Pensées diverses IV – Fragment n° 7 / 23 – Papier original : RO 443-1 r° / v°

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 156 et 157 p. 391-391 v° / C2 : p. 359 à 361

Éditions de Port-Royal : Chap. XXXI - Pensées diverses : 1669 p. 336 et janvier 1670 p. 335-336 /

1678 n° 28 p. 330-331

Éditions savantes : Faugère I, 252, XXI / Havet VII.17 et 17 bis / Brunschvicg 18 / Tourneur p. 116-1 / Le Guern 628 / Lafuma 744 et 745 (série XXVI) / Sellier 618

______________________________________________________________________________________

 

 

Bibliographie

 

 

ALBALAT Antoine, “Comment il faut lire Montaigne et Pascal”, Revue hebdomadaire, 10, 1912, p. 461-482.

BÉDIER Joseph, “Pascal et Salomon de Tultie”, in Mélanges Lanson, Paris, Hachette, 1922, p. 178-182.

BÉNARD Louis, “Recherches sur Salomon de Tultie”, Courrier d’Alençon, 22-25 juillet 1871.

BOURGEOIS Muriel, “Pascal et Salomon de Tultie. Histoires de clés et de lecture”, in Lectures à clés, Littératures classiques, n° 54, printemps 2005, p. 235-244.

CHAVANNES Frédéric, in Revue de théologie et de philosophie chrétienne, avril 1854.

COCHRAN Judith Pfan, Entretien de Pascal et Sacy sur Epictète et Montaigne : Montaigne’s influence on the Pascal of 1655, Thèse, Duke University, 1974.

CROQUETTE Bernard, Pascal et Montaigne. Étude des réminiscences des Essais dans l’œuvre de Pascal, Genève, Droz, 1974.

ERNST Pol, “Les autographes de Gilberte dans l’original des Pensées”, Chroniques de Port-Royal, 31, 1982, p. 69-92.

GIOCANTI Sylvia, Penser l’irrésolution. Montaigne, Pascal, La Mothe Le Vayer : trois itinéraires sceptiques, Paris, Champion, 2001.

GRES-GAYER Jacques M., En Sorbonne. Autour des Provinciales, Édition critique des Mémoires de Beaubrun (1655-1656), Paris, Klincksieck, 1997.

JOUSLIN Olivier, « Rien ne nous plaît que le combat ». La campagne des Provinciales de Pascal. Étude d’un dialogue polémique, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, 2007, 2 vol.

KUHN Felix, “Montaigne et Pascal”, Revue chrétienne, 1866, p. 139-145.

LE GUERN Michel, “Sur les variations d’écriture dans les Pensées”, Pascal a-t-il écrit les Pensées ?, Littératures, Presses universitaires du Mirail, 55, 2007, p. 11-18.

LE GUERN Michel, “Pascal et ses pseudonymes”, Études sur la vie et les Pensées de Pascal, Paris, Champion, 2015, p. 197-207.

MAGNARD Pierre, “Pascal censeur de Montaigne”, Pascal et la question de l’homme, XVIIe Siècle, n° 185, octobre-décembre 1994, p. 615-638.

MAGNIONT Gilles, “La voix de Salomon de Tultie”, in Recherches des jeunes dix-septièmistes : actes du Ve colloque du Centre international de rencontres sur le XVIIe siècle, Université Michel de Montaigne, Bordeaux III, 28-30 janvier 1999, p. 139-147.

MARIN Louis, Pascal et Port-Royal, Paris, Presses Universitaires de France, 1997.

MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES-CDU, 1993.

MESNARD Jean, “Pascal et Montaigne. Deux arts d’écrire et leur rapport”, Spicilegio moderno, Letteratura, Lingue, Idee, n° 15-16, 1981, p. 14-38.

MESNARD Jean, Montaigne, maître à écrire de Pascal”, in La Culture du XVIIe siècle, Paris, Presses Universitaires de France, 1992, p. 74-94.

NOURRISSON Jean Félix, Pascal physicien et philosophe, Paris, Perrin, 1885.

PASCAL Blaise, Entretien avec M. de Sacy sur Épictète et Montaigne, texte établi, présenté   et annoté par Pascale Mengotti-Thouvenin et Jean Mesnard, Paris, Desclée de Brouwer, 1994.

PAVLOVITS Tamás, “Pascal et Montaigne : deux apologistes modernes”, in ELMARSAFY Ziad, Philosophies of Classical France. Philosophies au siècle classique, Romanice 14, Weidler Buchverlag, 2001, p. 161-182.

