Pensées diverses VIII – Fragment n° 1 / 6 – Papier original : RO 195-1

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 187 p. 425 / C2 : p. 399 (copie de Pierre Guerrier)

Éditions de Port-Royal :

     Chap. VII - Qu’il est plus avantageux de croire que de ne pas croire : 1669 et janv. 1670 p. 61-62 /

1678 n° 3 p. 63-64

     Chap. XXVIII - Pensées Chrestiennes : 1669 et janv. 1670 p. 273 / 1678 n° 79 p. 266

Éditions savantes : Faugère II, 174, III / Havet X.8, XXIV.52 / Brunschvicg 252 / Tourneur p. 135 / Le Guern 671 / Lafuma 821 (série XXX) / Sellier 661

 

 

 

 

 

Dans l’édition de Port-Royal

 

Chap. VII - Qu’il est plus avantageux de croire que de ne pas croire ce qu’enseigne la Religion Chrétienne : 1669 et janv. 1670 p. 61-62 / 1678 n° 3 p. 63-64

       

 

Différences constatées par rapport au manuscrit original

 

Ed. janvier 1670 1

Transcription du manuscrit

 

 Il ne faut pas se méconnaître ; nous sommes corps autant qu’esprit : et de là vient que l’instrument par lequel la persuasion se fait n’est pas la seule démonstration. Combien y a-t-il peu de choses démontrées ? Les preuves ne convainquent que l’esprit. La coutume fait nos preuves les plus fortes. Elle incline les sens qui entraînent l’esprit sans qu’il y pense. Qui a démontré qu’il sera demain jour, et que nous mourrons ; et qu’y a-t-il de plus universellement cru ? C’est donc la coutume qui nous en persuade ; c’est elle qui fait tant de Turcs, et de Païens ; c’est elle qui fait les métiers, les soldats, etc. Il est vrai qu’il ne faut pas commencer par elle pour trouver la vérité ; mais il faut avoir recours à elle, quand une fois l’esprit a vu où est la vérité ; afin de nous abreuver et de nous teindre de cette créance qui nous échappe à toute heure ; car d’en avoir toujours les preuves présentes c’est trop d’affaire. Il faut acquérir une créance plus facile qui est celle de l’habitude, qui sans violence, sans art, sans argument nous fait croire les choses, et incline toutes nos puissances à cette créance, en sorte que notre âme y tombe naturellement. Ce n’est pas assez de ne croire que par la force de la conviction, si les sens nous portent à croire le contraire. Il faut donc faire marcher nos deux pièces ensemble ; l’esprit, par les raisons qu’il suffit d’avoir vues une fois en sa vie ; et les sens, par la coutume, et en ne leur permettant pas de s’incliner au contraire.

 

 

Car il ne faut pas se méconnaître, nous sommes automate autant qu’esprit. Et de là vient que l’instrument par lequel la persuasion se fait n’est pas la seule démonstration. Combien y a‑t‑il peu de choses démontrées ! Les preuves ne convainquent que l’esprit. La coutume fait nos preuves les plus fortes et les plus crues : elle incline l’automate qui entraîne l’esprit sans qu’il y pense. Qui a démontré qu’il sera demain jour et que nous mourrons, et qu’y a‑t‑il de plus cru ? C’est donc la coutume qui nous en persuade. C’est elle qui fait tant de chrétiens, c’est elle qui fait les Turcs, les païens, les métiers, les soldats, etc.

 

Il y a la foi reçue dans le baptême de plus aux chrétiens qu’aux païens.

 

Enfin il faut avoir recours à elle, quand une fois l’esprit a vu où est la vérité, afin de nous abreuver et nous teindre de cette créance qui nous échappe à toute heure, car d’en avoir toujours les preuves présentes, c’est trop d’affaire. Il faut acquérir une créance plus facile qui est celle de l’habitude qui, sans violence, sans art, sans argument, nous fait croire les choses et incline toutes nos puissances à cette croyance, en sorte que notre âme y tombe naturellement. Quand on ne croit que par la force de la conviction et que l’automate est incliné à croire le contraire, ce n’est pas assez. Il faut donc faire croire nos deux pièces : l’esprit, par les raisons qu’il suffit d’avoir vues une fois en sa vie, et l’automate, par la coutume et en ne lui permettant pas de s’incliner au contraire. Inclina cor meum, Deus.

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1 Conventions : rose = glose des éditeurs ; vert = correction des éditeurs ; marron = texte non retenu par les éditeurs.

 

Commentaire

 

Les corrections visent principalement à la correction et à la clarté.

Les éditeurs sont visiblement gênés par le mot automate, qu’ils remplacent par corps ou par sens.

Ils ne semblent pas être parvenus à saisir l’intérêt pour la suite des idées de l’addition en marge de gauche sur le baptême, et n’ont pas hésité à la supprimer.

Une addition intéressante pour le fond : l’idée qu’il ne faut pas commencer par la coutume pour trouver la vérité.

 

 

 

 

 

Dans l’édition de Port-Royal

 

Chap. XXVIII - Pensées Chrestiennes : 1669 et janv. 1670 p. 273 / 1678 n° 79 p. 266

       

 

Différences constatées par rapport au manuscrit original

 

Ed. janvier 1670 1

Transcription du manuscrit

 

 La raison agit avec lenteur, et avec tant de vues et de principes différents qu’elle doit avoir toujours présents, qu’à toute heure elle s’assoupit, ou elle s’égare, faute de les voir tous à la fois. Il n’en est pas ainsi du sentiment. Il agit en un instant, et toujours est prêt à agir. Il faut donc, après avoir connu la vérité par la raison, tâcher de la sentir, et de mettre notre foi dans le sentiment du cœur 2 ; autrement elle sera toujours incertaine et chancelante.

 

 

La raison agit avec lenteur, et avec tant de vues, sur tant de principes, lesquels il faut qu’ils soient toujours présents, qu’à toute heure elle s’assoupit ou s’égare, manque d’avoir tous ses principes présents. Le sentiment n’agit pas ainsi ; il agit en un instant, et toujours est prêt à agir. Il faut donc mettre notre foi dans le sentiment, autrement elle sera toujours vacillante.

 

1 Conventions : rose = glose des éditeurs ; vert = correction des éditeurs ; marron = texte non retenu par les éditeurs.

2 L’expression « du cœur » est absente de l’édition préoriginale de 1669. La liste des fautes à corriger de l’édition de janvier 1670 signale qu’il faut l’ajouter dans l’édition. L’expression est présente dans celle de mars 1670 (seconde édition) et dans les éditions suivantes.

 

Commentaire

 

Même remarque que plus haut : l’addition après avoir connu la vérité par la raison touche l’ordre des démarches intellectuelles à faire pour trouver la vérité.

Vacillante est remplacé par deux adjectifs, incertaine et chancelante.