Pensées diverses V – Fragment n° 2 / 7 – Papier original : RO 251-3

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 169 p. 401 / C2 : p. 375-375 v°

Éditions de Port-Royal : Chap. XXXI - Pensées diverses : 1669 et janvier 1670 p. 330 / 1678 n° 19 p. 324

Éditions savantes : Faugère I, 247, II ; I, 202, LXXII ; I, 210, CIV / Havet VI.46, XXIV.89 bis, VI.51 / Brunschvicg 355 et 58 / Tourneur p. 121-1 / Le Guern 646 / Lafuma 771 et 772 (série XXVII) / Sellier 636

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Bibliographie

 

 

CLÉMENT Bruno, “Des zigzags dans les Pensées de Pascal”, Genesis, 37, 2013, p. 85-90.

FORCE Pierre, “La nature et la grâce dans les Pensées de Pascal”, Op. cit., 2, Publications de l’Université de Pau, novembre 1993, p. 55-62. (NB : Op. cit. est le titre d’une revue, et non un renvoi à un autre ouvrage)

FORCE Pierre, “Itus et reditus. De l’impossible édition d’un zigzag”, Romanic review, 3, 1988, p. 412-421.

FUMAROLI Marc, “Pascal et la tradition rhétorique gallicane”, in Méthodes chez Pascal. Actes du colloque tenu à Clermont-Ferrand, 10-13 juin 1976, Paris, Presses Universitaires de France, 1979, p. 359-372.

KOYANAGI Kimiyo, “Sur l’esprit scientifique de Pascal. – Réflexions sur le Traité du vide”, Recueil de mémoires à l'occasion du Xe anniversaire de la fondation de l'Université Préfectorale d'Aichi, 1975, p. 919-936.

MAGNARD Pierre, Nature et histoire dans l’apologétique de Pascal, Paris, Les Belles Lettres, 1980.

MESNARD Jean, “Figure géométrique et construction philosophique chez Pascal”, Courrier du Centre International Blaise Pascal, 33, 2011, p. 4-13.

NOILLE-CLAUZADE Christine, L’univers du style. Analyses de la rhétorique classique, Université de Metz, 2003.

NORDON Marcel, Histoire de l’hydraulique, II, L’eau démontrée, Paris, Masson, 1992.

OZANAM Jacques, Dictionnaire mathématique, ou Idée générale des mathématiques, Paris, É. Michallet, 1691.

SERRES Michel, Le système de Leibniz et ses modèles mathématiques, Paris, Presses Universitaires de France, 1968.

 

 

Éclaircissements

 

Le texte part d’une simple constatation rhétorique : l’unité et la continuité du style, lorsqu’elles sont poussées à l’excès, lassent le lecteur ou l’auditeur. Ce principe a reçu une confirmation éclatante dans la campagne des Provinciales, où l’unité d’ensemble des dix-huit lettres repose sur une extrême maîtrise dans la variété des genres, en contraste avec d’autres écrits de Port-Royal consacrés à la défense d’Arnauld et à la lutte contre les casuistes corrompus. Mais Pascal étend d’un coup l’idée à l’ordre de la politique, puis fait des itus et reditus une véritable loi de la nature physique et du cosmos.

 

L’éloquence continue ennuie.

 

Sur l’idée d’ennui, voir la liasse Ennui.

Cette formule répond à un cas particulier du fragment Géométrie-finesse II (Laf. 513, Sel. 671). Géométrie / Finesse. La vraie éloquence se moque de l’éloquence, la vraie morale se moque de la morale. C’est-à-dire que la morale du jugement se moque de la morale de l’esprit qui est sans règles.

Les exemples auxquels pense Pascal sont indiqués dans le fragment Laf. 780, Sel. 644. Parler de ceux qui ont traité de la connaissance de soi-même, des divisions de Charron, qui attristent et ennuient. De la confusion de Montaigne, qu’il avait bien senti le défaut d’une droite méthode. Qu’il l’évitait en sautant de sujet en sujet, qu’il cherchait le bon air.

Sur la position complexe de Pascal à l’égard de l’éloquence de son temps, voir l’article de Marc Fumaroli, “Pascal et la tradition rhétorique gallicane”, in Méthodes chez Pascal. Actes du colloque tenu à Clermont-Ferrand, 10-13 juin 1976, Paris, P. U. F., 1979, p. 359-372, ainsi que, dans un cadre plus général, L’âge de l’éloquence. Rhétorique et « res literaria » de la Renaissance au seuil de l’époque classique, Genève, Droz, 1980.