REGUIG Delphine, “Réécrire Montaigne au XVIIe siècle : remarques sur les enjeux de l’imitation linguistique des Essais”, in Réécritures, Littératures classiques, 74, 2011, p. 49-69.

SELLIER Philippe, Salomon de Tultie : l’ombre portée de l’Ecclésiaste dans les Pensées, Port-Royal et la littérature, 2e édition, Paris, Champion, 2010, p. 221-237.

SÈVE Bernard, “Le « génie tout libre » de « l’incomparable auteur de l’Art de conférer »”, Pascal a-t-il écrit les Pensées ?, Littératures, Presses universitaires du Mirail, 55, 2007, p. 93-110.

SUSINI Laurent, L’écriture de Pascal. La lumière et le feu. La « vraie éloquence » à l’œuvre dans les Pensées, Paris, Champion, 2008.

THIROUIN Laurent, Pascal ou le défaut de la méthode. Lecture des Pensées selon leur ordre, Paris, Champion, 2015.

THIROUIN Laurent, “L’art de conférer. Pascal et Montaigne”, L’Âne, n° 54-55, été 1993, p. 46-50.

ULHIR Antoine, “Montaigne et Pascal”, Revue d’histoire littéraire de la France, t. XIV, 1907, p. 442-454.

 

 

Éclaircissements

 

Lorsqu’on ne sait pas la vérité d’une chose, il est bon qu’il y ait une erreur commune qui fixe l’esprit des hommes

 

Misère 9 (Laf. 60, Sel. 94). C’est pourquoi le plus sage des législateurs disait que pour le bien des hommes, il faut souvent les piper, et un autre, bon politique, Cum veritatem qua liberetur ignoret, expedit quod fallatur.

Galilée, Dialogues sur les deux grands systèmes du monde, éd. Fréreux et De Gandt, Paris, Seuil, 1992, p. 89. Discours de Sagredo : quel auteur devra-t-on suivre, si on supprime l’autorité d’Aristote ? Intérêts intellectuels et humains que l’on trouve à préserver l’autorité d’Aristote.

 

comme par exemple la lune à qui on attribue le changement des saisons, le progrès des maladies, etc.

 

Voir Laf. 734, Sel. 615, sur le flux de la mer et ses causes : D’où vient qu’on croit tant de menteurs qui disent qu’ils ont vu des miracles et qu’on ne croit aucun de ceux qui disent qu’ils ont des secrets pour rendre l’homme immortel ou pour rajeunir. Ayant considéré d’où vient qu’on ajoute tant de foi à tant d’imposteurs qui disent qu’ils ont des remèdes jusques à mettre souvent sa vie entre leurs mains, il m’a paru que la véritable cause est qu’il y en a de vrais, car il ne serait pas possible qu’il y en eût tant de faux et qu’on y donnât tant de créance s’il n’y en avait de véritables. Si jamais il n’y eût remède à aucun mal et que tous les maux eussent été incurables il est impossible que les hommes se fussent imaginé qu’ils en pourraient donner et encore plus que tant d’autres eussent donné créance à ceux qui se fussent vantés d’en avoir. De même si un homme se vantait d’empêcher de mourir, personne ne le croirait parce que il n’y a aucun exemple de cela. Mais comme il y a eu quantité de remèdes qui se sont trouvés véritables par la connaissance même des plus grands hommes, la créance des hommes s’est pliée par là et cela s’étant connu possible on a conclu de là que cela était, car le peuple raisonne ordinairement ainsi, une chose est possible, donc elle est. Parce que la chose ne pouvant être niée en général puisqu’il y a des effets particuliers qui sont véritables, le peuple qui ne peut pas discerner quels d’entre ces effets particuliers sont les véritables il les croit tous. De même ce qui fait qu’on croit tant de faux effets de la lune c’est qu’il y en a de vrais comme le flux de la mer.

Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., p. 121.

