Fragment connu par l’édition de Port-Royal de 1678 – Le papier original est perdu
Copies manuscrites du XVIIe s. : absent de C1 et C2
Éditions de Port-Royal : chap. XXXI - Pensées diverses : 1678 n° 42 p. 336
Éditions modernes : Faugère I, 251, XIV / Havet VII.29 / Brunschvicg 19 / Le Guern 757 / Lafuma 976 / Sellier 740
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Bibliographie ✍
GOLDMANN Lucien, Le Dieu caché, Paris, Gallimard, 1955, p. 224. JACOUBET H., “Notes sur quelques pensées”, Variétés d’histoire littéraire, Paris, 1935. MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES-CDU,1993, p. 50. MESNARD Jean, “Pourquoi les Pensées de Pascal se présentent-elles sous forme de fragments ?”, in La culture du XVIIe siècle. Enquêtes et synthèses, Paris, P. U. F., 1992, p. 363-370. PRIGENT Jean, “La conception pascalienne de l’ordre”, Ordre, désordre, lumière, Paris, 1952, p. 190-209. |
✧ Éclaircissements
La dernière chose qu’on trouve en faisant un ouvrage est de savoir celle qu’il faut mettre la première.
Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES-CDU, 1993, p. 376. À la date du 14 avril 1678, une nouvelle édition des Pensées comporte une quarantaine de fragments supplémentaires. La plupart des fragments nouveaux ont été prélevés dans la première Copie. Restent deux fragments dont la source est inconnue, Laf. 975-976, Sel. 740.
Certains commentateurs considèrent que Pascal n’est pas l’auteur de ce texte. Commentaire de GEF, XII, p. 31 : Il est peu probable que cette réflexion ait été écrite par Pascal ; c’est un souvenir de conversation, qui aurait été recueilli par Port-Royal.
Jacoubet H., “Notes sur quelques pensées”, Variétés d’histoire littéraire, Paris, 1935. « Ceci n’est évidemment pas de Pascal ».
Contra, voir Lafuma, Pensées, éd. Luxembourg, Notes, p. 201, qui écrit : « Nous ne sommes pas de cet avis ».
Le texte aborde un point de ce qu’en rhétorique, on appelle la disposition.
Certains commentateurs tentent une explication pour expliquer le paradoxe :
Goldmann Lucien, Le Dieu caché, p. 224. Le fragment est une preuve du caractère indéfini de la recherche d'ordre : lorsqu'on termine à nouveau l'ouvrage qu'on a recommencé, on s'aperçoit encore que ce qu'on aurait dû mettre en premier n'est pas à sa place.
Le fragment paraît bien refléter les habitudes de Pascal lui-même.
Voir la Préface de l’édition de Port-Royal de 1670. Pascal « avait toujours accoutumé de songer beaucoup aux choses et de les disposer dans son esprit avant que de les produire au-dehors, pour bien considérer et examiner avec soin celles qu’il fallait mettre les premières ou les dernières, et l’ordre qu’il leur devait donner à toutes, afin qu’elles pussent faire l’effet qu’il désirait ». Voir ce texte dans l’éd. de L’intégrale, p. 490, col. 1, ou Pensées, éd. L. Lafuma, éd. du Luxembourg, III, Documents, p. 133-134.
Mesnard Jean, “Pourquoi les Pensées de Pascal se présentent-elles sous forme de fragments ?”, La culture au XVIIe siècle, p. 368. Rapport de cette pensée avec le mode de composition par fragment, et d'une résolution finale de l'état fragmentaire. La composition par noyaux s'élargissant progressivement, et venant peu à peu s'articuler en fonction d'un dessein d'ensemble élaboré parallèlement correspond à ce que Pascal nous apprend sur sa manière d'écrire. La place d'un élément, dans l'ordre de la genèse de l'œuvre, est imprévisible.
Pascal pense que, pour parler du scepticisme, il faut procéder à la manière des pyrrhoniens, ce qui renverse l’ordre ordinaire, qui veut que l’on commence par savoir la conclusion que l’on vise.
Laf. 532, Sel. 457. Pyrr. J’écrirai ici mes pensées sans ordre et non pas peut-être dans une confusion sans dessein. C’est le véritable ordre et qui marquera toujours mon objet par le désordre même.
Je ferais trop d’honneur à mon sujet si je le traitais avec ordre puisque je veux montrer qu’il en est incapable.
Toutefois, le présent fragment semble avoir une portée plus large : c’est dans tout discours que la recherche du bon ordre conduit à placer en tête une idée qui n’a d’abord été considérée que comme intermédiaire, ou qui se présente comme entièrement nouvelle.
La chose qu’il faut mettre en premier, ce sont les principes (par définition). Mais ces principes peuvent ne pas être faciles à reconnaître au premier regard.
Si l’on envisage les travaux de Pascal sur le vide et l’hydrostatique, on constate que le premier texte porte sur un effet qui dépend de lois qui n’ont été écrites qu’en dernier lieu, savoir les règles de l’équilibre des liqueurs et celles de la pesanteur de la masse de l’air.
De manière analogue, voir l’Usage du triangle arithmétique pour déterminer les partis qu’on doit faire entre deux joueurs qui jouent en plusieurs parties, OC II, éd. J. Mesnard, p. 1308 sq., où Pascal donne les principes des partis et leurs corollaires. Mais il ne les donne dans le Triangle arithmétique qu’après ses échanges avec Roberval et avec Fermat.
On trouve une étude claire sur le fond rhétorique et littéraire de ce fragment dans l’article de Prigent Jean, “La conception pascalienne de l’ordre”, Ordre, désordre, lumière, Paris, 1952, p. 190-209.
♦ Écho
Lamy Bernard, La rhétorique ou l’art de parler, Livre 5, chapitre XVIII, éd. Noille-Clauzade, Paris, Champion, 1998, p. 423. L’exorde doit être pris ex visceribus causae. Il est naturel que ce soit la dernière chose que l’on puisse trouver, car on ne peut trouver qu’après avoir médité le sujet.
Wittgenstein Ludwig, Remarques mêlées, Paris, Garnier-Flammarion, 2002, p. 61. « Si je ne sais pas bien comment commencer un livre, cela vient de ce que quelque chose encore n’est pas clair. »