Nicole Pierre, Traité de l’éducation d’un prince, § XL, in Essais de morale, éd. L. Thirouin, p. 301. « Quand même les pensées seraient solides et belles en elles-mêmes, néanmoins elles lassent et accablent l’esprit, si elles sont en trop grand nombre, et si on les emploie en des sujets qui ne les demandent point. Sénèque, qui est admirable étant considéré par parties, lasse l’esprit quand on le lit tout de suite ».

Noille-Clauzade Christine, L’univers du style. Analyses de la rhétorique classique, Université de Metz, 2003, p. 265 sq. Cette remarque vise moins à recommander une écriture fragmentée qu’à prôner une bigarrure stylistique, tant dans la dispositio que dans l’inventio. Mais la discontinuité systématique n’est pas sans piège, selon le P. Lamy. Voir Lamy Bernard, La rhétorique ou l’art de parler, éd. C. Noille-Clauzade, Paris, Champion, 1998, p. 275.

 

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Les princes et rois jouent quelquefois. Ils ne sont pas toujours sur leurs trônes. Ils s’y ennuieront. La grandeur a besoin d’être quittée pour être sentie.

 

Vanité 15 (Laf. 27, Sel. 61). Plerumque gratae principibus vices. (Citation empruntée à Montaigne, Essais, I, 42, De l’inéqualité qui est entre nous).

Voir le Cinna de Corneille : une fois sur le trône, Auguste ne sent plus la grandeur du pouvoir et pense à le quitter.

Pascal se souvient peut-être d’Auguste dans le Cinna de Corneille.

« Cet empire absolu sur la terre et sur l’onde,

Ce pouvoir souverain que j’ai sur tout le monde,

Cette grandeur sans borne et cet illustre rang,

Qui m’a jadis coûté tant de peine et de sang,

Enfin tout ce qu’adore en ma haute fortune

D’un courtisan flatteur la présence importune,

N’est que de ces beautés dont l’éclat éblouit,

Et qu’on cesse d’aimer sitôt qu’on en jouit.

L’ambition déplaît quand elle est assouvie,

D’une contraire ardeur son ardeur est suivie ;

Et comme notre esprit, jusqu’au dernier soupir,

Toujours vers quelque objet pousse quelque désir,

Il se ramène en soi, n’ayant plus où se prendre,

Et, monté sur le faîte, il aspire à descendre.

J’ai souhaité l’empire, et j’y suis parvenu ;

Mais, en le souhaitant, je ne l’ai pas connu :

Dans sa possession, j’ai trouvé pour tous charmes

D’effroyables soucis, d’éternelles alarmes,

Mille ennemis secrets, la mort à tous propos,

Point de plaisir sans trouble, et jamais de repos. »

Dans le cas d’Auguste, il s’agit d’ennui, au sens le plus fort.

Dans les fragments Divertissement 4 (Laf. 136, Sel. 168), et Divertissement 5 (Laf. 137, Sel. 169), Pascal posait la question de savoir si la plus grande satisfaction d’un souverain ne devait pas être la contemplation de sa propre puissance. Il concluait que si l’on ôtait au roi son divertissement, il tombait dans l’ennui. Le présent passage complète cette pensée : il n’est pas plus possible de sentir sa grandeur sans divertissement que de la sentir sans en sortir pour vérifier par contraste sa nature.

 

La continuité dégoûte en tout.

 

Voir le commentaire du fragment Laf. 755, Sel. 625. Le dégoût.

 

Le froid est agréable pour se chauffer.

 

Transition 4 (Laf. 199, Sel. 230). Nous ne sentons ni l’extrême chaud, ni l’extrême froid. Les qualités excessives nous sont ennemies et non pas sensibles, nous ne les sentons plus, nous les souffrons. Trop de jeunesse et trop de vieillesse empêche l’esprit ; trop et trop peu d’instruction.

Vanité 15 (Laf. 27, Sel. 61). La nature de l’homme n’est pas d’aller toujours ; elle a ses allées et venues. La fièvre a ses frissons et ses ardeurs. Et le froid montre aussi bien la grandeur de l’ardeur de la fièvre que le chaud même.

 

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La nature agit par progrès. Itus et reditus, elle passe et revient, puis va plus loin, puis deux fois moins, puis plus que jamais, etc.

