Pensées diverses III – Fragment n° 85 / 85 – Papier original : RO 437-1

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 150 p. 383 v° / C2 : p. 343 v°

Éditions savantes : Faugère I, 273, XXV / Havet Prov. n° 437 p. 289 / Brunschvicg 931 / Tourneur p. 111-2 / Le Guern 621 / Lafuma 729 (série XXV) / Sellier 611

______________________________________________________________________________________

 

 

Bibliographie

 

 

CARIOU Pierre, Les idéalités casuistiques, Paris, Presses Universitaires de France, 1992.

CARIOU Pierre, Pascal et la casuistique, Paris, Presses Universitaires de France, 1993.

DANIEL Gabriel, Entretiens de Cléandre et d’Eudoxe, Amsterdam, Donato Donati, 1697.

DESCOTES Dominique, “Les Provinciales et l’axiomatique des probabilités”, in La campagne des Provinciales, Chroniques de Port-Royal, 58, Paris, 2008, p. 189-197.

DUCHÊNE Roger, L’imposture littéraire dans les Provinciales de Pascal, Aix-en-Provence, Publications de l’Université de Provence, 1985.

FERREYROLLES Gérard, Blaise Pascal. Les Provinciales, Paris, Presses Universitaires de France, 1984.

FUMAROLI Marc in L’école du silence, Paris, Flammarion, 1998.

GAZIER Augustin, Blaise Pascal et Antoine Escobar, Paris, Champion, 1912.

HURTUBISE Pierre, La casuistique dans tous ses états. De Martin Azpilcueta à Alphonse de Liguori, Ottawa, Novalis, 2005.

PASQUIER Étienne, Le Catéchisme des Jésuites, éd. C. Sutto, Éditions de l’Université de Sherbrooke, 1982.

 

 

Éclaircissements

 

Casuistes.

 

Le casuiste est par définition un théologien qui examine des cas, c’est-à-dire qui évalue la gravité des péchés selon les circonstances et les intentions des pénitents.

Les Provinciales ou les lettres écrites par Louis de Montalte à un provincial et aux révérends pères jésuites, publiées sur la dernière édition revue par Pascal, avec les variantes des éditions précédentes, et leur réfutation consistant en introductions et nombreuses notes historiques, littéraires, philosophiques et théologiques, par M. l’abbé Maynard, chanoine honoraire de Poitiers, I, Paris, Didot 1851, p. 204. Les casuistes sont des jurisconsultes ; ils « sont à l’Évangile ce que les autres sont à la législation ou à la science médicale ». Interprètes de la loi nécessaires aux confesseurs, qui n’ont pas toujours le temps de méditer à fond les textes : p. 205.

Les Provinciales s’en prennent à des casuistes dont le laxisme aboutit à corrompre la morale chrétienne. Voir l’introduction des Provinciales, éd. Cognet, Paris, Garnier, 1983, 1992, etc.

On trouvera des informations dans l’ouvrage de Hurtubise Pierre, La casuistique dans tous ses états. De Martin Azpilcueta à Alphonse de Liguori, Ottawa, Novalis, 2005, p. 62 sq. Pour des précisions plus techniques, voir Boarini Serge, (dir.), La casuistique classique : genèse, formes, devenir, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2009.

On trouve aussi des indications dans les deux ouvrages de Pierre Cariou : Cariou Pierre, Les idéalités casuistiques, 1992, qui s’appuie sur l’exemple du casuiste augustinien Jacques de Sainte-Beuve. Voir aussi du même Cariou Pierre, Pascal et la casuistique, 1993.

Gres-Gayer Jacques M., “Rigoristes et idéalistes, les casuistes de Sorbonne”, in Cottret Bernard, Cottret Monique et Michel Marie-José, Jansénisme et puritanisme, Paris, Nolin, 2002, p. 138-149.

 

Une aumône considérable,

 

Dans la Provinciale VI, Pascal montre comment on peut penser donner une « aumône considérable » en ne donnant en fait fort peu, voire rien du tout. Il suffit à cet effet de savoir bien définir le superflu.

Provinciale VI, éd. Cognet, Garnier, p. 96-97.

« Il est dit dans l’Évangile : Donnez l’aumône de votre superflu. Cependant plusieurs casuistes ont trouvé moyen de décharger les personnes les plus riches de l’obligation de donner l’aumône. Cela vous paraît encore contraire, mais on en fait voir facilement l’accord, en interprétant le mot de superflu, en sorte qu’il n’arrive presque jamais que personne en ait. Et c’est ce qu’a fait le docte Vasquez en cette sorte, dans son traité de l’aumône, c. 4. Ce que les personnes du monde gardent pour relever leur condition et celle de leurs parents, n’est pas appelé superflu. Et c’est pourquoi à peine trouvera-t-on qu’il y ait jamais de superflu dans les gens du monde, et non pas même dans les rois.

