Pensées diverses III – Fragment n° 53 / 85 – Papier original : RO 401-2

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 136 p. 377 v°-379 / C2 : p. 337-337 v°

Éditions de Port-Royal : Chap. XXIX - Pensées morales : 1669 et janvier 1670 p. 285-286 / 1678 n° 33 p. 283

Éditions savantes : Faugère I, 212, CX / Havet VI.26 / Brunschvicg 9 / Tourneur p. 105-2 / Le Guern 594 / Lafuma 701 (série XXV) / Sellier 579

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Bibliographie

 

 

ALEXANDRESCU Vlad, Le paradoxe chez Blaise Pascal, Peter Lang, Berne-Berlin-Francfort, 1997.

MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES-CDU, 1993.

MESNARD Jean, “Point de vue et perspective dans les Pensées de Pascal”, Courrier du Centre International Blaise Pascal, 16, 1994, p. 3-8.

POPKIN Richard, Histoire du scepticisme d’Erasme à Spinoza, Paris, Presses Universitaires de France, 1995.

SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970.

THIROUIN Laurent, Pascal ou le défaut de la méthode. Lecture des Pensées selon leur ordre, Paris, Champion, 2015.

 

 

Éclaircissements

 

Réflexion de Pascal sur l’art de persuader et la manière d’éviter qu’un interlocuteur ne se formalise des arguments qu’on lui oppose et se laisse emporter à l’erreur par son amour propre. Pascal préconise, comme dans L’esprit géométrique, d’admettre les principes de l’autre, et de l’amener progressivement à un point de vue plus compréhensif.

Voir le dossier thématique sur le dialogue.

 

Quand on veut reprendre avec utilité et montrer à un autre qu’il se trompe, il faut observer par quel côté il envisage la chose, car elle est vraie ordinairement de ce côté‑là,

 

Avec utilité : de manière à parvenir à persuader, et en évitant de susciter une réaction de rejet par une réfutation trop directe et brutale.

Reprendre : blâmer, corriger, châtier. On peut reprendre son prochain par correction fraternelle, mais il faut que ce soit avec une grande discrétion (Furetière).

 

et lui avouer cette vérité, mais lui découvrir le côté par où elle est fausse.

 

Avouer : concéder.

L’opuscule De l’Esprit géométrique, 2, De l’art de persuader, § 1-2, OC III, p. 413, définit la stratégie rhétorique, qui consiste toujours à partir de principes admis par autrui pour l’amener à une vue plus compréhensive des choses. Du point de vue logique, on trouve dans ce fragment une version élaborée de la règle formulée dans De l’esprit géométrique, II, De l’art de persuader, OC III, éd. J. Mesnard, p. 419, « N’admettre aucun des principes nécessaires sans avoir demandé si on l’accorde, quelque clair et évident qu’il puisse être ».

Alexandrescu Vlad, Le paradoxe chez Blaise Pascal, Berlin, Peter Lang, 1997, p. 213 sq. Analyse sur la forme logique de l’argument « certes p, mais q », comme « unité minimale du paradoxe sceptique », telle qu’elle se présente dans ce texte.

Mais cette règle ne suffit pas à rendre une objection utile, c’est-à-dire persuasive et efficace. Il faut aussi tenir compte de l’amour propre, qui exerce dans la persuasion une influence considérable :

Laf. 539, Sel. 458. La volonté est un des principaux organes de la créance, non qu’elle forme la créance, mais parce que les choses sont vraies ou fausses selon la face par où on les regarde. La volonté qui se plaît à l’une plus qu’à l’autre détourne l’esprit de considérer les qualités de celle qu’elle n’aime pas à voir, et ainsi l’esprit marchant d’une pièce avec la volonté s’arrête à regarder la face qu’elle aime et ainsi il en juge par ce qu’il y voit.

