Fragment A P.R. n° 2 / 2  – Papier original : RO 321 r°/v° et 325 r°/v°

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : APR n° 207 à 215 p. 71 à 75 / C2 : p. 97 à 102

Éditions de Port-Royal :

    Chap. III - Veritable Religion prouvée par les contrarietez : 1669 et janv. 1670 p. 33-34, 39-40 / 1678 n° 1 p. 36-37, n° 10 à 12 p. 42

    Chap. IV - Il n’est pas incroyable que Dieu s’unisse à nous : 1669 et janv. 1670 p. 45 à 47 / 1678 n° 1 p. 48-49

    Chap. XXVIII - Pensées chrestiennes : 1669 et janv. 1670 p. 272 / 1678 n° 76 p. 265

    Chap. XVIII - Dessein de Dieu de se cacher aux uns, et de se découvrir aux autres : 1669 et janv. 1670 p. 136-137 / 1678 n° 1 p. 135-136

Éditions savantes : Faugère II, 147, XVI / Havet XII.2 à 5 ; XII.20 ; XX.1  / Brunschvicg 430 / Tourneur p. 221 / Le Guern 139 / Lafuma 149 / Sellier 182

 

 

 

 

 

Dans l’édition de Port-Royal

 

Chap. III - Véritable religion prouvée par les contrariétés qui sont dans l’homme, et par le péché originel : 1669 et janv. 1670 p. 33-34, p. 39-40 / 1678 n° 1 p. 36-37, 10 à 12 p. 42

       

Différences constatées par rapport au manuscrit original

 

Ed. janvier 1670 1

Transcription du manuscrit

 

1. [A P.R. 1 (Laf. 149, Sel. 182)]

[Fausseté des autres religions 3 (Laf. 205, Sel. 237)]

[A P.R. 1 (Laf. 149, Sel. 182)]

[Preuves par discours II (Laf. 431, Sel. 683)]

[A P.R. 1 (Laf. 149, Sel. 182)]

 

C’est en vain, ô homme 2, que vous cherchez dans vous-même 2 le remède à vos misères. Toutes vos lumières ne peuvent arriver qu’à connaître que ce n’est point en vous que vous trouverez ni la vérité ni le bien. Les Philosophes vous l’ont promis ; ils n’ont pu le faire. Ils ne savent ni quel est votre véritable bien, ni quel est votre véritable état. Comment auraient-ils donné des remèdes à vos maux, puisqu’ils ne les ont pas seulement connus ? Vos maladies principales sont l’orgueil qui vous soustrait à Dieu, et la concupiscence qui vous attache à la terre ; et ils n’ont fait autre chose qu’entretenir au moins 2 une de ces maladies. S’ils vous ont donné Dieu pour objet, ce n’a été que pour exercer votre orgueil. Ils vous ont fait penser que vous lui êtes 2 semblable par votre nature. Et ceux qui ont vu la vanité de cette prétention vous ont jeté 2 dans l’autre précipice en vous faisant entendre que votre nature était pareille à celle des bêtes, et vous ont porté 2 à chercher votre bien dans les concupiscences qui sont le partage des animaux. Ce n’est pas là le moyen de vous instruire de vos injustices.

 

 

[...]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

10.  Ces deux états d’innocence, et de corruption étant ouverts il est impossible que nous ne les reconnaissions pas.

 

11.  Suivons nos mouvements, observons-nous nous-mêmes, et voyons si nous n’y trouverons pas les caractères vivants de ces deux natures.

 

12.  Tant de contradictions se trouveraient-elles dans un sujet simple ?

 

 

 

 

 

 

Prosopopée

 

« C’est en vain, ô hommes, que vous cherchez dans vous‑mêmes le remède à vos misères. Toutes vos lumières ne peuvent arriver qu’à connaître que ce n’est point dans vous‑mêmes que vous trouverez ni la vérité ni le bien.

Les philosophes vous l’ont promis et ils n’ont pu le faire.

Ils ne savent ni quel est votre véritable bien, ni quel est votre véritable état.