Le flux de la mer se fait ainsi. Le soleil semble marcher ainsi :

 

D’un point de vue général, voir sur la manière dont Pascal use de figures dans l’élaboration de ses idées philosophiques, Mesnard Jean, “Figure géométrique et construction philosophique chez Pascal”, Courrier du Centre International Blaise Pascal, 33, 2011, p. 4-13.

La présentation du « zigzag » sous la forme AAAAAAA dans une édition comme celle de Lafuma, est évidemment trompeuse.

Serres Michel, Le système de Leibniz et ses modèles mathématiques, p. 685-687. Analyse du dessin : « ces lignes brisées marquent un mouvement vibratoire autour d’un point d’équilibre », mais « ce processus est progressif et chaque alternance, d’après le dessin de Pascal, éloigne périodiquement les choses de leur centre, de plus en plus ». M. Serres remarque alors deux « schèmes principaux de raisonnement » : « il existe une alternance régulière de thèmes, d’opérations, d’opinions, de mouvements, etc., contraires », ce qui correspond au « renversement du pour au contre » ; et « ce processus, compte non tenu de ces renversements, est ascendant » : les raisons suivent une gradation, et « les suivantes, dans l’ordre, sont supérieures ou dominantes ». Cette structure aboutit à rejeter l’interprétation dialectique de la pensée de Pascal.

Magnard Pierre, Nature et histoire dans l’apologétique de Pascal, p. 198.

Voir l’éd. Sellier-Ferreyrolles, Pochothèque, p. 1168 : l’identification de cette ligne brisée régulièrement croissante à la projection d’une spirale conduit à rapprocher ce fragment la Lettre à M. de Sluse, sur la spirale tournée autour d’un cône. En fait, cette référence est difficilement recevable : la figure 2 de P. Magnard, p. 199, est très différente du zigzag de Pascal. D’autre part les plus grandes amplitudes de la figure du zigzag, qui semblent aller en grandissant progressivement, sont séparées par des paires de pointes moindres, difficilement réductibles à une projection d’une spirale tournée autour d’un cône.

NB : sur la spirale tournée autour d’un cône, voir l’étude de Merker Claude, “Pascal et la Dimension d’un solide formé par le moyen d’une spirale autour d’un cône”, Courrier du Centre International Blaise Pascal, 31, 2009, p. 6-16.

Force Pierre, “Itus et reditus. De l’impossible édition d’un zigzag”, Romanic review, 3, 1988, p. 412-421, propose un bilan des présentations du zigzag de Pascal, qu’il considère comme une sorte de graphe. Graphe des marées : p. 418. Le soleil : p. 419.

Force Pierre, “La nature et la grâce dans les Pensées de Pascal”, Op. cit., 2, Publications de l’Université de Pau, novembre 1993, p. 55-62. Voir p. 59. Le mouvement de la nature est à la fois répétition et différence, diversité et similitude. Ravaisson note que le mouvement de la nature tel que le conçoit Pascal comme une ondulation, un serpentement qu’un dessin rend mieux que des mots. Pascal, dans son dessin, anticipe notre manière de tracer la courbe d’une fonction sur un graphe : le mouvement des marées et la marche apparente du soleil sont présentés comme des phénomènes complexes, irréguliers en apparence, mais obéissant néanmoins à des lois.

La référence à l’inégalité des marées s’explique peut-être par des observations que Pascal a pu faire personnellement lorsqu’il habitait Rouen.

Marée : oscillation du niveau des océans et des mers due à l’attraction lunaire et à celle du système solaire. Quand la lune et le soleil ajoutent leurs influences, on a les grandes marées. Quand elles sont en opposition, on a les marées de morte eau.

Flux : se dit de cette agitation réglée des eaux de la mer qui se fait deux fois le jour, qui la fait hausser vers ses bords, ou s’en retirer. Ce mouvement suit en quelque façon le cours de la lune, car il recule chaque jour de trois quarts d’heure. Il s’élève davantage dans les pleines lunes, et encore plus dans les équinoxes. Ce flux est ordinaire dans l’océan, où il croît beaucoup. Au mont Saint-Michel, il s’élève de 80 pieds et remonte en quelques fleuves plus de quarante heures. Il est plus rare dans la Méditerranée. Il est fort sensible à Venise, et un peu sur la côte de Gênes et de Provence, où il n’est que de deux ou trois doigts. Il n’y en a point du tout dans la Morée. En pleine mer l’eau ne s’élève jamais que d’un pied ou deux. Le mouvement de la terre d’occident en orient peut être cause du flux de la mer, à cause que les eaux sous la ligne coulent toujours vers l’occident. Au milieu du détroit de Magellan les deux flux venant de deux mers contraires se heurtent avec grande violence. Ce flux s’appelle aussi le flot ou le montant, le reflux s’appelle le descendant (Furetière).