Le présent fragment ajoute cependant à cette règle purement rhétorique la prise en compte des réactions psychologiques de l’amour propre : comme l’écrit Pascal, on ne veut pas être trompé, et pour reprendre avec utilité, il ne faut pas heurter de front l’amour propre. Il définit une tactique qui prend en compte les exigences de l’art d’agréer : s’appuyer sur les principes de l’interlocuteur, est aussi une manière d’éviter de donner lieu à l’interlocuteur de croire qu’on le méprise parce qu’il se trompe, et lui laisser penser qu’il trouve la vérité par lui-même. Car selon Laf. 737, Sel. 617, on se persuade mieux pour l’ordinaire par les raisons qu’on a soi-même trouvées que par celles qui sont venues dans l’esprit des autres.

Thirouin Laurent, Pascal ou le défaut de la méthode. Lecture des Pensées selon leur ordre, p. 233 sq. et notamment p. 240 sq., sur la technique du oui, mais... chez Pascal, technique qui est illustrée dans le fragment « Infini rien », Preuves par discours I (Laf. 418, Sel. 680), mais aussi en général dans toute argumentation qui enferme un procédé de raison des effets, où chaque étape du raisonnement est fondée sur une gradation qui construit des positions successives en complétant progressivement des positions antérieures. L’un des exemples les plus clairs de cette démarche est fourni par le fragment Divertissement 4 (Laf. 136, Sel. 168), Divertissement, qui commence par l’opinion que tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre, pour arriver ensuite à la thèse que qu’il y en a une bien effective et qui consiste dans le malheur naturel de notre condition faible et mortelle et si misérable que rien ne peut nous consoler lorsque nous y pensons de près. De manière plus complexe, selon le fragment Contrariétés 5 (Laf. 122, Sel. 155), le renversement du pour au contre qui va de la grandeur de l’homme à sa misère et vice versa, repose sur le même principe, puisque la grandeur se prouve à partir de la misère et inversement : La misère se concluant de la grandeur et la grandeur de la misère, les uns ont conclu la misère d’autant plus qu’ils en ont pris pour preuve la grandeur, et les autres concluant la grandeur avec d’autant plus de force qu’ils l’ont conclue de la misère même. Tout ce que les uns ont pu dire pour montrer la grandeur n’a servi que d’un argument aux autres pour conclure la misère, puisque c’est être d’autant plus misérable qu’on est tombé de plus haut, et les autres au contraire. Ils se sont portés les uns sur les autres, par un cercle sans fin, étant certain qu’à mesure que les hommes ont de lumière ils trouvent et grandeur et misère en l’homme. En un mot l’homme connaît qu’il est misérable. Il est donc misérable puisqu’il l’est, mais il est bien grand puisqu’il le connaît.

 

Il se contente de cela, car il voit qu’il ne se trompait pas et qu’il manquait seulement à voir tous les côtés. Or on ne se fâche pas de ne pas tout voir, mais on ne veut pas être trompé.

 

Il se contente de cela : entendre à la fois il se satisfait de cela et il y trouve son compte.

Il faut, selon l’art de persuader, savoir ménager la fierté de l’interlocuteur en évitant de lui dire de but en blanc qu’il a tort dans tout ce qu’il soutient.

On trouve une application de cette règle dans les Expériences nouvelles, OC II, p. 494, avec l’emploi de la notion rassurante de vide apparent : Pascal, qui pense que le vide est une réalité, accepte de ne parler que de vide apparent, c’est-à-dire d’espace qui apparaît vide, pour ne pas choquer inutilement les partisans du plein.

Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., 1993, p. 296-297, souligne le rapport de cette méthode avec le procédé de l’ironie : comme on se persuade mieux pour l’ordinaire par les raisons qu’on a soi-même trouvées que par celles qui sont venues dans l’esprit des autres (Laf. 737, Sel. 617), ainsi que c’est le cas dans la maïeutique socratique, l’ironie consiste à adopter le point de vue de l’autre pour l’amener à le dépasser. L’ironiste est à l’opposé du pédant : il se comporte en pédagogue, aussi peu contraignant que possible. Et l’ironie n’est ni vexatoire, ni destructrice : elle fait au contraire la part belle à l’interlocuteur et à ses idées, même si, conformément à l’idée de la maïeutique, elle vise à le conduire à changer de point de vue.

