Fragment Loi figurative n° 1 / 31 – Papier original : RO 29-2
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Loi figurative n° 297 p. 125 / C2 : p. 151
Éditions de Port-Royal : Titre du chap. XIII - Que la loi estoit figurative : 1669 et janvier 1670 p. 95 / 1678 p. 95
Éditions savantes : Faugère II, 246, V / Havet XVI, 8 bis / Brunschvicg 647 / Tourneur p. 256-1 / Le Guern 229 / Lafuma 245 / Sellier 278 (titre de chapitre)
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Bibliographie ✍
Voir la bibliographie générale de la liasse Loi figurative.
DUBARLE A., “Pascal et l’interprétation des Écritures”, Les Sciences philosophiques et Théologiques, vol. II, 1941-1942, p. 346-379. DESCOTES Dominique, L’argumentation chez Pascal, Paris, Presses Universitaires de France, 1993, p. 231-265. FORCE Pierre, Le problème herméneutique chez Pascal, Paris, Vrin, 1989. MESNARD Jean, “La théorie des figuratifs dans les Pensées de Pascal”, dans La culture du XVIIe siècle. Enquêtes et synthèses, Paris, Presses Universitaires de France, 1992, p. 426-453. SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970, p. 581 sq. |
✧ Éclaircissements
Que la loi était figurative.
Loi : commandement qui vient d’une autorité supérieure, auquel un inférieur est tenu d’obéir. Loi se dit en ce sens des religions. L’ancienne loi, ou la loi de Moïse, a été la loi de Dieu, celle qu’il a donnée à son peuple par la bouche de son prophète. La loi de grâce ou la loi chrétienne est celle qui nous a été donnée par notre Seigneur Jésus-Christ (Furetière). En fait, dans l’esprit de Pascal, ce ne sont pas seulement les commandements qui sont figuratifs dans l’Ancien Testament, mais aussi les récits historiques.
Figurer : représenter par la peinture, par la sculpture, etc. Il signifie aussi représenter par le discours, mais aussi représenter comme symbole : l’immolation de l’agneau pascal de l’Ancien Testament figurait l’immolation de Jésus-Christ sur l’arbre de la croix (Dictionnaire de l’Académie).
Figurer : faire des figures ou des représentations de quelques choses. Se dit aussi en parlant des mystères et des représentations énigmatiques ; L’eucharistie nous a été figurée par la manducation de l’agneau pascal. Les emblèmes, les fables des anciens nous figurent de belles moralités (Furetière).
On appelle figure en termes de théologie, les prophéties ou mystères qui nous ont été annoncées ou représentées obscurément sous certaines choses ou actions du vieux Testament. La manne était une figure de l’Eucharistie, la mort d’Abel était une figure de la mort du juste, de la passion du Christ. Les Juifs n’ont eu que les figures dont nous avons les vérités. On dit aussi en matière profane des emblèmes, énigmes et fables des anciens qui signifiaient plusieurs choses (Furetière). Le mot figure a aussi en rhétorique le sens de tour ou de manière de parler qui sert d’ornement à la pensée.
Seul Furetière donne le mot Figuratif, au sens de qui nous enseigne quelque chose par d’obscures ressemblances, avec cette précision : il ne se dit que des mystères et des figures de l’ancienne loi. La manne était figurative de l’eucharistie. Figurativement : d’une manière figurée. Tous les mystères de la nouvelle loi sont compris figurativement dans l’ancienne (Furetière). Le mot n’est ni dans le Dictionnaire de l’Académie, ni dans le Dictionnaire de Richelet.
