Fragment Soumission et usage de la raison n° 21 / 23  – Papier original : RO 411-2

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Soumission n° 235 p. 83 v° / C2 : p. 111

Éditions savantes : Faugère I, 268, VI / Michaut 655 / Brunschvicg 947 / Tourneur p. 231-5 / Le Guern 175 / Lafuma 186 / Sellier 218

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Bibliographie

 

 

BAUDRY DE SAINT-GILLES D’ASSON Antoine, Journal d’un solitaire de Port-Royal, éd. Ernst et Lesaulnier, Paris, Nolin, 2008.

GHEERAERT Tony, Le chant de la grâce. Port-Royal et le poésie d’Arnauld d’Andilly à Racine, Paris, Champion, 2003.

HERMANT Godefroy, Mémoires sur l’histoire ecclésiastique du XVIIe siècle, éd. A.Gazier, 6 vol., Plon, Paris, 1905-1910.

RACINE, Œuvres complètes, II, éd. Picard, Pléiade, NRF, Gallimard, Paris, 1960, 2 vol., voir t. 2, p. 377. 

PICARD Raymond, La carrière de Jean Racine, NRF, Gallimard, Paris, 1961.

REGUIG-NAYA Delphine, Le corps des idées. Pensées et poétiques du langage dans l’augustinisme de Port-Royal. Arnauld, Nicole, Pascal, Mme de La Fayette, Racine, Paris, Champion, 2007.

 

 

Éclaircissements

 

Vous abusez de la créance que le peuple a en l’Église et leur faites accroire.

 

Accroire : faire croire à quelqu’un une chose fausse ; tromper (Furetière).

Le fragment s’adresse évidemment aux jésuites. L’addition de la Copie montre que le correcteur l’associait à l’affaire de la condamnation des cinq propositions attribuées à Jansénius, en présentant comme un abus la volonté des ennemis de Port-Royal d’imposer au peuple l’idée qu’elles se trouvaient de fait dans son livre l’Augustinus.

C’est sans doute ce qui a conduit L. Lafuma, dans son édition des Pensées, Luxembourg, Notes, p. 37, et M. Le Guern, dans son édition des Œuvres complètes, Pléiade, II, p. 1384, à renvoyer à la Provinciale XVII, 8, dans laquelle Pascal fustige les manœuvres des jésuites qui cherchent à accréditer l’idée que la condamnation des cinq propositions attribuées à Jansénius par la bulle pontificale Cum occasione rendrait les jansénistes hérétiques, quoiqu’elle comporte un point de fait sur lequel le pape n’a aucune compétence, et imposer au peuple l’illusion que Port-Royal introduirait une hérésie dans l’Église :

« Je pourrais en demeurer là, mon Père, sans parler de ces autres personnes que vous traitez d’hérétiques pour me comprendre dans cette accusation. Mais, comme j’en suis l’occasion, je me trouve engagé en quelque sorte à me servir de cette même occasion pour en tirer trois avantages. Car c’en est un bien considérable de faire paraître l’innocence de tant de personnes calomniées. C’en est un autre, et bien propre à mon sujet, de montrer toujours les artifices de votre politique dans cette accusation. Mais celui que j’estime le plus est que j’apprendrai par là à tout le monde la fausseté de ce bruit scandaleux que vous semez de tous côtés, que l’Église est divisée par une nouvelle hérésie. Et comme vous abusez une infinité de personnes en leur faisant accroire que les points sur lesquels vous essayez d’exciter un si grand orage sont essentiels à la foi, je trouve d’une extrême importance de détruire ces fausses impressions, et d’expliquer ici nettement en quoi ils consistent, pour montrer qu’en effet il n’y a point d’hérétiques dans l’Église. »

Mais la mention du peuple dans ce fragment conduit à envisager d’autres rapprochements.

Pascal pourrait aussi penser aux méthodes pour ainsi dire médiatiques employées par les jésuites pour persuader le peuple de l’existence d’une hérésie janséniste : les catéchismes publics et les représentations au cours desquelles ils faisaient jouer par des enfants des scénettes vouant Jansénius aux gémonies. Ces techniques sont mentionnées à plusieurs reprises dans les Provinciales.

Les catéchismes des jésuites se tenaient à la maison professe des jésuites, rue Saint-Antoine, dont la chapelle est aujourd’hui l’église Saint-Paul. Comme l’audience est importante au Catéchisme de Saint Louis, ces séances permettent aux jésuites de s’en prendre à leurs adversaires devant un grand public. Voir la IIIe Provinciale, éd. Cognet, p. 47 ; GEF IV, p. 219, n. 1. La Provinciale XVII, § 9, donne des détails pittoresques :

« Car n’est-il pas vrai que, si l’on demande en quoi consiste l’hérésie de ceux que vous appelez Jansénistes, on répondra incontinent que c’est en ce que ces gens-là disent que les commandements de Dieu sont impossibles ; qu’on ne peut résister à la grâce, et qu’on n’a pas la liberté de faire le bien et le mal ; que Jésus-Christ n’est pas mort pour tous les hommes, mais seulement pour les prédestinés et enfin, qu’ils soutiennent les cinq propositions condamnées par le Pape ? Ne faites-vous pas entendre que c’est pour ce sujet que vous persécutez vos adversaires ? N’est-ce pas ce que vous dites dans vos livres, dans vos entretiens, dans vos catéchismes, comme vous fîtes encore aux fêtes de Noël à Saint-Louis, en demandant à une de vos petites bergères : Pour qui est venu Jésus-Christ, ma fille ? Pour tous les hommes, mon Père. Eh quoi ! ma fille, vous n’êtes donc pas de ces nouveaux hérétiques qui disent qu’il n’est venu que pour les prédestinés ? Les enfants vous croient là-dessus, et plusieurs autres aussi ; car vous les entretenez de ces mêmes fables dans vos sermons, comme votre Père Crasset à Orléans, qui en a été interdit. »