Mersenne Marin, Questions inouïes, Question X, Quels sont les mouvements de la mer, et quelles en sont les causes, éd. Pessel, Paris, Fayard, p. 33 sq., montre que si l’accord s’est fait sur l’influence de la lune sur les marées, les raisons de cet effet sont encore discutées. Mersenne constate que « nous ne saurions prouver si la lune est cause de ce mouvement, ou si la mer est cause de celui de la lune, ou si une troisième cause fait mouvoir ces deux corps » : « la terre a peut-être quelque mouvement analogue à la respiration des animaux, d’où la mer tire son flux et reflux ». Remarquant que la lune ne peut influencer la mer par une lumière qu’elle n’a pas d’elle-même, ni par sa chaleur, « conséquemment il faut admettre quelque autre influence qui pénètre la terre, comme la vertu de l’aimant pénètre la table à travers laquelle il meut le fer ». Sa conclusion rejoint celle de Pascal dans le fragment présent, que lorsqu’on ne sait pas la vérité d’une chose il est bon qu’il y ait une erreur commune qui fixe l’esprit des hommes comme par exemple la lune à qui on attribue le changement des saisons, le progrès des maladies, etc. : il vaut mieux observer les mouvements de la mer « que de s’arrêter à ce qui ne se peut savoir, soit que l’on établisse le mouvement de la terre pour donner le branle à la mer, ou que l’on prenne telle autre hypothèse que l’on voudra » : p. 34.

 

Car la maladie principale de l’homme est la curiosité inquiète des choses qu’il ne peut savoir et il ne lui est pas si mauvais d’être dans l’erreur que dans cette curiosité inutile.

 

Curiosité ne doit pas être entendu au sens actuel. C’est l’équivalent français de la libido sciendi. Voir le dossier thématique sur la concupiscence. La libido sciendi se définit comme la volonté de savoir, non pas de connaître les sciences légitimes, mais ce qui n’est pas destiné à être connu de l’homme ou ce qui lui est complètement inutile. Il s’agit donc surtout d’une volonté indiscrète de rechercher ce que notre nature ne veut pas que l’on sache : le désir excessif et déréglé de connaissance. Voir Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 175 sq. et p. 251.

Saint Augustin, De vera religione, XXXVIII, 71, Bibliothèque augustinienne, p. 129. La tentation de la curiosité. La connaissance religieuse est le vrai remède de la curiosité : XLIX, 94 sq., p. 193.

 

La manière d’écrire

 

La rhétorique n’est pas indépendante du cœur : la manière d’écrire d’un auteur reflète son esprit. Les exemples se tirent même des Écritures.

Perpétuité 1 (Laf. 279, Sel. 311). Un mot de David ou de Moïse, comme que Dieu circoncira leur cœur, fait juger de leur esprit. Que tous leurs autres discours soient équivoques et douteux d’être philosophes ou chrétiens, enfin un mot de cette nature détermine tous les autres, comme un mot d’Épictète détermine tout le reste au contraire. Jusque-là l’ambiguïté dure, et non pas après.

Le Guern Michel, “Sur les variations d’écriture dans les Pensées”, Pascal a-t-il écrit les Pensées ?, Littératures, 55, 2007, p. 11-18. Peut-on affirmer l’identité de la manière d’écrire de Salomon de Tultie avec le style des Pensées ? M. Le Guern assimile le style de Salomon de Tultie à celui des seuls fragments destinés à l’apologie : p. 14. Les Pensées présentent une variété des styles, du style périodique au style coupé : p. 16. Le passage des notes préparatoires à la rédaction de Salomon de Tultie se traduit par un changement du matériau lexical : p. 16 sq.

 

d’Épictète,

 

Voir l’Entretien avec M. de Sacy, sur les deux auteurs que Pascal évoque ici, Épictète représentant les stoïciens, et Montaigne les pyrrhoniens et les épicuriens. Mais ce texte n’envisage que les pensées de ces philosophes, alors que la présente note concerne leur style et leur rhétorique.

Perpétuité 1 (Laf. 279, Sel. 311). Un mot de David ou de Moïse, comme que Dieu circoncira leur cœur, fait juger de leur esprit. Que tous leurs autres discours soient équivoques et douteux d’être philosophes ou chrétiens, enfin un mot de cette nature détermine tous les autres, comme un mot d’Épictète détermine tout le reste au contraire. Jusque-là l’ambiguïté dure, et non pas après. Cela suppose chez Epictète un vocabulaire spécial, qui permet d’éviter tout doute sur son inspiration. Le style d’Épictète est en accord avec l’usage : il est l’auteur d’Entretiens, dont ses disciples ont enregistré le contenu. Cela le distingue d’un stoïcien comme Sénèque ou de Cicéron, qui écrivent plutôt des traités et des lettres. Enfin ses ouvrages portent sur les entretiens ordinaires, comme en témoignent les fragments suivants :

Raisons des effets 17 (Laf. 98, Sel. 132). D’où vient qu’un boiteux ne nous irrite pas et un esprit boiteux nous irrite ? À cause qu’un boiteux reconnaît que nous allons droit et qu’un esprit boiteux dit que c’est nous qui boitons. Sans cela nous en aurions pitié, et non colère.

