Fragment barré écrit au verso de Raisons des effets n° 3 - Papier original : RO 152-2 v°
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Raisons des effets n° 111’ p. 31 v° / C2 : p. 48
Éditions savantes : Faugère I, 181, IX bis / Havet XXIV.100 bis / Michaut 371 / Brunschvicg 79 / Tourneur p. 188-3 / Le Guern 77 / Lafuma 84 / Sellier 118
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Bibliographie ✍
Voir la bibliographie de LE GUERN Michel, Pascal et Descartes, p. 164-169.
BAUDIN Emile, La Philosophie de Pascal, La Baconnière, Neuchâtel, 1946-1947, 4 vol., t. 1. Pascal et Descartes. BOUILLIER Francisque, Histoire de la philosophie cartésienne, Troisième édition, Slatkine reprints, Genève, 1970, 2 vol. BRUNSCHVICG Léon, Descartes et Pascal lecteurs de Montaigne, New York-Paris, Brentano’s, 1944. CARRAUD Vincent, Pascal et la philosophie, Paris, Presses Universitaires de France, 1992, p. 164-169. CHEVALLEY Catherine, “Ce que Pascal doit à la physique des Principia”, in La lecture des Principia philosophiae de Descartes, Revue d’histoire des sciences, tome 58-1, janvier-juin 2005, Paris, Presses Universitaires de France, p. 9-27. DAGENS Jean, “La sagesse suivant Descartes et suivant Pascal”, Studia catholica, I, 1924-1925, p. 225-240. GARBER Daniel, La physique métaphysique de Descartes, Paris, Presses Universitaires de France, 1999. GOUHIER Henri, Cartésianisme et augustinisme au XVIIe siècle, Vrin, Paris, 1978. HAMMOND Nicholas, “Pascal and “Descartes inutile et incertain”, Seventeenth Century french Studies, n° 16, 1994, p. 59-63. HAVET Ernest, “Descartes et Pascal”, Revue politique et littéraire (Revue bleue), 3e série, t. X, 29 août 1885, p. 281-283. JOLIVET R., “L’anticartésianisme de Pascal”, Archives de philosophie, I, 3, 1923, p. 242-255. KIM Hyung-Kil, “Descartes et l’ordre pascalien” (en coréen), Études de la Littérature Classique Française , Séoul, Minumsa, 1995. LE GUERN Michel, Pascal et Descartes, Paris, Nizet, 1971. MARION Jean-Luc, Sur le prisme métaphysique de Descartes, Paris, P. U. F., 1986, p. 293 sq. MAYDIEU J. J., “Rationalisme ou fidéisme, notes sur Descartes et Pascal”, La France franciscaine, 1934, p. 207-215. MERCIER J., “Descartes et Pascal”, Cahiers de Neuilly, V, 1947, p. 24-37. MOUY Paul, Le développement de la physique cartésienne 1646-1712, Arno Press, New York, 1981. PETIT H., Images, Descartes et Pascal, Rieder, Paris, 1930. PUCELLE Jean, “Malentendu sur Pascal et Descartes. Pascal et les philosophes”, Chroniques de Port-Royal, n° 20-21, 1972, p. 96-103. SELLIER Philippe, “Pascal et la philosophie : la dérision de la raison”, in Port-Royal et la littérature, I, Pascal, Champion, Paris, 1999, p. 223-229. SIMON H., “Deux attitudes de philosophes chrétiens : Pascal contre Descartes”, Nouvelle revue des jeunes, 25 juillet 1929. STRADA J. de, Pascal et Descartes, Ollendorf, Paris, 1897. THOMAS J.F., “Pascal et Descartes, compatibilités et incompatibilités”, Revue de synthèse, 80, 1959, p. 113-119.
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✧ Éclaircissements
♦ Pascal et Descartes
Pascal, Œuvres complètes, II, éd. Le Guern, II, p. 1178. Voir p. 1181 sq. Problème des sources cartésiennes de Pascal dans L’Esprit géométrique : p. 1181 sq. : p. 1181. En revanche, Pascal a lu les Discours de la méthode, les Méditations, les Secondes réponses aux Méditations, ainsi que les lettres, à la publication desquelles il a contribué ; mais Pascal n’aurait pas pu lire les Regulae.
L’esprit géométrique comporte un bel éloge de Descartes, que l’on doit prendre en compte avant de parler de l’anticartésianisme de Pascal. Voir Esprit géométrique, II, Art de persuader, § 23, OC III, éd. J. Mesnard, p. 424.