Aussi Diana ayant rapporté ces mêmes paroles de Vasquez, car il se fonde ordinairement sur nos pères, il en conclut fort bien. Que dans la question : si les riches sont obligés de donner l’aumône de leur superflu, encore que l’affirmative fût véritable, il n’arrivera jamais, ou presque jamais, qu’elle oblige dans la pratique.

Je vois bien, mon père, que cela suit de la doctrine de Vasquez. Mais que répondrait-on si on objectait, qu’afin de faire son salut, il serait donc aussi sûr selon Vasquez d’avoir assez d’ambition pour n’avoir point de superflu, qui est sûr selon l’Évangile, de n’avoir point d’ambition pour donner l’aumône de son superflu. Il faudrait répondre, me dit-il, que toutes ces deux voies sont sûres selon le même Évangile, l’une selon l’Évangile dans le sens le plus littéral et le plus facile à trouver ; l’autre selon le même Évangile interprété par Vasquez. Vous voyez par là l’utilité des interprétations. »

Sur l’aumône, voir la note de Provinciale VI, 2-3, éd. Cognet, p. 96-97.

Pontas Jean, Dictionnaire des cas de conscience ou décisions, par ordre alphabétique, des plus considérables difficultés touchant la morale et la discipline ecclésiastique, publié par l’abbé Migne, 1847, t. 1, p. 185-186. Article Aumône.

Sur l’aspect social de l’aumône, voir Bluche François (dir.), Dictionnaire du grand siècle, p. 1104 sq., article Œuvres de miséricorde. L’importance de l’aumône se mesure par exemple par le sermon célèbre de Bossuet sur l’éminente dignité des pauvres dans l’Église. Les organisations chrétiennes destinées à venir en aide aux misérables sont très nombreuses, aussi bien du côté des augustiniens que de leurs adversaires. Pascal, lorsqu’il lance l’affaire des carrosses à cinq sols, a pour but d’en verser les bénéfices aux pauvres de Blois, et il en fait don, en fin de compte, aux hôpitaux de Paris. Monsieur Vincent a aussi donné une puissante impulsion aux actions de charité. L’entreprise ne se limitait d’ailleurs pas à l’aspect matériel de la pauvreté ; l’effort portait aussi sur l’enseignement des pauvres.

Rapin René, Mémoires..., II, éd. Aubineau, p. 370 sq. « Rien n’est plus difficile dans la morale que de bien régler en quoi consiste ce superflu... »

Il y a dans ces décisions des casuistes sur l’aumône quelque chose qui devait choquer directement Pascal, chez qui l’aumône et le secours des pauvres a été un souci constant ; voir sur ce point la Vie de Pascal de Gilberte, première version, § 52, OC I, p. 588 : « Cet amour qu’il avait pour la pauvreté le portait à aimer les pauvres avec une tendresse si grande qu’il n’a jamais pu refuser l’aumône quoiqu’il n’en fît que de son nécessaire, ayant peu de bien et étant obligé de faire une dépense qui excédait son revenu à cause de ses infirmités. Mais lorsqu’on lui voulait représenter cela quand il faisait quelque aumône considérable, il se fâchait et disait : « J’ai remarqué une chose, que quelque pauvre qu’on soit, on laisse toujours quelque chose en mourant ». Et ainsi il fermait la bouche ; et il a été quelquefois si avant qu’il s’est réduit à prendre de l’argent au change, pour avoir donné aux pauvres tout ce qu’il avait, et ne voulant pas après cela importuner ses amis. ». Le § 53 rapporte l’emploi que Pascal a fait des bénéfices de l’entreprise des carrosses à cinq sols en faveur des pauvres. Après quoi Gilberte précise en ces termes la pensée de son frère sur la signification du nécessaire et du superflu dans l’aumône, § 54, OC I, éd. J. Mesnard, p. 589 : « Sa charité envers les pauvres avait toujours été fort grande, mais elle était si fort redoublée à la fin de sa vie que je ne pouvais le satisfaire davantage que de l’en entretenir [...]. Il nous disait encore que la fréquentation des pauvres est extrêmement utile, en ce que, voyant continuellement les misères dont ils sont accablés, et que même dans l’extrémité de leur maladies ils manquent des choses les plus nécessaires, qu’après cela il faudrait être bien dur pour ne pas se priver volontairement des commodités inutiles et des ajustements superflus ». Voir aussi le § 68, p. 595, dans lequel Gilberte rapporte une note retrouvée dans les papiers de son frère : « J’aime la pauvreté, parce que Jésus-Christ l’a aimée. J’aime les biens, parce qu’ils donnent le moyen d’en assister les misérables. » Voir le § 80, § 598-599 : « Il fit même son testament pendant ce temps-là, où les pauvres ne furent pas oubliés, et il se fit violence pour ne leur pas donner davantage, car il me dit que si M. Périer eût été à Paris, et qu’il y eût consenti, il aurait disposé de tout son bien en faveur des pauvres. Enfin il n’avait rien dans l’esprit et dans le cœur que les pauvres, et il me disait quelquefois : « D’où vient que je n’ai jamais rien fait pour les pauvres, quoique j’aie toujours eu un si grand amour pour eux ? » Je lui dis : « C’est que vous n’avez jamais eu assez de bien pour leur donner de grandes assistances ». Il me répondit : « Puisque je n’avais pas de bien pour leur en donner, je devais leur avoir donné mon temps et ma peine ; c’est à quoi j’ai failli ; et si les médecins disent vrai, et que Dieu permette que je relève de cette maladie, je suis résolu de n’avoir point d’autre emploi ni d’autre occupation tout le reste de ma vie que le service des pauvres ». Ce sont là les sentiments dans lesquels Dieu l’a pris ». Il est clair que, dans ces dispositions, le pinaillage des casuistes sur le nécessaire et le superflu ne pouvait que heurter Pascal.

