Pensées diverses IV – Fragment n° 1 / 23 – Papier original : RO 221-2

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 151 p. 385 / C2 : p. 347

Éditions savantes : Faugère II, 403 / Brunschvicg 754 / Tourneur p. 111-3 / Le Guern 622 / Lafuma 730 (série XXVI) / Sellier 612

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Bibliographie

 

 

PASCAL, Œuvres complètes, III, Paris, Desclée de Brouwer, 1991, p. 185 sq.

Pascal et la Bible, Paris, Vrin, 1931.

 

 

Éclaircissements

 

CC.

 

Toutes les citations sont tirées de l’Évangile de saint Jean. Seules les 3 premières citations sont marquées CC. Le 4e texte est aussi de saint Jean, mais ne porte pas la mention CC.

Cette mention CC. semble n’avoir reçu aucune interprétation satisfaisante.

La plupart des éditions remarquent que le fragment a trait aux contradictions. M. Le Guern est le seul à proposer une interprétation qui tente de rendre compte du redoublement du C, éd. Pléiade, II, p. 1522 : « quel que soit le sens de cette abréviation, il s’agit ici, semble-t-il, de contradictions conciliées ». Cependant cette hypothèse ad hoc se heurte au fait qu’il n’est pas question dans le fragment de conciliation de contradictions : seules les propositions contradictoires elles-mêmes sont formulées. Du reste, si Pascal avait voulu écrire contradictions conciliées, il l’aurait vraisemblablement inscrit comme titre.

On pourrait imaginer que les deux lettres sont les initiales d’un titre, et chercher du côté des ouvrages de Jansénius de Gand (à ne pas confondre avec l’auteur de l’Augustinus), qui a composé des Commentaria in suam Concordiam ac totam historiam evangelicam (Louvain, 1571-1572), dont Lhermet a pensé faire l’une des sources de Pascal : voir Pascal et la Bible, p. 112-119 ; et OC III, éd. J. Mesnard, p. 188-189. L’examen de cet ouvrage ne semble cependant pas confirmer cette hypothèse. Sur cet auteur et son rapport avec ceux de Port-Royal, voir Chédozeau Bernard, Port-Royal et la Bible. Un siècle d’or de la Bible en France, 1650-1708, Paris, Nolin, 2007, p. 177 sq.

Je proposerais plutôt de renvoyer à l’Historia et Concordia evangelica d’Antoine Arnauld, dans l’édition de Savreux, 1653, dont on sait que Pascal a fait usage pour composer l’Abrégé de la vie de Jésus-Christ. Voir sur ce point OC III, éd. J. Mesnard, p. 187 sq.

À la fin de la Concordia d’Arnauld figurent plusieurs index synoptiques consacrés aux quatre évangélistes, qui permettent au lecteur de retrouver les passages, avec les correspondances entre les auteurs sacrés.

L’Index quintus capitum et versiculorum Joannis comporte, comme les autres, deux colonnes à droite et à gauche en tête desquels se trouvent des lettres qui renvoient aux autres évangélistes, A et B à gauche pour Matthieu et Marc, et C à droite pour Luc : voir sur cette disposition ce qu’écrit J. Mesnard, OC III, p. 191-192. La quatrième colonne est intitulée Cõc. ou Con. (pour Concordia). Elle est destinée à renvoyer le lecteur aux chapitres de la Concordia où figurent les passages concernés. Les quatre lettres de l’index consacré à saint Jean sont donc A (Matthieu) et B (Marc) à gauche, et C (Luc) et Con. à droite. Voir ci-dessous l’endroit répondant aux chapitres X et XI de saint Jean.

Arnauld use du procédé des chronologistes qui exploitent plusieurs sources. La colonne centrale donne les événements selon l’Évangile de Jean. Aujourd’hui encore, dans la Bible de Jérusalem on trouve, dans la marge de chaque Évangile, la référence des passages correspondants des autres évangélistes. Dans l’image de la Concordia d’Arnauld ci-dessous, à Jean X, 40, qui note le passage du Christ sur l'autre rive du Jourdain, correspondent deux passages, l’un de Matthieu et l’autre de Marc ; lorsqu’une colonne est vide, comme c’est le cas ici dans la colonne C, c’est qu’aucun passage ne correspond.

