Miracles II  – Fragment n° 7 / 15 – Papier original : RO 473 (feuille complète)

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 192 p. 445 v° à 447 v° / C2 : p. 243 à 245

Éditions de Port-Royal : Chap. XXVII - Pensées sur les miracles : 1669 et janv. 1670 p. 223-226, 227-228 et 219 / 1678 n° 7 p. 217-219, n° 8 p. 221, n° 1 p. 213

Éditions savantes : Faugère II, 221, XII / Havet XXIII.9, 1 bis, 1 ter, 32, 11 / Brunschvicg 843 / Tourneur p. 143 / Le Guern 684 / Lafuma 840 (série XXXIII, notée XXXII par erreur) / Sellier 428

 

 

 

 

 

Dans l’édition de Port-Royal

 

Chap. XXVII - Pensées sur les miracles : 1669 et janv. 1670 p. 223-226, 227-228 et 219 / 1678 n° 7 p. 217-219, n° 8 p. 221, n° 1 p. 213

       

 

Différences constatées par rapport au manuscrit original

 

Ed. janvier 1670 1

Transcription du manuscrit

 

7.   [Miracles II - Laf. 846, Sel. 429] 2

Ainsi quand même la doctrine serait suspecte comme celle de Jésus-Christ pouvait l’être à Nicodème, à cause qu’elle semblait détruire les traditions des Pharisiens, s’il y a des miracles clairs et évidents du même côté, il faut que l’évidence du miracle l’emporte sur ce qu’il y pourrait avoir de difficulté de la part de la doctrine ; ce qui est fondé sur ce principe immobile, que Dieu ne peut induire en erreur. 3

Il y a un devoir réciproque entre Dieu et les hommes. Accusez-moi, dit Dieu dans Isaïe [en marge : Isa. 18.] 4. Et en un autre endroit : Qu’ai-je dû faire à ma vigne, que je ne lui aie fait ? [en marge : Ibid. 5. 4.]

Les hommes doivent à Dieu de recevoir la Religion qu’il leur envoie. Dieu doit aux hommes de ne les pas induire en erreur.

Or ils seraient induits en erreur, si les faiseurs de miracles annonçaient une fausse doctrine qui ne parût pas visiblement fausse aux lumières du sens commun, et si un plus grand faiseur de miracles n’avait déjà averti de ne les pas croire.

Ainsi s’il y avait division dans l’Église, et que les Ariens, par exemple, qui se disaient fondés sur l’Écriture comme les Catholiques, eussent fait des miracles, et non les Catholiques, on eût été induit en erreur. Car comme un homme qui nous annonce les secrets de Dieu n’est pas digne d’être cru sur son autorité privée ; aussi un homme qui pour marque de la communication qu’il a avec Dieu ressuscite les morts, prédit l’avenir, transporte les montagnes, guérit les maladies, mérite d’être cru, et on est impie si on ne s’y rend ; à moins qu’il ne soit démenti par quelque autre qui fasse encore de plus grands miracles.

Mais n’est-il pas dit que Dieu nous tente ? Et ainsi ne nous peut-il pas tenter par des miracles qui semblent porter à la fausseté ?

 

[Miracles II - Laf. 850, Sel. 431] 6

 

On doit conclure delà, qu’il est impossible qu’un homme cachant sa mauvaise doctrine, et n’en faisant paraître qu’une bonne, et se disant conforme à Dieu et à l’Église, fasse des miracles, pour couler insensiblement une doctrine fausse et subtile : cela ne se peut. Et encore moins que Dieu, qui connaît les cœurs, fasse des miracles en faveur d’une personne de cette sorte.

 

 

 

8.  [Miracles II - Laf. 843, Sel. 427] 8

[Miracles III - Laf. 901, Sel. 449] 9

[Miracles II - Laf. 856, Sel. 436] 10

[Miracles II - Laf. 839, Sel. 424] 11

Par cette règle, il est clair que les Juifs étaient obligés de croire Jésus-Christ. Jésus-Christ leur était suspect. Mais ses miracles étaient infiniment plus clairs que les soupçons que l’on avait contre lui. Il le fallait donc croire. 12

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 1.  Il faut juger de la doctrine par les miracles : il faut juger des miracles par la doctrine. [Miracles II - Laf. 832, Sel. 421] 13 Tout cela est vrai ; mais cela ne se contredit pas.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il y a un devoir réciproque entre Dieu et les hommes. Il faut pardonner ce mot 5, Quod debui. Accusez‑moi, dit Dieu dans Isaïe.

1. Dieu doit accomplir ses promesses, etc. 5

Les hommes doivent à Dieu de recevoir la religion qu’il leur envoie. Dieu doit aux hommes de ne les point induire en erreur.

Or ils seraient induits en erreur, si les faiseurs [de] miracles annonçaient une doctrine qui ne paraît pas visiblement fausse aux lumières du sens commun, et si un plus grand faiseur de miracles n’avait déjà averti de ne les pas croire.

Ainsi s’il y avait division dans l’Église, et que les ariens, par exemple, qui se disaient fondés en l’Écriture comme les catholiques, eussent fait des miracles, et non les catholiques, on eût été induit en erreur.

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Car, comme un homme qui nous annonce les secrets de Dieu n’est pas digne d’être cru sur son autorité privée et que c’est pour cela que les impies en doutent, aussi un homme qui pour marque de la communication qu’il a avec Dieu ressuscite les morts, prédit l’avenir, transporte les mers, guérit les maladies, il n’y a point dimpie qui ne s’y rende. Et l’incrédulité de Pharaon et des pharisiens est l’effet d’un endurcissement surnaturel.

