Fragment Soumission et usage de la raison n° 19 / 23  – Le papier original est perdu

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Soumission n° 235 p. 83 v° / C2 : p. 111

Éditions savantes : Havet XXV.94 bis / Brunschvicg 811 note / Le Guern 173 / Lafuma 184 / Sellier 216

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Bibliographie

 

 

ARNAULD Antoine, Réflexions d’un docteur de Sorbonne, § XV, Œuvres, éd. de Lausanne, t. XXI, p. 42.

LEDUC-FAYETTE Denise, Pascal et le mystère du mal. La clef de Job, Paris, Cerf, 1996.

 

 

Éclaircissements

Videte an mentiar.

 

La citation provient du Livre de Job, VI, 28, chapitre de la Bible de Sacy intitulé « Job justifie ses plaintes. Il souhaite mourir de peur de perdre la patience. Il reproche à ses amis l’injustice de ses accusations ». Verset 27-30 : « Vous vous jetez sur un homme abandonné comme un orphelin, et vous vous efforcez d’accabler votre ami. Mais achevez ce que vous avez commencé, cependant écoutez-moi et voyez si je mens. Répondez, je vous prie, sans contention, et en parlant jugez des choses selon la justice. Alors vous ne trouverez point d’iniquité sur ma langue, ni de folie dans ma bouche ».

Leduc-Fayette Denise, Pascal et le mystère du mal. La clef de Job, Paris, Cerf, 1996, p. 192-193, fait le rapprochement avec la XIe Provinciale, où Pascal utilise le passage de Job, XIII, 7, « Dieu a-t-il besoin de notre mensonge ? », « la vérité de Dieu n'a pas besoin de notre mensonge selon l'Écriture ».

Voir l’éd. des Œuvres de Pascal par M. Le Guern, Pléiade, t. 2, p. 1383, qui renvoie aux Réflexions d’un docteur de Sorbonne, d’Antoine Arnauld, § XV, Œuvres, t. XXI, p. 42-43.

« Jésus-Christ dit dans l’Évangile que les Juifs n’auraient point été coupables dans leur incrédulité, s’ils n’avaient point été instruits par ses prédications et par ses miracles, qui étaient d’eux-mêmes des motifs suffisants pour les faire croire, s’ils n’avaient point rencontré de cœurs endurcis. Le même  Sauveur, envoyant ses apôtres par tout le monde pour y planter l’évangile ne leur ordonna point d’obliger tous les peuples à le recevoir sans user d’aucun discours pour le leur persuader ; mais il leur ordonna de les instruire, et de confirmer ce qu’ils annonçaient de la part de Dieu par les effets miraculeux de sa puissance. Les apôtres aussi ne quittèrent les Juifs pour porter aux Gentils la prédication de l’Évangile, qu’après s’être employés avec toutes sortes de soins, à éclaircir les Juifs par le lumière de l’Écriture, et les témoignages des prophètes ; comme il est dit de saint Paul en plusieurs endroits des Actes, et principalement dans le dernier chapitre, où saint Luc remarque que saint Paul ne reprocha aux Juifs leur endurcissement, qui avait été prédit par Isaïe, en leur déclarant que les Gentils recevraient la doctrine salutaire qu’ils ne voulaient pas écouter, Notum sit nobis quoniam Gentibus missum est hoc salutare Dei, et ipsi audient, qu’après leur avoir exposé les mystères du Royaume de Dieu, et leur avoir prouvé, par Moïse et par les prophètes, que Jésus-Christ était le Messie, quibus exponebat testificans regnum Dei, suadensque eis de Jesu ex lege Moysi et prophetis ad mane usque ad vesperam.

Voilà la conduite sainte et apostolique que l’Église a toujours gardée ; n’ayant jamais forcé personne à croire une chose sur laquelle il aurait eu des doutes considérables, sans le vouloir ouïr, et l’instruire suffisamment pour n’être plus arrêté par ses doutes. Et le peut-on voir plus clairement que dans le dernier Concile, puisque ceux même qui avaient rompu l’unité de l’Église par le schisme et par l’hérésie, y ont été invités tant de fois, pour y venir proposer toutes leurs raisons, et recevoir toute l’instruction qui leur serait nécessaire pour sortir de leurs erreurs ? Mais on ne peut rien désirer de plus exprès sur ce sujet, que ce que dit saint Grégoire dans ses Morales, livre 8, chap. I. Car appliquant à l’Église ces paroles du saint homme Job, praebete aurem, et videte an mentiar, il nous apprend quel est son esprit et sa conduite envers ceux qu’elle veut retirer de quelque erreur ».

L’ouvrage d’Arnauld date de 1657, ce qui autorise le rapprochement avec cette note de Pascal.

Ce rapprochement a l’intérêt de relier ce fragment au précédent, Soumission 18 (Laf. 184, Sel. 215), en associant la formule de Job à l’idée que dans les premiers temps de l’évangélisation les miracles servaient à l’instruction des païens, en leur permettant de vérifier par eux-mêmes la vérité des révélations de Jésus-Christ.

La même référence permet de relier Soumission 19 à la signification générale de Soumission et usage de la raison, puisqu’il est question de montrer que la religion chrétienne ne s’est pas imposée tyranniquement et sans raison, mais a toujours fourni à ceux qu’elle cherchait à gagner les raisons qui pouvaient résoudre leurs doutes.