« Je voudrais demander à des personnes équitables si ce principe : La matière est dans une incapacité naturelle invincible de penser, et celui-ci : je pense, donc je suis, sont en effet les mêmes dans l’esprit de Descartes et dans l’esprit de saint Augustin, qui a dit la même chose douze cents ans auparavant. En vérité je suis bien éloigné de dire que Descartes n’en soit pas le véritable auteur, quand même il ne l’aurait appris que dans la lecture de ce grand saint ; car je sais combien il y a de différence entre écrire un mot à l’aventure, sans y faire une réflexion plus longue et plus étendue, et apercevoir dans ce mot une suite admirable de conséquences, qui prouve la distinction des natures matérielle et spirituelle, et en faire un principe ferme et soutenu d’une physique entière, comme Descartes a prétendu faire. Car, sans examiner s’il a réussi efficacement dans sa prétention, je suppose qu’il l’ait fait, et c’est dans cette supposition que je dis que ce mot est aussi différent dans ses écrits d’avec le même mot dans les autres qui l’ont dit en passant, qu’un homme plein de vie et de force d’avec un homme mort. »
L’éloge de Descartes est strictement dosé : il est l’auteur d’un principe dans lequel il a su voir « une suite admirable de conséquences, qui prouve la distinction des natures matérielles et spirituelles » ; la réserve porte sur la prétention à en faire le « principe ferme et soutenu d’une physique entière ». Pascal concède aussi l’originalité de ce principe chez Descartes. Par conséquent, ce dont il fait l’éloge, c’est d’abord l’ordre. L’exemple de Descartes lui sert à montrer que le souci de l’ordre est lié à la fécondité de l’esprit.
Mais la restriction « sans examiner s’il a réussi efficacement dans sa prétention, je suppose qu’il l’ait fait » définit exactement la position de Pascal sur Descartes physicien mécaniste et philosophe. Il admire la cohérence de son système, mais il estime que ses conclusions et ses théories sont fausses.
OC III, éd. J. Mesnard, p. 378. Affinités et limites de ces affinités dans la méthode géométrique.
OC I, p. 1105, Mémoire de Marguerite Périer sur Pascal et sa famille. « Sur la philosophie de M. Descartes il disait assez ce qu’il pensait. Il était de son sentiment sur l’automate, et n’en était point sur sa matière subtile dont il se moquait fort. Mais il ne pouvait souffrir un de ses principes sur la formation de toutes choses et il disait très souvent (Laf. 1001) : Je ne puis pardonner à Descartes ; il voudrait bien, dans toute sa philosophie, se pouvoir passer de Dieu, mais il n’a pu s’empêcher de lui faire donner une chiquenaude pour mettre le monde en mouvement ; après cela il n’a plus que faire de Dieu.
BN, nouv. Acq. Fr. ms. 4333, f° 182. Cité par Griselle E., Pascal et les Pascalins, Fribourg, p. 61 : « Descartes. Il accorde à l’esprit la connaissance de Dieu par un mode que Dieu donne à la vie. Il croyait que Dieu pouvait nous créer avec des idées contraires à celles que nous avons. M. Pascal l’appelait le Docteur de la raison ».
Docteur de la raison oppose implicitement Descartes à saint Augustin, qui est le docteur de la grâce. Mais les deux dénominations ne sont pas équivalentes : c’est à juste titre que saint Augustin est docteur de la grâce, car la théologie est matière d’autorité. Mais dire que Descartes est docteur de la raison suppose qu’il décide des matières de raisonnement avec le dogmatisme qui convient aux matières d’autorité.
Marion Jean-Luc, Sur le prisme métaphysique de Descartes, p. 293 sq. Sur le rapport théorique de Pascal à Descartes : p. 297. ✍
Descartes. Il faut dire en gros : « Cela se fait par figure et mouvement », car cela est vrai. Mais de dire quelles et composer la machine, cela est ridicule,
Figure et mouvement : la physique de Descartes est purement mécaniste, elle explique les phénomènes par la structure géométrique et par les mouvements des choses, en excluant les vertus occultes par lesquelles on expliquait les phénomènes étranges de la physique. Sur la physique mécaniste en général, on peut recommander la lecture, à la fois passionnante et divertissante, du livre de Lenoble Robert, Mersenne ou la Naissance du Mécanisme, Vrin, Paris, 1943. Sur le cas particulier de la physique cartésienne, on trouvera un exposé bref, clair, substantiel et plus que suffisant pour un étudiant en lettres et sciences humaines, dans Dugas René, La Mécanique au XVIIe Siècle , éd. du Griffon, Neuchâtel, 1954, p. 117 sq. et p. 181. Pour des compléments d’information, on peut lire ensuite Garber Daniel, La physique métaphysique de Descartes, p. 245 sq.
