Fragment Soumission et usage de la raison n° 6 / 23 – Papier original : RO 409-4
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Soumission n° 229 p. 81 / C2 : p. 107-108
Éditions savantes : Faugère II, 178, IV / Havet XXIV.3 / Brunschvicg 185 / Tourneur p. 229-2 / Le Guern 161 / Lafuma 172 / Sellier 203
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Bibliographie ✍
BAYLE Pierre, De la tolérance. Commentaire philosophique, éd. Gros, Paris, Champion, 2006. GROTIUS Hugo, De veritate religionis christianae, VI, § VII, p. 92. « Voluntas autem docendo et suadendo elicitur, non minis, non vi. Coactus qui credit, non credit, sed credere se simulat, ut malum vitet. » LHERMET J., Pascal et la Bible, Paris, Vrin, 1931, p. 464 sq. SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 540 sq. |
✧ Éclaircissements
La conduite de Dieu, qui dispose toutes choses avec douceur,
Livre de la Sagesse, VIII, 1. « Adtingit enim a fine usque ad finem fortiter et disponit omnia suaviter ». Traduction de Sacy, Bible, éd. Sellier, p. 813 : « La sagesse atteint avec force depuis une extrémité jusqu’à l’autre, et elle dispose tout avec douceur ».
Commentaire de Sacy :
« La Sagesse atteint avec force depuis une extrémité jusqu’à l’autre, et elle dispose tout avec douceur.
La sagesse commence et achève en nous l’œuvre du salut, parce qu’il n’y a point de cœur si dur qui ne cède à ses impressions et à ses mouvements.
Elle atteint d’une extrême jusqu’à l’autre parce qu’elle conduit infailliblement les élus jusqu’au point de la grâce et de la gloire qu’elle a résolu de leur donner.
Elle dispose de tout avec douceur, parce qu’elle agit dans l’âme, non seulement sans aucune violence, mais avec un plaisir céleste et une douceur ineffable , qui fait qu’elle ne trouve de joie qu’à plaire à Dieu, et qu’elle met sa liberté à être plutôt assujettie à la grâce qui la rend libre, qu’à sa volonté propre qui la rend esclave de ses passions.
Les saints nous apprennent que cette qualité de la sagesse d’atteindre depuis une extrémité jusqu’à l’autre, et de disposer tout avec douceur, se doit trouver dans tous les chrétiens, et principalement dans ceux qui ont quelque chose au-dessus des autres, puisque Jésus-Christ les appelle tous dans l’Évangile, les enfants de la sagesse : Et justificata est sapientia ab omnibus filiis suis.
Ainsi les ministres de Dieu à l’égard des âmes qui leur sont soumises, les pères et les mères à l’égard de leurs enfants, les maîtres à l’égard de leurs serviteurs, doivent avoir chacun en leur manière une fermeté qui ne dissimule point ce qui en se peut point souffrir, et qui porte ceux qui leur sont assujettis à s’acquitter de leurs devoirs. Mais en même temps ils doivent accompagner cette fermeté d’une modération qui adoucisse autant qu’il est possible le joug de l’obéissance, qui est toujours dû à l’orgueil de l’homme, afin qu’ils soient aimés de ceux qui leur doivent de l’obéissance et du respect ; parce qu’ils leur feront tout faire sans peine, et même avec joie, s’ils trouvent moyen de gagner leur cœur.
Ce mélange de la force avec la douceur est rare et très difficile. Car ceux qui sont naturellement forts n’aiment que la force, et ceux qui sont naturellement doux ne veulent que la douceur. Ainsi les premiers irritent les hommes par une sévérité excessive ; et les autres les gâtent par une indulgence inconsidérée. Il ne reste que de demander à Dieu qu’il nous donne cette vertu qui lui est propre, afin que l’on puisse dire de chacun de nous de que saint Bernard dit de Dieu même : Que sa force est tempérée par sa douceur, et que sa douceur est soutenue par sa force : suaviter fortis, et fortiter suavis ».
La douceur en question est l’effet de la délectation dans le bien, qui répand en effet une suavité dans le cœur de l’homme, et entraine son consentement sans exercer aucune violence.
