Fragment Commencement n° 15 / 16 – Papier original : RO 63-3

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Commencement n° 225 p. 79 v° / C2 : p. 105

Éditions de Port-Royal : Chap. XXIX - Pensées Morales : 1669 et janv. 1670 p. 294 / 1678 n° 55 p. 292

Éditions savantes : Faugère I, 214, CXVI / Havet XXIV.58 / Brunschvicg 210 / Tourneur p. 228-2 / Le Guern 154 / Lafuma 165 / Sellier 197

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Bibliographie

 

MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES-CDU, 1993, p. 328.

Entretien avec M. de Sacy, éd. J. Mesnard et P. Mengotti, Paris, Desclée de Brouwer, p. 94-95.

Pensées, éd. Havet, II, 1866, p. 139.

 

 

Éclaircissements

 

 

Le dernier acte est sanglant, quelque belle que soit la comédie en tout le reste. On jette enfin de la terre sur la tête, et en voilà pour jamais.

 

Comédie est pris au sens courant à l’époque de pièce de théâtre en général. Il s’agit en fait du théâtre tragique, car le genre comique ne permet qu’on finisse par des morts. Ce fragment est ainsi lié à ceux de la liasse Commencement qui décrivent la vie de l’homme comme celle du prisonnier d’un cachot.

Pascal connaît personnellement Corneille, dont il a lu le théâtre. On trouve des échos du Cid et de Horace dans les Pensées.

Noter que le dernier acte n’est pas toujours sanglant en tragédie, notamment pas chez Corneille. Voir par exemple Le Cid, Cinna, Nicomède, Pertharite, pour ne mentionner que des pièces que Pascal a pu lire. Ce serait plus juste du théâtre de Racine, mais Pascal ne l’a pas connu. Pascal pense peut-être à la tragédie du début du XVIIe siècle, par exemple le théâtre de Garnier, qui comporte souvent un dénouement très sanglant.

Au fond Pascal ne fait ici que reprendre la définition ancienne de la tragédie, qui conte les grandeurs et les catastrophes des Grands.

La comparaison de la vie humaine avec une comédie est peut-être inspirée par Montaigne, Essais, I, XVIII (XIX), Qu’il ne faut juger de notre heure qu’après la mort, éd. Balsamo et alii, p. 81, qui écrit que l’on ne doit pas déclarer un homme heureux « qu’on ne lui ai vu jouer le dernier acte de sa comédie, et sans doute le plus difficile ». Peut-être faut-il aussi remonter à l’idée des stoïciens que durant sa vie, l’homme joue un rôle, dont il ne choisit pas la durée, et qu’il doit accepter longue ou courte, selon la volonté divine. Voir l’Entretien avec M. de Sacy, éd. J. Mesnard et P. Mengotti, p. 94-95 : « Souvenez-vous », dit Épictète, « que vous êtes ici un acteur, et que vous jouez le personnage d’une comédie, tel qu’il plaît au maître de la donner. S’il vous le donne court, jouez-le court ; s’il vous le donne long, jouez-le long » ; Pascal souligne ensuite qu’Épictète recommande d’avoir toujours « devant les yeux la mort ». L’image de la comédie se retrouve dans les Propos, I, XXIV.

Havet commente le texte en ces termes : « Peut-on se détacher un moment d’une telle pensée pour s’arrêter à la forme ? Elle est d’un genre de beauté bien rare. Elle joint à la dignité de l’éloquence française, non seulement une familiarité forte, comme dans Bossuet, mais je ne sais quel sombre accent, et quelle poésie sourde et pénétrante. Cela est classique et shakespearien tout ensemble ; rien n’est plus discret et rien n’est plus fort. Pascal sans doute a rapporté cette pensée du cimetière ; le bruit des pelletées tombant sur la bière lui était resté au cœur ». Noter que Pascal ne parle justement pas de la bière, mais de la tête, ce qui accentue la force tragique de l’image.