Pensées diverses IV – Fragment n° 15 / 23 – Papier original : RO 229-5

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 163 p. 394-395 / C2 : p. 365 à 367

Éditions de Port-Royal :

     Chap. IX - Injustice, et corruption de l’homme : 1669 et janvier 1670 p. 72 / 1678 n° 2 p. 73

     Chap. XXVIII - Pensées chrestiennes : 1669 et janvier 1670 p. 246 / 1678 n° 18 p. 238

Éditions savantes : Faugère II, 85, XIV ; II, 80, III / Havet XXIV.53 bis et 16 bis / Brunschvicg 365 et 212 / Tourneur p. 118-3 / Le Guern 636 / Lafuma 756 et 757 (série XXVI) / Sellier 626

 

 

 

Pensée.

 

Toute la dignité de l’homme est en la pensée. Mais qu’est‑ce que cette pensée ? Qu’elle est sotte.

La pensée est donc une chose admirable et incomparable par sa nature. Il fallait qu’elle eût d’étranges défauts pour être méprisable, mais elle en a de tels que rien n’est plus ridicule. Qu’elle est grande par sa nature, qu’elle est basse par ses défauts.

 

L’écoulement.

 

C’est une chose horrible de sentir s’écouler tout ce qu’on possède.

 

 

Le fragment est construit sur le modèle du premier vers de la comptine du fragment Contrariétés 13 (Laf. 130, Sel. 163).

S’il se vante, je l’abaisse

S’il s’abaisse, je le vante

Et le contredis toujours

Jusqu’à ce qu’il comprenne

Qu’il est un monstre incompréhensible.

 

Analyse détaillée...

 

Fragments connexes

 

Grandeur 9 (Laf. 113, Sel. 145). Roseau pensant.

Ce n’est point de l’espace que je dois chercher ma dignité, mais c’est du règlement de ma pensée. Je n’aurai point d’avantage en possédant des terres. Par l’espace l’univers me comprend et m’engloutit comme un point, par la pensée je le comprends.

Grandeur 10 (Laf. 114, Sel. 146). La grandeur de l’homme est grande en ce qu’il se connaît misérable.

Un arbre ne se connaît pas misérable.

C’est donc être misérable que de [se] connaître misérable, mais c’est être grand que de connaître qu’on est misérable.

Contrariétés 13 (Laf. 130, Sel. 163). S’il se vante, je l’abaisse

S’il s’abaisse, je le vante

Et le contredis toujours

Jusqu’à ce qu’il comprenne

Qu’il est un monstre incompréhensible.

Divertissement 4 (Laf. 136, Sel. 168). Ainsi s’écoule toute la vie ; on cherche le repos en combattant quelques obstacles et si on les a surmontés le repos devient insupportable par l’ennui qu’il engendre. Il en faut sortir et mendier le tumulte.

Transition 5 (Laf. 200, Sel. 231). L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature, mais c’est un roseau pensant. Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser ; une vapeur, une goutte d’eau suffit pour le tuer. Mais quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, puisqu’il sait qu’il meurt et l’avantage que l’univers a sur lui. L’univers n’en sait rien.

Pensées diverses (Laf. 545, Sel. 460). Tout ce qui est au monde est concupiscence de la chair ou concupiscence des yeux ou orgueil de la vie. Libido sentiendi, libido sciendi, libido dominandi. Malheureuse la terre de malédiction que ces trois fleuves de feu embrasent plutôt qu’ils n’arrosent. Heureux ceux qui étant sur ces fleuves, non pas plongés, non pas entraînés, mais immobilement affermis sur ces fleuves, non pas debout, mais assis, dans une assiette basse et sûre, dont ils ne se relèvent pas avant la lumière, mais après s’y être reposé en paix, tendent la main à celui qui les doit élever pour les faire tenir debout et fermes dans les porches de la sainte Jérusalem où l’orgueil ne pourra plus les combattre et les abattre, et qui cependant pleurent, non pas de voir écouler toutes les choses périssables que ces torrents entraînent, mais dans le souvenir de leur chère patrie de la Jérusalem céleste, dont ils se souviennent sans cesse dans la longueur de leur exil.

Pensées diverses (Laf. 620, Sel. 513). L’homme est visiblement fait pour penser. C’est toute sa dignité et tout son mérite ; et tout son devoir est de penser comme il faut. Or l’ordre de la pensée est de commencer par soi, et par son auteur et sa fin.

Or à quoi pense le monde ? jamais à cela, mais à danser, à jouer du luth, à chanter, à faire des vers, à courir la bague, etc., à se battre, à se faire roi, sans penser à ce que c’est qu’être roi et qu’être homme.

Pensées diverses (Laf. 759, Sel. 628). Pensée fait la grandeur de l’homme.

 

Pensée n° 5E (Laf. 918, Sel. 748). Les fleuves de Babylone coulent et tombent, et entraînent.

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Ô sainte Sion, où tout est stable et où rien ne tombe !

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Il faut s’asseoir sur ces fleuves, non sous ou dedans, mais dessus, et non debout mais assis, pour être humble étant assis, et en sûreté étant dessus, mais nous serons debout dans les porches de Jérusalem.

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Qu’on voie si ce plaisir est stable ou coulant ; s’il passe, c’est un fleuve de Babylone.

 

Mots-clés : BassesseDignitéÉcoulementGrandeurHommeMéprisPenséeRidicule.