Voir sur ce point Écrits sur la grâce, Traité de la prédestination, III, § 13, OC III, éd. J. Mesnard, p. 795. « Pour sauver ses élus, Dieu a envoyé Jésus-Christ pour satisfaire à sa justice, et pour mériter de sa miséricorde la grâce de Rédemption, la grâce médicinale, la grâce de Jésus-Christ, qui n’est autre chose qu’une suavité et une délectation dans la loi de Dieu, répandue dans le cœur par le Saint-Esprit, qui non seulement égalant, mais surpassant encore la concupiscence de la chair, remplit la volonté d’une plus grande délectation dans le bien, que la concupiscence ne lui en offre dans le mal, et qu’ainsi le libre arbitre, charmé par les douceurs et par les plaisirs que le Saint-Esprit lui inspire, plus que par les attraits du péché, choisit infailliblement lui-même la loi de Dieu par cette seule raison qu’il y trouve plus de satisfaction et qu’il y sent sa béatitude et sa félicité. »
est de mettre la religion dans l’esprit par les raisons et dans le cœur par la grâce.
Mettre la religion dans l’esprit par les raisons : cette formule permet d’éclaircir les intentions de Pascal lorsqu’il prépare son apologie. On pourrait en effet taxer son dessein de tyrannie, si l’on pensait qu’il tente de donner la foi par les raisons, alors que ce serait usurper le privilège de la grâce, et tenter d’obtenir par une voie ce qui ne peut s’obtenir que par une autre. Mais Pascal précise bien ici que les raisons ne peuvent mettre que la religion dans les esprits. Ce qui signifie d’une part que ces raisons ne sauraient prétendre toucher le cœur : elles ne donneront qu’une croyance purement rationnelle et inutile au salut. D’autre part ces raisons ne mettront pas dans l’esprit la foi, mais seulement la religion : en d’autres termes, elles ne pourront au mieux faire connaître des raisons de croire d’ordre historique, qui ne donneront pas la foi même.
Preuves par discours I (Laf. 424, Sel. 680). C’est le cœur qui sent Dieu et non la raison. Voilà ce que c’est que la foi. Dieu sensible au cœur, non à la raison.
Grandeur 6 (Laf. 110, Sel. 142). Et c’est pourquoi ceux à qui Dieu a donné la religion par sentiment du cœur sont bien heureux et bien légitimement persuadés, mais ceux qui ne l’ont pas, nous ne pouvons la donner que par raisonnement en attendant que Dieu la leur donne par sentiment de cœur, sans quoi la foi n’est qu’humaine et inutile pour le salut.
De l’Esprit géométrique, 2, De l’art de persuader, § 3-5, OC III, p. 413-414 :
« Je ne parle pas ici des vérités divines, que je n’aurais garde de faire tomber sous l’art de persuader, car elles sont infiniment au-dessus de la nature : Dieu seul peut les mettre dans l’âme, et par la manière qu’il lui plaît.
Je sais qu’il a voulu qu’elles entrent du cœur dans l’esprit, et non pas de l’esprit dans le cœur, pour humilier cette superbe puissance du raisonnement, qui prétend devoir être juge des choses que la volonté choisit, et pour guérir cette volonté infirme, qui s’est toute corrompue par ses sales attachements. Et de là vient qu’au lieu qu’en parlant des choses humaines on dit qu’il les faut connaître avant que de les aimer, ce qui a passé en proverbe, les saints au contraire disent en parlant des choses divines qu’il les faut aimer pour les connaître, et qu’on n’entre dans la vérité que par la charité, dont ils ont fait une de leurs plus utiles sentences.
4. En quoi il paraît que Dieu a établi cet ordre surnaturel, et tout contraire à l’ordre qui devait être naturel aux hommes dans les choses naturelles. Ils ont néanmoins corrompu cet ordre en faisant des choses profanes ce qu’ils devaient faire des choses saintes, parce qu’en effet nous ne croyons presque que ce qui nous plaît. Et de là vient l’éloignement où nous sommes de consentir aux vérités de la religion chrétienne, tout opposée à nos plaisirs. Dites nous des choses agréables et nous vous écouterons, disaient les Juifs à Moïse ; comme si l’agrément devait régler la créance ! Et c’est pour punir ce désordre par un ordre qui lui est conforme, que Dieu ne verse ses lumières dans les esprits qu’après avoir dompté la rébellion de la volonté par une douceur toute céleste qui le charme et qui l’entraîne. »
Mais de la vouloir mettre dans l’esprit et dans le cœur par la force et par les menaces, ce n’est pas y mettre la religion mais la terreur.
