Fragment Fondement n° 10 / 21 – Papier original : RO 59-4
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Fondement n° 285 p. 117 v° / C2 : p. 144-145
Éditions de Port-Royal : Chap. XVIII - Dessein de Dieu de se cacher aux uns, et de se découvrir aux autres : 1669 et janvier 1670 p. 144 / 1678 n° 21 p. 143
Éditions savantes : Faugère II, 319, XV / Havet XX.15 / Brunschvicg 796 / Tourneur p. 252-1 / Le Guern 218 / Lafuma 233 / Sellier 265
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Bibliographie ✍
PASCAL, Pensées, éd. Havet, II, Delagrave, 1866, p. 51. Voir la note p. 55-56. SELLIER Philippe, “Jésus-Christ chez Pascal”, in Port-Royal et la littérature, I, Pascal, Champion, Paris, 1999, p. 271-280 ; 2e éd., Paris, Champion, 2010. |
✧ Éclaircissements
Jésus-Christ ne dit pas qu’il n’est pas de Nazareth pour laisser les méchants dans l’aveuglement, ni qu’il n’est pas fils de Joseph.
Jésus laisse les Juifs dans l’aveuglement en leur laissant dire de lui ce qui pouvait être dit du Messie. Ce fait permet d’illustrer la manière dont Dieu laisse les méchants dans l’aveuglement, tout en laissant à ceux dont le cœur est bon de reconnaître la vérité. Voir le dossier thématique sur le Dieu caché.
Pensées, éd. Havet, II, Delagrave, 1866, p. 51. Voir la note p. 55-56. La famille de Jésus est de Nazareth, et lui-même y avait vécu ; les Évangiles mêmes appellent Nazareth sa patrie (Matth. XIII, 54).
Mais on croyait que le Messie devait naître à Bethléem. Certains passages annoncent que le Messie naîtra « de la ville de Bethléem » : voir Michée V, 2 : « Et tu Bethleem Ephrata parvulus es in millibus Juda : ex te mihi egredietur qui sit dominator in Israël, et egressus ejus ab initio, a diebus aeternitatis ». Tr. de Sacy : « Et vous Bethléem, appelée Éphrata, vous êtes petite entre les villes de Juda, mais c’est de vous que sortira celui qui doit régner dans Israël, dont la génération est dès le commencement, dès l’éternité ». Les commentaires de la Bible de Port-Royal précisent que « la lettre porte entre les mille », au lieu de « entre les villes de Juda », c’est-à-dire « selon quelques-uns, entre les villes capables de fournir mille hommes de guerres. D’autres y cherchent d’autres sens qui sont tous assez obscurs. Les plus habiles d’entre les Juifs ont reconnu devant Hérode que ce verset marquait clairement la naissance du Messie à Bethléem ; et plusieurs autres Juifs l’ont encore reconnu depuis ». Ces passages, selon Havet, signifient seulement à l’origine que le Messie, sortant de la race de David, doit sortir de la ville de Bethléem d’où David est lui-même sorti. Mais on a fini par prendre le sens littéral pour le seul vrai, et par croire que le Messie sortirait vraiment de Bethléem. Or, selon les Évangiles, Jésus est bien né à Bethléem, en raison du déplacement qui a été imposé par le recensement qui a eu lieu à l’époque.
Cependant quand les Juifs l’appellent Jésus de Nazareth, Jésus ne les contredit pas ; voir Jean XVIII, 4 et VII, 40. « Il leur dit : Qui cherchez-vous ? Ils répondirent : Jésus de Nazareth. Jésus leur dit : C’est moi ». Pascal interprète cette réponse comme une manière, de la part de Jésus-Christ, de laisser les méchants dans leur erreur (sans pour autant leur mentir en confirmant expressément leur erreur).
Ni qu’il n’est pas fils de Joseph : voir Pensées, éd. Havet, II, Delagrave, 1866, p. 55-56.
Lorsque Pierre formule sa profession de foi messianique (Marc, VIII, 29 ; Luc, IX, 20 ; Matth. XVI, 16), Jésus lui défend de le dire à personne.
Sur la manière dont Jésus révèle sa filiation et sa mission messianique, voir Bartmann Bernard, Précis de théologie dogmatique, I, p. 350 sq.
Jésus-Christ se révèle aux petits et aux cœurs simples : voir Abrégé de la vie de Jésus-Christ, § 117, OC III, éd. J. Mesnard, p. 272. « En s’en allant, il guérit l’aveugle-né ; les Pharisiens interrogèrent celui en qui le miracle avait été fait et, voyant qu’il persistait à confesser la vérité, ils le jetèrent hors du Temple. Et Jésus le reçoit, lui demande s’il croit au fils de Dieu, lui déclare qu’il l’est, et qu’il est venu pour rendre la vue aux aveugles, c’est-à-dire qui se reconnaissent aveugles. »
En revanche, même aux derniers moments, Jésus reste silencieux face à Pilate : voir l’Abrégé de la vie de Jésus-Christ, § 239-242, OC III, p. 293. « Pilate demande aux Juifs de quoi ils accusent Jésus. Les Prêtres, qui s’en étaient rendus juges, ne voulurent pas s’en rendre parties. Et Pilate ne voulait point le condamner sans connaissance de cause. Enfin ils furent contraints de l’accuser, et lui imposent plusieurs crimes, comme d’avoir voulu émouvoir le peuple, se disant Roi soi-même.
Sur quoi étant interrogé par Pilate, s’il était Roi, il l’avoue. Mais que son Royaume n’est pas de ce monde. »
Abrégé de la vie de Jésus-Christ, § 255, OC III, p. 295-296. « Mais eux autres, par la fausse piété, et par l’ardente sollicitation des Prêtres, l’accusent de plus en plus, et disent à Pilate qu’il s’est fait fils de Dieu, et par là, qu’il mérite la mort. Pilate l’ayant interrogé sur ce fait, Jésus ne répond point. Pilate lui dit qu’il a sur lui la puissance de vie et de mort, et le presse par cette considération de lui répondre. Jésus lui dit qu’il tient cette puissance d’en haut. Pilate, ne pouvant trouver en lui de crime, s’efforce plus que jamais de le délivrer. »
L’obscurité dans laquelle est volontairement laissée la généalogie du Christ est signalée dans la liasse Fondement dans le fragment Fondement 13 (Laf. 236, Sel. 268) : La généalogie de J.-C. dans l’Ancien Testament est mêlée parmi tant d’autres inutiles, qu’elle ne peut être discernée.
Toutefois, Havet ajoute le commentaire critique suivant. Comme on croyait que le Messie devait naître à Bethléem, on a voulu que Jésus y fût né en effet. Voir l’article XVIII, note sur le fragment 14, p. 35. Havet pense que certains détails de la biographie de Jésus n’ont été inventés que parce qu’on était habitué à les rassembler dans l’idée du Messie. Comme la famille de Jésus était notoirement de Nazareth et y était toujours restée, il a fallu inventer une circonstance extraordinaire qui avait conduit Marie enceinte à Bethléem (Luc, II, 4), de manière que Jésus soit connu comme né suivant les prophéties.