Composer la machine, c’est construire un modèle des mécanismes physiques de la Nature. Voir le petit traité envoyé à Constantin Huygens par Descartes, intitulé Explication des engins par l’aide desquels on peut avec une petite force lever un fardeau fort pesant, AT I, p. 435 sq. Les Lettres de Descartes publiées par Clerselier contiennent ce petit traité de mécanique, qui montrent le fonctionnement des machines simples : levier, poulie, plan incliné, etc. Les figures permettent de voir comment il « compose la machine ».
Pour approfondir…
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Dugas René, La mécanique au XVIIe siècle, p. 177 sq. Le mécanisme au sens de Descartes dans les Principes. Voir p. 244-245.
Mouy Paul, Le développement de la physique cartésienne 1646-1712, Arno Press, New York, 1981.
Chevalley Catherine, « “Ce que Pascal doit à la physique des Principia”, in La lecture des Principia philosophiae de Descartes, Revue d’histoire des sciences, tome 58-1, janvier-juin 2005, Paris, Presses Universitaires de France, p. 9-27.
Le Traité de l’équilibre des liqueurs atteste que Pascal a suivi son exemple, en traitant géométriquement des machines : voir ch. II, OC II, éd. J. Mesnard, p. 1047 :
« J’ai démontré […] dans un petit Traité de mécanique la raison de toutes les multiplications de forces qui se trouvent en tous les autres instruments de mécanique qu’on a jusques à présent inventés. Car je fais voir en tous que les poids inégaux qui se trouvent en équilibre par l’avantage des machines sont tellement disposés par la construction des machines, que leur centre de gravité commun ne saurait descendre, quelque situations qu’ils prissent : d’où il s’ensuit qu’ils doivent demeurer en repos, c’est-à-dire en équilibre ».
Pascal est du reste particulièrement bien placé pour savoir qu’une machine fonctionne par figures et mouvements, puisque sa machine arithmétique fonctionne grâce à la forme de ses pièces et par le mouvement qui fait tourner les tambours intérieurs et élever, puis retomber le sautoir qui effectue les retenues.
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Machine Durant-Pascal (Musées de Clermont-Ferrand) |
Machine arithmétique Durant-Pascal, Musée Bargoin, Clermont-Ferrand (cliché CRDP) |
L’idée de machine est généralisable à toutes les réalités physiques. C’est par exemple par les seuls mouvements des organes que Descartes, considérant le corps humain comme une machine, explique dans le Discours de la méthode, V, le battement du cœur et la circulation du sang :
« après cela, je n’ai besoin de dire autre chose pour expliquer le mouvement du cœur, sinon que lorsque ses concavités ne sont pas pleines de sang, il y en coule nécessairement de la veine cave dans la droite et de l’artère veineuse dans la gauche, d’autant que ces deux vaisseaux en sont toujours pleins, et que leurs ouvertures, qui regardent vers le cœur, ne peuvent alors être bouchées ; mais que sitôt qu’il est entré ainsi deux gouttes de sang, une en chacune de ses concavités, ces gouttes, qui ne peuvent être que fort grosses, à cause que les ouvertures par où elles entrent sont fort larges et les vaisseaux d’où elles viennent fort pleins de sang, se raréfient et se dilatent, à cause de la chaleur qu’elles y trouvent ; au moyen de quoi, faisant enfler tout le cœur, elles poussent et ferment les cinq petites portes qui sont aux entrées des deux vaisseaux d’où elles viennent, empêchant ainsi qu’il ne descende davantage de sang dans le cœur ; et, continuant à se raréfier de plus en plus, elles poussent et ouvrent les six autres petites portes qui sont aux entrées des deux autres vaisseaux par où elles sortent, faisant enfler par ce moyen toutes les branches de la veine artérieuse et de la grande artère, quasi au même instant que le cœur ; lequel incontinent après se désenfle, comme font aussi ces artères, à cause que le sang qui y est entré s’y refroidit ; et leurs six petites portes se referment, et les cinq de la veine cave et de l’artère veineuse se rouvrent, et donnent passage à deux autres gouttes de sang, qui font derechef enfler le cœur et les artères, tout de même que les précédentes. Et pource que le sang qui entre ainsi dans le cœur passe par ces deux bourses qu’on nomme ses oreilles, de là vient que leur mouvement est contraire au sien, et qu’elles se désenflent lorsqu’il s’enfle. Au reste, afin que ceux qui ne connaissent pas la force des démonstrations mathématiques, et ne sont pas accoutumés à distinguer les vraies raisons des vraisemblables, ne se hasardent pas de nier ceci sans l’examiner, je les veux avertir que ce mouvement que je viens d’expliquer suit aussi nécessairement de la seule disposition des organes qu’on peut voir à l’œil dans le cœur, et de la chaleur qu’on y peut sentir avec les doigts, et de la nature du sang qu’on peut connaître par expérience, que fait celui d’un horloge, de la force, de la situation et de la figure de ses contrepoids et de ses roues. »
L’extension de la notion de machine au vivant produira les débats sur les animaux machines et au XVIIIe siècle sur l’homme machine.
