Pensées - page 63
3. Il ne faut pas se méconnaître ;
nous sommes corps autant qu’esprit :
et de là vient que l’instrument
par lequel la persuasion se fait n’est
pas la seule démonstration. Combien
y a-t-il peu de choses démontrées ?
Les preuves ne convainquent que l’esprit.
La coutume fait nos preuves les
plus fortes. Elle incline les sens qui
entraînent l’esprit sans qu’il y pense.
Qui a démontré qu’il sera demain
jour, et que nous mourrons ; et qu’y
a-t-il de plus universellement cru ?
C’est donc la coutume qui nous en
persuade ; c’est elle qui fait tant de
Turcs, et de Païens ; c’est elle qui
fait les métiers, les soldats, etc. Il
est vrai qu’il ne faut pas commencer
par elle pour trouver la vérité ; mais
il faut avoir recours à elle, quand une
fois l’esprit a vu où est la vérité ; afin
de nous abreuver et de nous teindre
de cette créance qui nous échappe à
toute heure ; car d’en avoir toujours
les preuves présentes, c’est trop d’affaire.
Il faut acquérir une créance
plus facile qui est celle de l’habitude,
qui sans violence, sans art, sans argument,
nous fait croire les choses, et
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