Fragment Preuves de Jésus-Christ n° 13 / 24 – Papier original : RO 55-1
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Preuves de J.-C. n° 342 p. 161 / C2 : p. 191-192
Éditions de Port-Royal : Chap. XVI - Diverses preuves de Jésus-Christ : 1669 et janvier 1670 p. 127-128 / 1678 n° 1 p. 127-128
Éditions savantes : Faugère II, 322, XIX / Havet XIX.1 bis / Brunschvicg 801 / Tourneur p. 279-2 / Le Guern 292 / Lafuma 310 / Sellier 341
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Bibliographie ✍
ERNST Pol, Approches pascaliennes, Gembloux, Duculot, 1970. FERREYROLLES Gérard, Les reines du monde. L’imagination et la coutume chez Pascal, Paris, Champion, 1995. GROTIUS Hugo, De veritate religionis christianae, III. NICOLE Pierre, Traité de la foi humaine, Partie II, ch. V, in Nicole Pierre, Les Imaginaires et les Visionnaires. Traité de la foi humaine. Jugement équitable tiré des œuvres de S. Augustin. Lettre de Messire Nicolas Pavillon, évêque d’Alet, à Messire Hardouin Péréfixe, archevêque de Paris, À Cologne, chez Pierre Marteau, 1683. RUSSIER Jeanne, La foi selon Pascal, II, Tradition et originalité dans la théorie pascalienne de la foi, Paris, Presses Universitaires de France, 1949. |
✧ Éclaircissements
Preuv. de Jésus-Christ.
L’hypothèse des apôtres fourbes est bien absurde. Qu’on la suive tout au long, qu’on s’imagine ces douze hommes assemblés après la mort de Jésus-Christ, faisant le complot de dire qu’il est ressuscité. Ils attaquent par là toutes les puissances.
Nicole Pierre, Traité de la foi humaine, Partie II, ch. V, in Nicole Pierre, Les Imaginaires et les Visionnaires. Traité de la foi humaine. Jugement équitable tiré des œuvres de S. Augustin. Lettre de Messire Nicolas Pavillon, évêque d’Alet, à Messire Hardouin Péréfixe, archevêque de Paris, À Cologne, chez Pierre Marteau, 1683, p. 605 sq.
« C’est par cette règle que les défenseurs de la religion chrétienne ont prouvé la certitude de la résurrection de Jésus-Christ ; et par la certitude de sa résurrection la vérité de toute la religion qu’il a enseignée aux hommes. Car il est impossible, disent-ils, que plus de cinq cents personnes publient qu’ils ont vécu avec un homme ressuscité, qu’ils ont mangé avec lui, qu’ils l’ont vu à diverses fois, et en divers lieux, qu’ils l’ont touché, qu’il leur a parlé, et qu’ils se trompassent en ce point autrement que volontairement. Et l’argument est concluant : si les apôtres et les premiers disciples de Jésus-Christ sont sincères, Jésus-Christ est ressuscité. Or jamais sincérité ne fut claire comme celle des apôtres, et des autres témoins de la résurrection. C’était des gens simples, ignorants, et incapables de déguisements et d’artifice : ils forment un dessein d’aller prêcher à toute la terre la résurrection de Jésus-Christ, sans en espérer un autre avantage dans ce monde que les souffrances, les misères et la mort. Ils exécutent ce dessein avec des peines et des travaux incroyables, sans se ralentir, ni perdre courage : leurs paroles, leurs actions, leurs écrits, ont un air de sincérité inimitable à tout l’artifice des hommes ; ils rendent tous témoignage à cette résurrection par l’effusion de leur sang : un seul de ces témoins, qui eût démenti les autres, aurait ruiné tout leur dessein : il est impossible qu’il ne s’en fût trouvé aucun, et qu’ils eussent tous voulu mourir pour une chose qu’ils eussent su être fausse ou douteuse ; cependant nul d’entre eux ne dément les autres, ils persistent tous jusqu’à la mort dans la confession de cette vérité que Jésus-Christ est ressuscité. Il n’y a donc aucun sujet d’en douter. »
