Miracles II  – Fragment n° 13 / 15 – Papier original : RO 117-1 et 449-2

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 192 p. 451 v°-453 / C2 : p. 250-251 v°

Éditions savantes : Faugère II, 216, IX ; II, 225, XVII / Havet XXIII.35, 36, 38 et 34 / Brunschvicg 839 et 834 / Tourneur p. 150-151 / Le Guern 692-693 / Lafuma 854-855 (série XXXIII, notée XXXII par erreur) / Sellier 434-435

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Bibliographie

 

 

Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, article Pharisiens, Paris, Cerf, 1993, p. 877 sq.

DROZ Édouard, Étude sur le scepticisme de Pascal, Paris, Alcan, 1886.

GOUHIER Henri, Blaise Pascal. Commentaires, Seconde édition, Vrin, Paris, 1971.

LHERMET J., Pascal et la Bible, Paris, Vrin, 1931.

PELLETIER Marcel, Les Pharisiens. Histoire d’un parti méconnu, Paris, Cerf, 1990.

SHIOKAWA, Tetsuya, Pascal et les miracles, Paris, Nizet, 1977.

Voir le dossier thématique sur le miracle de la sainte Épine.

Voir le dossier thématique sur Jésus-Christ.

 

 

Éclaircissements

 

Gouhier Henri, Blaise Pascal. Commentaires, Seconde édition, p. 163 sq. Projet de Provinciale sur les miracles.

 

Si vous ne croyez en moi croyez au moins aux miracles. Il les renvoie comme au plus fort.

 

La note de la Bible de Port-Royal indique que c’est une réponse aux pharisiens choqués du fait que Jésus se plaçait à l’égal de Dieu. Il les renvoie comme au plus fort est un commentaire de Pascal : au temps de Jésus-Christ, sa plus forte preuve résidait dans ses miracles.

Jean, X, 37-38. « Si non facio opera Patris mei, nolite credere mihi. 38. Si autem facio, et si mihi non vultis credere, operibus credite. ». Tr. de Port-Royal : « Si je ne fais pas les œuvres de mon Père, ne me croyez pas. 38. Mais si je les fais, quand vous ne voudriez pas croire, croyez à mes œuvres ». Brunschvicg minor renvoie par erreur à Jean, X, 3.

D’où vient l’interprétation de œuvres au sens de miracles ? La Bible de Louvain conserve le mot œuvres, comme Vatable et la Vulgate. Ce serait donc une initiative de Pascal.

Droz Édouard, Étude sur le scepticisme de Pascal, p. 134 sq.

 

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Il avait été dit aux Juifs aussi bien qu’aux chrétiens qu’ils ne crussent pas toujours les prophètes. Mais néanmoins les pharisiens et les scribes font grand état de ses miracles, et essayent de montrer qu’ils sont faux ou faits par le diable, étant nécessités d’être convaincus s’ils reconnaissent qu’ils sont de Dieu.

 

Il avait été dit aux Juifs aussi bien qu’aux chrétiens qu’ils ne crussent pas toujours les prophètes : voir Jérémie, XXIII, 16-1017. « Haec dixi Dominus exercituum : Nolite audire verba prophetarum, qui prophetant vobis, et decipiunt vos : visionem cordis sui loquuntur, non de ore Domini. 17. Dicunt his, qui blasphémant me : Locutus est Dominus : Pax erit vobis : et omni qui ambulât in pravitate cordis sui, dixerunt : Non veniat super vos malum ». Tr. de Port-Royal : « Voici ce que dit le Seigneur des armées : N’écoutez point les paroles des prophètes qui vous prophétisent et qui vous trompent. Ils publient les visions de leur cœur, et non ce qu’ils ont appris de la bouche du Seigneur. 17. Ils disent à ceux qui me blasphèment : Le Seigneur l’a dit Vous aurez la paix ; et à tous ceux qui marchent dans la corruption de leur cœur : Il ne vous arrivera point de mal ».