 

 

Saint Jean est évidemment le seul à présenter cette particularité : l’index de Luc par exemple porte A et C à gauche, et D et Con. à droite.

La mention CC. serait donc une référence prise sur l’ouvrage d’Arnauld en vue de l’exploitation ultérieure de l’Évangile de Jean. L’abréviation Con. pour Concordia justifie le point qui se trouve après le second C.

Il n’en demeure pas moins que, pour le sens, le fragment contient bien une liste de propositions contradictoires. Cependant rien n’indique que Pascal envisageait de procéder à leur conciliation. La comparaison avec les textes originaux montre même que Pascal saute précisément les passages qui apportent un début d’explication.

 

CC. Homo existens te Deum facis.

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CC. Scriptum est : Dii estis et non potest solvi Scriptura.

 

Extraits de l’Évangile de Jean, X, 33-36.

« Responderunt ei Judaei : De bono opere non lapidamus te, sed de blasphemia, et quia tu, homo cum sis, facis te ipsum Deum. 34. Respondit eis Jesus : Nonne scriptum est in lege vestra : Quia ego dixi : dii estis ? 35. Si illos dixit deos, ad quos sermo Dei factus est, et non potest solvi Scriptura, 36. Quem Pater sanctificavit, et misit in mundum, vos dicitis : Quia blasphemas, quia dixi : Filius Dei sum ? ».

Traduction de Port-Royal : « Les Juifs lui répondirent : Ce n’est pas pour aucune bonne œuvre que nous vous lapidons, mais à cause de votre blasphème, et parce qu’étant homme vous vous faites Dieu. 34. Jésus leur repartit : N’est-il pas écrit dans votre loi : J’ai dit que vous êtes des dieux ? 35. Si donc elle appelle dieux ceux à qui la parole de Dieu était adressée, et que l’Écriture ne puisse être détruite, 36. Pourquoi dites-vous que je blasphème, moi que mon Père a sanctifié, et envoyé dans le monde, parce que j’ai dit que je suis Fils de Dieu ? ».

Le texte est donné dans la Concordia d’Arnauld, p. 258 de l’édition de Savreux, 1653, mais en termes un peu différents de Pascal. « De bono opere non lapidamus te, sed de blasphemia ; et quia tu homo cum sis, facis teipsum Deum. Respondit eis Jesus : Nonne scriptum est in lege vestra, quia ego dixi, dii estis ? »

Pascal écrit Homo existens te Deum facis. Cependant existens ne se trouve ni dans la Vulgate, ni dans Vatable, ni dans le Nouveau Testament de Mons.

Commentaire de Port-Royal sur ce passage :

« Comme les Juifs ne pouvaient comprendre cette grande vérité, trop opposée à leur orgueil. Un Dieu fait homme, et conversant avec les hommes, Jésus-Christ se sert d’un passage de l’Écriture, qu’ils n’osaient pas rejeter ; pour les convaincre du tort qu’ils avaient de s’élever contre lui, et de le traiter de blasphémateur, pour avoir dit qu’il était le fils de Dieu. Ce passage n’est point tiré du Pentateuque de Moïse, qu’on nomme ordinairement la loi des Juifs, mais des Psaumes : ainsi la loi, en ce lieu [Ps. 81, 6], se prend pour tout l’Ancien Testament, qu’ils regardaient comme la règle de leur conduite. Dieu parlant dans le 81e Psaume à ceux qui sont établis juges de son peuple, et leur apprenant à s’acquitter de ce ministère selon l’équité, sans avoir aucun égard aux personnes, les nomme des dieux, et les enfants du Très-Haut, à cause de cette haute dignité qui les rendait les images de celui qui étant le Dieu souverain, leur communiquait une partie de sa puissance. C’est aussi le nom que la loi même de Moïse donne à ces juges, lorsqu’elle défend aux Juifs de parler mal des dieux, et de maudire les princes du peuple. Car ceux qui sont établis pour juger les peuples, deviennent en quelque façon semblables à Dieu dans cette fonction si relevée qui n’appartient proprement qu’à lui. Si donc l’Écriture, qu’on ne peut détruire, c’est-à-dire, dont la vérité est incontestable, appelle dieux ceux à qui la parole de Dieu était adressée, ou à qui Dieu parlait alors ; comment les Juifs accusaient-ils de blasphème celui que le Père avait sanctifié et envoyé dans le monde, à cause qu’il s’était dit le fils de Dieu ?