Antoine Arnauld par exemple prétend suivre cette règle même dans la polémique, mais avec moins d’adresse. Voir Arnauld Antoine, Le renversement de la morale de Jésus-Christ, Paris, Desprez, 1672, p. 16 sq. Arnauld s’appuie sur les principes que les réformés doivent admettre pour être cohérents avec eux-mêmes. Ils sont obligés par leurs propres principes d’écouter ceux qui prétendent leur montrer qu’ils sont dans l’erreur : p. 17. Que si on les convainc d’erreur, il n’y a aucun principe de religion qui puisse leur permettre de rester sur leur position. Comme ils enseignent qu’il faut quitter une Église corrompue, ils doivent quitter la leur si on leur montre qu’elle l’est : p. 18.

 

Et peut-être que cela vient de ce que naturellement l’homme ne peut tout voir,

 

L’homme ne peut tout voir, parce que, lorsqu’il soutient une opinion, il omet généralement l’opinion contraire ou simplement complémentaire.

Laf. 576, Sel. 479. Les deux raisons contraires. Il faut commencer par là sans cela on n’entend rien, et tout est hérétique. Et même à la fin de chaque vérité il faut ajouter qu’on se souvient de la vérité opposée.

Mesnard Jean, “Point de vue et perspective dans les Pensées de Pascal”, Courrier du Centre International Blaise Pascal, 16, p. 3-8.

Thirouin Laurent, Pascal ou le défaut de la méthode. Lecture des Pensées selon leur ordre, p. 241. Commentaire de cette expression. Une dimension structurelle de la vérité est qu’elle est double, et que par suite, l’interlocuteur a toujours un peu raison, de sorte qu’il faut lui concéder une partie de ses opinions. L’exclusion d’une partie de la vérité porte étymologiquement le nom d’hérésie, et consiste en un choix : cela s’entend des doctrines théologiques, mais vaut aussi pour toutes sortes de vérités.

 

et de ce que naturellement il ne se peut tromper dans le côté qu’il envisage, comme les appréhensions des sens sont toujours vraies.

 

Les appréhensions des sens sont toujours vraies. 

Le paradoxe surprend, Pascal ayant fortement insisté sur les illusions des sens dans le fragment Imagination, Vanité 31 (Laf. 45, Sel. 78). L’homme n’est qu’un sujet plein d’erreur naturelle, et ineffaçable sans la grâce. Rien ne lui montre la vérité. Tout l’abuse. Ces deux principes de vérité, la raison et les sens, outre qu’ils manquent chacun de sincérité, s’abusent réciproquement l’un l’autre ; les sens abusent la raison par de fausses apparences. Et cette même piperie qu’ils apportent à l’âme, ils la reçoivent d’elle à leur tour ; elle s’en revanche. Les passions de l’âme les troublent et leur font des impressions fausses. Ils mentent et se trompent à l’envi.

Sur l’origine épicurienne de ce principe de la véracité des sens, et les problèmes qu’il pose, voir Canto-Sperber Monique (dir.), Philosophie grecque, Paris, P. U. F., 1998, p. 482 sq.

Épicure, Lettres et maximes, éd. Marcel Conche, Paris, Presses Universitaires de France, 1987, p. 25 sq. Les sensations nous révèlent l’être et le vrai ; l’objet qui laisse en nous sa représentation, son image, est réellement tel qu’il nous apparaît, de sorte qu’il y a identité entre l’être et l’apparaître. Il n’y a pas d’erreur des sens : p. 27.

Sur cette doctrine, voir aussi Rodis-Lewis Geneviève, Épicure et son école, Paris, Gallimard, 1975, p. 92-93. La sensation ne peut être récusée, elle n’est jamais fausse.

