Miracles III  – Fragment n° 8 / 11 – Papier original : RO 467-6

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 195 p. 465 / C2 : p. 264

Éditions savantes : Faugère II, 263, XXXI / Brunschvicg 573 / Tourneur p. 158-2 / Le Guern 704 / Lafuma 893 (série XXXIV, notée XXXIII par erreur) / Sellier 447

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Bibliographie

 

 

LAPORTE Jean, La doctrine de Port-Royal, I, Les vérités de la grâce, Paris, Presses Universitaires de France, 1923.

LHERMET J., Pascal et la Bible, Paris, Vrin, 1931.

SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970.

TRUCHET Jacques, La prédication de Bossuet, I, Paris, Cerf, 1960.

 

 

Éclaircissements

 

Aveuglement de l’Écriture.

 

Entendre aveuglement à l’égard de l’Écriture, et non que l’Écriture soit aveuglée.

Fondement 9 (Laf. 232, Sel. 264). On n’entend rien aux ouvrages de Dieu si on ne prend pour principe qu’il a voulu aveugler les uns et éclaircir les autres.

L’idée de l’aveuglement est liée à celle de l’obscurcissement de l’esprit du pécheur.

Boucher Jean, Les triomphes de la religion chrétienne, contenant les résolutions de trois cent soixante et dix questions sur le sujet de la foi, de l’Écriture sainte, de la création du monde, de la rédemption du genre humain, de la divine providence, et de l’immortalité de l’âme, proposées par Typhon, maître des impies et libertins de ce temps et répondues par Dulithée, Paris, Charles Roulliard, 1628. Voir II, Q. 45, p. 231 sq. Aveuglement et obstination. L’aveuglement suppose une vue antérieure. Les Juifs ont été aveuglés à l’avènement du Christ ; mais avant, ils avaient la vraie foi ; ils étaient clairvoyants parmi les païens. De même pour les impies : ils ont reçu la lumière de la vraie foi ; mais la vanité les perd. Aveuglement concerne l’esprit ; endurcissement concerne le cœur. Voir Q. 46, p. 233 sq. Comment se fait l’aveuglement.

Sur la manière dont l’aveuglement résulte, en dernière instance, de la corruption originelle, voir Écrits sur la grâce, III, Traité de la prédestination, 3, § 8, OC III, éd. J. Mesnard, p. 794. « Son esprit très fort, très juste, très éclairé, est obscurci et dans l’ignorance ».

François de Sales, Traité de l’amour de Dieu, I, XVII, Œuvres, éd. A. Ravier, Paris, Pléiade, Gallimard, 1969, p. 400. « Le péché a beaucoup plus débilité la volonté humaine, qu’il n’a offusqué l’entendement ». La sédition commence en la volonté, et de là s’étend à l’entendement.

On retrouve la même idée formulée par Nicole, sous le pseudonyme de l’annotateur des Provinciales. Voir Wendrock, Provinciales, tr. Joncoux, II, Note sur la quatorzième lettre, p. 296 sq. L’homme a été plus corrompu dans sa volonté que dans son entendement par le péché originel. Tous deux ont été atteints, mais la volonté plus gravement : p. 297. Tous deux ont participé au péché. La volonté corrompue obscurcit en retour l’entendement. L’esprit ne hait pas les mystères de la foi en eux-mêmes : p. 298. Il a de l’aversion pour les préceptes moraux qui en découlent.

Laporte Jean, La doctrine de Port-Royal, I, Les vérités de la grâce, p. 58 sq. L’ignorance, sanction de la chute d’Adam. C’est dans les vérités morales, plus que dans les faits particuliers et les sciences abstraites, que l’intelligence d’Adam a perdu.

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970, p. 93 sq., sur l’obscurcissement de l’esprit.