Ozanam Jacques, Dictionnaire mathématique, p. 224.

« Le flot, qu’on appelle aussi flux de la mer, est le montant de la marée, ou le regorgement de la marée, quand elle commence, et qu’elle monte. Le reflux de la mer, qu’on appelle aussi Ebe, et Jusant, est le descendant de la marée, quand la mer refoule, c’est-à-dire quand la marée descend. Ainsi on dit qu’il y a du jusant lorsque la mer s’en retourne ou qu’il y a un reflux ; et qu’il y a flot, quand la mer commence à monter. Le reflux de la mer qui remonte impétueusement dans la rivière de Dordogne se nomme mascaret, et la barre sur la rivière de Seine. La marée, ou le flux et le reflux de la mer, qu’on appelle au flot et jusant, est le temps réglé que la mer met à monter et à s’en retourner. On appelle haute marée ou haute eau, ou vif de l’eau le plus grand accroissement de la marée ; et basse eau, quand la mer est retirée et qu’elle a refoulé.

Le temps des grandes marées, qui se font au défaut et au plein de la lune, s’appelle Maline : et le défaut de la maline, c’est-à-dire le temps que la mer ne monte guère plus haut ; ce qui arrive entre la nouvelle et la pleine lune, et entre la pleine et la nouvelle lune, se nomme mort d’eau ; mais le temps que la mer est retirée et dont on se sert pour raccommoder le vaisseau sur terre s’appelle œuvre de marée.

[...] Le flux de la mer a ses périodes de tous les jours, de tous les mois, et de toutes les années.

La période diurne se connaît en ce que la mer s’élève, et s’abaisse deux fois chaque jour, en reculant néanmoins chaque jour de trois quarts d’heure, parce que la lune retarde d’environ d’autant chaque jour à l’égard de son lever, depuis lequel, ou pour le moins depuis qu’elle est au cercle de six heures, jusqu’à ce qu’elle soit parvenue au méridien, la mer monte et baisse ensuite jusqu’au coucher de la lune.

La seconde période est de tous les mois, par laquelle les marées sont inégales : car elles décroissent depuis la nouvelle lune jusqu’au premier quartier, et elles s’augmentent ensuite jusqu’à la pleine lune, après laquelle elles décroissent encore jusqu’au dernier quartier, et grossissent ensuite jusqu’à la nouvelle lune. Le P. Dechales dit que cette période suit exactement le mois d’illumination de la lune.

La période annuelle se remarque en ce que l’on a observé que les marées des pleines et des nouvelles lunes les plus proches des équinoxes sont les plus grandes de toutes. »

Le phénomène des marées a suscité des recherches dès l’Antiquité. Voir Taton René (dir.), La science antique et médiévale, Paris, P. U. F., 1966, p. 381 sq. Le rapprochement avec le déplacement de la lune est admis dès l’Antiquité ; Ératosthène a l’idée de rapprocher les marées océaniques et les courants alternatifs du détroit de Messine : p. 381. Au IIe siècle, l’astronome Séleucus de Séleucie constate que les marées ne sont pas uniformes dans toutes les mers et à toutes les époques de l’année ; il hasarde une explication météorologique en accord avec la théorie héliocentrique : la révolution de la lune en sens contraire de celle de la terre comprime l’air qui, gêné dans son mouvement tourbillonnant, écrase et remâche alternativement l’océan : p. 381. Posidonius distingue les trois périodes du phénomène : semi-diurne (il décrit les deux mouvements quotidiens des marées de l’Atlantique, correspondant aux deux culminations supérieure et inférieure de la lune), semi-mensuelle (à chaque syzygie répond une période de vive eau et à chaque quadrature une période de morte eau) et semi annuelle.

Nordon Marcel, Histoire de l’hydraulique, II, L’eau démontrée, Paris, Masson, 1992, p. 163 sq. Présentation des théories modernes (Galilée, Kepler, Descartes, Newton).

