Copie d’un fragment joint à C2 – C2 p. 467 v° (main de Pierre Guerrier)
Copies du XVIIIe s. : copie Périer (Sainte-Beuve) p. 167 [bis] v°-168, copie Montempuys p. 7, copie Théméricourt p. 68, copie de Troyes p. 46-47
Éditions modernes : Faugère I, 284, LIII / Havet Prov. G p. 292 / Brunschvicg 919 / Lafuma 973 / Le Guern 425 bis / Sellier 698
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Bibliographie ✍
CEYSSENS Lucien, “François Annat, S. J., avant son confessorat (1590-1654)”, p. 226-227. FERREYROLLES Gérard, Pascal et la raison du politique, Paris, Presses Universitaires de France, 1984. BAUDRY DE SAINT-GILLES D’ASSON, Journal d’un solitaire de Port-Royal, Paris, Nolin, 2008, p. 64 sq. ; JOVY Ernest, Études pascaliennes, IX, Le Journal de M. de Saint-Gilles, p. 23. GAY Jean-Pascal, Morales en conflit. Théologie et polémique au Grand Siècle (1640-1700), Paris, Cerf, 2011. KOLAKOWSKI Leszek, Dieu ne nous doit rien, Brève remarque sur la religion de Pascal et l’esprit du jansénisme, Paris, Albin Michel, 1997, p. 82. PASQUIER Étienne, Le Catéchisme des Jésuites, éd. C. Sutto, Éditions de l’Université de Sherbrooke, 1982, p. 107. SUTTO Claude, “Le Père Louis Richeome et le nouvel esprit politique des jésuites français (XVIe-XVIIe)”, in DEMERSON G. et G., DOMPNIER B., et REGOND A., Les jésuites parmi les hommes aux XVIe et XVIIe siècles, Clermont-Ferrand, Faculté des lettres, 1987, p. 175-184. |
✧ Éclaircissements
Ce sont les effets des péchés des peuples et des Jésuites : les grands ont souhaité d’être flattés ; les Jésuites ont souhaité d’être aimés des grands.
Flatter : déguiser une vérité qui serait désagréable à celui qui y est intéressé.
L’idée que les jésuites et les casuistes tendent les bras à tout le monde, et particulièrement aux chrétiens qui souhaitent vivre dans le relâchement remonte chez Pascal à la cinquième Provinciale. Mais ce fragment insiste surtout sur le fait de la collusion qui réunit les jésuites et les peuples, particulièrement les Grands.
Voir dans la Provinciale V, 5.
« Sachez donc que leur objet n'est pas de corrompre les mœurs : ce n'est pas leur dessein : Mais ils n'ont pas aussi pour unique but celui de les réformer. Ce serait une mauvaise politique. Voici quelle est leur pensée. Ils ont assez bonne opinion d'eux-mêmes pour croire qu'il est utile et comme nécessaire au bien de la religion que leur crédit s'étende partout, et qu'ils gouvernent toutes les consciences.
6. Et parce que les maximes évangéliques et sévères sont propres pour gouverner quelques sortes de personnes, ils s'en servent dans ces occasions où elles leur sont favorables. Mais comme ces mêmes maximes ne s'accordent pas au dessein de la plupart des gens, ils les laissent à l'égard de ceux-là, afin d'avoir de quoi satisfaire tout le monde.
7. C'est pour cette raison qu'ayant à faire à des personnes de toutes sortes de conditions et des nations si différentes, il est nécessaire qu'ils aient des casuistes assortis à toute cette diversité.
8. De ce principe vous jugez aisément que s'ils n'avaient que des casuistes relâchés, ils ruineraient leur principal dessein, qui est d'embrasser tout le monde, puisque ceux qui sont véritablement pieux cherchent une conduite plus sûre. Mais comme il n'y en a pas beaucoup de cette sorte, ils n'ont pas besoin de beaucoup de directeurs sévères pour les conduire. Ils en ont peu pour peu ; au lieu que la foule des casuistes relâchés s'offre à la foule de ceux qui cherchent le relâchement.