Pascal revient sur ce texte dans Provinciale XII, éd. Cognet, p. 220.

« Vous vous plaignez ensuite hautement de ce qu’après avoir rapporté cette maxime de Vasquez : À peine se trouvera-t-il que les gens du monde, et même les Rois, aient jamais de superflu, j’en ai conclu que les riches sont donc à peine obligés de donner l’aumône de leur superflu. Mais que voulez-vous dire, mes Pères ? S’il est vrai que les riches n’ont presque jamais de superflu, n’est-il pas certain qu’ils ne seront presque jamais obligés de donner l’aumône de leur superflu ? Je vous en ferais un argument en forme, si Diana, qui estime tant Vasquez, qu’il l’appelle le Phénix des esprits, n’avait tiré la même conséquence du même principe. Car, après avoir rapporté cette maxime de Vasquez, il en conclut : Que dans la question, savoir si les riches sont obligés de donner l’aumône de leur superflu, quoique l’opinion qui les y oblige fût véritable, il n’arriverait jamais, ou presque jamais, qu’elle obligeât dans la pratique. Je n’ai fait que suivre mot à mot tout ce discours. Que veut donc dire ceci, mes Pères ? Quand Diana rapporte avec éloge les sentiments de Vasquez, quand il les trouve probables, et très commodes pour les riches, comme il le dit au même lieu, il n’est ni calomniateur ni faussaire, et vous ne vous plaignez point qu’il lui impose : au lieu que, quand je représente ces mêmes sentiments de Vasquez, mais sans le traiter de phénix, je suis un imposteur, un faussaire et un corrupteur de ses maximes. »

On trouve dans les Pensées un texte préparatoire à diverses questions de casuistique, parmi lesquelles figure l’aumône :

Laf. 958, Sel. 793. C’est à quoi sert Diana. [...] 11. Et ailleurs l’on n’est pas obligé de donner l’aumône de son superflu dans les communes nécessités des pauvres. Si le contraire était vrai il faudrait condamner la plupart des riches et de leurs confesseurs. Ces raisons-là m’impatientaient lorsque je dis au Père : mais qui empêche de dire qu’ils le sont ? C’est ce qu’il a prévu aussi en ce lieu me répondit-il, ou après avoir dit 22. Si cela était vrai les plus riches seraient damnés il ajoute : à cela Arragonius répond qu’ils le sont aussi et Bauny, jésuite ajoute, de plus, que leurs confesseurs le sont de même mais je réponds avec Valentia, autre jésuite, et d’autres auteurs qu’il y a plusieurs raisons pour excuser ces riches et leurs confesseurs.

 

une pénitence raisonnable :

 

La Provinciale X, éd. Cognet, Garnier, p. 174-177, traite de la pénitence, et révèle plusieurs décisions des casuistes qui permettent de faire une pénitence qui ne coûte aucune peine.