Comment auraient‑ils donné des remèdes à vos maux qu’ils n’ont pas seulement connus ? Vos maladies principales sont l’orgueil, qui vous soustrait de Dieu, [et] la concupiscence, qui vous attache à la terre, et ils n’ont fait autre chose qu’entretenir au moins l’une de ces maladies. S’ils vous ont donné Dieu pour objet, ce n’a été que pour exercer votre superbe. Ils vous ont fait penser que vous lui étiez semblables et conformes par votre nature. Et ceux qui ont vu la vanité de cette prétention vous ont jetés dans l’autre précipice, en vous faisant entendre que votre nature était pareille à celle des bêtes et vous ont portés à chercher votre bien dans les concupiscences qui sont le partage des animaux.

Ce n’est pas là le moyen de vous guérir de vos injustices, que ces sages n’ont point connues. Je puis seule vous faire entendre qui vous êtes. » Etc.

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Adam. Jésus‑Christ.

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Si on vous unit à Dieu, c’est par grâce, non par nature.

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Si on vous abaisse, c’est par pénitence, non par nature.

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Ainsi cette double capacité :

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Vous n’êtes pas dans l’état de votre création.

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Ces deux états étant ouverts, il est impossible que vous ne les reconnaissiez pas.

 

Suivez vos mouvements, observezvous vous-mêmes, et voyez si vous n’y trouverez pas les caractères vivants de ces deux natures.

 

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Tant de contradictions se trouveraient‑elles dans un sujet simple ?

 

1 Conventions : rose = glose des éditeurs ; vert = correction des éditeurs ; marron = texte non retenu par les éditeurs.

2 La différence provient des Copies C1 et C2.

 

Commentaire

 

Port-Royal supprime les notes de style trop elliptiques pour être comprises par le lecteur.

 


 

 

 

 

Dans l’édition de Port-Royal

 

Chap. IV - Il n’est pas incroyable que Dieu s’unisse à nous : 1669 et janv. 1670 p. 45 à 47 / 1678 p. 48-49 (chapitre complet)

       

Différences constatées par rapport au manuscrit original

 

Ed. janvier 1670 1

Transcription du manuscrit

 

Ce qui détourne les hommes de croire qu’ils soient capables d’être unis à Dieu n’est autre chose que la vue de leur bassesse. Mais s’ils l’ont bien sincère, qu’ils la suivent aussi loin que moi, et qu’ils reconnaissent que cette bassesse est telle en effet, que nous sommes par nous-mêmes incapables de connaître si sa miséricorde ne peut pas nous rendre capables de lui. Car je voudrais bien savoir d’où cette créature qui se reconnaît si faible a le droit de mesurer la miséricorde de Dieu, et d’y mettre les bornes que sa fantaisie lui suggère. L’homme sait si peu ce que c’est que Dieu, qu’il ne sait pas ce qu’il est lui-même : et tout troublé de la vue de son propre état, il ose dire que Dieu ne le peut pas rendre capable de sa communication 2. Mais je voudrais lui demander si Dieu demande autre chose de lui, sinon qu’il l’aime et le connaisse ; et pourquoi il croit que Dieu ne peut se rendre connaissable et aimable à lui, puisqu’il est naturellement capable d’amour et de connaissance. Car il est sans doute qu’il connaît au moins qu’il est, et qu’il aime quelque chose. Donc s’il voit quelque chose dans les ténèbres où il est, et s’il trouve quelque sujet d’amour parmi les choses de la terre, pourquoi, si Dieu lui donne 3 quelques rayons de son essence, ne sera-t-il pas capable de le connaître, et de l’aimer en la manière qu’il lui plaira de se communiquer à lui ? Il y a donc sans doute une présomption insupportable dans ces sortes de raisonnements, quoiqu’ils paraissent fondés sur une humilité apparente qui n’est ni sincère ni raisonnable, si elle ne nous fait confesser, que ne sachant de nous-mêmes qui nous sommes, nous ne pouvons l’apprendre que de Dieu.

 

 

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Incroyable que Dieu s’unisse à nous.