Sur ces questions, voir Busson Henri, La religion des classiques, p. 121 sq., sur l’homme machine. L’animal machine : p. 165 sq. Étendue, mouvement, figure : p. 123. Le corps comparé à une machine, avec des leviers, cordes et poulies, tuyaux et liqueurs : p. 124. Voir Claude Perrault et la Mécanique des animaux, 1680 : p. 124 sq.
car cela est faux inutile
Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., p. 85-86. Il est inutile de consacrer ses efforts à la composition de la machine pour la recherche religieuse, mais aussi pour la conduite de la vie, et même pour le progrès scientifique. Pour Pascal, le modèle mécanique n’a de valeur qu’à titre d’hypothèse et dans la mesure où il est vérifié par des expériences particulières de portée toujours limitée et dont l’ensemble ne saurait fournir un savoir total.
Koyré Alexandre, Études galiléennes, Paris, Hermann, 1966, p. 135. La mécanique de Descartes conduit virtuellement à une conclusion semblable à celle de Pascal ; car dans sa physique, tout dépend de tout, et « il est impossible de rien dire de bon et de solide touchant la vitesse », par exemple, « sans avoir expliqué au vrai ce que c’est que la pesanteur et ensemble tout le système du monde » (lettre à Mersenne du 22 juin 1637, AT I, p. 392), de sorte que l’on ne peut isoler aucun phénomène et formuler de lois simples de forme mathématique. Pascal dit à peu près la même chose dans “Disproportion de l’homme”, Transition 4 (Laf. 199, Sel. 230) : les parties du monde ont toutes un tel rapport et un tel enchaînement l’une avec l’autre que je crois impossible de connaître l’une sans l’autre et sans le tout […] Toutes choses étant causées et causantes, aidées et aidantes, médiates et immédiates et toutes s’entretenant par un lien naturel et insensible qui lie les plus éloignées et les plus différentes, je tiens impossible de connaître les parties sans connaître le tout, non plus que de connaître le tout sans connaître particulièrement les parties.
et incertain
Laf. 887, Sel. 445. Descartes inutile et incertain.
Descartes est incertain parce que, quoiqu’il prétende parvenir à une science d’ensemble, sinon totale, de la Nature, on ne connaît pas la nature entière et que par conséquent on ne peut pas être sûr que ce soit valable partout et pour tout. Voir Shiokawa Tetsuya, Pascal et les miracles, ch. I.
Laf. 553, Sel. 432. Écrire contre ceux qui approfondissent trop les sciences. Descartes.
Malgré l’admiration qu’il lui accorde, Pascal considère Descartes comme un philosophe à l’imagination forte. Voir Laf. 1005, OC I, éd. J. Mesnard p. 999 sq. Propos attribué à Pascal : Feu Monsieur Pascal quand il voulait donner un exemple d’une rêverie qui pouvait être approuvée par entêtement proposait d’ordinaire l’opinion de Descartes sur la matière et sur l’espace. L’ironie est encore plus sensible dans le propos rapporté dans Laf. 1008, OC I, p. 831, propos rapporté par Menjot, Opuscules posthumes, 1e partie, Amsterdam, 1697, p. 115 : Feu M. Pascal appelait la philosophie cartésienne le roman de la nature, semblable à peu près à l’histoire de Don Quichotte.
et pénible.