9. C'est par cette conduite obligeante et accommodante, comme l'appelle le Père Petau, qu'ils tendent les bras à tout le monde. Car s'il se présente à eux quelqu'un qui soit tout résolu de rendre des biens mal acquis, ne craignez pas qu'ils l'en détournent. Ils loueront au contraire et confirmeront une si sainte résolution : Mais qu'il en vienne un autre qui veuille avoir l'absolution sans restituer, la chose sera bien difficile, s'ils n'en fournissent des moyens dont ils se rendront les garants. »
Kolakowski Leszek, Dieu ne nous doit rien, Brève remarque sur la religion de Pascal et l’esprit du jansénisme, Paris, Albin Michel, 1997, p. 82. La clientèle des jésuites ne se compose ni d’athées ni de libertins, mais plutôt de la noblesse engagée dans des occupations mondaines séculières, d’une moralité questionnable, mais qui tenait à croire qu’il existe une méthode de salut éternel moins rigoureuse et fatigante que ne le disent les augustiniens. La dévotion facile est un moyen de retenir ces personnes dans l’Église.
Adam Antoine, Histoire de la littérature française au XVIIe siècle, II, L’époque de Pascal, Paris, Del Duca, 1962, p. 260.
Ferreyrolles Gérard, Pascal et la raison du politique, Paris, P. U. F., 1984, voir surtout le chap. II, L’anomie jésuite, p. 51 sq., consacré à la politique des jésuites.
Ferreyrolles Gérard, Blaise Pascal. Les Provinciales, p. 75 sq. La politique des jésuites : p. 78 sq.
Gay Jean-Pascal, Morales en conflit. Théologie et polémique au Grand Siècle (1640-1700), Paris, Cerf, 2011, p. 178 sq.
Pasquier insiste sur l’idée que l’ambition inspire les membres de la Compagnie de Jésus : voir Pasquier Étienne, Le catéchisme des jésuites, éd. C. Sutto, p. 107. Les jésuites se mêlent des affaires d'État, alors que la congrégation de 1593 leur interdit de le faire : p. 353 et 360. Ils usent de l'action par le contrôle des hommes plutôt que sur l'administration générale, et de l'intervention directe dans la politique étrangère : p. 107. Ils ont un réseau diplomatique parallèle et occulte : p. 107. Les échecs subis par les jésuites dans leurs interventions dans les affaires d’État : p. 367 sq.
Voir la lettre du P. Annat offrant ses services au cardinal Mazarin du 6 avril 1648, in Ceyssens Lucien, “François Annat, S. J., avant son confessorat (1590-1654)”, p. 226-227.
Baudry de Saint-Gilles d’Asson, Journal d’un solitaire de Port-Royal, Paris, Nolin, 2008, p. 64 sq. ; Jovy Ernest, Études pascaliennes, IX, Le Journal de M. de Saint-Gilles, p. 23. Les jésuites confesseurs des princes. Marie de Gonzague, reine de Pologne, refuse à la reine de France de prendre un confesseur jésuite : p. 23. Les jésuites confesseurs du pape : p. 23.
Selon Guy Patin, les jésuites ne sont en revanche pas bienveillants à l’égard de ceux qui leur reprochent leur esprit de mensonge : Patin Guy, lettre à Charles Spon du 1er octobre 1656 : « Ils tiennent par d'autres principes. Ils sont bien à la Cour, où ils servent de maquereaux politiques, et encore mieux à Rome, où ils font venir l'eau au moulin, et où le Pape est leur marotte. Les jansénistes feront bien de se défendre jusqu'au bout, car ils ont affaire avec gens qui ne pardonnent jamais, et qui sont aussi méchants et cruels, que glorieux et insupportables ».
Ils ont tous été dignes d’être abandonnés à l’esprit du mensonge, les uns pour tromper, les autres pour être trompés.
Ils désigne ici les fidèles qui se sont fiés aux casuistes et les jésuites qui les ont flattés.