Pascal prend ici le contrepied de la pensée de saint Augustin ; voir Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 542 sq. De son temps, le recours à la contrainte est admis, parce que les espoirs qu’a exprimés un Bérulle, de voir les protestants regagner pacifiquement le sein de l’Église catholique, ont été déçus. À la déception religieuse s’ajoute la crainte de la guerre civile, que l’on a déjà connue au temps des guerres de religion. La Lettre à Vincent, dans laquelle saint Augustin justifie l’emploi de la force contre les hérétiques, fut publiée en 1573 pour justifier la Saint-Barthélémy, et se trouve souvent citée lors de la révocation de l’Édit de Nantes en 1686. Voir Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 541.
Or Pascal ne s’inscrit pas dans ce mouvement. Il condamne sévèrement l’emploi des contraintes physiques, et il s’en prend à la Lettre à Vincent, qu’il connaît et cite, notamment dans le fragment Laf. 591, Sel. 490. Ne si terrerentur et non docerentur improba quasi dominatio videretur. Aug. ep. 48 ou 49. 4. To. Contra mendacium, ad Consentium. Dans ce passage, Pascal cite l’opuscule de saint Augustin Contre le mensonge, afin de mettre son maître en contradiction avec lui-même, en soulignant que l’emploi de la violence est une tyrannie imposée à autrui au même titre que le mensonge. Pascal ouvre en l’occurrence la voie à Bayle Pierre, De la tolérance. Commentaire philosophique, Paris, Champion, 2006. Voir p. 18 sq., la réfutation de la bonne contrainte selon saint Augustin par Bayle. Voir aussi Les fondements philosophiques de la tolérance, tome III, Pierre Bayle, Supplément du Commentaire philosophique, éd. M. Pécharman, Paris, Presses Universitaires de France, 2002.
Lhermet J., Pascal et la Bible, Paris, Vrin, 1931, p. 464 sq. L’histoire présente un exemple de religion qui s’est imposée par la force, c’est l’islam. Voir la liasse Fausseté des autres religions. La foi y devient une contrainte et le culte un asservissement. L’idée se trouve dans Grotius, où Pascal a pu la trouver : voir Grotius Hugo, De veritate religionis christianae, VI, VIII :
« La Religion Chrétienne n’a pas moins d’avantage sur celle de Mahomet, à l’égard de la manière dont l’une et l’autre se sont répandues dans le Monde. La première doit ses progrès tant aux Miracles de Jésus-Christ, et à ceux de ses Disciples et de leurs Successeurs, qu’à la confiance qu’ils témoignèrent dans les supplices.
Les Docteurs du Mahométisme n’ont fait aucuns miracles, et n’ont souffert ni misères ni mort violente pour la défense de leurs sentiments. Cette Religion ne s’est étendue qu’à la faveur des Armes, et ses progrès se sont réglez sur le succès des guerres de ses Sectateurs ; de sorte qu’elle servait en quelque manière d’accessoire aux victoires qu’ils remportaient. Cela est si vrai, que les Docteurs Mahométans ont fait de ces succès et de la grande étendue de Pays que leurs Princes ont subjuguée, l’unique preuve de la vérité de leur Religion. Mais qu’y a-t-il de plus équivoque et de moins sûr que cette espèce de preuve ? Ils rejettent avec nous la Religion Païenne. Cependant personne n’ignore, ni les victoires signalées qu’ont remportées les Perses, les Macédoniens, et les Romains ; ni la vaste étendue de leurs Empires. Ces grands succès mêmes, dont nos Adversaires se vantent, n’ont pas été constants et perpétuels. Sans parler des désavantages qu’ils ont eus dans leurs guerres tant par terre que par mer, on les a contraints d’abandonner l’Espagne dont ils s’étaient rendus maîtres. Or ce qui doit servir de caractère à la véritable Religion, ne doit être ni commun aux méchants et aux personnes vertueuses, ni sujet au changement.