Pascal veut sans doute dire qu’il est difficile de construire des modèles mécaniques qui rendent bien compte des réalités mécaniques naturelles ; mais il pense peut-être aussi à la peine qu’il a eue pour construire sa machine arithmétique. Voir OC II, éd. J. Mesnard, p. 332 Lettre dédicatoire à Monseigneur le Chancelier, où il fait état du découragement qu’il a ressenti dans cette entreprise : « N’ayant pas l’industrie de manier le métal et le marteau comme la plume et le compas, et les artisans ayant plus de connaissance de la pratique de leur art que des sciences sur lesquelles il est fondé, je me vis réduit à quitter toute mon entreprise, dont il ne me revenait que beaucoup de fatigues, sans aucun bon succès ».
Et quand cela serait vrai,
La clause quand cela serait vrai a perdu son sens quand Pascal a barré faux ; mais cela s’oppose encore à incertain. Il est difficile de dire pourquoi Pascal a écrit le mot faux. Il l’a barré immédiatement, car on ne peut pas dire qu’une construction est fausse ; en revanche, les adjectifs inutile et incertain sont plus adaptés.
nous n’estimons pas que toute la philosophie vaille une heure de peine
Sur l’inutilité des sciences en général, il faut renvoyer à la lettre que Pascal écrit à Fermat le 10 août 1660, OC IV, éd. J. Mesnard, p. 922-923.
« Monsieur,
Vous êtes le plus galant homme du monde, et je suis assurément un de ceux qui sais le mieux reconnaître ces qualités-là et les admirer infiniment, surtout quand elles sont jointes aux talents qui se trouvent singulièrement en vous : tout cela m’oblige à vous témoigner de ma main ma reconnaissance pour l’offre que vous me faites, quelque peine que j’aie encore d’écrire et de lire moi-même : mais l’honneur que vous me faites m’est si cher, que je ne puis trop me hâter d’y répondre. Je vous dirai donc, monsieur, que, si j’étais en santé, je serais volé à Toulouse, et que je n’aurais pas souffert qu’un homme comme vous eût fait un pas pour un homme comme moi. Je vous dirai aussi que, quoique vous soyez celui de toute l’Europe que je tiens pour le plus grand géomètre, ce ne serait pas cette qualité-là qui m’aurait attiré ; mais que je me figure tant d’esprit et d’honnêteté en votre conversation, que c’est pour cela que je vous rechercherais. Car pour vous parler franchement de la géométrie, je la trouve le plus haut exercice de l’esprit ; mais en même temps je la connais pour si inutile, que je fais peu de différence entre un homme qui n’est que géomètre et un habile artisan. Aussi je l’appelle le plus beau métier du monde ; mais enfin ce n’est qu’un métier ; et j’ai dit souvent qu’elle est bonne pour faire l’essai, mais non pas l’emploi de notre force : de sorte que je ne ferais pas deux pas pour la géométrie, et je m’assure fort que vous êtes fort de mon humeur. Mais il y a maintenant ceci de plus en moi, que je suis dans des études si éloignées de cet esprit-là, qu’à peine me souviens-je qu’il y en ait. Je m’y étais mis, il y a un an ou deux, par une raison tout à fait singulière, à laquelle ayant satisfait, je suis au hasard de ne jamais plus y penser, outre que ma santé n’est pas encore assez forte ; car je suis si faible que je ne puis marcher sans bâton, ni me tenir à cheval. Je ne puis même faire que trois ou quatre lieues au plus en carrosse ; c’est ainsi que je suis venu de Paris ici en vingt-deux jours. Les médecins m’ordonnent les eaux de Bourbon pour le mois de septembre, et je suis engagé autant que je puis l’être, depuis deux mois, d’aller de là en Poitou par eau jusqu’à Saumur, pour demeurer jusqu’à Noël avec M. le duc de Roannez, gouverneur de Poitou, qui a pour moi des sentiments que je ne vaux pas. Mais comme je passerai par Orléans en allant à Saumur par la rivière, si ma santé ne me permet pas de passer outre, j’irai de là à Paris. Voilà, monsieur, tout l’état de ma vie présente, dont je suis obligé de vous rendre compte, pour vous assurer de l’impossibilité où je suis de recevoir l’honneur que vous daignez m’offrir, et que je souhaite de tout mon cœur de pouvoir un jour reconnaître, ou en vous, ou en messieurs vos enfants, auxquels je suis tout dévoué ayant une vénération particulière pour ceux qui portent le nom du premier homme du monde. Je suis, etc. PASCAL. ».