitaires de France, Paris, 1984.

FERREYROLLES, “La politique dans les Pensées”, L’Accès aux Pensées de Pascal, Klincksieck, Paris, p. 93-112.

FERREYROLLES Gérard (dir.), Justice et force. Politiques au temps de Pascal, Actes du colloque de Clermont-Ferrand, 20-23 septembre 1990, Klincksieck, Paris, 1996.

LAZZERI Christian, Force et justice dans la politique de Pascal, Presses Universitaires de France, Paris, 1993.

MESNARD Jean, “Pascal et la justice à Port-Royal”, Commentaire, 121, printemps 2008, p. 163-173.

MOROT-SIR Édouard, “La justice de Dieu selon Pascal”, in FERREYROLLES Gérard (dir.), Justice et force. Politiques au temps de Pascal, Actes du colloque de Clermont-Ferrand, 20-23 septembre 1990, Klincksieck, Paris, 1996, p. 281-296.

PÉCHARMAN Martine, “La justice selon Pascal”, in G. Samama, La justice, Ellipses, 2001, p. 113-128.

 

 

Éclaircissements

 

La justice est ce qui est établi.

 

Définition nominale de la justice, sur laquelle est fondée le raisonnement qui suit. Pascal a énoncé cette définition dans le fragment Misère 15 (Laf. 66, Sel. 100). Il faut bien expliquer au peuple qu’il faut obéir aux lois parce qu’elles sont lois, si toutefois si on peut faire entendre cela et que proprement c’est la définition de la justice.

Sur les règles et la portée des définitions nominales, voir l’opuscule De l’esprit géométrique, OC III, éd. J. Mesnard, p. 393 sq. Il faut rappeler qu’une définition nominale désigne une idée, mais ne prouve pas la vérité de cette idée. 

 

Et ainsi toutes nos lois établies seront nécessairement tenues pour justes sans être examinées, puisqu’elles sont établies.

 

Parodie ironique d’un raisonnement qui découle des principes proposés dans la liasse Misère, notamment dans le fragment Misère 9 (Laf. 60, Sel. 94). De cette confusion arrive que l’un dit que l’essence de la justice est l’autorité du législateur, l’autre la commodité du souverain, l’autre la coutume présente, et c’est le plus sûr. Rien suivant la seule raison n’est juste de soi, tout branle avec le temps. La coutume est toute l’équité, par cette seule raison qu’elle est reçue. C’est le fondement mystique de son autorité. Qui la ramènera à son principe l’anéantit. Rien n’est si fautif que ces lois qui redressent les fautes. Qui leur obéit parce qu’elles sont justes, obéit à la justice qu’il imagine, mais non pas à l’essence de la loi. Elle est toute ramassée en soi. Elle est loi et rien davantage.

Nos lois : le possessif nos n’est pas l’équivalent de l’article les. Pascal indique discrètement qu’il s’agit des lois que l’homme a établies. Le raisonnement ne s’applique pas aux lois dites naturelles, qui sont d’institution divine, dont Pascal affirme nettement l’existence dans le fragment Misère 9. Voir sur ce point Ferreyrolles Gérard, Pascal et la raison du politique, p. 162 sq.

Il s’applique aux seules lois positives, établies par les hommes pour appliquer les lois naturelles, peu nombreuses et très générales, aux circonstances politiques et sociales. C’est de ces dernières que l’on peut dire avec vérité qu’elles ne sont lois que parce qu’elles ont été établies. Voir Ferreyrolles Gérard, Pascal et la raison du politique, p. 186 sq.

En théorie, la distinction entre lois naturelles et lois positives est nette.

Cependant, pour Pascal, l’une des conséquences de l’obscurcissement de l’esprit consécutif à la corruption originelle fait que les hommes ont multiplié les lois au gré de leur fantaisie, au point que les lois naturelles, noyées dans la foule de celles qui ont été ainsi établies, sont devenues pratiquement indiscernables. Comme l’écrit Pascal dans Misère 9 (Laf. 60, Sel. 94), il y a sans doute des lois naturelles, mais cette belle raison corrompue a tout corrompu.

De sorte que c’est à toutes les lois que les sceptiques, qui nient l’existence de lois naturelles, étendent le raisonnement résumé dans le présent fragment : s’il n’y a de fondement des lois que l’établissement, toutes les lois établies doivent être tenues pour justes, sans qu’il soit nécessaire de les examiner pour discerner si elles sont essentiellement justes ou non.

L’établissement est le seul fondement de la loi : cette conclusion est philosophiquement irrecevable, puisqu’elle revient à rejeter l’aspiration essentielle de l’homme à une justice essentielle et véritable. Voir l’étude de Mesnard Jean, “Pascal et la justice à Port-Royal”, p. 168. Le raisonnement de Pascal sur la justice a deux faces : d’une part l’impossibilité de reconnaître aucune justice aux lois et aux coutumes établies par l’homme ; d’autre part l’impossibilité pour l’homme de ne pas désirer la justice. Les lois établies ne subsistent que par l’aliment qu’elles fournissent à cette exigence fondamentale. Seule la révélation divine apportera à l’homme une norme absolue, dont la liasse Morale chrétienne exposera la substance et le fondement.

Mais il faut bien admettre que cette maxime, qui aboutit à respecter les lois établies, a au moins le mérite de contribuer, dans une certaine mesure, à assurer la paix dans la société, c’est-à-dire à limiter les ravages que produit la guerre de tous contre tous. C’est pourquoi le présent fragment a pour suite logique le texte Misère 15 (Laf. 66, Sel. 100). Injustice. Il est dangereux de dire au peuple que les lois ne sont pas justes, car il n’y obéit qu’à cause qu’il les croit justes. C’est pourquoi il lui faut dire en même temps qu’il y faut obéir parce qu’elles sont lois, comme il faut obéir aux supérieurs non pas parce qu’ils sont justes, mais parce qu’ils sont supérieurs. Par là voilà toute sédition prévenue, si on peut faire entendre cela et que proprement c’est la définition de la justice.

Outre les articles cités en bibliographie, on trouvera une étude intéressante du problème de la loi dans l’ouvrage de Lazzeri Christian, Force et justice dans la politique de Pascal, p. 65-99.