Faut-il éditer « l’esprit de mensonge » comme P’ et Montempuis ou « l’esprit du mensonge » (Guerrier) ? Sellier et Lafuma lisent du.
Esprit de mensonge : la nuance entre esprit de mensonge et esprit du mensonge est difficile à définir. Esprit du mensonge semble personnifier l’expression, et désigner, en dernière instance, le Démon. Esprit de mensonge paraît plutôt marquer une disposition du cœur. La graphie manuscrite semble cependant imposer du mensonge.
Le passage de III Rois, XXII, 22-23 de la Bible de Port-Royal (qui correspond à Rois I, XXII, 22-23 de la Bible de Jérusalem) met dans la bouche du Diable parlant à Dieu les expressions esprit menteur et esprit de mensonge ; la Bible de Jérusalem donne les mêmes expressions.
Voir Troisième livre des Rois, XXII, 22. « Et ait ille : Egrediar et ero spiritus mendax in ore omnium prophetarum ejus ». Tr. de Port-Royal : « [L’esprit malin] répondit : J'irai, et je serai un esprit menteur dans la bouche de tous ses prophètes. »
Voir dans les Provinciales les passages où Pascal reproche aux jésuites leur esprit de mensonge :
Provinciale XI, 21. « La première de ces règles est, que l’esprit de piété porte toujours à parler avec vérité et sincérité, au lieu que l’envie et la haine emploient le mensonge et la calomnie : [...] Quiconque se sert du mensonge agit par l’esprit du diable. Il n’y a point de direction d’intention qui puisse rectifier la calomnie ; et quand il s’agirait de convertir toute la terre, il ne serait pas permis de noircir des personnes innocentes ; parce qu’on ne doit pas faire le moindre mal pour en faire réussir le plus grand bien, et que la vérité de Dieu n’a pas besoin de notre mensonge selon l’Écriture. »
La vérité de Dieu n’a pas besoin de notre mensonge : Job, XIII, 7, « Numquid Deus indiget vestro mendacio ut pro illo loquamini dolos ? », « Dieu a-t-il besoin de votre mensonge, ou que vous usiez de déguisements pour le défendre ? »
Ils ont été avares, ambitieux, voluptueux,
Avares : avides.
Coacervabunt sibi magistros.
Coacervare : accumuler.
Coacervabunt sibi magistros : saint Paul, II Timothée, IV, 3 : « Erit enim tempus cum sanam doctrinam non sustinebunt, sed ad sua desideria coacervabunt sibi magistros prurientes auribus » ; « Tr. : « Il viendra un temps où les hommes ne pourront plus souffrir la saine doctrine ; au contraire, ayant une extrême démangeaison d’entendre ce qui les flatte, ils auront recours à une foule de docteurs propres à satisfaire leurs désirs ».
Dignes disciples de tels maîtres. Digni sunt.
Digni sunt : voir saint Paul, Épître aux Romains, I, 29-32 : « Repletos omni iniquitate, malitia, fornicatione, avaritia, nequitia, plenos invidia, homicidio, contentione, dolo, malignitate [...]. Non intellexerunt quoniam qui talia agunt, digni sunt morte : et non solum qui ea faciunt, sed etiam qui consentiunt facientubus ». « Ils ont été remplis de toute sorte d’injustice, de méchanceté, de fornication, d’avarice, de malignité [...]. Ils n’ont pas compris que ceux qui font ces choses sont dignes de mort ; et non seulement ceux qui les font, mais aussi quiconque approuve ceux qui les font ».
Voir aussi, Ép. Rom. I, 32. « Et après avoir connu la justice de Dieu, ils n’ont pas compris que ceux qui font ces choses sont dignes de mort, et non seulement ceux qui les font, mais aussi ceux qui approuvent ceux qui les font ».
Idée qui revient à plusieurs reprises chez Pascal : les fidèles qui suivent les jésuites et les casuistes sont aussi coupables qu’eux.