Arnauld d’Andilly Robert, Traduction d’un discours de la réformation de l’homme intérieur où sont établis les véritables fondements des vertus chrétiennes, selon la doctrine de saint Augustin, prononcé par Cornelius Jansénius Évêque d’Ipre, p. 19-20. « Ainsi l’orgueil ayant corrompu la volonté de l’homme ; comme si par cette enflure ses yeux se fussent fermés et obscurcis, les ténèbres se formèrent en même temps dans son esprit ; et il devint aveugle jusques à tel point, que l’un des deux crut que le Serpent lui disait la vérité ; et l’autre, que se rendant compagnon dans le crime de celle qui était sa compagne dans sa vie, et dans son bonheur, sa désobéissance au commandement de Dieu ne serait qu’une faute pardonnable. »

Cette précision justifie ce qu’en dit le fragment Loi figurative 11 (Laf. 255, Sel. 287). Dieu, pour rendre le Messie connaissable aux bons et méconnaissable aux méchants l’a fait prédire en cette sorte, si la manière du Messie été prédite clairement il n’y eût point eu d’obscurité même pour les méchants. Si le temps eût été prédit obscurément il y eût eu obscurité même pour les bons car la bonté de leur cœur ne leur eût pas fait entendre que par exemple ם signifie 600 ans. Mais le temps a été prédit clairement et la manière en figures. Par ce moyen les méchants prenant les biens promis pour matériels s’égarent malgré le temps prédit clairement et les bons ne s’égarent pas. Car l’intelligence des biens promis dépend du cœur qui appelle bien ce qu’il aime, mais l’intelligence du temps promis ne dépend point du cœur. Et ainsi la prédiction claire du temps et obscure des biens ne déçoit que les seuls méchants.

Cependant, comme les connaissances de l’esprit se fondent sur les données du cœur, la corruption peut aussi les atteindre et les corrompre.

Ce fragment illustre ce que Pascal écrit ailleurs, sur le fait que les dispositions du cœur déterminent la manière dont les hommes raisonnent. Du cœur mauvais naissent des raisonnements qui ne conduisent pas à la vérité.

Le fragment montre comment le cœur charnel des Juifs les a empêchés de reconnaître en Jésus le Christ que le peuple attendait. Leurs arguments sont fondés sur l’Écriture et revêtent la forme de raisonnements apagogiques, c’est-à-dire qu’ils tentent de démontrer que le Christ ne correspond pas à ce que les prophètes annonçaient du Messie. Leur aveuglement résulte donc d’une corruption de l’esprit par le cœur mauvais.

Fondement 5 (Laf. 228, Sel. 260). Que disent les prophètes de Jésus-Christ ? Qu’il sera évidemment Dieu ? Non mais qu’il est un Dieu véritablement caché, qu’il sera méconnu, qu’on ne pensera point que ce soit lui, qu’il sera une pierre d’achoppement, à laquelle plusieurs heurteront, etc. Qu’on ne nous reproche donc plus le manque de clarté puisque nous en faisons profession. Mais, dit-on, il y a des obscurités et sans cela on ne serait pas aheurté à Jésus-Christ. Et c’est un des desseins formels des prophètes : excaeca.

Voir dans les commentaires des citations ci-dessous comment cet aveuglement est censé avoir été principalement causé par les docteurs de la loi.

Voir les dossiers thématiques sur le Dieu caché et le Peuple juif.

L’obscurcissement, qui suscite l’aveuglement, se renforce par l’endurcissement.

Truchet Jacques, La prédication de Bossuet, I, Paris, Cerf, 1960, p. 181 sq. L’endurcissement est l’état du pécheur qui s’est tant abandonné au mal qu’il en est arrivé à se retirer toute possibilité de conversion, donc de salut. Ce n’est pas seulement un phénomène psychologique, explicable par une habitude de pécher si invétérée qu’elle ne peut plus cesser de s’exercer ; c’est une réalité d’ordre spirituel : il vient un moment, impossible à déterminer pour la sagesse humaine, où Dieu décide de retirer sa grâce au coupable ; celui-ci est dès lors perdu sans remède, voué à l’impénitence finale. La permission par laquelle Dieu permet le péché a alors une valeur de châtiment. « Il y a un jour que Dieu sait, après lequel il n’y a plus pour l’âme aucune ressource » (Œuvres complètes, VI, p. 100). « Dieu qui nous voit périr, nous avertit qu’il viendra un point où il cessera de pardonner, et auquel à la fin nous tomberons au dernier degré d’endurcissement et à l’impénitence finale » (Œuvres complètes, VI, p. 578).