Le commentaire de Port-Royal du livre de Jérémie, XXIII, v. 21, insiste sur le fait qu’il ne suffit pas d’être prophète, mais qu’il faut en sus être envoyé : « Qui eût pu se persuader, si Dieu même ne le déclarait, que la cause de cette conduite des faux prophètes qu’il compare aux excès des sodomites, était qu’ils couraient vers les peuples pour leur parler de sa part, sans qu’il les eût envoyés ? Ce défaut de vocation et de mission les empêchant de recevoir son esprit, il les livrait à leur esprit propre ; c’est-à-dire à un esprit de mensonge. Ainsi il paraît qu’il ne suffit pas d’être prophète, mais qu’il faut être envoyé. Les vrais prophètes se tiennent prêts à marcher lorsque Dieu le leur commande ; mais ils ne courent jamais d’eux-mêmes ; ils attendent que Dieu leur parle, afin d’annoncer sa parole aux peuples. Agir d’une autre manière, c’est prophétiser de sa tête [...], et non par l’esprit de Dieu. »

De ses miracles : des miracles du Christ.

Être convaincus : convaincre ne doit pas être pris au sens de persuader, mais plutôt au sens de montrer par preuves authentiques la culpabilité de quelqu’un : ce criminel est convaincu d’assassinat (Furetière).

Sur les pharisiens, voir Pelletier Marcel, Les Pharisiens. Histoire d’un parti méconnu, Paris, Cerf, 1990.

Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, article Pharisiens, Paris, Cerf, 1993, p. 877 sq. Chefs spirituels du peuple juif en terre d’Israël à l’époque du second Temple, ils forment l’une des écoles philosophiques décrites par Flavius Josèphe, à côté des sadducéens, des esséniens et de la faction des zélotes. La doctrine des pharisiens a pris racine au Ve siècle avant le Christ, à l’époque d’Esdras et de Néhémie, qui avaient instauré un judaïsme fondé sur la Torah parmi les habitants juifs de Judée et de l’empire perse. Les pharisiens représentent l’essentiel des dirigeants religieux laïques du peuple ; leur enracinement est essentiellement populaire, en opposition aux sadducéens qui représentent la mince couche de la haute aristocratie juive. Ils disposent d’une influence politique importante. Après la prise du pouvoir par les Romains, en 63 avant Jésus-Christ, ils retournèrent à leur rôle initial d’interprètes de la loi juive et d’arbitres de la communauté. Ils n’en prennent pas moins parti dans la révolte de R. Siméon ben Gamaliel et la révolte de Barcosba. Le monde des pharisiens se caractérise par l’existence d’académies d’études religieuses. La description que fait le Nouveau Testament du souci des pharisiens d’une application sèche et minutieuse de la loi est contestée par le corpus de littérature talmudique qui montre la simplicité de l’attitude des sages dans leur conduite.

Scribes : voir Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, art. Scribes, Paris, Cerf, 1993, p. 1034-1035. Savants de la première période du second Temple, chargés d’enseigner la loi orale, copistes et conservateurs des textes sacrés. Ils succèdent à l’époque des prophètes et précèdent celle des pharisiens. Les scribes veillent à l’intégrité des textes de la loi.

Migne (éd.), Dictionnaire de théologie dogmatique, t. 4, Encyclopédie théologique, t. 35, 2e partie. Article Scribe : nom commun dans l’Écriture, qui a différentes significations. Il se prend pour un écrivain ou un secrétaire, emploi considérable dans la cour des rois de Juda. Il désigne parfois un commissaire d’armée, chargé de faire la revue et le dénombrement des troupes. Le plus souvent, il signifie un homme habile, docteur de la loi, dont le ministère était de copier et d’expliquer les livres saints. Quelques-uns placent l’origine de ces scribes sous Moïse, d’autres sous David. Ces docteurs étaient estimés des Juifs ; ils tenaient le même rang que les prêtres et les sacrificateurs, quoique leurs fonctions fussent différentes. Les Juifs en distinguaient trois espèces : les scribes de la loi, dont les décisions étaient reçues avec le plus grand respect ; les scribes du peuple, qui étaient des magistrats ; enfin les scribes communs, qui étaient des notaires publics ou des secrétaires du sanhédrin. Ils ne formaient pas une secte, mais il semble que, comme à l’époque du Christ, toute la science consistait principalement dans les traditions pharisiennes et dans leur usage pour expliquer l’Écriture, le plus grand nombre des scribes étaient des pharisiens. On les voit presque toujours associés dans les Évangiles.