Fragment hors Copies RO 279 r° / v°(Laf. 954, Sel. 789). [...] Le monde veut naturellement une religion, mais douce [...]. On ne vit pas longtemps dans l'impiété ouverte, ni naturellement dans les grandes austérités. Une religion accommodée est propre à durer. On les cherche par libertinage.
Provinciale V, 7. « De ce principe vous jugez aisément que s'ils n'avaient que des casuistes relâchés, ils ruineraient leur principal dessein, qui est d'embrasser tout le monde, puisque ceux qui sont véritablement pieux cherchent une conduite plus sûre. Mais comme il n'y [en] a pas beaucoup de cette sorte, ils n'ont pas besoin de beaucoup de directeurs sévères pour les conduire. Ils en ont peu pour peu ; au lieu que la foule des casuistes relâchés s'offre à la foule de ceux qui cherchent le relâchement. »
Nicole Pierre, De la connaissance de soi-même, II, ch. X. Qu'on se sert souvent des confesseurs pour s'autoriser dans ses passions. Pour beaucoup un directeur est un « censeur charitable des petits défauts » et un « approbateur des passions auxquelles on ne veut pas renoncer ». On ne voudrait pas d'un directeur qui ne fît aucun reproche, ni d'un qui touchât aux passions chéries. Il doit servir l'amour propre par de petits reproches.
Voir le Projet de mandement contre l’Apologie pour les casuistes : « De même que les prophètes de Dieu annonçaient autrefois à leurs peuples, qui se reposaient ainsi sur leurs faux prophètes, que Dieu exterminera tout ensemble, et ces maîtres, et ces disciples, magistros et discipulos ; et que ceux qui assurent ainsi la conscience des hommes, et ceux qui reçoivent ces assurances, seront ensemble précipités dans une pareille ruine : Et qui beatificant, et qui beatificantur. De sorte que tant s'en faut que cette probabilité de sentiments et cette autorité des docteurs qui les enseignent excuse devant Dieu ceux qui les suivent, que cette confiance est au contraire le plus grand sujet de la colère de Dieu sur eux, parce qu'elle ne vient en effet que d'un désir corrompu de chercher du repos dans ses vices, et non pas d'une recherche pure et sincère de la vérité de Dieu, qui ferait aisément discerner la fausseté de ces opinions, qui font horreur à tous ceux qui ont de véritables sentiments de Dieu. Et c'est pourquoi cette tranquillité dans les crimes les augmente si fort, que Dieu a déclaré par ses prophètes à la Synagogue, et par elle à l'Église, que toute la prière des plus justes ne sauverait pas de sa fureur ceux qui auraient ainsi suivi ces maîtres de fausses doctrines. C'est ce qu'on voit en Jérémie, lorsqu'il demandait miséricorde à Dieu pour les Juifs, et qu'il lui représentait que c'était sur la foi de ces faux prophètes qu'ils étaient demeurés dans leurs crimes. Seigneur, dit-il, ils ont agi de la sorte, parce que leurs prophètes les assuraient que vous approuviez leur conduite ; et que bien loin de les punir, vous les rempliriez de bonheur et de paix. C'est-à-dire, qu'ils avaient suivi l'autorité de plusieurs grands docteurs qui étaient tenus pour prophètes. Et cependant que répond Dieu à ce saint homme ? Les prophètes ont parlé selon leur propre esprit, et non pas selon le mien, dit le Seigneur. Ce ne sont pas mes paroles, mais leurs propres paroles qu'ils ont annoncées ; et c'est pourquoi je perdrai ces docteurs ; mais j'exterminerai de même ceux qui les ont écoutés et suivis. Ne priez donc point pour ce peuple ; car quand Moïse et Samuel se présenteraient devant moi pour arrêter ma fureur, je ne leur ferais point miséricorde. Et s'ils vous demandent : Que ferons-nous donc ? dites-leur que ceux qui sont destinés à la mort aillent à la mort, et que ceux qui sont réservés à la famine et au meurtre courent à la fin qui leur est destinée. »