« Tout cela néanmoins, dit-il, ne serait rien, si on n’avait de plus adouci la pénitence, qui est une des choses qui éloignait davantage de la confession. Mais maintenant les plus délicats ne la sauraient plus appréhender, après ce que nous avons soutenu dans nos thèses du collège de Clermont : Que si le Confesseur impose une pénitence convenable, convenientem, et qu’on ne veuille pas néanmoins l’accepter, on peut se retirer en renonçant à l’absolution et à la pénitence imposée. Et Escobar dit encore dans la pratique de la pénitence selon notre société, tr. 7. ex. 4. n. 188. Que si le pénitent déclare qu’il veut remettre à l’autre monde à faire pénitence, et souffrir en purgatoire toutes les peines qui lui sont dues, alors le confesseur doit lui imposer une pénitence bien légère pour l’intégrité du sacrement, et principalement s’il reconnaît qu’il n’en accepterait pas une plus grande. Je crois, lui dis-je, que si cela était on ne devrait plus appeler la confession le sacrement de pénitence. Vous avez tort, dit-il, car au moins on en donne toujours quelqu’une pour la forme. Mais, mon père, jugez-vous qu’un homme soit digne de recevoir l’absolution quand il ne veut rien faire de pénible pour expier ses offenses ? Et quand des personnes sont en cet état, ne devriez-vous pas plutôt leur retenir leurs péchés, que de les leur remettre ? Avez-vous l’idée véritable de votre ministère, et ne savez-vous pas que vous y exercez le pouvoir de lier et de délier ? Croyez-vous qu’il soit permis de donner l’absolution indifféremment à tous ceux qui la demandent, sans reconnaître auparavant si Jésus-Christ délie dans le ciel ceux que vous déliez sur la terre. Hé quoi, dit le père, pensez-vous que nous ignorions que le confesseur doit se rendre juge de la disposition de son pénitent, tant parce qu’il est obligé de ne pas dispenser les sacrements à ceux qui en sont indignes, Jésus-Christ lui ayant ordonné d’être dispensateur fidèle, et de ne pas donner les choses saintes aux chiens ; que parce qu’il est juge, et que c’est le devoir d’un juge de juger justement en déliant ceux qui en sont dignes, et liant ceux qui en sont indignes : et aussi parce qu’il ne doit pas absoudre ceux que Jésus-Christ condamne. De qui sont ces paroles-là, mon père ? De notre père Filiutius, répliqua-t-il, to. I. tr. 7. n. 354. Vous me surprenez, lui dis-je ; je les prenais pour être d’un des Pères de l’Église. Mais, mon Père, ce passage doit bien étonner les confesseurs, et les rendre bien circonspects dans la dispensation de ce sacrement, pour reconnaître si le regret de leurs pénitents est suffisant, et si les promesses qu’ils donnent de ne plus pécher à l’avenir, sont recevables. Cela n’est point du tout embarrassant, dit le père ; Filiutius n’avait garde de laisser les confesseurs dans cette peine, et c’est pourquoi il leur donne ensuite de ces paroles cette méthode facile pour en sortir. Le confesseur peut aisément se mettre en repos touchant la disposition de son pénitent. Car s’il ne donne pas des signes suffisants de douleur, le confesseur n’a qu’à lui demander s’il ne déteste pas le péché dans son âme, et s’il répond qu’oui, il est obligé de l’en croire. Et il faut dire la même chose de la résolution pour l’avenir, à moins qu’il y eût quelque obligation de restituer, ou de quitter quelque occasion prochaine. Pour ce passage, mon père, je vois bien qu’il est de Filiutius. Vous vous trompez, dit le père, car il a pris tout cela mot à mot de Suarez, in 3 par. to. 4. disp. 32. sect. 2. n. 2. Mais, mon père, ce dernier passage de Filiutius détruit ce qu’il avait établi dans le premier. Car les confesseurs n’auront plus le pouvoir de se rendre juges de la disposition de leurs pénitents, puisqu’ils sont obligés de les en croire sur leur parole, lors même qu’ils ne donnent aucun signe suffisant de douleur. Est-ce qu’il y a tant de certitude dans ces paroles qu’on donne, que ce seul signe soit convaincant ? Je doute, que l’expérience ait fait connaître à vos pères, que tous ceux qui leur font ces promesses, les tiennent ; et je suis trompé s’ils n’éprouvent souvent le contraire. Cela n’importe, dit le père, on ne laisse pas d’obliger toujours les confesseurs à les croire. Car le p. Bauny, qui a traité cette question à fond dans sa Somme des péchés, c. 46. p. 1090, 1091 et 1092, conclut, que toutes les fois que ceux qui récidivent souvent sans qu’on y voie aucun amendement, se présentent au confesseur, et lui disent qu’ils ont regret du passé, et bon dessein pour l’avenir, il les en doit croire sur ce qu’ils le disent, quoiqu’il soit à présumer telles résolutions ne passer pas le bout des lèvres. Et quoiqu’ils se portent ensuite avec plus de liberté et d’excès que jamais dans les mêmes fautes, on peut néanmoins leur donner l’absolution selon mon opinion. Voilà je m’assure tous vos doutes bien résolus. »

Orcibal Jean, La spiritualité de Saint-Cyran, Paris, Vrin, 1962, p. 119. Le concile de Trente déclare prévaricateur le prêtre qui accorde des pénitences trop légères.

 

encore qu’on ne puisse assigner le juste, on voit bien ce qui ne l’est pas. Les casuistes sont plaisants de croire pouvoir interpréter cela comme ils font.

 

Passage intéressant dans la mesure où il permet d’établir une relation entre les considérations épistémologiques de L’esprit géométrique, la critique des casuistes dans les Provinciales, et celle du pyrrhonisme dans les Pensées.