Galilée, Discorso del flusso e reflusso del mare, 8 janvier 1616. Galilée attribue les marées non à l’attraction des corps célestes, mais au mouvement de la terre (inégalité des vitesses des différentes parties de la mer). Il en fait la quatrième journée de son Dialogo de 1632. Voir la théorie des marées dans le Dialogue sur les deux grands systèmes du monde, éd. Fréreux, Paris, Seuil, 1992, p. 27. Salviati précise qu’il n’en est encore qu’aux hypothèses primitives, car il a dû suivre des rapports contradictoires : p. 406. Il n’a de données que sur la mer Méditerranée, alors que dans d’autres mers, les effets peuvent être différents. Mais « pour des effets qui sont d’un même genre, il ne doit y avoir qu’une seule cause véritable et primordiale » : p. 406. Voir p. 407-422, sur les observations des variétés des flux. La Correspondance de Mersenne, IV, p. 294 sq., et les Cogitata physico-mathematica, Hydraulica, Pneumatica, Arsque navigandi, Livre II, p. 260, expriment les réserves du minime sur les thèses de Galilée.

On peut consulter sur ce sujet François Jean, La science des eaux, Rennes, Hallaudays, 1653.

Noter que le texte de Pascal se limite aux apparences, et qu’il n’y est pas question ici des causes. Mais dans Laf. 734, Sel. 615, il montre qu’il a sur ce point des idées : De même ce qui fait qu’on croit tant de faux effets de la lune, c’est qu’il y en a de vrais comme le flux de la mer.

 

La marche du soleil

 

Force Pierre, “Itus et reditus. De l’impossible édition d’un zigzag”, p. 412-421. Bilan des présentations. Le soleil : p. 419.

Lorsqu’il écrit Le soleil semble marcher ainsi, Pascal paraît faire allusion à une observation plus ordinaire et moins technique, la variation de la longueur des journées, selon la succession des saisons. La figure est inspirée du Cours de cosmographie de P. Chenevier, Paris, Hachette, 1932, p. 72.

 

Z : zénith.

L’équateur est figuré par le cercle EE’. L’horizon est figuré par HH’. Les pôles sont situés respectivement en P et P’.

Lorsque le soleil décrit l’équateur, il se lève en A et parcourt l’arc AE’B pour se coucher en B qui ouvre l’arc BEA. Dans cette situation, l’égalité des arcs AE’B et BEA s’exprime par le terme d’équinoxe.

Quand la déclinaison du soleil est boréale (Nord), le pôle Nord étant situé au-dessus de l’horizon, le soleil décrit le petit cercle CDFD’ ; le jour correspond à l’arc CDF et la nuit à FD’C. Le jour est alors plus long que la nuit.

Quand la déclinaison du soleil est australe (Sud), le pôle boréal étant toujours supposé au-dessus de l’horizon, le soleil décrit le petit cercle IJKJ’, sur lequel l’arc IJK correspond au jour, et l’arc KJ’I la nuit : le jour est alors plus court que la nuit.

La longueur des jours va donc augmentant et diminuant tour à tour, entre un maximum au solstice d’été et un minimum au solstice d’hiver. Il existe des variations selon les régions d’où se fait l’observation.

 

Force Pierre, “La nature et la grâce dans les Pensées de Pascal”, Op. cit., 2, p. 55-62. Pour la marche du soleil, P. Force pense que Pascal fait allusion à un phénomène nouvellement expliqué par la troisième loi de Kepler : le fait que le soleil ne coïncide que quatre fois par an avec son cours moyen, et se trouve donc presque toujours en avance ou en retard par rapport aux étoiles fixes. Retard et avance, donc irrégularité, mais cette irrégularité est elle-même réglée puisqu’elle obéit à une loi et se répète d’année en année.

En dehors des marées et des phénomènes cosmiques, Pascal a étudié un phénomène analogue de variété de nature météorologique, dans le Fragment du traité du vide, Section troisième, De la règle des variations qui arrivent à ces effets par la variété des temps, OC II, éd. J. Mesnard, p. 791-793, où il tente de déterminer certaines régularités et certaines limites dans la « bizarrerie » des phénomènes climatiques.

« Comme les variations de ces effets procèdent des variations qui arrivent dans le tempérament de l'air, et que celles de l'air sont très bizarres, et presque sans règle, aussi celles qui arrivent à ces effets sont si étranges qu'il est difficile d'y en assigner. Nous remarquerons néanmoins tout ce que nous y avons trouvé de plus certain et de plus constant, en nous expliquant de tous ces effets par un seul à l'ordinaire, comme par celui de la suspension du mercure dans un tuyau bouché par en haut, dont nous nous sommes servis ordinairement.