Voir aussi le § 13 : « 13. Nous déclarons donc hautement que ceux qui seraient dans ces erreurs seraient absolument inexcusables de recevoir la fausseté de ces mains étrangères, qui la leur offrent au préjudice de la vérité qui leur est présentée par les mains paternelles de leurs propres pasteurs ; et qu'ils soient doublement coupables dans ces impiétés, et pour avoir reçu des opinions qu'ils ne devaient jamais admettre, et pour les avoir reçues de ceux qu'ils ne devaient point écouter. Car comme ces personnes qui sont hors de la hiérarchie n'ont de pouvoir d'y exercer aucune fonction que sous nos ordres et selon nos règlements, tout ce qu'ils disent contre notre aveu doit être regardé comme suspect et irrecevable, et ainsi les fidèles en doivent demeurer exempts, et demander à Dieu la persévérance des pasteurs naturels de son Église ; afin que ce malheureux repos, et ce consentement général dans l'erreur qui doit attirer le dernier jugement de Dieu, n'arrive pas de nos jours comme il arriva à la fin de la Synagogue, lorsque les prophètes se relâchèrent. Les princes sont dans la corruption, les prêtres les y accompagnent. Les prophètes les y confirment, et tous ensemble, en cet état, se reposent encore sur le Seigneur, en disant : Dieu est au milieu de nous ; il ne nous arrivera pas de mal. C'est pour cette raison, dit le Seigneur, que Jérusalem sera totalement détruite, et que le Temple de Dieu sera renversé et anéanti. »
Ils ont cherché des flatteurs et en ont trouvé.
Ils désigne ici les fidèles qui se sont fiés aux casuistes et aux jésuites qui les ont flattés. Le verbe cherché exprime l’idée que cette soumission aux casuistes est volontaire.
Coacervabunt sibi magistros : saint Paul, II Timothée, IV, 3 : « Erit enim tempus cum sanam doctrinam non sustinebunt, sed ad sua desideria coacervabunt sibi magistros prurientes auribus » ; « Tr. : « Il viendra un temps où les hommes ne pourront plus souffrir la saine doctrine ; au contraire, ayant une extrême démangeaison d’entendre ce qui les flatte, ils auront recours à une foule de docteurs propres à satisfaire leurs désirs ».
L’idée qu’il existe une complicité cachée entre les jésuites (ou, dans les anciens temps, les faux prophètes) et ceux qu’ils trompent, revient à plusieurs reprises sous la plume de Pascal. Alors que l’on pourrait croire, à première vue, quelles dupes sont simplement des victimes de ceux qui les trompent, la culpabilité est égale entre ceux qui trompent et ceux qui aiment à se laisser tromper, parce que c’est la concupiscence qui les dispose à prêter créance à des faussetés qui les favorisent, mais dont ils pourraient facilement se garder s’ils le voulaient véritablement.
L’idée est esquissée dès la cinquième Provinciale.
Provinciale V, 7. « De ce principe vous jugez aisément que s'ils n'avaient que des casuistes relâchés, ils ruineraient leur principal dessein, qui est d'embrasser tout le monde, puisque ceux qui sont véritablement pieux cherchent une conduite plus sûre. Mais comme il n'y en a pas beaucoup de cette sorte, ils n'ont pas besoin de beaucoup de directeurs sévères pour les conduire. Ils en ont peu pour peu ; au lieu que la foule des casuistes relâchés s'offre à la foule de ceux qui cherchent le relâchement. »
La source de cette complicité entre trompeurs et trompés est expliquée par le fragment Laf. 954, Sel. 789.