Épictète demande bien plus fortement : Pourquoi ne nous fâchons-nous pas si on dit que nous avons mal à la tête, et que nous nous fâchons de ce qu’on dit que nous raisonnons mal ou que nous choisissons mal ?

Raisons des effets 18 (Laf. 100, Sel. 133). Raison des effets. Épictète. Ceux qui disent : vous avez mal à la tête, ce n’est pas de même. On est assuré de la santé, et non pas de la justice, et en effet la sienne était une niaiserie. Et cependant il la croyait démontrer en disant ou en notre puissance ou non. Mais il ne s’apercevait pas qu’il n’est pas en notre pouvoir de régler le cœur, et il avait tort de le conclure de ce qu’il y avait des chrétiens.

L’accent porte sur l’idée qu’Épictète parlait fortement. Voir Entretiens, IV, 6. C’était aussi le cas de Pascal : un propos de Nicole recueilli par Racine, cité dans OC I, éd. J. Mesnard, p. 1006, l’indique nettement : « Monsieur Pascal était respecté parce qu’il parlait fortement, et M. Singlin se rendait dès qu’on lui parlait avec force ».

 

de Montaigne

 

Voir le dossier thématique sur Montaigne.

Voir les fragments Raisons des effets 17 (Laf. 98, Sel. 132), et Raisons des effets 18 (Laf. 100, Sel. 133), cités plus haut.

Sève Bernard, “Le « génie tout libre » de « l’incomparable auteur de l’Art de conférer »”, Pascal a-t-il écrit les Pensées ?, Littératures, 55, 2007, p. 93-110. L’écriture de Montaigne, une « manière » libératrice pour la pensée : p. 95 sq. Le défaut de sauter de sujet en sujet : p. 96. Écrire ses pensées sans ordre et suivre le véritable ordre : p. 97. Le rapprochement de la manière d’écrire de Montaigne avec celle d’Épictète : p. 98. Ce que Montaigne a de bon, savoir l’esprit de finesse et l’art de persuader, ne peut être acquis que difficilement : p. 101.

Recueil de choses diverses, f° 18, r°, cité in OC I, éd. J. Mesnard, p. 889. « Michel de Montaigne est éloquent. [...] Les beaux esprits l’admirent aujourd’hui. Ses expressions sont fortes, mais elles sont gauloises ; son langage n’est pas pur ; son style est coupé et précis ; il représente les choses vivement dans toute leur évidence. C’était le livre de Monsieur Pascal ; il le blâme cependant beaucoup : aussi a-t-il des endroits dangereux et peu justes, et ce n’est pas un auteur à mettre entre les mains de tout le monde ».

Voir ibid., f° 94, cité in OC I, éd. J. Mesnard, p. 891. « M. Pascal estimait Montaigne pour son style et son sens. Il disait qu’il lui avait appris à écrire et le blâmait de ce qu’il parlait toujours de soi et de ses sentiments libertins ». Le texte ajoute un renvoi à la Logique de Port-Royal.

Mesnard Jean, “Montaigne maître à écrire de Pascal”, in La culture au XVIIe siècle, p. 74-94.

Marin Louis, Pascal et Port-Royal, p. 21 sq. Voir aussi p. 109 sq. sur ce texte.

Le Guern Michel, “Sur les variations d’écriture dans les Pensées”, Pascal a-t-il écrit les Pensées ?, Littératures, 55, 2007, p. 11-18.

Susini Laurent, L’écriture de Pascal. La lumière et le feu. La « vraie éloquence » à l’œuvre dans les Pensées, p. 609 sq. La manière d’écrire de Montaigne et l’impression des idées dans la mémoire selon Pascal.

Thirouin Laurent, Pascal ou le défaut de la méthode. Lecture des Pensées selon leur ordre, p. 52 sq. et p. 247.

 

et de Salomon de Tultie

 

Salomon de Tultie est une anagramme des deux autres pseudonymes de Pascal ; il devait désigner l’auteur de l’ouvrage que préparait Pascal.

Louis de Montalte est le pseudonyme sous lequel a été publié le recueil des Provinciales. C’est une anagramme du précédent.