Essayant de montrer qu’ils sont faux ou faits par le diable : Matthieu, IX, 34. « Pharisaei autem dicebant : In principe daemoniorum ejicit daemones ». Tr. de Port-Royal : « Mais les pharisiens disaient au contraire : Il chasse les démons par le prince des démons. »

Matthieu, XII, 24. « Pharisaei autem audientes, dixerunt : Hic non ejicit daemones nisi in Beelzebub principe daemoniorum ». Tr. de Port-Royal : « Mais les pharisiens entendant cela, disaient : Cet homme ne chasse les démons que par la vertu de Béelzebut prince des démons ».

Marc, III, 22. « Et scribae, qui ab Jerosolymis descenderant, dicebant : Quoniam Beelzebut habet, et quia in principe daemoniorum ejicit daemonia ». Tr. de Port-Royal : « Et les scribes qui étaient venus de Jérusalem, disaient : Il est possédé de Béelzebut, et il chasse les démons par le prince des démons. »

Luc, XI, 15. « Quidam autem ex eis dixerunt : in Beelzebub principe daemoniorum ejicit daemonia ». Tr. de Port-Royal : « Mais quelques-uns d’entr’eux dirent : Il ne chasse les démons que par Béelzebut prince des démons ».

 

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Nous ne sommes point aujourd’hui dans la peine de faire ce discernement. Il est pourtant bien facile à faire : ceux qui ne nient ni Dieu ni Jésus-Christ ne font point de miracles qui ne soient sûrs.

 

Aujourd’hui : Pascal prépare le passage de l’époque du Christ à celle du miracle de la sainte Épine. Voir plus bas.

Écho de la réponse que le Christ a faite à ses disciples, Matthieu, XII, 30, « Celui qui n’est point avec moi est contre moi ». Commentaire de Port-Royal : « Car il faut être ou à Jésus-Christ, ou au démon : il faut être possédé par l’Esprit de Jésus-Christ, ou par celui du prince du monde. Ce sont les deux maîtres qui possèdent tous les hommes, sans qu’il y ait de milieu. Ceux donc qui ne sont point avec Jésus-Christ, c’est-à-dire unis à lui par l’Esprit de foi et de charité, sont contre lui, et par conséquent avec le démon son adversaire ». Et comme il n’y a pas de milieu, Marc, IX, 38, dit que « Qui n’est pas contre vous est pour vous ». Cette réponse est immédiatement expliquée par la citation qui suit dans le texte de Pascal : « Nemo facit virtutem in nomine meo et cito possit de me male loqui ». Voir I Cor., XII, 3 : « Nul homme parlant par l’Esprit de Dieu ne dit anathème à Jésus ».

Par conséquent, ceux qui ne sont pas contre le Christ, qui ne nient ni Dieu ni Jésus-Christ, sont pour eux, et les miracles qu’ils font sont sûrs. De sorte que ce qui marque la vérité d’un miracle, c’est moins son caractère extraordinaire que le fait qu’il témoigne pour le Christ et qu’il n’a pour fin que la vérité.

L’expression Ceux qui ne nient ni Dieu ni Jésus-Christ ne font point de miracles qui ne soient sûrs, a choqué Havet, éd. des Pensées, II, 1866, p. 86 : « Pascal parle toujours comme si Port-Royal avait fait un miracle. C’était bien assez de prétendre que Port-Royal avait été l’objet d’un miracle. Il va dire lui-même tout à l’heure que ce ne sont pas les hommes qui l’ont fait ».

 

Nemo facit virtutem in nomine meo et cito possit de me male loqui.

 

Marc, IX, 38. « Jesus autem ait : Nolite prohibere eum ; nemo est enim qui faciat virtutem in nomine meo, et possit cito male loqui de me ». Tr. de Port-Royal. « Jésus lui répondit : Ne l’empêchez pas : car il n’y a personne qui ayant fait un miracle en mon nom, puisse aussitôt après parler mal de moi » (tr. Sacy).

Il s’agit du personnage dont les disciples ont informé Jésus qu’il opérait des guérisons sans être lui-même de ses disciples.

Virtus : Vatable donne bien virtutem.