1. Il y a un certain degré de hauteur, et un certain degré de bassesse que le mercure n'outrepasse quasi jamais, parce qu'il y a de certaines bornes dans la charge de l'air, qui ne sont quasi jamais outrepassées, et qu'il y a des temps où l'air est si serein qu'on ne voir jamais de plus grande sérénité, et d'autres où l'air est si chargé qu'il ne peut quasi l'être davantage. Ce n'est pas qu'il ne puisse arriver tel accident en l'air qui le rendrait plus chargé que jamais ; et en ce cas, le mercure monterait plus haut que jamais ; mais cela est si rare qu'on n'en doit pas faire de règle.

2. On voit rarement le mercure à l'un ou à l'autre de ses périodes ; et pour l'ordinaire, il est entre les deux, plus proche quelquefois de l'un et quelquefois de l'autre ; parce qu'il arrive aussi rarement que l'air soit entièrement déchargé ou chargé à l'excès, et que pour l'ordinaire il l'est médiocrement, tantôt plus, tantôt moins.

3. Ces vicissitudes sont sans règles dans les changements du mercure aussi bien que dans l'air ; de sorte que quelquefois, d'un quart d'heure à l'autre, il y a grande différence, et quelquefois, durant quatre ou cinq jours, il y en a très peu.

4. La saison où le mercure est le plus haut pour l'ordinaire est l'hiver. Celle où il est le plus bas est l'été. Où il est le moins variable est aux solstices ; et où il est le plus variable est aux équinoxes.

Ce n'est pas que le mercure ne soit quelquefois plus haut en été, bas en hiver, inconstant aux solstices, constant aux équinoxes, car il n'y a point de règle certaine ; mais, pour l'ordinaire, la chose est comme nous l'avons dite, parce qu'aussi pour l'ordinaire, quoique non pas toujours, l'air est le plus chargé en hiver, le moins en été, le plus inconstant en mars et en septembre, et le plus constant aux équinoxes.

5. Il arrive aussi, pour l'ordinaire, que le mercure baisse quand il fait beau temps, qu'il hausse quand le temps devient froid ou chargé ; mais cela n'est pas infaillible, car il hausse quelquefois quand le temps s'embellit, et il baisse quelquefois quand le temps se couvre ; parce qu'il arrive quelquefois, comme nous l'avons dit dans l'Introduction, que, quand le temps s'embellit dans la basse région, néanmoins l'air, considéré dans toutes ses régions, s'appesantit, et qu'encore que l'air se charge dans la basse région, il se décharge quelquefois dans les autres. »

Pascal commence par souligner à quel point les phénomènes météorologiques semblent rebelles à toute mise en ordre : « comme les variations de ces effets procèdent des variations qui arrivent dans le tempérament de l’air, et que celles de l’air sont très bizarres et presque sans règle, aussi celles qui arrivent à ces effets sont si étranges qu’il est difficile d’en assigner ». Suivent des remarques générales, qui indiquent ce qu’il y a trouvé « de plus certain et de plus constant ». Pascal commence par tenter de fixer des limites que les phénomènes n’excèdent jamais ou presque jamais : « il y a un certain degré de hauteur, et un certain degré de bassesse que le mercure (sc. du tube barométrique) n’outrepasse quasi jamais, parce qu’il y a de certaines bornes dans la charge de l’air, qui ne sont quasi jamais outrepassées ». Puis il définit le comportement le plus fréquent du baromètre, compris entre les deux limites haute et basse, mais toujours plus près de l’une ou l’autre borne. Il note que « ces vicissitudes sont sans règles dans les changements du mercure aussi bien que dans l’air », de sorte que les variations sont souvent brusques et importantes. Enfin, il tente de fixer des correspondances entre les hauteurs de la colonne barométrique et le temps, beau, nuageux ou pluvieux, chaud ou froid.

Cette démarche a ceci d’original que Pascal y admet que l’objet de sa recherche est « bizarre », mais que, prenant cette bizarrerie pour principe, il cherche à trouver un ordre qui lui convienne. La faiblesse des moyens d’observation de l’époque constituait sans doute un puissant obstacle à ces recherches, et explique sans doute certaines erreurs que Pascal a commises sur les hautes et basses pressions.

Voir les remarques critiques sur ce texte de Koyanagi Kimiyo, “Sur l’esprit scientifique de Pascal. – Réflexions sur le Traité du vide”, Recueil de mémoires à l'occasion du Xe anniversaire de la fondation de l'Université Préfectorale d'Aichi, 1975, p. 919-936.