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[...]

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Il est impossible, par le devoir de Dieu 7, qu’un homme, cachant sa mauvaise doctrine et n’en faisant paraître qu’une bonne, et se disant conforme à Dieu et à l’Église, fasse des miracles pour couler insensiblement une doctrine fausse et subtile. Cela ne se peut.

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Et encore moins que Dieu, qui connaît les cœurs, fasse des miracles en faveur d’un tel.

 

 

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Quand donc on voit les miracles et la doctrine non suspecte tout ensemble d’un côté, il n’y a pas de difficulté. Mais quand on voit les miracles et [la] doctrine suspecte d’un même côté, alors il faut voir quel est le plus clair. [Voir la note 3] Jésus‑Christ était suspect.

Barjésu aveuglé. La force de Dieu surmonte celle de ses ennemis.

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Les exorcistes juifs, battus par les diables, disant : Je connais Jésus et Paul, mais vous qui êtes‑vous ?

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Les miracles sont pour la doctrine et non pas la doctrine pour les miracles.

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Si les miracles sont vrais pourra‑t‑on persuader toute doctrine ? Non, car cela n’arrivera pas.

Si angelus.

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Règle.

 

Il faut juger de la doctrine par les miracles. Il faut juger des miracles par la doctrine. Tout cela est vrai, mais cela ne se contredit pas.

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Car il faut distinguer les temps.

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Que vous êtes aise de savoir les règles générales, pensant par là jeter le trouble et rendre tout inutile. On vous en empêchera, mon Père. La vérité est une et ferme.

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[...] [Voir n° 7]

 

 

1 Conventions : rose = glose des éditeurs ; vert = correction des éditeurs ; marron = texte non retenu par les éditeurs.

2 « Jésus-Christ a prouvé qu’il était le Messie, en vérifiant plutôt sa doctrine et sa mission par ses miracles que par l’Écriture et par les prophéties. C’est par les miracles que Nicodème reconnaît que sa doctrine est de Dieu : Scimus quia à Deo venisti, Magister ; nemo enim potest hæc signa facere quæ tu facis, nisi fuerit Deus cum eo. Il ne juge pas des miracles par la doctrine, mais de la doctrine par les miracles. »

3 Cette glose était plus réduite dans l’édition préoriginale de 1669 et le texte provenait d’un autre paragraphe : « Quand donc on voit les miracles et la doctrine non suspecte tout ensemble d’un côté, il n’y a pas de difficulté. Mais quand on voit les miracles et la doctrine suspecte du mesme côté, alors il faut voir lequel est le plus clair des miracles ou de la doctrine. Et c’est encore ici une des règles pour discerner les miracles, qui est fondée sur ce principe immobile, que Dieu ne peut induire en erreur. »

4 Édition de 1678 : « Is. 3. 18. »

5 Ces expressions ont été barrées à la sanguine par un correcteur dans la Copie C1 (probablement Nicole).

6 « Il y a bien de la différence entre tenter et induire en erreur. Dieu tente ; mais il n’induit point en erreur. Tenter c’est procurer les occasions qui n’imposent point de nécessité. Induire en erreur c’est mettre l’homme dans la nécessité de conclure, et suivre une fausseté. C’est ce que Dieu ne peut faire, et ce qu’il ferait néanmoins, s’il permettait que dans une question obscure il se fît des miracles du côté de la fausseté. »

7 Cette expression était conservée dans l’édition préoriginale de 1669.

8 « Il y a bien de la différence entre n’être pas pour Jésus-Christ et le dire ; ou n’être pas pour Jésus-Christ et feindre d’en être. Les premiers pourraient peut-être faire des miracles, non les autres ; car il est clair des uns, qu’ils font contre la vérité, non des autres ; et ainsi les miracles sont plus clairs. »

9 « Les miracles discernent donc aux choses douteuses, entre les peuples Juif, et Païen ; Juif, et Chrétien : Catholique, hérétique ; calomniés, calomniateurs ; entre les trois croix. »

10 « C’est ce que l’on a vu dans tous les combats de la vérité contre l’erreur, d’Abel contre Caïn, de Moïse contre les magiciens de Pharaon, d’Elie contre les faux Prophètes, de Jésus-Christ contre les Pharisiens, de Saint Paul contre Barjesu, des Apôtres contre les Exorcistes, des Chrétiens contre les infidèles, des Catholiques contre les hérétiques. Et c’est ce qui se verra aussi dans le combat d’Elie et Enoch contre l’Antéchrist. Toujours le vrai prévaut en miracles. »

11 « Enfin jamais en la contention du vrai Dieu, ou de la vérité de la Religion, il n’est arrivé de miracle du côté de l’erreur, qu’il n’en soit aussi arrivé de plus grand du côté de la vérité. »

12 Glose proposée par un correcteur dans la Copie C1 (probablement Nicole).

13 « La doctrine discerne les miracles : et les miracles discernent la doctrine. »

 

Commentaire

 

L’addition du § 7 vise à résumer la position très complexe de Pascal sur les miracles et la doctrine. Mais surtout, les éditeurs pensent à éviter tout contresens sur l’idée que Jésus-Christ était suspect. Ils ont du reste ajouté un complément d’explication au § 8.

L’allusion sur les règles générales a été supprimée, étant liée aux Provinciales.