La Bible de Louvain traduit : « Et Jésus dit, Ne l’empêchez point : car il n’y a nul qui fasse vertu par mon nom, qui puisse mal parler de moi ».

Furetière ne donne pas le sens de miracle pour vertu.

L’interprétation par le sens de miracle peut se justifier par le contexte, les œuvres de l’homme en question, qui chassait les démons, pouvaient être considérées comme des miracles.

 

Mais nous n’avons point à faire ce discernement. Voici une relique sacrée, voici une épine de la couronne du sauveur du monde en qui le prince de ce monde n’a point puissance, qui fait des miracles par la propre puissance de ce sang répandu pour nous. Voici que Dieu choisit lui‑même cette maison pour y faire éclater sa puissance.

 

Voici une relique sacrée : Lafuma lit religion.

Le prince de ce monde : Satan.

Cette maison : Port-Royal. Le passage fait allusion au miracle de la sainte Épine.

Havet fait de ce passage le commentaire suivant, qui mêle une certaine admiration et une réticence critique, éd. des Pensées, II, 1866, p. 86, d’une manière qui rappelle le style de Voltaire : « Voici une épineVoici que Dieu… Quelle solennité, quelle grandeur sans effort dans la répétition de ce tour ! Il voit Dieu descendre. Comment exiger qu’il sorte de cet enthousiasme pour examiner péniblement si d’abord, par exemple, l’authenticité de la sainte relique est bien établie ! Qui sent Dieu présent n’a rien à discuter ni à éclaircir ».

Shiokawa Tetsuya, Pascal et les miracles, p. 147-148, explique de manière plus compréhensive que Pascal veut dire qu’il « est absolument impossible que le démon soit secrètement dans la guérison de Marguerite, puisque la présence de la sainte Épine devait pour ainsi dire le neutraliser. Mais comment le saurait-on, si ce n’est par la considération du sens religieux de la relique ? [...] Quand c’est un objet religieux qui est le « moyen » apparent d’un prodige, il n’est pas besoin de craindre d’être trompé par la ruse du démon. Il va sans dire que cette conclusion est tirée, non pas de la définition que Pascal a donnée du miracle, mais du critère finaliste inséparable de la question du sens du miracle » : p. 148.

L’argument suppose admise la définition du miracle donnée dans le questionnaire adressé à Barcos, Miracles I (Laf. 830, Sel. 419) : Pascal considère le moyen qui a permis le miracle, l’épine de la couronne du Christ. Une épine n’a pas par elle-même le pouvoir de guérir les maladies comme celle qui afflige Marguerite Périer. De sorte que l’effet produit est sans proportion avec le moyen naturel employé. Il ajoute que la nature même de l’épine et le contexte dans lequel s’est produit le miracle excluent que le diable ait eu la possibilité de susciter un prodige.

 

Ce ne sont point des hommes qui font ces miracles par une vertu inconnue et douteuse qui nous oblige à un difficile discernement. C’est Dieu même, c’est l’instrument de la passion de son fils unique qui, étant en plusieurs lieux, choisit celui‑ci et fait venir de tous côtés les hommes pour y recevoir ces soulagements miraculeux dans leurs langueurs.

 

L’instrument de la passion de son fils unique : la couronne d’épines du Christ.

Langueur : diminution des forces, de santé, causée par une maladie lente et souvent mortelle. Se dit aussi en morale des tristesses, des afflictions ou des passions violentes qui nous privent de joie ou de santé.

Et fait venir de tous côtés les hommes pour y recevoir ces soulagements miraculeux dans leurs langueurs : Pascal fait allusion au grand concours de personnes qui ont afflué à Port-Royal après le miracle de la sainte Épine. Voir la lettre de la Mère Angélique à la reine de Pologne du 14 juillet 1656, in OC III, éd. J. Mesnard, p. 887-888 : « Les dévotions s’augmentent toujours dans notre église ; et vendredi dernier, il y vint, à ce que l’on dit, près de cinquante carrosses et très grande quantité de personnes de condition, et à toutes les heures du jour l’on apporte du linge à toucher. Mais ce qui me console le plus, c’est que plusieurs y viennent demander la santé de leurs âmes. Il vint hier une dame pour ce sujet, à laquelle Madame la Princesse Palatine avait ordonné de la recommander fort aux prières. »

La sainte Épine a du reste opéré plusieurs miracles par la suite. Voir le dossier thématique sur le miracle de la sainte Épine.