A. Dettonville est le pseudonyme de Pascal pour ses écrits sur la roulette. C’est aussi une anagramme des précédents pseudonymes, mais il n’était guère possible aux contemporains de le deviner, puisque les lettres m, o et s du prénom Amos manquent dans la page de titre Lettres de A. Dettonville. C’est seulement un papier collé sur l’exemplaire de Clermont-Ferrand de ces Lettres de A. Dettonville, que Marguerite Périer indique que le A est l’initiale d’Amos, et que ce nom est l’anagramme de Louis de Montalte. Enfin, les contemporains ne pouvaient pas connaître le pseudonyme Salomon de Tultie, qui n’apparaissait pas dans l’édition de 1670.

 

Bibliothèque du Patrimoine, Clermont-Communauté

 

Il a fallu un certain temps pour identifier Salomon de Tultie.

Voir Pensées, éd. Havet, I, Delagrave, 1866, p. 101, et p. 108-109. La reconnaissance de l’anagramme a été faite, d’après Havet, par Chavannes Frédéric, in Revue de théologie et de philosophie chrétiennes, avril 1854.

Nourrisson Jean Félix, Pascal physicien et philosophe, Paris, Perrin, 1885, p. 263-282, renvoie à Léon Bénard, “Recherches sur Salomon de Tultie”, Courrier d’Alençon, 22-25 juillet 1871.

Bédier Joseph, “Pascal et Salomon de Tultie”, in Mélanges Lanson, Paris, Hachette, 1922, p. 178-182.

Il faut aussi mentionner le pseudonyme Jean de Montfert, GEF VIII, p. 136, qui a été parfois identifié à Pascal. Mais cette hypothèse n’est pas probable. L’idée vient de Seth Ward, The lives of the professors of Gresham College, Londres, 1740.

Dans quel ordre les pseudonymes de Pascal ont-ils été inventés ?

Sellier Philippe, Salomon de Tultie : l’ombre portée de l’Ecclésiaste dans les Pensées, Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e édition, p. 221-237. Philippe Sellier pense que le prénom de Salomon a été choisi le premier, car il n’est pas probable que de Louis de Montalte ait surgi le nom de Salomon : p. 226.

On est réduit aux hypothèses. Le premier pseudonyme est sans doute M. de Mons, qui est le nom pris par Pascal à l’époque où il se cache pendant la querelle des Provinciales. Louis de Montalte en dérive, mais il n’apparaît que dans les éditions collectives des Provinciales. Le troisième est sans doute Amos Dettonville, publié en 1658-1659. Le dernier serait alors Salomon de Tultie, si la datation des années 1660-1661 des papiers de la liasse est exacte.

Gres-Gayer Jacques M., En Sorbonne. Autour des Provinciales, Édition critique des Mémoires de Beaubrun (1655-1656), Paris, Klincksieck, 1997, p. 630 sq. Seconde Lettre au Provincial. « Le même jour que la censure fut conclue, il parut une seconde lettre écrite à un provincial par un de ses amis, de Paris, le 29 janvier, dans laquelle M. Pascal avec le même esprit d’enjouement et avec la même netteté expliquait ce que c’était le sujet des disputes par rapport à la grâce suffisante ». Suit un résumé des idées développées dans la deuxième Provinciale. Beaubrun note que « c’est dans le temps de cette lettre qu’il prit le surnom de Louis de Montalte, peut-être par rapport aux montagnes d’où il était ». Cependant le commentaire de Beaubrun se rapporte au 29 janvier 1656, alors que le nom de Montalte n’est attesté que dans les éditions collectives des Provinciales.

Quoi qu’il en soit, les études sur ces pseudonymes ont été nombreuses. La concordance des trois noms a suscité des interrogations sur l’auteur des Pensées. Voir la livraison de la revue Littératures, intitulée Pascal a-t-il écrit les Pensées ?, Presses universitaires du Mirail, 55, 2007.

On peut mentionner les études suivantes :

Marin Louis, Pascal et Port-Royal, Paris, P. U. F., 1997, p. 22 sq. Nature du pseudonyme. Anagramme sur le signifiant : p. 23. Salomon, roi de sagesse ; Tultie, si l’on admet qu’un s doit être ajouté, renvoie à stultitia, folie : p. 23. Salomon de Stultie, Salomon symbolisant la sagesse, et Stultitia la folie, Salomon de Stultie devient le symbole de l’auteur chrétien, sage et fou à la fois.

Magniont Gilles, “La voix de Salomon de Tultie”, in Recherches des jeunes dix-septièmistes : actes du Ve colloque du Centre international de rencontres sur le XVIIe siècle, Université Michel de Montaigne, Bordeaux III, 28-30 janvier 1999, p. 139-147.