L’énoncé Que la loi était figurative marque le double objet de la liasse qui porte ce titre. Il ne s’agit pas seulement pour Pascal d’expliquer quel est le sens caché de la loi de Moïse et de l’Ancien Testament ; il lui faut d’abord montrer qu’il existe un sens caché de cette loi. En d’autres termes, il faut en premier lieu établir le fait qu’il existe un sens caché (quod sit), et dans un second temps montrer quel est ce sens caché (quid sit). La Logique de Port-Royal, II, XIV (éd. de 1683), éd. D. Descotes, Paris, Champion, 2011, p. 675 sq., montre que Pascal et ses amis avaient une conscience précise de cette difficulté : lorsque le Pharaon demande à Joseph ce que signifient les sept vaches grasses et les sept vaches maigres qu’il a vues en songe, il a déjà résolu la première question, puisqu’il accepte de les considérer comme des symboles ; il ne reste à Joseph qu’à expliquer le sens de ce symbole. Mais la situation n’est pas toujours aussi claire : car on peut d’abord se demander si ces vaches ont réellement une signification figurative cachée, et ce n’est qu’en cas de réponse positive qu’on peut venir à la seconde question, celle que pose le pharaon. En d’autres termes, le titre Que la loi était figurative pose la question du commencement du processus de l’interprétation.
Le second temps ne va pas de soi non plus. La Logique de Port-Royal formule la difficulté en ces termes : « Si on est suffisamment averti que celui qui parle ne prend pas les mots dans leur signification ordinaire », c’est-à-dire si l’on est assuré qu’elles ont une signification cachée, symbolique ou figurative, « et que néanmoins on ne sache pas quelle est la signification particulière qu’il leur donne », c’est-à-dire si l’on ne parvient pas à déchiffrer ses paroles, on doit « avouer qu’on ne sait pas ce qu’il a voulu dire ». Cette seconde étape répond à la question quid : que signifie le discours ? C’est proprement le domaine de l’interprétation et de l’herméneutique, qui consiste à déchiffrer un discours obscur ou figuré.
La formule Que la loi était figurative ne couvre donc que la première question, et non la seconde, qui lui est logiquement seconde. Elle ne donne donc pas le sens entier de la liasse, mais seulement celui de son versant qui est logiquement premier.
Pourquoi Pascal aborde-t-il la question du caractère figuratif de la loi mosaïque ? Quelle nécessité trouve-t-il à aborder la question difficile de l’herméneutique, alors même qu’elle est très technique, et risque, si elle n’est pas correctement traitée, de rebuter le lecteur peu accoutumé aux spéculations herméneutiques ?
En fait, au point où l’a conduit le développement de son ouvrage, la logique oblige Pascal à entrer dans la démonstration que la loi était figurative.
En effet, parmi les fondements de la religion chrétienne qu’il a invoqués dans la liasse précédente, Pascal a compté les miracles, et son argumentation va se concentrer sur un miracle particulier, mais à l’échelle historique, les prophéties messianiques de l’Ancien Testament et leur réalisation. L’un des points qui font la différence entre la religion chrétienne, selon Pascal, et Mahomet, c’est que le christianisme repose sur des prophéties réalisées, alors que Mahomet est un prophète autoproclamé que rien n’est venu confirmer.
La démonstration exige donc que soit confirmée la prophétie vétérotestamentaire par la preuve de sa réalisation.
Sur ce point, Pascal a prévu la difficulté que signalera Voltaire à Maupertuis au siècle suivant : « Savez-vous bien que j’ai fait prodigieusement grâce à ce Pascal ? De toutes les prophéties qu’il rapporte, il n’y en a pas une qui puisse honnêtement s’expliquer de Jésus-Christ ».
Il se rend compte que les prophéties messianiques ne répondent pas à la réalité historique : si l’on prend à la lettre les prédictions des prophètes d’Israël, il devient impossible de démontrer qu’elles ont été effectivement accomplies. De sorte que Pascal est contraint, suivant en cela la tradition chrétienne, de montrer que ces prophéties ne doivent pas être prises dans leur sens littéral, mais doivent être interprétées en un sens figuratif. Il n’a, sur ce point, qu’à suivre les orientations indiquées par saint Augustin, notamment dans le De doctrina christiana.
Cette distinction entre le sens littéral et le sens figuré se trouve greffée sur celle du charnel et du spirituel, le premier répondant à la lettre des prophéties, le second correspondant à la révélation du Christ. Voir Descotes Dominique, L’argumentation chez Pascal, p. 250.