Voir De l’Esprit géométrique, § 26, OC III, éd. J. Mesnard, p. 403-404. « C’est une maladie naturelle à l’homme, de croire qu’il possède la vérité directement ; et de là vient qu’il est toujours disposé à nier tout ce qui lui est incompréhensible ; au lieu qu’en effet il ne connaît naturellement que le mensonge, et qu’il ne doit prendre pour véritables que les choses dont le contraire lui paraît faux. Et c’est pourquoi, toutes les fois qu’une proposition est inconcevable, il faut en suspendre le jugement et ne pas la nier à cette marque, mais en examiner le contraire ; et si on le trouve manifestement faux, on peut hardiment affirmer la première, tout incompréhensible qu’elle est. »

Voir Miracles III (Laf. 905, Sel. 450). Pyrrhonisme. Chaque chose est ici vraie en partie, fausse en partie. La vérité essentielle n’est point ainsi, elle est toute pure et toute vraie. Ce mélange la déshonore et l’anéantit. Rien n’est purement vrai et ainsi rien n’est vrai en l’entendant du pur vrai. On dira qu’il est vrai que l’homicide est mauvais : oui, car nous connaissons bien le mal et le faux. Mais que dira-t-on qui soit bon ? La chasteté ? Je dis que non, car le monde finirait. Le mariage ? non, la continence vaut mieux. De ne point tuer ? non, car les désordres seraient horribles, et les méchants tueraient tous les bons. De tuer ? non, car cela détruit la nature. Nous n’avons ni vrai, ni bien que en partie, et mêlé de mal et de faux.

 

-------

Gens qui s’accoutument à mal parler et à mal penser.

 

Pascal montre ici que les casuistes pratiquent le contraire de ce que le fragment Infini rien, Preuves par discours I (Laf. 418, Sel. 680) conseille à l’incrédule : faire le nécessaire pour apprendre à bien penser et à acquérir une foi humaine, qui peut devenir la voie vers la foi divine. Mais on peut aussi, comme les casuistes, à s’accoutumer à mal penser. Le fait que les casuistes parlent mal est rendu évident par l’exposé des méthodes de la casuistique dans les Provinciales, notamment par la manière dont ils manipulent les définitions des mots tels que superflu, duel, assassin et les interprétations (Provinciales V à X).

Les casuistes s’accoutument ainsi à mal penser, comme les Provinciales le montrent. Naturellement, le même reproche de penser mal s’applique aussi aux fidèles qui suivent les opinions probables des casuistes. Voir par exemple la manière dont les casuistes justifient par un raisonnement sophistique le recours à la sorcellerie, ou montrent qu’un juge peut conserver les gains qu’il a faits en rendant un jugement injuste, Provinciale VIII, éd. Cognet, Garnier, p. 147-149.

Sur la logique des casuistes, voir Descotes Dominique, “Les Provinciales et l’axiomatique des probabilités”, in La campagne des Provinciales, Chroniques de Port-Royal, 58, Paris, 2008, p. 189-197.

Transition 6 (Laf. 200, Sel. 232). Toute notre dignité consiste donc en la pensée. C’est de là qu’il faut nous relever et non de l’espace et de la durée, que nous ne saurions remplir. Travaillons donc à bien penser : voilà le principe de la morale.

 

-------

Leur grand nombre, loin de marquer leur perfection, marque le contraire.

 

Il s’agit du grand nombre des casuistes et de leurs livres.

Premier écrit pour les curés de Paris, in Les Provinciales, éd. Cognet, Garnier, p. 407-409.

« Ces opinions accommodantes ne commencèrent pas par cet excès, mais par des choses moins grossières, et qu’on proposait seulement comme des doutes. Elles se fortifièrent peu à peu par le nombre des sectateurs, dont les maximes relâchées ne manquent jamais : de sorte qu’ayant déjà formé un corps considérable de casuistes qui les soutenaient, les ministres de l’Église, craignant de choquer ce grand nombre, et espérant que la douceur et la raison seraient capables de ramener ces personnes égarées, supportèrent ces désordres avec une patience qui a paru par l’événement, non seulement inutile, mais dommageable : car, se voyant ainsi en liberté d’écrire, ils ont tant écrit en peu de temps, que l’Église gémit aujourd’hui sous cette monstrueuse charge de volumes. La licence de leurs opinions, qui s’est accrue avec le nombre de leurs livres, les a fait avancer à grands pas dans la corruption des sentiments et dans la hardiesse de les proposer. Ainsi les maximes qu’ils n’avaient jetées d’abord que comme de simples pensées furent bientôt données pour probables ; ils passèrent de là à les produire pour sûres en conscience, et enfin pour aussi sûres que les opinions contraires, par un progrès si hardi, qu’enfin les puissances de l’Église commençant à s’en émouvoir, on fit diverses censures de ces doctrines. L’Assemblée générale de France les censura en 1642, dans le livre du P. Bauny Jésuite, où elles sont presque toutes ramassées ; car ces livres ne font que se copier les uns les autres. La Sorbonne les condamna de même ; la Faculté de Louvain ensuite, et feu M. l’Archevêque de Paris aussi, par plusieurs censures. De sorte qu’il y avait sujet d’espérer que tant d’autorités jointes ensemble arrêteraient un mal qui croissait toujours. Mais on fut bien éloigné d’en demeurer à ce point : le P. Héreau fit, au Collège de Clermont, des leçons si étranges pour permettre l’homicide, et les PP. Flahaut et Le Court en firent de même à Caen de si terribles pour autoriser les duels, que cela obligea l’Université de Paris à en demander justice au Parlement, et à entreprendre cette longue procédure qui a été connue de tout le monde. Le P. Héreau ayant été, sur cette accusation, condamné par le Conseil à tenir prison dans le Collège des Jésuites, avec défenses d’enseigner dorénavant, cela assoupit un peu l’ardeur des casuistes ; mais ils ne faisaient cependant que préparer de nouvelles matières, pour les produire toutes à la fois en un temps plus favorable.

