Fragment Preuves de Jésus-Christ n° 20 / 24  – Papier original : RO 61-2

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Preuves de J.-C. n° 349 p. 163 / C2 : p. 194

Éditions savantes : Faugère II, 371, XXXIV / Brunschvicg 755 / Tourneur p. 281-2 / Le Guern 299 / Lafuma 318 / Sellier 349

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Bibliographie

 

 

Bible de Jérusalem, Paris, Cerf, 1974, p. 1415.

CHÉDOZEAU Bernard, L’univers biblique catholique au siècle de Louis XIV. La Bible de Port-Royal, t. 2, Les Préfaces du Nouveau Testament, Paris, Champion, 2013.

 

 

Éclaircissements

 

La discordance apparente des Évangiles.

 

Les Évangiles de Matthieu et de Marc proposent chacun une généalogie différente du Christ.

L’évangile de Matthieu, I, propose une généalogie de Jésus-Christ, « par Salomon », écrit Pascal dans l’Abrégé de la vie de Jésus-Christ :

« 1. Livre de la généalogie de Jésus-Christ, fils de David, fils d’Abraham.

2. Abraham engendra Isaac. Isaac engendra Jacob ; Jacob engendra Juda et ses frères.

3. Juda engendra de Thamar Phares et Zara. Phares engendra Esron. Esron engendra Aram.

4. Aram engendra Aminadab. Aminadab engendra Naasson. Naasson engendra Salmon.

5. Salmon engendra Booz, de Rahab. Booz engendra Obed, de Ruth. Obed engendra Jessé. Et Jessé engendra David, qui fut roi.

6. Le roi David engendra Salomon de celle qui avait été femme d’Urie.

7. Salomon engendra Roboam. Roboam engendra Abias. Abias engendra Asa.

8. Asa engendra Josaphat ; Josaphat engendra Joram ; Joram engendra Ozias ;

9. Ozias engendra Joatham. Joatham engendra Achas. Achas engendra Ezéchias.

10. Ezéchias engendra Manassé. Manassé engendra Amon. Amon engendra Josias.

11. Josias engendra Jéchonias et ses frères, vers le temps où les Juifs furent transportés à Babylone.

12. Et depuis qu’ils furent transportés à Babylone, Jéchonias engendra Salathiel. Salathiel engendra Zorobabel.

13. Zorobabel engendra Abiud. Abiud engendra Eliacim. Eliacim engendra Azor.

14. Azor engendra Sadoc. Sadoc engendra Achim. Achim engendra Eliud.

15. Eliud engendra Eléazar. Eléazar engendra Mathan. Mathan engendra Jacob.

16. Et Jacob engendra Joseph l’époux de Marie, de laquelle est né Jésus, qui est appelé Christ.

17. Il y a donc en tout depuis Abraham jusqu’à David, quatorze générations : depuis David jusqu’à ce que les Juifs furent transportés à Babylone, quatorze générations : et depuis qu’ils furent transportés à Babylone jusqu’à Jésus-Christ, quatorze générations. »

L’Évangile de Luc, III, propose une généalogie « par Nathan » :

« 23. Jésus avait environ trente ans, lorsqu’il commença à exercer son ministère, étant comme l’on croyait, fils de Joseph, qui fut fils d’Héli, qui fut fils de Mathat,

24. qui fut fils de Lévi, qui fut fils de Melchi, qui fut fils de Janna, qui fut fils de Joseph,

25. qui fut fils de Mathathias, qui fut fils d’Amos, qui fut fils de Nahum, qui fut fils d’Hesli, qui fut fils de Naggé,

26. qui fut fils de Mahath, qui fut fils de Mathathias, qui fut fils de Seméi, qui fut fils de Joseph, qui fut fils de Juda,

27. qui fut fils de Joanna, qui fut fils de Resa, qui fut fils de Zorobabel, qui fut fils de Salathiel, qui fut fils de Neri,