 

Cette considération n’est tirée que de la vue de notre bassesse, mais si vous l’avez bien sincère, suivez‑la aussi loin que moi et reconnaissez que nous sommes en effet si bas que nous sommes par nous-mêmes incapables de connaître si sa miséricorde ne peut pas nous rendre capables de lui. Car je voudrais savoir d’où cet animal qui se reconnaît si faible a le droit de mesurer la miséricorde de Dieu et d’y mettre les bornes que sa fantaisie lui suggère. Il sait si peu ce que c’est que Dieu qu’il ne sait pas ce qu’il est lui-même. Et tout troublé de la vue de son propre état, il ose dire que Dieu ne le peut pas rendre capable de sa communication. Mais je voudrais lui demander si Dieu demande autre chose de lui sinon qu’il l’aime et le connaisse, et pourquoi il croit que Dieu ne peut se rendre connaissable et aimable à lui, puisqu’il est naturellement capable d’amour et de connaissance. Il est sans doute qu’il connaît au moins qu’il est et qu’il aime quelque chose. Donc s’il voit quelque chose dans les ténèbres où il est et s’il trouve quelque sujet d’amour parmi les choses de la terre, pourquoi, si Dieu lui découvre quelques rayons de son essence, ne sera‑t‑il pas capable de le connaître et de l’aimer en la manière qu’il lui plaira se communiquer à nous ? Il y a donc sans doute une présomption insupportable dans ces sortes de raisonnements, quoiqu’ils paraissent fondés sur une humilité apparente, qui n’est ni sincère ni raisonnable si elle ne nous fait confesser que, ne sachant de nous‑mêmes qui nous sommes, nous ne pouvons l’apprendre que de Dieu.

 

 

1 Conventions : rose = glose des éditeurs ; vert = correction des éditeurs ; marron = texte non retenu par les éditeurs.

2 Édition de 1678 : « communion ».

3 La différence provient des Copies C1 et C2.

 

Commentaire

 

Le texte de Port-Royal supprime le caractère dialogique du texte original. Il supprime du même coup à la fois le destinataire et le moi de l’auteur, suivant en cela un principe de Pascal.

 

 

 

 

 

 

Dans l’édition de Port-Royal

 

Chap. XXVIII - Pensées chrestiennes : 1669 et janv. 1670 p. 272 / 1678 n° 76 p. 265

       

Différences constatées par rapport au manuscrit original

 

Ed. janvier 1670 1

Transcription du manuscrit

 

 

Dieu n’entend pas que nous soumettions notre créance à lui sans raison, et nous assujettir avec tyrannie. Mais il ne prétend pas aussi nous rendre raison de toutes choses. Et pour accorder ces contrariétés, il entend nous faire voir clairement des marques divines en lui, qui nous convainquent de ce qu’il est, et s’attirer autorité par des merveilles et des preuves que nous ne puissions refuser, et qu’ensuite nous croyions sans hésiter 2 les choses qu’il nous enseigne, quand nous n’y trouverons pas 3 d’autre raison de les refuser, sinon que nous ne pouvons par nous-mêmes connaître si elles sont ou non.

 

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« Je n’entends pas que vous soumettiez votre créance à moi sans raison, et ne prétends point vous assujettir avec tyrannie. Je ne prétends point aussi vous rendre raison de toutes choses. Et pour accorder ces contrariétés, j’entends vous faire voir clairement par des preuves convaincantes des marques divines en moi qui vous convainquent de ce que je suis, et m’attirer autorité par des merveilles et des preuves que vous ne puissiez refuser, et qu’ensuite vous croyiez les choses que je vous enseigne, quand vous n’y trouverez autre sujet de les refuser sinon que vous ne pouvez par vous-mêmes connaître si elles sont ou non.

 

 

1 Conventions : rose = glose des éditeurs ; vert = correction des éditeurs ; marron = texte non retenu par les éditeurs.

2 La différence provient des Copies C1 et C2.

3 Absent de la préédition de 1669, ce mot a été ajouté dans l’édition de janvier 1670, puis supprimé dans l’édition de 1678.