En effet, on vit paraître, un peu après, Escobar, le P. Lamy, Mascarenhas, Caramuel et plusieurs autres, tellement remplis des opinions déjà condamnées, et de plusieurs nouvelles plus horribles qu’auparavant, que nous, qui, par la connaissance que nous avons de l’intérieur des consciences, remarquions le tort que ces dérèglements y apportaient, nous nous crûmes obligés à nous y opposer fortement. Ce fut pourquoi nous nous adressâmes, les années dernières, à l’Assemblée du Clergé qui se tenait alors, pour y demander la condamnation des principales propositions de ces derniers auteurs, dont nous leur présentâmes un extrait. »

Wendrock dit à peu près la même chose dans la Dissertation théologique sur la probabilité en note de la Ve Provinciale, Section VI, § III, Que les casuistes n’ont pas plus d’autorité pour avoir beaucoup écrit ; mais qu’au contraire ils en ont moins.

« Mais peut être les jésuites donnent-ils beaucoup d’autorité à leurs docteurs, parce qu’ils ont beaucoup écrit ; comme si ce n’était pas encore là un surcroit de témérité à eux d’avoir osé tant écrire, étant si peu capables de le faire, et si peu instruits des véritables règles de la morale. L’Église avait été florissante pendant quinze siècles avant qu’on eût vu naître cette multitude de casuistes. Bellarmin qui a fait un catalogue des auteurs ecclésiastiques ne compte depuis le commencement de l’Église jusqu’en 1650 que douze casuistes, dans cette longue suite d’années.

Il ne faut pas croire, que ce soit par un effet du hasard, qu’il y ait eu si peu de ces auteurs. Mais c’est qu’on a toujours regardé comme une chose très périlleuse, et où il était facile de faire des fautes, que de traiter du fond du cœur de l’homme, de l’énormité des crimes, de la distinction des péchés mortels et des péchés véniels, de la qualité et de la mesure de la pénitence qu’on doit imposer, et que l’on a cru que l’on avait besoin, pour le faire comme il faut, d’une grande circonspection et d’une prudence presque divine, qui se rencontre en très peu de personnes, toutes ces difficultés ont fait juger aux anciens, qui avaient beaucoup plus de piété et de lumière que nous, que c’était assez d’établir des principes généraux de morale : et il s’en est trouvé très peu qui aient voulu entreprendre d’expliquer toute la morale entière.

Mais on voit maintenant cette partie la plus difficile de la science ecclésiastique, comme en proie à des gens téméraires, qui n’ont ni mérite ni capacité, et qui la défigurent pitoyablement. Il n’y a personne qui ne s’y croie propre, et qui ne se mêle d’écrire sur ce sujet. De là est venue cette nuée de casuistes, qui semblables à ces grenouilles qui couvrirent autrefois toute l’Égypte, se sont répandus dans toute l’Église, et n’ont presque rien laissé dans la morale qu’ils n’aient altéré et corrompu.

Le fameux Petrus Aurelius dépeint d’une manière admirable ce malheur de nos temps. « Toute la terre, dit-il [in vindiciis p. 241], commence à se voir comme accablée sous le poids de ce grand nombre de méchants livres qui se multiplient tous les jours, et qui rebattent sans cesse les mêmes pauvretés. Et c’est presque aux jésuites seuls que la théologie est redevable de cette fécondité funeste de nos temps. Car depuis leur naissance, il s’est élevé une infinité de misérables auteurs, qui comme un essaim de guêpes infectent le miel de la sainte doctrine, et sont à charge à tout ce qu’il y a de véritables savants. Jusque là on avait conservé quelque pudeur, et quelque retenue dans ce que l’on donnait au public, et on n’osait mettre au jour des ouvrages de théologie qui ne valussent au moins la peine d’être lus. Mais présentement l’ambition des jésuites, et l’émulation d’une fausse gloire, qui s’est communiquée aux particuliers de ce grand corps, qui n’ont pour la plupart guère plus d’élévation, que le simple peuple, a tellement gâté leur esprit, qu’elle a étouffé en eux les sentiments naturels qu’inspirent la pudeur, et toutes les lumières du bon sens : de sorte qu’ils se font un honneur d’exposer aux yeux de tout le monde leurs relâchements, comme si c’était trop peu d’extravaguer en secret. Ce qui fait qu’on peut dire que notre siècle, que les jésuites élèvent si fort, et que leur amour propre leur fait quelquefois préférer à tous les siècles, où il n’y avait point encore de jésuites, n’est pas comme ils le disent un siècle florissant en toutes sortes de sciences, mais plutôt un siècle où l’ignorance ose se produire avec la dernière effronterie. Car dans cette foule prodigieuse de gens qui s’empressent d’écrire, on en trouve si peu, pour une si grande multitude, qui aient une connaissance exacte des choses qu’ils traitent, qui écrivent avec le jugement et la prudence nécessaire, qui sachent faire un juste discernement de ce qu’il faut dire, et de ce qu’il ne faut pas dire : et on en trouve au contraire un si grand nombre qui n’ont point d’autre mérite, qu’un babil sans choix et sans ordre, et une hardiesse téméraire à parler des choses qu’ils savent le moins, et qu’ils ont le moins méditées, qui s’écartent sans cesse des sources pures où l’on doit puiser la vérité, qui répètent jusqu’à l’ennui les choses les plus communes, et les plus triviales ; et qui enfin n’ont ni l’esprit ni la capacité que demandent les sujets dont ils traitent ; qu’il est bien moins surprenant que notre siècle ait si peu produit d’hommes capables de remédier à ces maux, qu’il ne l’est qu’il en ait produit un si grand nombre, qui aient osé nous débiter un amas de visions qui ne sont propres qu’à séduire le peuple ignorant, et les demi savants qui font, et qui ont toujours fait la plus grande partie du monde. »