28. qui fut fils de Melchi, qui fut fils d’Addi, qui fut fils de Cosan, qui fut fils d’Elmadan, qui fut fils d’ Her,

29. qui fut fils de Jésus, qui fut fils d’Eliezer, qui fut fils de Jorim, qui fut fils de Mathat, qui fut fils de Levi,

30. qui fut fils de Siméon, qui fut fils de Juda, qui fut fils de Joseph, qui fut fils de Jona, qui fut fils d’Eliakim,

31. qui fut fils de Melea, qui fut fils de Menna, qui fut fils de Mathatha, qui fut fils de Nathan, qui fut fils de David,

32. qui fut fils de Jessé, qui fut fils d’ Obed, qui fut fils de Booz, qui fut fils de Salmon, qui fut fils de Naasson,

33. qui fut fils d’Aminadab, qui fut fils d’Aram, qui fut fils d’ Esron, qui fut fils de Pharès, qui fut fils de Juda,

34. qui fut fils de Jacob, qui fut fils d’Isaac, qui fut fils d’Abraham, qui fut fils de Tharé, qui fut fils de Nachor,

35. qui fut fils de Sarug, qui fut fils de Ragau, qui fut fils de Phaleg, qui fut fils d’Heber, qui fut fils de Salé,

36. qui fut fils de Caïnan, qui fut fils d’Arphaxad, qui fut fils de Sem, qui fut fils de Noé, qui fut fils de Lamech,

37. qui fut fils de Mathusalé, qui fut fils d’Enoch, qui fut fils de Jared, qui fut fils de Malaléel, qui fut fils de Caïnan,

38. qui fut fils d’ Enos, qui fut fils de Seth, qui fut fils d’Adam, qui fut créé de Dieu. »

Voir le commentaire de Sacy sur le premier chapitre de Matthieu, réédité dans Chédozeau Bernard, L’univers biblique catholique au siècle de Louis XIV. La Bible de Port-Royal, t. 2, Les Préfaces du Nouveau Testament, p. 684-686.

La Préface du Nouveau Testament de Port-Royal aborde le problème posé par Pascal dans ce fragment par le biais de la question qui consiste à éclaircir une objection importante qu’on peut faire, et que saint Jean Chrysostome s’est faite à lui-même lorsqu’il se demande « pourquoi il était besoin qu’il y eût quatre évangélistes et pourquoi un seul ne suffisait pas pour écrire l’Évangile ». Sacy répond qu’il a plu à Dieu d’attester la vérité des Évangiles, « non tant pour la vérité en elle-même que pour une plus grande confusion et une plus forte condamnation de ses ennemis ». En effet, « lorsque quatre hommes écrivent sur un semblable sujet en des temps et en des lieux différents, et sans conférer ensemble de ce qu’ils écrivent, et qu’ils semblent cependant parler tous quatre comme d’une même bouche », on en tire un puissant argument en faveur « de la vérité qu’ils avancent ». S’il arrive « qu’en plusieurs endroits ils paraissent un peu différents entre eux, c’est encore, selon la pensée du même saint, une autre preuve qui fait encore connaître que ce qu’ils ont dit est véritable. Car s’ils s’étaient accordés si parfaitement qu’il ne se trouvât aucune différence dans toutes les choses qu’ils ont avancées, soit pour les temps ou pour les lieux, ou pour les expressions, nul des ennemis de notre foi n’aurait pu se persuader qu’ils ne se fussent pas assemblés tous quatre pour écrire d’un commun accord les mêmes choses ; cette conformité si parfaite qui aurait été entre les écrits de ces saints évangélistes eût pu paraître plutôt un effet de la politique de l’esprit de l’homme que de la simplicité de l’Esprit de Dieu, qui parlait également par les uns et par les autres ». De sorte que les discordances qui semblaient aller contre la vérité des Évangiles font au contraire pour elle. En revanche, sur les points essentiels, « la vérité de la religion, le salut de l’âme et le règlement des mœurs, nul des saints évangélistes ne se trouve en aucune sorte différent des autres » : l’Incarnation, les miracles, la crucifixion, la mort du Christ et sa résurrection, la consubstantialité au Père, sont communs aux quatre Évangiles. « Quant aux petites différences qu’on peut remarquer entre eux dans les autres choses, elles sont moins, dit S. Chrysostome, dans les choses mêmes que dans la manière de les rapporter. Ainsi, quoiqu’ils paraissent alors différents ils ne sont pas néanmoins opposés, comme on tâchera de le faire voir dans tous les lieux où ces différences semblent frapper davantage. » Sacy invoque enfin l’autorité de saint Jean Chrysostome en faveur de « la parfaite uniformité des quatre saints évangélistes dans la publication de l’Évangile de Jésus-Christ ».