Grotius Hugo, De veritate religionis christianae, III, § VI. Par le § V, Grotius montre que les auteurs du Nouveau Testament ont été témoins des faits qu’ils racontent, et qu’ils n’pont été « ni trompés ni trompeurs » (tr. Le Clerc). Voir § VI, les auteurs sacrés « mentiri nolebant », ils « n’ont pu avoir dessein de mentir ». L’erreur ne peut provenir que de l’ignorance ou de la volonté mauvaise : « aut ab ignorantia aut a mala voluntate debeat proficisci » : p. 51. C’est à l’adversaire de prouver qu’ils peuvent avoir menti : « qui testes ex parte voluntatis refellunt, necesse est aliquid adferent, quo voluntatem credibile fit a vero dicendo diverti » ; si l’on soupçonne les apôtres d’avoir sciemment déformé la vérité, il faut alléguer un motif qui les y ait poussés. Les apôtres n’ont eu aucune raison de mentir, et ils ne pouvaient agir par aucun autre motif « nisi ob Dei reverentiam ». Le récit qu’ils font de leurs propres fautes (la fuite au moment où Jésus est en danger, le reniement de Pierre) plaide en faveur de leur sincérité. Pascal développe Grotius : « Nam si quis objiciat ipsorum causam agi, videndum erit cur ipsorum sit haec causa, non sane commodi consequendi, aut vitandi periculi alicujus gratia, cum hujus professionis causa et commoda omnia amitterent, et nulla non adirent pericula » ; « quand on récuse des témoins parce qu’on les croit de mauvaise foi, on est obligé de donner quelques raisons de ce soupçon, et de dire par quels motifs ils ont pu se laisser aller au mensonge et à la fourbe. Or c’est ce qu’on ne peut pas faire en cette rencontre. Cat si l’on objecte qu’ils ont pu mentir parce que l’intérêt de leur cause le demandait, il faudra un peu examiner pourquoi ils se sont embarqués dans cette cause, et sont entrés dans ces intérêts. Certes, ce n’a été ni pour l’espérance de quelques avantages, ni pour la crainte de tomber dans quelques disgrâces, puisque cette cause, dont ils entreprenaient la défense, les privait de toutes commodités, et les jetait dans toutes sortes de périls. Ils ne se sont donc chargés d’une commission si dangereuse que par la crainte de Dieu ». Grotius argumente rapidement sur chaque cas : Jacques, Paul, Luc, etc. Voir VII : Grotius note : « neque eos deterrit quod scirent iis temporibus Judaeos magistratus sibi esse infestisimos, et Romanos iniquos admodum : qui nullum omissuri essent ipsos, tamquam novae religionis auctores, aliquo crimine traducendi materiam. »
Charron Pierre, Les trois vérités, II, 6, indique que les évangélistes ont écrit « à la barbe des ennemis mortels et jurés de leur maître, qu’ils avaient fait mourir, et des leurs, gens puissants, qui ne cherchaient qu’à mordre sur eux, et les ont persécutés à la mort, dont ils eussent trouvé la juste occasion, s’il y en eût ». Voir II, 6 : les auteurs des Évangiles étaient « gens simples, sans art ni suffisance, du tout incapables de les forger, ni bâtir un corps entier d’histoire, et moins inventer une si grande sagesse, prudence, et suffisance, qui se trouve aux faits, dits, demandes, réponses, paraboles de Jésus ». Voir II, 9 : « certes si la religion chrétienne est vaine et fausse, il faut que les disciples de Jésus et les premiers chrétiens aient voulu tromper le monde, et décevoir la postérité, ou qu’eux-mêmes aient été déçus ».