Cicéron, Académiques I, Les Stoïciens, Pléiade, p. 197. Il y a une très grande vérité dans les sens, à condition qu’ils soient sains et qu’on écarte tout ce qui les empêche d’agir. Sur la fausseté des sens, voir p. 223 : selon Épicure, si une fois une seule sensation a été mensongère, dans notre vie, il ne faut se fier à aucune : p. 223. Pour lui, les sens ne mentent jamais : p. 225.

Il est naturel de trouver Gassendi du même avis, qui prolonge la tradition épicurienne. Voir Gassendi Pierre, Opera, I, De logicae origine et varietate liber unus, cap. VII, Logica Epicuri, Canon I, p. 53. Sensus nunquam fallitur ; ac proinde est omnis sensio, omnisque phantasiae, seu apparentiae perceptio vera. « Non fallit autem sensum ideo asserit : quod falsitas omnis in affirmatione, aut negatione sita sit (quatenus nempe aliqua res aut ralis affirmatur, qualis non est, aut talis negatur, qualis est). Sensus autem neque affirmet, neque neget ; sed solum in se speciem sensibilis rei excipiat, nudeque apprehendat rem, cujusmodi sibi per speciem apparet ». L’exemple fourni à l’appui est celui de la tour carrée qui paraît ronde. C’est une faculté supérieure qui déclare que la chose est telle qu’on la perçoit. Canon II : Opinio est consquens sensum, sensionique super-adjecta, in quam veritas aut falsitas cadit : p. 53.

Le même principe se retrouve au XVIIe siècle, notamment chez Gassendi. Voir Pintard René, Le libertinage érudit dans la première moitié du XVIIe siècle, Paris, Boivin, 1943, p. 479. Selon Gassendi, les sens ne trompent pas ; on se trompe dans le jugement à propos des données des sens. Les sens ne renseignent que sur l’aspect extérieur des choses, et non sur leur nature. Voir Opera III, p. 102, 192 et 208-209.

Hamou Philippe, La mutation du visible. Essai sur la portée épistémologique des instruments d’optique au XVIIe siècle, p. 144 sq. Gassendi admet avec Épicure que « les sens sont toujours vrais », non en tant que les apparences livreraient l’essence des choses, mais en ce que, traitées comme apparences, elles ne peuvent jamais nous tromper et sont toujours telles qu’elles paraissent. Voir Disquisitio metahysica seu dubitationes et instantiae adversus Renati Cartesii Metaphysicam et Responsa, éd. Rochot, Paris, Vrin, 1962, p. 540 : « nous ne pouvons pas douter que les choses nous apparaissent comme elles nous apparaissent ».

Cette idée est reprise par les mécanistes.

Le P. Mersenne se tient sur une position analogue : voir Mersenne Marin, L’impiété des déistes, II, p. 300 sq., éd. Descotes, Paris, Champion, 2005, p. 600 sq. La connaissance des sens est faible, mais « la vérité est dans l’objet non seulement sensible, mais inintelligible ».

Voir sa théorie de la perception par les sens dans Lenoble Robert, Mersenne ou la naissance du mécanisme, Paris, Vrin, 1943, p. 316 sq.

Voir Roberval Gilles Personne, Les principes du devoir et des connaissances humaines, éd. Gabbey, in Mariotte savant et philosophe († 1684), Paris, Vrin, 1986, p. 229 sq. Les qualités sensibles nous paraissent suivant le rapport qu’elles ont à nous et à nos sens. Voir p. 230-231, les propositions qui assurent une qualité sensible sont dite propositions sensibles.