C’est la manière très modérée, et en même temps très convaincante, dont Jésus réfute l’accusation des pharisiens : car c’est de même que s’il leur eût dit qu’il était sans comparaison plus juste que celui à qui le Père éternel avait communiqué sa sainteté essentielle, en l’engendrant de toute éternité comme son fils, fût nommé le fils de Dieu, et reconnu Dieu par sa nature ; puisque ces juges qui n’avaient reçu de Dieu qu’une petite portion de sa puissance, étaient néanmoins nommés des dieux. [Rom. I, 4] Et si même ils le regardaient comme homme, ils ne pouvaient point contester non plus la qualité de fils de Dieu à celui qui étant né, selon la chair, du sang de David, avait été sanctifié d’une façon toute singulière par le Saint-Esprit, et prédestiné, comme dit saint Paul, pour être fils de Dieu dans une souveraine puissance, par l’union ineffable qui s’était faite dans l’Incarnation, de la nature divine avec la nature humaine ».

Voir aussi le commentaire du Psaume LXXXI, 6-8, qui reprend le passage de saint Jean. NB : certaines impressions de l’Évangile de Jean traduit par Port-Royal renvoient par erreur au Psaume 18. Cette référence n’est pas recevable.

 

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CC. Hic morbus Haec infirmitas non est ad mortem et est ad mortem.

 

Pascal a d’abord écrit morbus (c’est-à-dire maladie). Infirmitas insiste plutôt sur la faiblesse ou la débilité. En latin, morbus est un masculin, qui doit être précédé du démonstratif hic. En revanche, infirmitas est féminin, et ne peut être précédé que par haec. La correction explique la difficulté de la lecture du manuscrit.

Jean, XI, 4. « Audiens autem Jesus dixit eis infirmitas haec non est ad mortem sed pro gloria Dei ut glorificetur Filius Dei per eam ». Tr. de Port-Royal : « Ce que Jésus ayant entendu, il dit : Cette maladie ne va point à la mort, mais elle n’est que pour la gloire de Dieu, et afin que le fils de Dieu en soit glorifié ».

La Concordia, ch. CII, p. 286 donne : « Infirmitas haec non est ad mortem, sed pro gloria, ut glorificetur Filius Dei per eam ».

Pascal oppose à non est ad mortem l'affirmation contraire, est ad mortem.

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Lazarus dormit et deinde manifeste dixit : Lazarus mortuus est.

 

Jean, XI, 11-14. « Haec ait, et post haec dicit eis : Lazarus amicus noster dormit, sed vado ut a somno exsuscitem eum. 12. Dixerunt ergo discipuli ejus : Domine, si dormit salvus erit. 13. Dixerat autem Jesus de morte ejus. Illi autem putaverunt quia de dormitione somni diceret. 14. Tunc ergo dixit eis Jesus manifeste : Lazarus mortuus est. » Tr. de Port-Royal : « Il leur parla de la sorte, et ensuite il leur dit : Notre ami Lazare dort ; mais je m’en vas l’éveiller. 12. Ses disciples lui répondirent : Seigneur, s’il dort, il sera guéri. 13. Mais Jésus entendait parler de sa mort : au lieu qu’ils crurent qu’il leur parlait du sommeil ordinaire. 14. Jésus leur dit donc clairement : Lazare est mort ».

La Concordia d’Arnauld donne, p. 286 : « post haec dixit eis : Lazarus amicus noster dormit ».

La Concordia donne, p. 287 : « Tunc ergo Jesus dixit eis manifeste : Lazarus mortuus est ». Pascal semble avoir remplacé tunc par deinde.