Voir le fragment Preuves par discours II (Laf. 433, Sel. 685) : Jésus-Christ est venu dire aux hommes qu’ils n’ont point d’autres ennemis qu’eux-mêmes, que ce sont leurs passions qui les séparent de Dieu [...] À cela s’opposent tous les hommes, non seulement par l’opposition naturelle de la concupiscence ; mais par-dessus tout, les rois de la terre s’unissent pour abolir cette religion naissante, comme cela avait été prédit [...]. Tout ce qu’il y a de grand sur la terre s’unit, les savants, les sages, les rois. Les uns écrivent, les autres condamnent, les autres tuent. Et nonobstant toutes ces oppositions, ces gens simples et sans force résistent à toutes ces puissances et se soumettent même ces rois, ces savants, ces sages, et ôtent l’idolâtrie de toute la terre. Et tout cela se fait par la force qui l’avait prédit.
Ernst Pol, Approches pascaliennes, Gembloux, Duculot, 1970, p. 447 sq. ✍
Russier Jeanne, La foi selon Pascal, II, Tradition et originalité dans la théorie pascalienne de la foi, Paris, P. U. F., 1949, p. 325 sq. Commentaire de ce fragment. ✍
Ferreyrolles Gérard, Les reines du monde, Paris, Champion, 1995, p. 209. Rôle de l’imagination dans la formation de cette hypothèse, dont les implications font voir l’inanité.
C’est un raisonnement apagogique, qui repose sur le principe d’habileté. Il faut supposer que les apôtres étaient assez intelligents pour comprendre les risques qu’ils couraient.
Hypothèse : les apôtre sont fourbes.
Or ils se sont lancés dans la prédication du Christ.
Conséquences :
1. ils s’opposent aux puissances les plus dangereuses (danger extérieur).
2. étant fourbes, ils se mettent en danger de se trahir eux-mêmes (danger intérieur).
C’est ici que joue le principe d’habileté : étant assez intelligents pour comprendre les risques qu’ils couraient, ils n’ont pas pu se lancer dans la prédication du Christ qui les aurait mis en danger. La contradiction est d’autant plus nette qu’elle provient de l’hypothèse même : la fourberie des apôtres elle-même les condamne virtuellement à l’échec.
On aboutit par conséquent à une contradiction, qui exclut l’hypothèse initiale.
Le raisonnement ne prend pas en compte l’hypothèse que les apôtres aient été non pas trompeurs, mais trompés. Mais Pascal a traité la question dans Preuves de Jésus-Christ 24 (Laf. 322, Sel. 353) : Les apôtres ont été trompés ou trompeurs. L’un et l’autre est difficile. Car il n’est pas possible de prendre un homme pour être ressuscité.
Le cœur des hommes est étrangement penchant à la légèreté, au changement, aux promesses, aux biens, si peu que l’un de ceux‑là se fût démenti par tous ces attraits, et qui plus est par les prisons, par les tortures et par la mort, ils étaient perdus.
Penchant : il faut le tirer du verbe pencher à, car si l'on suit Furetière l’adjectif n’existe pas.
L’inconstance de l’homme est un thème important de la liasse Vanité.
Pascal invoque les mobiles contraires du désir et de la crainte. L’argument consiste à remarquer que le témoignage des apôtres était exposé à un facile démenti.
Qu’on suive cela.
Suivre : examiner une chose par ordre, en tirer les conséquences immédiates (Furetière).
♦ Critique de ce fragment
Havet, éd. des Pensées, II, Delagrave, 1866, p. 38 et commentaire p. 44. Pascal n’examine pas si les Évangiles ont été réellement écrits par les apôtres, et s’ils peuvent être regardés comme des témoignages. Quant à Paul, qui n’est devenu chrétien que longtemps après la mort du Christ, il n’a pas été témoin de la résurrection ; il a seulement entendu dire que Jésus est apparu à plusieurs ; il dit que Jésus lui est apparu une fois, sans précision. Havet pense qu’aucun critique ne supposera que les douze aient fait le complot de dire que Jésus était ressuscité ; ils n’ont pas eu à se démentir par la crainte des tortures ou de la mort, car aucun pouvoir n’a jamais prétendu les contraindre sous aucune peine à avouer que Jésus n’était pas ressuscité. Pascal transporte les habitudes de son temps dans des temps qui ne les connaissaient pas.