L’ensemble du texte consiste dans une application de l’Évangile de saint Jean au miracle de la sainte Épine qui a eu lieu à Port-Royal : Pascal exploite particulièrement ici l’épisode de la guérison de l’aveugle selon Jean, IX. Voir aussi Miracles II (Laf. 840, Sel. 425).

Voir l’Abrégé de la vie de Jésus-Christ, § 117, OC III, éd. J. Mesnard, p. 273.

« En s’en allant, il guérit l’aveugle-né ; les Pharisiens interrogèrent celui en qui le miracle avait été fait et, voyant qu’il persistait à confesser la vérité, ils le jetèrent hors du Temple. Et Jésus le reçoit, lui demande s’il croit au fils de Dieu, lui déclare qu’il l’est, et qu’il est venu pour rendre la vue aux aveugles, c’est-à-dire qui se reconnaissent aveugles. Et pour aveugler ceux qui voient, c’est-à-dire ceux qui ne croient pas être aveugles. »

 

Jeh., 6, 26.

Non quia vidistis signum, sed quia saturati estis.

 

Jean, VI, 26. « Respondit eis Jesus, et dixit : Amen, amen dico vobis, quaeritis me, non quia vidistis signa, sed quia manducastis ex panibus, et saturati estis ».

Tr. de Port-Royal : « Jésus leur répondit : En vérité, je vous le dis, vous me cherchez, non à cause des miracles que vous avez vus ; mais parce que je vous ai donné du pain à manger, et que vous avez été rassasiés ».

Pascal ne prélève qu’une partie du texte, omettant ce qui fait allusion à l’épisode de la multiplication des pains. La Vulgate et la Bible de Louvain donnent signa, et signes en 1550. Le singulier signum peut être une initiative de Pascal.

Commentaire de Port-Royal : « [Jésus] ne répond point à la demande que lui font les Juifs, comme étant plus curieuse qu’utile pour leur salut. Mais comme il voyait au fond de leur cœur, qu’ils ne le cherchaient pas pour en devenir meilleurs [Cyrill. ut supr. p. 296], il leur reproche de ce qu’ils venaient à lui dans une vue toute charnelle ; et il le fait d’une manière qui ne leur laisse aucun sujet de douter qu’il n’eût une connaissance très parfaite de leur disposition : Vous me cherchez, leur dit-il non parce que vous avez vu mes miracles, c’est-à-dire non dans le dessein de profiter de ces miracles en croyant à mes paroles, et me regardant comme celui que Dieu vous a envoyé pour votre salut ; mais parce que vous avez été rassasiés, et seulement par le désir d’une nourriture semblable à celle que je vous ai déjà donnée. Vous me cherchez pour la chair, et non pour l’esprit [August. in Joan. tract. 25. p. 89]. Ce n’est point en cette manière que vous devez chercher celui qui est principalement venu pour nourrir et sauver vos âmes. Cherchez-le pour l’amour de lui-même, et parce que vous pouvez trouver dans lui de quoi vous rassasier pleinement. Travaillez à vous procurer, non pas une nourriture qui périt avec la chair, mais une autre qui demeure pour la vie éternelle ; c’est-à-dire, qui subsiste éternellement, et qui fait vivre pour toujours ceux qui la reçoivent. C’est le Fils de l’homme qui la donne, et il est lui-même cette divine nourriture dans son adorable chair, dans son esprit, dans sa parole et dans sa grâce [...]. C’est ainsi que les saints interprètes ont expliqué ces paroles de Jésus-Christ [...] ».

Voir le fragment Miracles III (Laf. 903, Sel. 450), qui évoque le même passage. Mais Pascal y emploie le mot œuvres ; dans le présent fragment, il emploie le mot miracles. Tetsuya Shiokawa, qui a remarqué cette différence, y voir une « interprétation hardie et même discutable, mais qui devait paraître naturelle » aux yeux de Pascal ; voir Pascal et les miracles, p. 132.