Et parlant nommément des casuistes Nicole poursuit :

« Mais les plus insupportables de tous, ajoute-t-il, ce sont ces compilateurs de théologie morale, d’œuvres morales, et de règle de morale, dont la plupart sont jésuites. Car je ne sais par quel destin il est comme naturel à la Société d’enfanter tous les ans quelque ouvrage de ce genre. À n’en examiner que le titre, ils promettent toujours quelque chose de grand, de singulier, de fort élevé au-dessus de la poussière, et de la routine des écoles, et du goût des esprits grossiers, et des gens du commun. Mais quand on vient à examiner les choses à fond, on n’y trouve que des forfanteries, des sottises cent fois rebattues, certaines divisions de morale commune dans l’école, et les mêmes questions que tous les commentateurs de saint Thomas ont coutume d’agiter, et dont ceux-ci ne font que retrancher de certaines subtilités qui sont à ce qu’ils prétendent, trop abstraites : de sorte qu’au fond c’est toujours la même chose, sinon pour la matière, au moins pour la forme et la manière de traiter, et que sous les différents noms d’institutions morales, explication du décalogue, etc. qu’ils donnent à leurs livres, c’est toujours la somme de saint Thomas qu’ils nous présentent, tantôt dans un ordre, et tantôt dans un autre, imitant en cela ces mauvais traiteurs que la nécessité oblige de déguiser, et de servir plusieurs fois les mêmes mets ».

 

-------

L’humilité d’un seul fait l’orgueil de plusieurs.

 

Les jésuites ont très tôt fait l’objet d’accusations d’orgueil de la part de leurs ennemis. On ne songe pas en général à reconnaître la piété et l’humilité de certains jésuites en particulier. Mais la compagnie de Jésus, prise en corps, est supposée animée par un esprit et une fierté collectifs.

L’arrogance des jésuites est un thème qui remonte à la création de la Compagnie. C’est un des griefs constant de la part d’Étienne Pasquier : voir Pasquier Étienne, Le Catéchisme des Jésuites, éd. C. Sutto, Éditions de l’Université de Sherbrooke, 1982, p. 99. La raison de cet orgueil, c’est que les jésuites croient que leurs fantasques décisions sont des articles de foi : p. 316.

Le texte le plus célèbre que Pascal a pu connaître est le Plaidoyer prononcé en juillet 1594, par Antoine Arnauld l’Avocat contre les jésuites. Sur Arnauld l’Avocat, voir l’article qui lui est consacré dans le Dictionnaire de Port-Royal. Voir aussi dans Arnauld Antoine (le théologien, son fils), Œuvres, XXIX, p. XII, un rappel des événements qui ont amené ce plaidoyer contre les jésuites. Arnauld l’Avocat y attaque violemment les jésuites, dont l’Université demande et obtient, le 8 janvier 1595, l’expulsion de France. La Compagnie de Jésus gardera longtemps le souvenir de ce Plaidoyé.

Voir aussi la lettre de Guy Patin à Spon du 26 décembre 1656, GEF VI, p. 306, lors de la sortie de la Provinciale XVI : « Je ne sais si les jésuites pourront bien se taire, combien qu’ils aient très mauvais jeu ; mais ces carabins sont si glorieux, que lors même qu’ils ont tort, ils veulent triompher de tout le monde ». Un carabin est un « chevau-léger armé d’une petite arme à feu qui tire avec un rouet. Ces cavaliers qui faisaient autrefois des compagnies séparées, et quelquefois des régiments, servaient à la garde des officiers généraux, à se saisir des passages, à charger les premières troupes que l’ennemi faisait avancer, et à les harceler dans leurs postes ; souvent aussi ils ne faisaient que lâcher leur coup, et ils se retiraient. Il n’y en a plus guère que parmi les gardes du corps. On appelle figurément un carabin celui qui entre en quelque compagnie sans s’y arrêter longtemps, qui ne fait que tirer son coup et s’en va » (Furetière).