Condorcet, Éloge de Pascal, Œuvres, III, Paris, Didot, 1847, p. 589-590. « Pascal observa aussi que les variations du baromètre, qui répondaient au poids de l’atmosphère, avaient quelques rapports avec les changements de temps. Descartes avait eu la même idée. Il avait imaginé le baromètre double pour observer ces rapports sur une échelle plus grande. Le baromètre devait se tenir plus haut lorsque l’atmosphère était plus pesante. Il était naturel d’imaginer que, dans le temps de pluie, l’air est plus pesant. Aussi Pascal trouvait-il, d’après quelques expériences équivoques, que le baromètre baissait lorsque l’air était chaud, agité et serein, et qu’il haussait lorsqu’il était froid, calme et pluvieux. L’erreur était d’autant plus difficile à reconnaître, qu’on ignorait alors que les variations du baromètre prédisent plus souvent celles du temps plutôt qu’elles ne les accompagnent ».

Sadoun-Goupil Michelle, “L’œuvre de Pascal et la physique moderne”, L’œuvre scientifique de Pascal, Paris, P. U. F., 1964, p. 248-277. Voir p. 270-271.

Roulleau J., Pascal et la météorologie, Conférence au Palais de la Découverte, 4 mai 1950, Alençon, 16 p.

Romeo Maria-Vita, Il numero et l’infinito. L’itinerario pascaliano dalla scienza alla filosofia, Catania, C. U. E. C. M., 2004, p. 103-126.

Descotes Dominique, Pascal. Le calcul et la théologie, coll. Les génies de la science, n°16, Pour la science, Août-Novembre 2003, p. 85.

Shea William, Designing experiments and games of chance. The unconventional science of Blaise Pascal, Science History Publications, Watson Publishing International, 2003, p. 184 sq.

 

Les dessins :             

 

Peut-on assimiler ces figures à des graphes ?

Le texte affirme à la fois l’existence d’un progrès global et l’irrégularité locale du zigzag, avec son aspect différentiel. L’irrégularité domine à petite échelle, le progrès à grande échelle. Le petit dessin marque une diminution régulière. Le grand comporte des irrégularités : un grand sommet est suivi de deux petits ; et ensuite à nouveau.

Les sommets les plus élevés du zigzag paraissent aller croissant, mais sans régularité. Les sommets intermédiaires vont apparemment par deux, le second demeurant toujours inférieur au premier ; les couples vont aussi croissant de gauche à droite.

 

 

À suivre le dessin strictement, deux fois moins ne signifie pas moindre de moitié, mais deux fois une grandeur moindre.

Il faut remarquer que le texte et le grand dessin ne correspondent strictement que pour les premières parties du zigzag.

Elle passe et revient :  puis va plus loin :

puis deux fois moins :  puis plus que jamais :

La suite n’est pas exprimée.

 

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Vous avez mauvaise grâce : Excusez‑moi s’il vous plaît. Sans cette excuse je n’eusse pas aperçu qu’il y eût d’injure.

Révérence parler : il n’y a rien de pire que de mauvais que leur excuse.

 

Pascal a écrit rien de pire que (quoique la lecture pire soit incertaine), puis a immédiatement corrigé en rien de mauvais.

Sur ce qui suit, voir le dossier thématique Façon de parler, qui traite des réflexions de Pascal sur le langage ordinaire.

Grâce signifie la bonne mine d’une personne, ses manières d’agir, de parler, de s’habiller qui plaisent aux autres. Cette femme marche, danse, s’habille de bonne grâce. Cet homme fait un conte de bonne grâce (Furetière). Richelet définit grâce par agrément, bon air ; avoir bonne grâce. Avoir mauvaise grâce à faire quelque chose signifie être mal venu à faire quelque chose.

Excuse : raison par laquelle on tâche de justifier ou de pallier quelque crime ou quelque faute commise.

Voir Civardi Jean-Marc, La querelle du Cid (1637-1638), Paris, Champion, 2004, p. 305 sq., qui présente des remarques sur le sens du mot excuse, excusatio, à propos de l’Excuse à Ariste de Corneille.

Havet, Pensées, t. 1, p. 85, signale dans une note un proverbe italien : qui s’excuse s’accuse.

Révérence parler : on dit proverbialement révérence de parler, parlant par révérence, sauf votre révérence, pour dire sauf votre respect, sauf votre correction, quand on dit quelque chose d’odieux qui blesse l’imagination ou les sens (Furetière).

Le sens global de cette seconde partie est assez clair : certaines paroles, notamment les excuses qui se prononcent dans la vie mondaine, sont malheureuses en ce sens qu’elles produisent l’effet inverse de celui qui est souhaité.