 

Commentaire

 

Port-Royal supprime le caractère de prosopopée du passage.

 

 

 

 

 

Dans l’édition de Port-Royal

 

Chap. XVIII - Dessein de Dieu de se cacher aux uns, et de se découvrir aux autres : 1669 et janv. 1670 p. 136-137 / 1678 n° 1 p. 135-136

       

Différences constatées par rapport au manuscrit original

 

Ed. janvier 1670 1

Transcription du manuscrit

 

Dieu a voulu racheter les hommes, et ouvrir le salut à ceux qui le chercheraient. Mais les hommes s’en rendent si indignes, qu’il est juste qu’il refuse à quelques-uns à cause de leur endurcissement ce qu’il accorde aux autres par une miséricorde qui ne leur est pas due. S’il eût voulu surmonter l’obstination des plus endurcis, il l’eût pu, en se découvrant si manifestement à eux, qu’ils n’eussent pu douter de la vérité de son existence ; et c’est ainsi qu’il paraîtra au dernier jour, avec un tel éclat de foudres, et un tel renversement de la nature, que les plus aveugles le verront.

Ce n’est pas en cette sorte qu’il a voulu paraître dans son avènement de douceurs 2 ; parce que tant d’hommes se rendant indignes de sa clémence, il a voulu les laisser dans la privation du bien qu’ils ne veulent pas. Il n’était donc pas juste qu’il parût d’une manière manifestement divine, et absolument capable de convaincre tous les hommes ; mais il n’était pas juste aussi qu’il vînt d’une manière si cachée qu’il ne pût être reconnu de ceux qui le chercheraient sincèrement. Il a voulu se rendre parfaitement connaissable à ceux-là : et ainsi voulant paraître à découvert à ceux qui le cherchent de tout leur cœur, et caché à ceux qui le fuient de tout leur cœur, il tempère 2 sa connaissance, en sorte qu’il a donné des marques de soi visibles à ceux qui le cherchent, et obscures à ceux qui ne le cherchent pas. 3

 

 

 

 

Dieu a voulu racheter les hommes et ouvrir le salut à ceux qui le chercheraient. Mais les hommes s’en rendent si indignes qu’il est juste que Dieu refuse à quelques‑uns à cause de leur endurcissement ce qu’il accorde aux autres par une miséricorde qui ne leur est pas due.

S’il eût voulu surmonter l’obstination des plus endurcis, il l’eût pu en se découvrant si manifestement à eux qu’ils n’eussent pu douter de la vérité de son essence, comme il paraîtra au dernier jour avec un tel éclat de foudres et un tel renversement de la nature que les morts ressuscités et les plus aveugles le verront.

Ce n’est pas en cette sorte qu’il a voulu paraître dans son avènement de douceur, parce que tant d’hommes se rendant indignes de sa clémence il a voulu les laisser dans la privation du bien qu’ils ne veulent pas. Il n’était donc pas juste qu’il parût d’une manière manifestement divine et absolument capable de convaincre tous les hommes. Mais il n’était pas juste aussi qu’il vînt d’une manière si cachée qu’il ne pût être reconnu de ceux qui le chercheraient sincèrement. Il a voulu se rendre parfaitement connaissable à ceux‑là. Et ainsi voulant paraître à découvert à ceux qui le cherchent de tout leur cœur, et caché à ceux qui le fuient de tout leur cœur, il a tempéré...

[Fondement 19, Sel. 274 :

sa connaissance en sorte qu’il a donné des marques de soi visibles à ceux qui le cherchent et non à ceux qui ne le cherchent pas. [...] ]

 

 

1 Conventions : rose = glose des éditeurs ; vert = correction des éditeurs ; marron = texte non retenu par les éditeurs.

2 La différence provient des Copies C1 et C2. Le s n’a pourtant été ajouté que dans l’édition de janvier 1670. La préédition de 1669 n’en porte pas.

3 Le texte de Fondement 19 a été recopié à la fin du fragment A P. R. 2 dans les Copies C1 et C2.