Fragment Soumission et usage de la raison n° 10 / 23  – Papier original : RO 270-5

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Soumission n° 231 [bis] p. 81 v° / C2 : p. 108

Éditions savantes : Faugère II, 351, VI / Havet XXV.48 / Michaut 557 / Brunschvicg 261 / Tourneur p. 229-6 / Le Guern 165 / Lafuma 176 / Sellier 207

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Bibliographie

 

 

SHIOKAWA Tetsuya, Pascal et les miracles, Paris, Nizet, 1977, p. 103 sq. et p. 166 sq.

 

 

Éclaircissements

 

Ceux qui n’aiment pas la vérité prennent le prétexte de la contestation et de la multitude de ceux qui la nient, et ainsi leur erreur ne vient que de ce qu’ils n’aiment pas la vérité ou la charité.

 

Pascal reprend ici une idée qu’il a développée dans l’opuscule De l’esprit géométrique, II, De l’art de persuader, qu’une idée qui contredit nos principes de plaisir, même si elle est vraie, risque fort d’être rejetée. Voir OC II, éd. J. Mesnard, De l'art de persuader, § 7-8, p. 415-416.

« Mais pour les qualités des choses que nous devons persuader, elles sont bien diverses.

Les unes se tirent, par une conséquence nécessaire, des principes communs et des vérités avouées. Celles là peuvent être infailliblement persuadées ; car, en montrant le rapport qu'elles ont avec les principes accordez, il y a nécessité inévitable de convaincre.

Et il est impossible qu'elles ne soient pas reçues dans l'âme des qu'on a pu les enrôler à ces vérités qu'elle a déjà admises.

Il y en a qui ont une union étroite avec les objets de notre satisfaction ; et celles là sont encore reçues avec certitude, car aussi tôt qu'on fait apercevoir à l'âme qu'une chose peut la conduire à ce qu'elle aime souverainement, il est inévitable qu'elle ne s'y porte avec joie.

Mais celles qui ont cette liaison tout ensemble, et avec les vérités avouées, et avec les désirs du cœur, sont si sures de leur effet, qu'il n'y a rien qui le soit davantage dans la nature.

Comme au contraire ce qui n'a de rapport ni à nos créances ni à nos plaisirs nous est importun, faux et absolument étranger.

8. En toutes ces rencontres il n'y a point à douter. Mais il y en a où les choses qu'on veut faire croire sont bien établies sur des vérités connues, mais qui sont en même temps contraires aux plaisirs qui nous touchent le plus. Et celles là sont en grand péril de faire voir, par une expérience qui n'est que trop ordinaire, ce que je disais au commencement : que cette âme impérieuse, qui se vantait de n'agir que par raison, suit par un choix honteux et téméraire ce qu'une volonté corrompue désire, quelque résistance que l'esprit trop éclairé puisse y opposer.

C'est alors qu'il se fait un balancement douteux entre la vérité et la volupté, et que la connaissance de l'une et le sentiment de l'autre font un combat dont le succès est bien incertain, puisqu'il faudrait pour en juger connaître tout ce qui se passe dans le plus intérieur de l'homme, que l'homme même ne connaît presque jamais. »

Havet, éd. des Pensées, II, Paris, Delagrave, 1866, p. 84, interprète ce passage comme suit : les ennemis de Port-Royal disaient qu’il « était contradictoire que Dieu fît des miracles pour les jansénistes, condamnés par l’Église de Dieu et par son vicaire. Et Pascal répond que la contradiction n’est qu’apparente, parce que l’hérésie condamnée n’était pas la véritable doctrine de Jansénius et des siens ».

Sans doute faut-il plutôt rapprocher ce fragment des controverses qui ont entouré le miracle de la sainte Épine : le refus opposé à sa reconnaissance par les jésuites, et la manière dont ils ont ensuite tenté de soutenir qu’il condamnait Port-Royal représentaient un exemple frappant de refus d’un fait évident inspiré par la malveillance. Voir sur ce sujet Shiokawa Tetsuya, Pascal et les miracles, p. 103 sq. et p. 166 sq.

Le fragment Miracles II (Laf. 841, Sel. 426) présente l’intérêt de révéler que cette même pensée se rattache aux réflexions de Pascal sur la « condition des Juifs » et leur rapport au Christ : Jeh. 7. 40. Contestation entre les Juifs comme entre les chrétiens aujourd’hui.

Les uns croient en J. C. et les autres ne le croient pas à cause des prophéties qui disaient qu’il devait naître de Bethléem.

Ils devaient mieux prendre garde s’il n’en était pas ; car, ses miracles étant convaincants, ils devaient bien s’assurer de ces prétendues contradictions de sa doctrine à l’Écriture, et cette obscurité ne les excusait pas, mais les aveuglait.

Ainsi ceux qui refusent de croire les miracles d’aujourd’hui pour une prétendue contradiction chimérique, ne sont pas excusés.

Le peuple qui croyait en lui sur ses miracles, les pharisiens leur disent : ce peuple est maudit qui ne sait pas la loi. Mais y a‑t‑il un prince ou un pharisien qui ait cru en lui, car nous savons que nul prophète ne sort de Galilée ? Nicodème répondit : notre Loi juge‑t‑elle un homme devant que de l’avoir ouï.

Pascal généralise l’idée dans ce fragment.

 

et ainsi leur erreur ne vient que de ce qu’ils n’aiment pas la vérité ou la charité.

 

RO 406-5 (Laf. 964. Sel. 798). Il faut bien, dit le Feuillant, que cela ne soit pas si certain, car la contestation marque l'incertitude.

[…] La contradiction a toujours été laissée pour aveugler les méchants, car tout ce qui choque la vérité ou la charité est mauvais. Voilà le vrai principe.

 

Et ainsi ils ne s’en sont pas excusés.

 

On attendrait plutôt ils n’en sont pas excusés, comme dans Miracles II (Laf. 841, Sel. 426). Mais le manuscrit est très net : la version des Copies n’est pas conforme. On dit s’excuser sur quelqu’un pour dire remettre la faute sur lui. S’excuser signifie aussi refuser honnêtement (Furetière). S’excuser : prendre prétexte pour se disculper (Richelet). S’excuser est ici synonyme de se disculper.