Elle est plus fortement expliquée dans la onzième Provinciale. Provinciale XI, § 16 :
« Quoi, mes pères, il vous sera permis de dire, qu’on peut tuer pour éviter un soufflet et une injure, et il ne sera pas permis de réfuter publiquement une erreur publique d’une telle conséquence ? Vous aurez la liberté de dire, qu’un juge peut en conscience retenir ce qu’il a reçu pour faire une injustice, sans qu’on ait la liberté de vous contredire ? Vous imprimerez avec privilège et approbation de vos docteurs, qu’on peut être sauvé sans avoir jamais aimé Dieu, et vous fermerez la bouche à ceux qui défendront la vérité de la foi, en leur disant qu’ils blesseraient la charité de frères en vous attaquant, et la modestie de chrétiens en riant de vos maximes. Je doute, mes pères, qu’il y ait des personnes à qui vous ayez pu le faire accroire. Mais néanmoins s’il s’en trouvait qui en fussent persuadés, et qui crussent que j’aurais blessé la charité que je vous dois, en décriant votre morale, je voudrais bien qu’ils examinassent avec attention d’où naît en eux ce sentiment. Car encore qu’ils s’imaginent qu’il part de leur zèle, qui n’a pu souffrir sans scandale de voir accuser leur prochain, je les prierais, de considérer, qu’il n’est pas impossible qu’il vienne d’ailleurs, et qu’il est même assez vraisemblable, qu’il vient du déplaisir secret et souvent caché à nous-mêmes que le malheureux fond qui est en nous ne manque jamais d’exciter contre ceux qui s’opposent au relâchement des mœurs. Et pour leur donner une règle qui leur en fasse reconnaître le véritable principe, je leur demanderai, si en même temps qu’ils se plaignent de ce qu’on a traité de la sorte des religieux, ils se plaignent encore davantage de ce que des religieux ont traité la vérité de la sorte. Que s’ils sont irrités non seulement contre les Lettres, mais encore plus contre les maximes qui y sont rapportées, j’avouerai qu’il se peut faire que leur ressentiment parte de quelque zèle, mais peu éclairé et alors les passages qui sont ici suffiront pour les éclaircir. Mais s’ils s’emportent seulement contre les répréhensions, et non pas contre les choses qu’on a reprises, en vérité, mes Pères, je ne m’empêcherai jamais de leur dire qu’ils sont grossièrement abusés, et que leur zèle est bien aveugle.
17. Étrange zèle qui s’irrite contre ceux qui accusent des fautes publiques, et non pas contre ceux qui les commettent ! Quelle nouvelle charité qui s’offense de voir confondre des erreurs manifestes par la seule exposition que l’on en fait ; et qui ne s’offense point de voir renverser la Morale par ces erreurs ? Si ces personnes étaient en danger d’être assassinées, s’offenseraient-elles de ce qu’on les avertirait de l’embûche qu’on leur dresse, et au lieu de se détourner de leur chemin pour l’éviter, s’amuseraient-elles à se plaindre du peu de charité qu’on aurait eu de découvrir le dessein criminel de ces assassins ? S’irritent-elles lorsqu’on leur dit de ne manger pas d’une viande, parce qu’elle est empoisonnée, ou de n’aller pas dans une ville, parce qu’il y a de la peste ?
18. D’où vient donc qu’ils trouvent qu’on manque de charité, quand on découvre des maximes nuisibles à la religion ; et qu’ils croient au contraire qu’on manquerait de charité de ne pas découvrir les choses nuisibles à leur santé et à leur vie ; sinon parce que l’amour qu’ils ont pour la vie, leur fait recevoir favorablement tout ce qui contribue à la conserver ; et que l’indifférence qu’ils ont pour la vérité, fait que non seulement ils ne prennent aucune part à sa défense, mais qu’ils voient même avec peine qu’on s’efforce de détruire le mensonge ?