 

Partie barrée sur le manuscrit : Hoc habebis signum ad discernendos veros prophetas a falsis

 

La citation ne correspond pas à la référence Jean, VI, 26. Il faut se reporter à Deutéronome, XVIII, 21-22. « Quod si tacita cogitatione responderis : Quomodo possum intelligere verbum, quod Dominus non est locutus ? 22. Hoc habebis signum : Quod in nomine Domini propheta ille praedixerit, et non evenerit, hoc Dominus non est locutus, sed per tumorem animi sui propheta confinxit. Et idcirco non timebis eum ».

Tr. de Port-Royal : « Que si vous dites en vous-même : Comment pourrai-je discerner si la parole qu’on m’annonce n’est point du Seigneur ? 22. Voici le signe que vous aurez : Si ce que ce prophète a prédit au nom du Seigneur n’arrive point, c’est une marque que ce n’était point le Seigneur qui l’avait dit : mais que ce prophète l’avait inventé par l’orgueil et la présomption de son esprit. C’est pourquoi vous n’aurez aucun respect pour ce prophète ».

Il s’agit de l’une des règles de Moïse évoquées dans le fragment Miracles II (Laf. 832, Sel. 421), pour discerner les vrais prophètes des faux : Moïse en a donné deux : que la prédiction n’arrive pas, Deut. 18. et qu’ils ne mènent point à l’idolâtrie, Deut. 13, et Jésus-Christ une. Cette règle s’impose pour pouvoir remplir la prescription formulée dans le verset 20 : « Si un prophète corrompu par son orgueil entreprend de parler en mon nom, et de dire des choses que je ne lui aurai point commandé de dire, ou s’il parle au nom des dieux étrangers, il sera puni de mort ». Voir le commentaire de ce fragment, sur les réserves qu’impose cette règle.

Cette citation porte sur un sujet différent des suivantes : Pascal l’a donc barrée horizontalement, ce qui signifie qu’il la rejette.

 

Ceux qui suivent Jésus-Christ à cause de ses miracles honorent sa puissance dans tous les miracles qu’elle produit. Mais ceux qui, en faisant profession de le suivre pour ses miracles, ne le suivent en effet que parce qu’il les console et les rassasie des biens du monde, ils déshonorent ses miracles quand ils sont contraires à leurs commodités.

 

En effet : en réalité.

Commodités : les biens ou les circonstances qui permettent de vivre agréablement et à son aise (Furetière).

Tous ceux qui suivent le Christ, sans exception, reconnaissent sa toute-puissance dans ses miracles. Mais parmi eux, il faut distinguer les véritables fidèles et ceux qui font profession de le suivre par un égoïsme qui ne voit dans ces miracles qu’une occasion d’y trouver une consolation personnelle. L’expression les rassasie des biens du monde renvoie à la citation de Jean, VI, 26 précédente, dans laquelle Jésus s’en prend à ceux qui l’écoutent parce qu’ils ont été rassasiés.

Ils déshonorent ses miracles quand ils sont contraires à leurs commodités : Pascal pense peut-être aux jésuites qui ont été contraints d’admettre le miracle de la sainte Épine, mais qui l’attaquent tout de même, parce qu’il contredit leurs ambitions.

 

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Jeh., 9.

Non est hic homo a Deo quia sabbatum non custodit. Alii : Quomodo potest homo peccator hæc signa facere ? Lequel est le plus clair ?

 

Jean, IX, 16 : « Dicebant ergo ex pharisaeis quidam : Non est hic homo à Deo, quia sabbatum non custodit. Alii autem dicebant : Quomodo potest homo peccatur haec signa facere. Et schisma erta inter eos ».

Tr. de Port-Royal : « Sur quoi quelques-uns des pharisiens dirent : Cet homme n’est point envoyé de Dieu, puisqu’il ne garde point le sabbat. Mais d’autres disaient : Comment un méchant homme pourrait-il faire de tels prodiges ? Et il y avait sur cela de la division entr’eux ».

Le commentaire du Nouveau Testament de Port-Royal indique quel discours les pharisiens auraient dû tenir : « Au lieu de dire, comme la raison semblait l’exiger : Cet homme doit être un homme de Dieu, puisqu’il a fait un si grand miracle, ils tirent cette conséquence ridicule : Cet homme n’est point envoyé de Dieu, puisqu’il ne garde pas le sabbat. Quel excès s’écrie saint Cyrille [Cyrill. p. 408], de dire de Jésus-Christ qu’il n’était point un homme de Dieu, lorsque les œuvres qu’il faisaient étaient tout à fait divines ».