L’autosatisfaction de la Compagnie de Jésus s’est exprimée surtout dans l’Imago primi Saeculi Societatis Jesu, Anvers, 1640 in folio, 952 p. : voir l’étude de Fumaroli Marc in L’école du silence, Paris, Flammarion, 1998, p. 445 sq. Œuvre collective des jésuites sous la direction du P. Jean Bolland, ce livre est destiné à célébrer le premier centenaire de la Société ; c’est un modèle de style asianiste jésuite des années 1600-1640, entièrement rédigé dans une optique de la louange de la Société, par hyperbolisation constante des idées et des faits à la gloire de la Compagnie (à quoi s’opposent directement les Provinciales comme style atticiste parisien). Cette publication a choqué beaucoup de monde dans les milieux gallicans ; elle a suscité des protestations de la part de Sacy (Les Enluminures, 1644), de Pontchâteau et Arnauld (Morale pratique des jésuites, Œuvres, XXXII, p. 45 sq.), Barbier d’Aucour (Onguent pour la brûlure) : tous reviennent sur l’accusation de délire d’amour-propre de la Compagnie de Jésus, qui se substitue à Dieu dans l’adoration des fidèles. L’Imago apparaît comme une preuve de l’orgueil collectif des jésuites. Marc Fumaroli a effectué un renversement de perspective : ce que la Compagnie dit qu’elle fait après s’être humiliée devant Dieu, ne se portant gloire qu’après cette humiliation, les ennemis des jésuites y voient une ruse de l’amour-propre collectif. Mais l’esprit de corps qu’on reproche à la société n’est pas l’égoïsme d’un corps profane ; le sentiment collectif de la Société de ne pas être séparée du corps mystique du Christ n’engendre pas une pure et simple vanité mondaine : c’est une dimension nécessaire de la vie en Christ. Le livre veut être une histoire nécessaire pour donner aux nouvelles générations de jésuites les exempla des anciennes générations pour mieux faire corps : de là une rhétorique de fête collective, avec chants, emblèmes, carmina, fête à laquelle les doctes aussi sont conviés.

 

Gravure de l’Imago primi saeculi (BNF).

Le Maistre de Sacy a ironiquement résumé en vers les vantardises arrogantes des jésuites dans les Enluminures du fameux almanach des Pères jésuites intitulé La déroute et la confusion des jansénistes ou Triomphe de Molina jésuite sur saint Augustin, X, p. 41 sq., slnd., qui répondait à une gravure distribuée par les jésuites pour discréditer Port-Royal.

« Qu’on lise cette altière IMAGE,

Où vous-mêmes rendez hommage

À cette idole de grandeur

Dont le temple est dans votre cœur :

On vous verra dans vos louanges

Vous dépeindre comme des Anges,

Et les vains les plus effrontés

Rougiront de vos vanités.

, les sciences exilées

Vos Aigles, vos Phœnix nouveaux,

En sont les illustres flambeaux.

L’Église en ses mœurs affaiblie

Par votre zèle est rétablie

Et possède en vous ce trésor

Qui lui ramène un siècle d’or. 

Parmi vous ce sont tous miracles :

Autant d’hommes, autant d’oracles.

Si l’Église a quatre Docteurs,

Elle en a cent en vos Auteurs.

Vous éclairez toute la terre :

Vous estes des foudres de guerre :

Non moins puissants ni moins hardis

Que le grand Samson fut jadis.

Vous naissez tous le casque en teste :

Dans la plus horrible tempête

Vos intrépides champions

Sont plus fermes que des lions. »

Pascal lui-même s’en prend à cet Almanach dans la Ve Provinciale, éd. Cognet, Garnier, p. 72-73, qui s’ouvre comme suit :

« Voici ce que je vous ai promis. Voici les premiers traits de la Morale des bons Pères Jésuites, de ces hommes éminents en doctrine et en sagesse ; qui sont tous conduits par la sagesse divine, qui est plus assurée que toute la Philosophie. Vous pensez peut-être que je raille : je le dis sérieusement, ou plutôt ce sont eux-mêmes qui le disent dans leur livre intitulé Imago primi saeculi. Je ne fais que copier leurs paroles aussi bien que dans la suite de cet éloge : C’est une société d’hommes, ou plutôt d’Anges, qui a été prédite par Isaïe en ces paroles : Allez, anges prompts et légers. La prophétie n’en est-elle pas claire ? Ce sont des esprits d’aigles ; c’est une troupe de phénix ; un auteur ayant montré depuis peu qu’il y en a plusieurs. Ils ont changé la face de la Chrétienté. Il le faut croire puisqu’ils le disent. »

Le jésuite Gabriel Daniel a tenté de défendre sa compagnie et de discuter la thèse de l’orgueil des jésuites. Il critique, mais avec beaucoup de retard, les raisonnements de Pascal à ce sujet dans ses Entretiens de Cléandre et d’Eudoxe, 1697, p. 40 sq.