19. Qu’ils considèrent donc devant Dieu, combien la morale que vos casuistes répandent de toutes parts, est honteuse et pernicieuse à l’Église ! combien la licence qu’ils introduisent dans les mœurs, est scandaleuse et démesurée : combien la hardiesse avec laquelle vous les soutenez, est opiniâtre et violente. Et s’ils ne jugent qu’il est temps de s’élever contre de tels désordres, leur aveuglement sera aussi à plaindre que le vôtre, mes Pères, puisque et vous et eux avez un pareil sujet de craindre cette parole de S. Augustin sur celle de Jésus-Christ dans l’Évangile : Malheur aux aveugles qui conduisent, malheur aux aveugles qui sont conduits : Vae cæcis ducentibus : Vae cæcis sequentibus ! »
Fragment hors Copies RO 411-1 r° / v° (Laf. 967, Sel. 800). De sorte que s’il est vrai d’une part que quelques religieux relâchés et quelques casuistes corrompus, qui ne sont point membres de la hiérarchie, ont trempé dans ces corruptions, il est constant de l’autre que les véritables pasteurs de l’Église qui sont les véritables dépositaires de la parole divine, l’ont conservée immuable contre les efforts de ceux qui ont entrepris de la ruiner. Et ainsi les fidèles n’ont aucun prétexte de suivre ces relâchements qui ne leur sont offerts que par les mains étrangères de ces casuistes, au lieu de la saine doctrine qui leur est présentée par les mains paternelles de leurs propres pasteurs. Et les impies et les hérétiques n’ont aucun sujet de donner ces abus pour des marques du défaut de la providence de Dieu sur son Église, puisque l’Église étant proprement dans le corps de la hiérarchie, tant s’en faut qu’on puisse conclure de l’état présent des choses, que Dieu l’ait abandonnée à la corruption, qu’il n’a jamais mieux paru qu’aujourd’hui, que Dieu la défend visiblement de la corruption.
Le Projet de mandement, § 11, présente une idée identique, mais dans le style de l’autorité épiscopale :
« Et c'est sur quoi nous annonçons à tous ceux sur qui Dieu nous a donné de l'autorité, que ce sont des faussetés diaboliques, et que tous ceux qui suivront ces maximes sur la foi de ces faux docteurs périront avec eux. De même que les prophètes de Dieu annonçaient autrefois à leurs peuples, qui se reposaient ainsi sur leurs faux prophètes, que Dieu exterminera tout ensemble, et ces maîtres, et ces disciples, magistros et discipulos ; et que ceux qui assurent ainsi la conscience des hommes, et ceux qui reçoivent ces assurances, seront ensemble précipités dans une pareille ruine: Et qui beatificant, et qui beatificantur. De sorte que tant s'en faut que cette probabilité de sentiments et cette autorité des docteurs qui les enseignent excuse devant Dieu ceux qui les suivent, que cette confiance est au contraire le plus grand sujet de la colère de Dieu sur eux, parce qu'elle ne vient en effet que d'un désir corrompu de chercher du repos dans ses vices, et non pas d'une recherche pure et sincère de la vérité de Dieu, qui ferait aisément discerner la fausseté de ces opinions, qui font horreur à tous ceux qui ont de véritables sentiments de Dieu. Et c'est pourquoi cette tranquillité dans les crimes les augmente si fort, que Dieu a déclaré par ses prophètes à la Synagogue, et par elle à l'Église, que toute la prière des plus justes ne sauverait pas de sa fureur ceux qui auraient ainsi suivi ces maîtres de fausses doctrines. C'est ce qu'on voit en Jérémie, lorsqu'il demandait miséricorde à Dieu pour les Juifs, et qu'il lui représentait que c'était sur la foi de ces faux prophètes qu'ils étaient demeurés dans leurs crimes. Seigneur, dit-il, ils ont agi de la sorte, parce que leurs prophètes les assuraient que vous approuviez leur conduite ; et que bien loin de les punir, vous les rempliriez de bonheur et de paix. C'est-à-dire, qu'ils avaient suivi l'autorité de plusieurs grands docteurs qui étaient tenus pour prophètes. Et cependant que répond Dieu à ce saint homme ? Les prophètes ont parlé selon leur propre esprit, et non pas selon le mien, dit le Seigneur. Ce ne sont pas mes paroles, mais leurs propres paroles qu'ils ont annoncées; et c'est pourquoi je perdrai ces docteurs; mais j'exterminerai de même ceux qui les ont écoutés et suivis. Ne priez donc point pour ce peuple ; car quand Moïse et Samuel se présenteraient devant moi pour arrêter ma fureur, je ne leur ferais point miséricorde. Et s'ils vous demandent : Que ferons-nous donc ? dites-leur que ceux qui sont destinés à la mort aillent à la mort, et que ceux qui sont réservés à la famine et au meurtre courent à la fin qui leur est destinée. »
Pascal insiste sur le fait que cette collusion des casuistes et du peuple ne compromet pas l’Église.