Des observations analogues s’appliquent, mutatis mutandis, à l’époque de Pascal : il décrit par exemple ce processus d’endurcissement dans le mal suscité par l’aveuglement dans le Sixième écrit des curés de Paris, § 22, dans le cas de la Compagnie de Jésus. Il y a eu différents degrés de l’endurcissement chez les jésuites : « Les Jésuites sont si aveuglés en leurs erreurs, qu’ils les prennent pour des vérités, et qu’ils s’imaginent ne pouvoir souffrir pour une meilleure cause. C’est l’extrême degré d’endurcissement. Le premier est de publier des maximes détestables. Le second de déclarer, qu’on ne veut point les condamner, lors même que tout le monde les condamne. Et le dernier, de vouloir faire passer pour saints et pour compagnons des martyrs, ceux qui souffrent la confusion publique pour s’obstiner à les défendre. Les Jésuites sont aujourd’hui arrivés à cet état. »

 

L’Écriture, disaient les Juifs, dit qu’on ne sait d’où le Christ viendrait : Joh., 7, 27.

 

Jean, VII, 27. « Sed hunc scimus unde sit : Christus autem cum venerit, nemo scit unde sit ».

Tr. de Port-Royal : « Mais nous savons cependant d’où est celui-ci : au lieu que quand le Christ viendra, personne ne saura d’où il est ».

Le commentaire explique le point de savoir comment les Juifs pouvaient dire « que personne ne connaîtrait d’où serait le Christ. Saint Cyrille d’Alexandrie et saint Augustin croient qu’ils purent bien être entrés dans ce sentiment pour avoir mal entendu ce passage si célèbre d’Isaïe : Qui est-ce qui racontera sa naissance ? [Cyrill, ut supra (i. e. : In Joan, lib. 5, p. 444), p. 446. August. In Joan, tract. 31, pag. 103] Car Isaïe parle en effet dans ce chapitre, de l’anéantissement, de la passion et de la mort de Jésus-Christ, d’une manière si claire qu’on ne peut point en douter. Et c’est même, après avoir déclaré qu’il a été conduit à la mort comme une brebis sans ouvrir la bouche, qu’il ajoute ces paroles : Qui est-ce qui racontera sa naissance ? [Isaïe, 53, 8]. Mais le même saint Cyrille fait fort bien voir qu’on devait entendre ce passage d’Isaïe, de la naissance éternelle et ineffable de Jésus-Christ selon sa divinité ».

 

Et 12, 34 : l’Écriture dit que le Christ demeure éternellement et celui-ci dit qu’il mourra.

 

Jean, XII, 34. « Respondit ei turba : Nos audivimus ex lege quia Christus manet in aeternum, et quomodo tu dicis : Oportet exaltari Filium hominis ? Quis est iste Filius Hominis ? ».

Tr. de Port-Royal : « Le peuple lui répondit : Nous avons appris de la loi que le Christ doit demeurer éternellement. Comment donc dites-vous qu’il faut que le Fils de l’homme soit élevé en haut ? Qui est ce Fils de l’homme ? ».