Nicole, dans Wendrock, Provinciales, tr. Joncoux, I, éd. 1700, p. 43 sq., mentionne une séance d’un catéchisme comique des jésuites, qui eut lieu le 26 décembre 1656, dans « leur superbe église de Saint Louis », où « ils empruntent souvent la langue des enfants pour dire des injures à leurs adversaires ; et ils leur enseignent moins la foi que la calomnie ».

Sacy parle du catéchisme comique de l’église de Saint-Louis dans le deuxième tirage des Enluminures, § XVIII, du 8 février 1654, en précisant que le jeudi précédent, 5 février, l’Impératrice, savoir la première au catéchisme, dit qu’elle avait eu l’inspiration de Dieu de faire renoncer à l’hérésie du jansénisme ses compagnes qui devaient monter du petit catéchisme au grand.

Antoine Baudry de Saint-Gilles d’Asson, qui semble avoir assisté assez souvent à ces séances, décrit un catéchisme fait en partie contre la IXe Provinciale dans son Journal d’un solitaire de Port-Royal, éd. P. Ernst et J. Lesaulnier, Paris, Nolin, 2008, p. 219 sq.

Racine a assisté à un de ces catéchismes avec Thomas du Fossé en 1659 ; voir Picard Raymond, La carrière de Jean Racine, p. 29. Il en fait la description dans sa lettre à Robert Arnauld d’Andilly, Racine Jean, Œuvres complètes II, éd. Picard, p. 377 ; Hermant Godefroy, Mémoires, tome IV, p. 182. Voir aussi dans les Mémoires de Hermant, II, p. 491, et III, p. 71.

La défense de ces catéchismes a été prise par l’abbé Maynard dans son édition des Provinciales ou les lettres écrites par Louis de Montalte à un provincial et aux révérends pères jésuites, publiées sur la dernière édition revue par Pascal, avec les variantes des éditions précédentes, et leur réfutation consistant en introductions et nombreuses notes historiques, littéraires, philosophiques et théologiques, par M. l’abbé Maynard, chanoine honoraire de Poitiers, I, Paris, Didot, 1851, p. 131.

Pascal a aussi dénoncé l’utilisation publicitaire par les jésuites de colporteurs auxquels ils faisaient crier dans les rues : Voici la censure de M. Arnauld. Voici la condamnation des Jansénistes. Voir la Provinciale III, § 14 ; et dans l’éd. Cognet, p. 46, n. 2 ; GEF IV, p. 218.

La plus célèbre des opérations tentées par les jésuites a été la publication et la distribution en décembre 1653 d’une gravure intitulée Déroute et confusion des jansénistes, dans laquelle le pape était représenté condamnant un Jansénius doté d’ailes de diable, qui se réfugiait du côté des calvinistes. Sacy répondit par ses Enluminures. Voir Wendrock, Provinciales, Note sur la troisième lettre, tr. Joncoux, I, éd. 1700, p. 44. Profitant du fait que l'on « débite ordinairement en France au mois de janvier un grand nombre d'images avec un calendrier, qu'on appelle des Almanachs, les Jésuites trouvèrent que ce moyen était propre à insinuer leurs calomnies dans l'esprit des simples. Ils firent donc un Almanach où Jansénius était représenté habillé en évêque avec des ailes de diable et escorté de l'Ignorance, de l'Erreur et de la Tromperie. On y voyait d'un côté le pape assisté de la Religion et de la Puissance de l'Église, qui lançait des foudres contre lui ; et de l'autre le roi environné du Zèle divin de la piété, de la Concorde, et de la Justice, qui le poursuivait avec son sceptre et l'épée de la justice : et les malheureux jansénistes en habits grotesques, qui désolés et chassés de tous côtés se réfugiaient chez les calvinistes. Cet Almanach ayant été répandu dans le menu peuple, faisait grand bruit parmi les harengères et les revendeuses, lorsque peu de temps après parut un écrit qui contenait environ mille vers », les Enluminures du fameux Almanach des Pères Jésuites, dû à Le Maistre de Sacy, qui tentait de réfuter ces calomnies.

 

 

Gheeraert Tony, Le chant de la grâce. Port-Royal et le poésie d’Arnauld d’Andilly à Racine, p. 246 sq. Port-Royal a réfléchi sur le caractère tyrannique des moyens qu’utilisent les jésuites, notamment par l’emploi des images : p. 246-247.

Reguig-Naya Delphine, Le corps des idées. Pensées et poétiques du langage dans l’augustinisme de Port-Royal. Arnauld, Nicole, Pascal, Mme de La Fayette, Racine, p. 125, explique comment Montalte prédit l’effet de la censure sur l’esprit du peuple dans l’affaire Arnauld en Sorbonne.