Voir Auger Léon, Gilles Personne de Roberval (1602-1675), Blanchard, Paris, 1962, p. 135 sq. Les sens ne renseignent pas sur la nature intime des choses, mais seulement sur sa production. Voir p. 140. En « parfaite disposition », si on ouvre les yeux, ce qui nous paraît alors est véritablement. On peut prouver sensiblement une chose : p. 141. Les qualités naturelles sont perçues par le rapport qu’elles ont avec nos sens : p. 142. Pourtant, quand notre disposition est saine, le témoignage des sens est véritable : p. 140. Les propositions qui assurent une qualité sensible, par exemple je sens du chaud, sont certaines à ceux qui, par leurs sens bien disposés, reconnaissent ces qualités ; d’autant que tous les sentiments sont des effets, et que tout effet a sa cause, il faut que les qualités qui nous paraissent soient en soi et absolument telles que nous les sentons, ou du moins qu’elles soient telles à notre égard. Les propositions qui assurent une substance sont tenues pour certaines par ceux qui, ayant les sens bien disposés, et non empêchés, reconnaissent tous les signes de cette substance. Inversement lorsqu’il ne paraît aucun signe d’une substance naturelle sensible, la proposition qui nie la présence de cette substance est certaine : p. 144-145.

Pascal a abordé le problème sous un angle original, lors des controverses sur le vide. Voir OC II, p. 529 sq., et p. 567 sq. Le vide ne frappe aucun sens ; on ne peut affirmer son existence : p. 529-530. La perception d’un effet permet de conclure à l’existence réelle de sa cause ; mais là où on ne voit rien, on peut dire, au moins provisoirement, qu’il n’y a rien : p. 567.

Voir Provinciale XVIII, § 31. « Cette règle est si générale que, selon saint Augustin et saint Thomas, quand l’Écriture même nous présente quelque passage, dont le premier sens littéral se trouve contraire à ce que les sens ou la raison reconnaissent avec certitude, il ne faut pas entreprendre de les désavouer en cette rencontre pour les soumettre à l’autorité de ce sens apparent de l’Écriture ; mais il faut interpréter l’Écriture, et y chercher un autre sens qui s’accorde avec cette vérité sensible ; parce que la parole de Dieu étant infaillible dans les faits mêmes, et le rapport des sens et de la raison agissant dans leur étendue étant certain aussi, il faut que ces deux vérités s’accordent ; et comme l’Écriture se peut interpréter en différentes manières, au lieu que le rapport des sens est unique, on doit, en ces matières, prendre pour la véritable interprétation de l’Écriture celle qui convient au rapport fidèle des sens. »

Voir Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 45, n. 27, qui compare la confiance critique que Pascal accorde aux données des sens avec la position d’Augustin.

Saint Augustin, De vera religione, XXXIII, n. 62, p. 115. « Les yeux mêmes ne trompent pas. Ils ne peuvent transmettre à l’âme que leur impression ». C’est l’homme qui est mauvais juge, par le milieu changeant, la vision doit aussi changer. « L’œil a donc raison : il n’est pas fait pour autre chose que pour voir. C’est l’âme qui a tort » : p. 115.

Arnauld Antoine et Nicole Pierre, La Logique, I, X (éd. 1664), éd. D. Descotes, Paris, Champion, 2014, p. 181 sq. « Il est certain qu’il ne peut y avoir d’erreur ou de fausseté, ni en tout ce qui se passe dans l’organe corporel, ni dans la seule perception de notre âme, qui n’est qu’une simple appréhension, mais que toute l’erreur ne vient que de ce que nous jugeons mal, en concluant par exemple, que le soleil n’a que deux pieds de diamètre, parce que sa grande distance fait que l’image qui s’en forme dans le fond de notre œil est à peu près de la même grandeur que celle qu’y formerait un objet de deux pieds à une certaine distance plus proportionnée à notre manière ordinaire de voir. Mais parce que nous avons fait ce jugement dès l’enfance, et que nous y sommes tellement accoutumés qu’il se fait au même instant que nous voyons le soleil, sans presque aucune réflexion, nous l’attribuons à la vue, et nous disons que nous voyons les objets petits ou grands, selon qu’ils sont plus proches et plus éloignés de nous, quoique ce soit notre esprit et non notre œil qui juge de leur petitesse et de leur grandeur. »