Jean Mesnard, Les Pensées de Pascal, 2e éd., 1993, p. 124, signale la parenté de ce fragment avec Laf. 528, Sel. 454 : Je me suis mal trouvé de ces compliments : je vous ai bien donné de la peine, je crains de vous ennuyer, je crains que cela soit trop long. Ou on entraîne, ou on irrite. Ce début est d’une interprétation plus profonde : Qu’il est difficile de proposer une chose au jugement d’un autre sans corrompre son jugement par la manière de la lui proposer. Si on dit : je le trouve beau, je le trouve obscur, ou autre chose semblable, on entraîne l’imagination à ce jugement ou on l’irrite au contraire. Il vaut mieux ne rien dire, et alors il juge selon ce qu’il est, c’estàdire selon ce qu’il est alors et selon que les autres circonstances dont on n’est pas auteur y auront mis. Mais au moins on n’y aura rien mis, si ce n’est que ce silence n’y fasse aussi son effet, selon le tour et l’interprétation qu’il sera en humeur de lui donner, ou selon qu’il le conjecturera des mouvements et air du visage, ou du ton de voix selon qu’il sera physionomiste. Tant il est difficile de ne point démonter un jugement de son assiette naturelle, ou plutôt tant il en a peu de ferme et stable.

Mais l’interprétation du détail est plus incertaine. Les éditeurs ne sont pas d’accord sur la ponctuation de ce passage, et par suite différent aussi sur le sens, et sur la répartition des phrases entre les deux interlocuteurs qui dialoguent.

Havet considère que Vous avez mauvaise grâce, excusez-moi s’il vous plaît forme un tout : on imagine une personne qui reproche à une autre de se rendre désagréable, et qui s’excuse de cet avertissement. La réponse de son interlocuteur est marquée par un tiret : il n’avait pas mal pris l’avertissement, qui lui était plutôt utile.

Havet sépare la suite, et transcrit par un second tiret :

« – « Révérence parler… »  – Il n’y a rien de mauvais que leur excuse ».

Révérence parler est ici présenté comme une formule malheureuse, sur laquelle la deuxième phrase devient un commentaire défavorable.

GEF XII, p. 60, transcrit l’ensemble du texte comme un tout :

« Vous avez mauvaise grâce : excusez-moi, s’il vous plaît. – Sans cette excuse, je n’eusse point aperçu qu’il y eût d’injure. Révérence parler, il n’y a rien de mauvais que leur excuse. »

Dans ce cas, la phrase Vous avez mauvaise grâce : excusez-moi, s’il vous plaît est aussi un reproche adressé à une personne, et la suite tout entière est interprétée au commentaire critique de cet avis.

Mais Brunschvicg minor propose une autre ponctuation :

« Vous avez mauvaise grâce : « excusez-moi, s’il vous plaît ». Sans cette excuse, je n’eusse point aperçu qu’il y eût d’injure. « Révérence parler … » Il n’y a rien de mauvais que leur excuse. »

Vous avez mauvaise grâce devient un avertissement adressé à un ami pour qui excusez-moi, s’il vous plaît est une faute de civilité.

Révérence parler apparaît comme une formule d’excuse malheureuse.

Les deux lectures ne sont pas compatibles.

La ponctuation de l’édition Lafuma Luxembourg évite de prendre parti en supprimant italique et guillemets ; le trait d’union, qui n’est pas suivi d’une majuscule peut difficilement être pris pour un signe d’illocution :

« Vous avez mauvaise grâce – excusez-moi s’il vous plaît ; sans cette excuse je n’eusse point aperçu qu’il y eût d’injure.

Révérence parler, il n’y a rien de mauvais que leur excuse. »

Dans ce cas, révérence parler paraît être une formule qui fait partie du reproche.

L’édition Sellier propose le texte suivant, qui semble indiquer que Pascal examine ici deux manières différentes de s’excuser, qu’il estime également mauvaises.

« Vous avez mauvaise grâce : « Excusez-moi, s’il vous plaît. » Sans cette excuse je n’eusse pas aperçu qu’il y eût d’injure.

« Révérence parler » : il n’y a rien de mauvais que leur excuse. »

Vous avez mauvaise grâce se présente comme un reproche adressé à un interlocuteur, à propos de l’expression Excusez-moi, s’il vous plaît.

Révérence parler apparaît alors comme un exemple de parole maladroite, et non une formule attribuée à la personne qui la réprouve.