Bourgeois Muriel, “Pascal et Salomon de Tultie. Histoires de clés et de lecture”, in Lectures à clés, Littératures classiques, n° 54, printemps 2005, p. 235-244.

Le Guern Michel, “Sur les variations d’écriture dans les Pensées”, Pascal a-t-il écrit les Pensées ?, Littératures, 55, 2007, p. 11-18.

Cantillon Alain, “Pendent opera interrupta : le commencement des Pensées-de-Pascal”, Pascal a-t-il écrit les Pensées ?, Littératures, 55, 2007, p. 47-74.

Pérouse Marie, “Discerner qui est l’auteur : une querelle de l’autorité à la naissance des Pensées”, Pascal a-t-il écrit les Pensées ?, Littératures, 55, 2007, p. 33-46.

Le Guern Michel, “Pascal et ses pseudonymes”, in Études sur la vie et les Pensées de Pascal, p. 197-207.

Reguig Delphine, “Réécrire Montaigne au XVIIe siècle : remarques sur les enjeux de l’imitation linguistique des Essais”, in Réécritures, Littératures classiques, 74, 2011, p. 49-69.

 

est la plus d’usage

 

Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., 1993 p. 121.

 

qui s’insinue le mieux,

 

Insinuation : action par laquelle quelque chose entre doucement et insensiblement en une autre. Insinuer : couler, faire entrer doucement, sans qu’on s’en aperçoive, dans quelque chose ; le mot s’entend aussi au sens moral : c’est un homme adroit qui s’est insinué doucement dans la maison de ce prince ; un orateur doit s’insinuer d’abord dans l’esprit de ses auditeurs (Furetière). L’idée de douceur revient souvent dans la définition. Le verbe s’insinuer n’est pas toujours pris en mauvaise part, comme c’est le cas aujourd’hui. Mais Furetière donne aussi des exemples qui vont en ce sens : Les flatteries s’insinuent aisément dans l’esprit et le corrompent ; les hérésies s’insinuent d’abord dans l’esprit du peuple. Pascal n’entend pas insinuer au sens de corrompre.

Marin Louis, Pascal et Port-Royal, p. 110 sq. Capacité du discours de s’introduire doucement et adroitement, de se glisser dans l’esprit, d’être si insensiblement assimilé par celui qui le lit qu’il ne le reconnaît plus pour autre, mais pour sien.

Thirouin Laurent, Pascal ou le défaut de la méthode. Lecture des Pensées selon leur ordre, p. 52 sq. S’insinuer consiste à, s’établir fermement et durablement dans l’esprit du lecteur : c’est un instrument de l’efficacité rhétorique. Voir p. 52 sq., les parts respectives de la mémoire, de l’improvisation, voire d’un certain désordre dans l’art pascalien de s’insinuer dans l’esprit du lecteur.

 

qui demeure plus dans la mémoire

 

Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., 1993 p. 402.

Sur la mémoire, voir Laf. 651, Sel. 536. La mémoire est nécessaire pour toutes les opérations de la raison.

La mémoire est l’un des nécessaires de la pensée, mais aussi de la rhétorique. Sur la part de la mémoire dans celle de Pascal, voir Pensées, opuscules et lettres, éd. Sellier, Garnier, 2011, p. 83 sq. Pascal métamorphose le champ de la memoria : comment écrire des textes qui s’impriment immédiatement et durablement dans la mémoire ? Ne donner que des textes excellents, dit Nicole dans De l’éducation d’un prince : p. 84. Conviction que les citations servent à infléchir les existences : p. 85. Le choix d’Épictète et de Montaigne tient au fait qu’ils sont préparatoires à Job et Salomon : p. 85-86.

Susini Laurent, L’écriture de Pascal. La lumière et le feu. La « vraie éloquence » à l’œuvre dans les Pensées, p. 609 sq. La manière d’écrire de Montaigne et l’impression des idées dans la mémoire selon Pascal.

Thirouin Laurent, Pascal ou le défaut de la méthode. Lecture des Pensées selon leur ordre, p. 52 sq. Comment Pascal s’appuie sur la mémoire.

 

et qui se fait le plus citer,

 

Pascal parle ici de Montaigne et d’Épictète, mais aussi de lui-même.

Thirouin Laurent, Pascal ou le défaut de la méthode. Lecture des Pensées selon leur ordre, p. 249. Pascal, écrivain parmi ceux qui se font le plus citer.