Pascal dit cela en quelques mots :

Miracles II (Laf. 840, Sel. 425). Jésus-Christ guérit l’aveugle-né et fit quantité de miracles au jour du sabbat par où il aveuglait les pharisiens qui disaient qu’il fallait juger des miracles par la doctrine.

L’aveuglement des pharisiens est bien sûr symbolique, et représente le refus de recevoir la grâce qui leur est faite de pouvoir être témoins des miracles du Christ.

Miracles III (Laf. 893, Sel. 447). Aveuglement de l’Écriture. L’Écriture, disaient les Juifs, dit qu’on ne sait d’où le Christ viendrait. Jeh. 7. 27. et 12. 34. L’Écriture dit que le Christ demeure éternellement et celui-ci dit qu’il mourra. Ainsi, dit saint Jean, ils ne croyaient point quoiqu’il eût tant fait de miracles, afin que la parole d’Isaïe fût accomplie : Il les a aveuglés, etc.

 

Cette maison est de Dieu, car il y fait d’étranges miracles.

Les autres : Cette maison n’est point de Dieu, car on n’y croit pas que les cinq propositions soient dans Jansénius. Lequel est le plus clair ?

 

Cette maison : l’expression désigne évidemment le couvent de Port-Royal.

Procédé fréquent chez Pascal, qui consiste à construire un raisonnement en analogie avec un autre, pour montrer que l’une des manières de raisonner est aussi inepte que l’autre. Il l’emploie notamment dans le domaine scientifique, lorsqu’il a affaire à des adversaires que leurs préjugés empêchent de raisonner correctement. Voir la Conclusion des Traités de l’équilibre des liqueurs et de la pesanteur de la masse de l’air, où Pascal montre que si l’on voulait raisonner sur une expérience faite avec de l’air comme les plénistes raisonnent sur les expériences faite avec du mercure ou de l’eau, ils aboutiraient à la conclusion risible que la nature a horreur de l’air.

Les autres sont en l’occurrence les jésuites soulevés contre Port-Royal.

Shiokawa Tetsuya, Pascal et les miracles, p. 130-131, sur ce texte. À partir du texte de saint Jean sur l’aveugle né, où les pharisiens contestent au nom de la Loi judaïque, le miracle que Jésus vient d’accomplir le jour du sabbat. Pascal voit une analogie avec le miracle de la sainte Épine, que les jésuites contestent au nom des décisions de l’Église. Dans les deux cas, il n’y a pas à hésiter sur ce qui est le plus clair.

Cette maison n’est point de Dieu, car on n’y croit pas que les cinq propositions soient dans Jansénius : c’est exactement ce que Port-Royal appelle la question de fait, c’est-à-dire la question qui porte sur un point de fait, savoir la présence littérale et intégrale des cinq propositions condamnées par le pape dans l’Augustinus de Jansénius. Une question de fait dépend de l’examen par les sens et la raison, et non de la foi. Elle ne peut donc donner lieu à une condamnation comme celle qui consiste à soutenir que des personnes « ne sont point de Dieu ». Voir là-dessus les Provinciales XVI et XVII.

 

Tu quid dicis ? Dico quia propheta est.

 

Jean, IX, 17. « Dicunt ergo caeco iterum : Tu quid dicis de illo, qui aperuit oculos tuos ? Ille autem dixit : Quia propheta est ».

Tr. de Port-Royal : « Ils dirent donc de nouveau à l’aveugle : Et toi, que dis-tu de cet homme qui t’a ouvert les yeux. Il répondit : C’est un prophète ».

Référence à la guérison de l’aveugle-né. Voir plus haut.

 

Nisi esset hic a Deo non poterat facere quidquam.

 

Jean, IX, 33. Tr. de Port-Royal : « Si cet homme n’était point envoyé de Dieu, il ne pourrait rien faire de tout ce qu’il fait ».

Lhermet J., Pascal et la Bible, p. 481. Pascal cite à propos des miracles du Christ la discussion des pharisiens.