Cinquième écrit des curés de Paris, § 12. « Peut-on dire après cela que l’Église consent à ces erreurs, et ne faut-il pas avoir toute la malice des hérétiques pour l’avancer, sous le seul prétexte qu’un corps qui n’est point de la hiérarchie, demeure opiniâtrement dans quelques sentiments particuliers condamnés par ceux qui ont autorité dans le corps de la hiérarchie ? On a donc sujet de rendre grâces à Dieu de ce qu’il a fait naître en ce temps un si grand nombre de témoignages authentiques de l’aversion que l’Église a pour ces maximes, et de nous avoir donné par là un moyen si facile de la défendre de cette calomnie, et de renverser en même temps les avantages que les Calvinistes et les Jésuites avaient espéré de tirer de leur imposture. »
La persévérance des pasteurs naturels de son Église : la persévérance des curés dans leur lutte contre le livre du P. Pirot et les probabilités en général est plusieurs fois affirmée dans les Écrits des curés de Paris.
Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 482, sur la réprobation des Juifs. La citation vient de Jérémie, VII, 4.
Nicole Pierre, De la connaissance de soi-même, II, ch. IV, éd. Thirouin, Essais de morale, P. U. F., p. 350-351 :
« Je dis seulement que ce repos où vivent ceux qui suivent des sentiments relâchés, sans les avoir jamais examinés sérieusement, est visiblement déraisonnable, et qu’il ne peut venir que de la corruption de leur cœur, du désir secret qu’ils ont de n’être pas troublés dans la jouissance des objets de leurs passions par les remords de leur conscience, et enfin de la crainte d’être obligés de se condamner à l’égard du passé, et de changer de conduite à l’avenir. C’est là ce qui étouffe leur crainte, et les empêche d’avoir, à l’égard de leur salut, les mêmes sentiments qu’ils éprouvent à l’égard de toutes les autres choses. Car si des médecins habiles leur disaient qu’une certaine viande est empoisonnée, ils se garderaient bien d’en manger avant que de s’être assurés que ces médecins se trompent. Si on leur donnait avis qu’il y eût une entreprise formée contre leur vie, que le feu est à leur logis, ils ne se fieraient nullement aux discours de ceux qui leur diraient le contraire sans leur en apporter aucune preuve ; ils ne manqueraient point d’approfondir ces avis, et ils ne se tiendraient point en repos qu’ils ne se fussent parfaitement éclaircis de la vérité. D’où vient donc que quand ils entendent dire que des personnes éclairées sont convaincues, que des choses qu’ils pratiquent ne sont nullement permises, qu’elles sont capables de les perdre, qu’elles sont condamnées par la loi de Dieu comme des crimes, ils en sont pourtant si peu émus, que tout est capable de les rassurer ? D’où vient qu’ils ne prennent jamais la peine d’examiner à fond les raisons du sentiment qui ne leur est pas favorable, ni d’entretenir aucun de ceux qui en sont persuadés, mais qu’ils s’arrêtent à de certaines raisons superficielles, et que pourvu qu’ils se voient autorisés par une troupe de gens, dont ils estiment d’ailleurs très peu la lumière et la piété, ils s’imaginent n’avoir rien à craindre ? Qui ne voit que c’est leur passion qui suspend leur raison, et qui lui cache les plus communes règles du bon sens, qu’elle ne se pourrait empêcher de voir si elle n’était comme liée par le cœur qui appréhende d’être troublé dans ses inclinations ? »