Sur la manière dont Pascal lui-même s’est forgé un art de citer, on peut consulter :

Hong Ran-E, “Le “tableau” et le “portrait” - la citation chez Pascal”, Littérature classique française, Société coréenne de la Littérature classique française, n° 2, 1999, p. 199-213.

Ferreyrolles Gérard, “Les citations de saint Thomas dans les Écrits sur la grâce”, in Descotes D. (dir.), Pascal auteur spirituel, Paris, Champion, 2006, p. 143-159.

Croquette Bernard, Pascal et Montaigne. Étude des réminiscences des Essais dans l’œuvre de Pascal, Droz, 1974.

Le texte qui montre le mieux comment Pascal exploite les citations d’autres auteurs est l’Entretien de Pascal avec M. de Sacy, puisqu’il y applique sa méthode aux deux auteurs dont il est ici question, Montaigne et Épictète ; voir OC III, éd. J. Mesnard, p. 101 sq.

Maeda Yoichi, Les arguments apologétiques chez Montaigne et cher Pascal, Thèse, 1941.

Lhermet J., Pascal et la Bible, Paris, Vrin, 1931, p. 183 sq. Les citations bibliques de Pascal : p. 195.

Jean Mesnard a composé une étude approfondie de la méthode de citation de Pascal dans son introduction aux Écrits sur la grâce, dans OC III, éd. J. Mesnard, p. 527 sq. et p. 554 sq., étude qui lui a permis de reconstituer la chronologie interne relative de ces écrits.

Sur le problème de la « rhétorique des citations », il faut renvoyer à Fumaroli Marc, L’Âge de l’éloquence. Rhétorique et “res literaria” de la Renaissance au seuil de l’époque classique, Droz, Genève, 1980, et pour ce qui touche Pascal, à Fumaroli Marc, “Pascal et la tradition rhétorique gallicane”, Méthodes chez Pascal, p. 359-370.

Il faut aussi rappeler que le problème des citations a été l’un des points les plus discutés de l’histoire des Provinciales.

Jouslin Olivier, Rien ne plaît tant que le combat. La campagne des Provinciales de Pascal. Étude d’un dialogue polémique, t. 2, Presses Universitaires Baise Pascal, Clermont-Ferrand, 2007, p. 119 : le problème des citations, objet de discussion entre Pascal et les jésuites. Voir p. 773 sq.

De dures mises en cause de la manière de citer de Pascal ont été composées par le P. François Annat à propos des Provinciales, et par les réponses du P. Nouët ; voir les Réponses aux Lettres Provinciales publiées par le secrétaire du Port-Royal contre les PP. de la Compagnie de Jésus sur le sujet de la morale desdits Pères, Paris, 1657. Mais l’inconvénient de ces réponses polémiques est que le texte du P. Annat et les Impostures du P. Nouët se bornent généralement à la question de l’exactitude littérale des citations de Pascal, et n’apportent rien sur sa méthode de citation. Pascal a répondu dans les Provinciales XII à XIV, auxquelles il faut renvoyer. Nicole, de son côté a répondu dans sa Réfutation de la réponse à la douzième Lettre.

En fait, le succès des Provinciales tient largement au fait que les citations des casuistes et leur enchaînement font le sel de ce qui aurait pu n’être qu’une série d’opuscules ennuyeux, car, comme on l’a souvent remarqué, les livres des casuistes ne sont par eux-mêmes guère comiques.

Jouslin Olivier, Rien ne plaît tant que le combat. La campagne des Provinciales de Pascal. Étude d’un dialogue polémique, t. 2, p. 773 sq. : le problème des citations, objet de discussion entre Pascal et les jésuites.

 

parce qu’elle est toute composée de pensées nées sur les entretiens ordinaires de la vie,

 

Sur le rapprochement entre les pensées de Pascal et des entretiens, voir Pérouse Marie, “Discerner qui est l’auteur : une querelle de l’autorité à la naissance des Pensées”, Pascal a-t-il écrit les Pensées ?, Littératures, 55, p. 33-46. Voir p. 345, l’approbation de T. Fortin, qui appelle les Pensées les « entretiens qu’il avait d’ordinaire avec ses amis ».

Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., 1993, p. 121.

Thirouin Laurent, Pascal ou le défaut de la méthode. Lecture des Pensées selon leur ordre, p. 52 sq., et p. 247. Parole sur le quotidien, les Pensées s’installent dans les réalités communes : p. 248.