Commentaire de Port-Royal : « Ce que les Juifs appellent ici la loi doit s’entendre des prophètes et de toute la sainte Écriture. Or il est certain qu’il y est parlé en divers endroits de l’éternité du règne de celui qu’ils attendaient comme le Christ, et le Messie. Il est dit dans le prophète Daniel [Daniel, 7, 14], de celui qui y est nommé expressément le Fils de l’homme : Que la puissance, l’honneur et le royaume lui ont été donnés par celui qui est appelé au même lieu l’Ancien des jours, c’est-à-dire le Père éternel : Que tous les peuples, toutes les tribus, et toutes les langues devaient le servir : Que sa puissance était une puissance éternelle, qui ne lui serait point ôtée, et que son royaume ne serait jamais détruit. Sans parler de beaucoup d’autres endroits de l’Écriture, il est visible que les Juifs avaient raison d’expliquer celui-ci du Christ, et de s’assurer sur ce témoignage si authentique du prophète, que le Christ, comme ils le disent ici, devait demeurer éternellement. Mais leurs docteurs qui leur donnaient ces instructions, ayant le cœur tout rempli de l’orgueil du Judaïsme, leur cachaient ce que le même prophète leur avait appris des humiliations du Christ, qui précéderaient sa grande élévation, et le crime qu’ils devaient commettre eux-mêmes à son égard, en le renonçant pour leur roi [Ib. c. 9, v. 26], et en le faisant mourir. Ainsi trompés par ceux-mêmes que Dieu avait établis pour les instruire, ils parlent ici seulement du règne éternel du Christ, et demandent au Sauveur : Comment il disait que le Fils de l’homme devait être élevé en haut ? Car plusieurs d’entre eux comprirent fort bien qu’il leur parlait de sa mort ; soit que cette expression fût commune pour marquer le supplice de la croix, soit à cause de ce qu’il leur avait dit dans une autre occasion : Que comme Moïse avait élevé le serpent d’airain dans le désert, il fallait de même que le Fils de l’homme fût élevé. Comment donc ce Fils de l’homme pouvait-il mourir, s’il était véritablement le Christ, lui dont le règne devait demeurer éternellement ? Et qui est ce Fils de l’homme, disent-ils à Jésus-Christ. Ainsi ce qu’il avait dit, que s’il était élevé de la terre, il attirerait tout à lui, était une énigme inintelligible à tous ces Juifs, que l’idée si magnifique du Messie empêchait de pénétrer dans la profondeur du mystère de sa croix, et de sa résurrection. »

 

Ainsi, dit saint Jean, ils ne croyaient point quoiqu’il eût tant fait de miracles, afin que la parole d’Isaïe fût accomplie : Il les a aveuglés, etc.

 

À partir de Ainsi, dit saint Jean... commence une addition située en bas à droite du texte précédent.

Jean XII, 37-40. « Cum autem tanta signa fecisset coram eis, non credebant in eum : 38. Ut sermo Isaïae prophetae impleretur, quem dixit : Domine, quis credidit auditui nostro ? et brachium Domini cui revelatum est ? 39. Propterea non poterant credere, qui iterum dixit Isaïas : 40. Excaecavit oculos eorum, et induravit cor eorum : ut non videant oculis, et non intelligant corde, et convertantur, et sanem eos ».

Tr. de Port-Royal : « Mais quoiqu’il eût fait tant de miracles devant eux ils ne croyaient point en lui ; 38. afin que cette parole du prophète Isaïe fût accomplie : Seigneur, dit-il, qui a cru à la parole qu’il a entendue de nous, et à qui le bras du Seigneur a-t-il été révélé ? 39. C’est pour cela qu’ils ne pouvaient croire, parce qu’Isaïe a dit encore : 40. Il a aveuglé leurs yeux, et il a endurci leur cœur, de peur qu’ils ne voient des yeux, et ne comprennent du cœur, et que venant à se convertir, que je ne les guérisse. »

En marge figurent les références suivantes :

Isaïe, LIII, 2, et VI, 9 ;

Rom. X, 16 ;

Matth., XIII, 14 ;

Marc, IV, 12 ;

Luc, VIII, 10 ;

Actes des apôtres, XXVIII, 26 ;

Rom. II, 8.

Sur les différentes traductions de ce passage, chez Pascal, dans la Bible de Louvain et dans le Nouveau Testament de Mons, voir Lhermet J., Pascal et la Bible, p. 250. Jean, XII, 37-40. Lhermet conclut de cette comparaison, effectuée aussi sur d’autres fragments, qu’elle permet de constater une certaine parenté entre le Nouveau Testament de Mons et les Pensées.