La question est de savoir quel sens Pascal donne ici à apparente.

Au premier sens, l’adjectif qualifie ce qui apparaît. C’est le sens que Pascal lui donne dans les Expériences nouvelles touchant le vide, où il parle du vide apparent pour désigner le vide qui apparaît en haut du tube de Torricelli. En tout état de cause ces discordances sont apparentes parce qu’elles figurent également dans les premières pages de deux Évangiles. Le fragment Fondement 13 (Laf. 236, Sel. 268) semble permettre cette première interprétation : Ainsi toutes les faiblesses très apparentes sont des forces. Exemple : Les deux généalogies de saint Matthieu et saint Luc. Qu’y a-t-il de plus clair que cela n’a pas été fait de concert ?

Ces discordances sont-elles apparentes au sens où elles ne sont pas réelles, comme les contradictions de l’Ancien Testament, dont Pascal montre en recourant au sens figuré, ou comme, dans les Écrits sur la grâce, il parvient à montrer que les contradictions qui paraissent entacher les livres de saint Augustin peuvent être facilement résolues si l’on admet que les propositions contraires en apparence ne se rapportent pas en fait aux mêmes objets.

En fait, la discordance entre les deux généalogies de Jésus-Christ paraît bien réelle. Elle ne consiste pas seulement en ce qu’elles ne couvrent pas le même temps, Matthieu ne remontant pas au-delà d’Abraham, ce qui n’est pas le cas de Luc. Les deux listes n’ont en commun que deux noms, ce qui est peu. Les deux généalogies concordent entre Abraham et David, pour différer ensuite, chacun des deux évangélistes suivant la descendance d’un fils de David différent (Salomon chez Matthieu et Nathan chez Luc). D’autre part, certaines difficultés propres à l’une des généalogies accroissent le contraste : Matthieu par exemple omet trois rois et compte Jechonias deux fois.

Mais certains interprètes ont tenté de réduire la discordance en observant que l’objet des deux généalogies n’est pas le même. La généalogie de Matthieu, restreinte selon la Bible de Jérusalem à l’ascendance israélite, vise à relier le Christ aux principaux dépositaires des promesses messianiques, Abraham et David. La généalogie de Luc est plus universaliste, et remonte jusqu’à Dieu. Cette différence tient au fait que les deux auteurs ne s’adressent apparemment pas aux mêmes lecteurs : Matthieu s’adressant plutôt aux Juifs, ce qui explique le soin qu’il a pris à ordonner les présentation de la succession dynastique, alors que Jean s’adresse aux chrétiens, et cherche à relier le Christ à Dieu. On a également proposé l’hypothèse que la généalogie de Luc aurait été celle de Marie et non celle de Joseph.

Il est difficile de dire dans quelle direction Pascal se serait orienté. L’Abrégé de la vie de Jésus-Christ mentionne les deux généalogies en soulignant leur divergence, mais sans commentaire : « Le 25 décembre, an premier du salut, naquit Jésus-Christ en Bethléem, ville de Judée. Sa généalogie est racontée par Salomon, en Matt., I, 1, et, par Nathan, en Luc, III, 23. »