 

comme quand on parlera de la commune erreur qui est parmi le monde que la lune est cause de tout, on ne manquera jamais de dire que Salomon de Tultie dit que lorsqu’on ne sait pas la vérité d’une chose il est bon qu’il y ait une erreur commune, etc.,

 

L’abréviation etc. montre que ce qui précède n’est qu’une formule partielle, savoir celle qui se trouve de l’autre côté du papier.

Pascal reprend l’une de ses propres maximes. Voir Laf. 734, Sel. 615. Ce qui fait qu’on croit tant de faux effets de la lune c’est qu’il y en a de vrais comme le flux de la mer.

Les philosophes comme Épictète et Montaigne ne s’inscrivent pas seulement dans la mémoire, ils fournissent des maximes dans les entretiens du monde. Ces maximes ont été inspirées par les entretiens du monde et y retournent après que de bons auteurs leur ont donné une expression forte.

Raisons des effets 17 (Laf. 98, Sel. 132). D’où vient qu’un boiteux ne nous irrite pas et un esprit boiteux nous irrite ? À cause qu’un boiteux reconnaît que nous allons droit et qu’un esprit boiteux dit que c’est nous qui boitons. Sans cela nous en aurions pitié, et non colère.

Épictète demande bien plus fortement : Pourquoi ne nous fâchons-nous pas si on dit que nous avons mal à la tête, et que nous nous fâchons de ce qu’on dit que nous raisonnons mal ou que nous choisissons mal ? [...] L’homme est ainsi fait qu’à force de lui dire qu’il est un sot, il le croit. Et à force de se le dire à soi-même, on se le fait croire. Car l’homme fait lui seul une conversation intérieure, qu’il importe de bien régler. Corrumpunt bonos mores colloquia prava. Il faut se tenir en silence autant qu’on peut, et ne s’entretenir que de Dieu, qu’on sait être la vérité. Et ainsi on se la persuade à soi-même.

Mutatis mutandis, Salomon de Tultie, qui n’a qu’une existence littéraire, est censé intervenir dans les conversations mondaines comme l’honnête homme évoqué dans le fragment Laf. 647, Sel. 532. Honnête homme. Il faut qu’on n’en puisse [dire] ni il est mathématicien, ni prédicateur, ni éloquent mais il est honnête homme. Cette qualité universelle me plaît seule. Quand en voyant un homme on se souvient de son livre, c’est mauvais signe. Je voudrais qu’on ne s’aperçût d’aucune qualité que par la rencontre et l’occasion d’en user, ne quid nimis, de peur qu’une qualité ne l’emporte et ne fasse baptiser ; qu’on ne songe point qu’il parle bien, sinon quand il s’agit de bien parler, mais qu’on y songe alors.

 

qui est la pensée de l’autre côté ci-dessus.

 

Sur le manuscrit, où le texte est copié de la main de Gilberte, l’expression de l’autre côté est biffée, et on lit dans l’interligne ci-dessus. On ne peut assurer que la correction ci-dessus est de la main de Pascal (voir les commentaires des transcriptions). Elle ne se comprend du reste pas bien, puisque la première partie du texte n’est pas au-dessus de la seconde, mais au dos du papier. En revanche, on peut raisonnablement penser que le texte barré, lui, avait été dicté par Pascal (ou copié sur un papier sur lequel Pascal avait écrit). Il semble donc qu’il soit plus sûr de rester à la formule qui est la pensée de l’autre côté, sans toutefois omettre de signaler l’existence de la correction.

De l’autre côté signifie de l’autre côté du papier : ces derniers mots se trouvent en effet sur l’envers de la feuille sur laquelle a été copié le texte. Sur l’aspect matériel de ce papier, dont une partie est visible à travers une fenêtre, voir les transcriptions et la description du papier.

Il faut éviter de céder à la tentation d’interpréter pensée de l’autre côté comme équivalent de pensée de derrière la tête, au sens que lui donnent le fragment Laf. 797, Sel. 650 : J’aurai aussi mes pensées de derrière la tête, ou Raisons des effets 10 (Laf. 91, Sel. 125), Raison des effets. Il faut avoir une pensée de derrière, et juger de tout par là, en parlant cependant comme le peuple. Ou encore le fragment Raisons des effets 9 (Laf. 90, Sel. 124), Raison des effets. Gradation. Le peuple honore les personnes de grande naissance, les demi-habiles les méprisent disant que la naissance n’est pas un avantage de la personne mais du hasard. Les habiles les honorent, non par la pensée du peuple mais par la pensée de derrière. Ici, il s’agit de la pensée de derrière le papier.