J’ajoute que ce caractère ne doit avoir en lui-même rien d’injuste : c’est ce que les Mahométans ne peuvent pas dire de leurs guerres. Ils les ont entreprises pour la plupart contre des Peuples qui ne les avoient pas inquiétez, et dont ils n’avoient aucun lieu de se plaindre ; de sorte qu’ils en étaient réduits à colorer ces guerres du prétexte de la Religion : ce qui choque directement les fondements de la Religion même. Dieu ne peut agréer le service que les hommes lui rendent, à moins qu’il ne parte d’une volonté pleine et entière. Or la volonté ne se peut fléchir, ni par les menaces, ni par la violence, mais par l’instruction et par la persuasion. Lors qu’on ne croit que parce qu’on y est contraint, on ne croit pas proprement, mais on fait semblant de croire pour se soustraire à la persécution. On peut dire aussi que ceux qui par la violence des maux ou par la terreur des menaces, veulent tirer des autres un consentement forcé, se font beaucoup plus de tort qu’ils ne pensent, puis qu’ils découvrent par là qu’ils se défient de la force de leurs raisons. Outre ce défaut que les Mahométans ont de commun avec tous les Persécuteurs, ils en ont un autre qui leur est particulier. C’est qu’après avoir pris pour prétexte de leurs guerres le désir d’étendre les bornes de leur Religion, ils détruisent ensuite ce prétexte par la permission qu’ils donnent aux Peuples qu’ils ont vaincus, de suivre telle Religion qu’il leur plait ; et par l’aveu public que quelques-uns d’entr’eux font, que ceux qui vivent dans la profession du Christianisme peuvent être sauvés. »
Cette référence a l’intérêt de mettre l’idée de la soumission de la raison avec usage en opposition avec les fragments de Fausseté des autres religions relatifs à l’islam.
Misère 6 (Laf. 58, Sel. 91). Tyrannie. La tyrannie est de vouloir avoir par une voie ce qu’on ne peut avoir que par une autre.
L’échec à terme de la violence est expliqué dans la Provinciale XII, § 21 :
« Je ne vous dirai rien cependant sur les Avertissements pleins de faussetés scandaleuses par où vous finissez chaque imposture : je repartirai à tout cela dans la Lettre où j'espère montrer la source de vos calomnies. Je vous plains, mes Pères, d'avoir recours à de tels remèdes. Les injures que vous me dites n'éclairciront pas nos différends, et les menaces que vous me faites en tant de façons ne m'empêcheront pas de me défendre. Vous croyez avoir la force et l'impunité, mais je crois avoir la vérité et l'innocence. C'est une étrange et longue guerre que celle où la violence essaie d'opprimer la vérité. Tous les efforts de la violence ne peuvent affaiblir la vérité, et ne servent qu'à la relever davantage. Toutes les lumières de la vérité ne peuvent rien pour arrêter la violence, et ne font que l'irriter encore plus. Quand la force combat la force, la plus puissante détruit la moindre : quand l'on oppose les discours aux discours, ceux qui sont véritables et convaincants confondent et dissipent ceux qui n'ont que la vanité et le mensonge : mais la violence et la vérité ne peuvent rien l'une sur l'autre. Qu'on ne prétende pas de là néanmoins que les choses soient égales : car il y a cette extrême différence, que la violence n'a qu'un cours borné par l'ordre de Dieu, qui en conduit les effets à la gloire de la vérité qu'elle attaque : au lieu que la vérité subsiste éternellement, et triomphe enfin de ses ennemis, parce qu'elle est éternelle et puissante comme Dieu même. »
♦ Textes de saint Augustin en faveur de l’usage de la force en matière de conversion
Saint Augustin, Lettre 93 à Vincent.
« Istos ergo atroces quondam inimicos nostros, pacem et quietem nostram variis violentiarum et insidiarum generibus gravibus graviter infestantes, si sic contemneremus et toleraremus, ut nihil omnino quod ad eos terrendos ac corrigendos valere posset, excogitaretur et argueretur nobis, vere malum pro malo redderemus. Si enim quisquam inimicum suum periculosis febribus phreneticum factum, currere videret in praeceps, nonne tunc potius malum pro malo redderet, si eum sic currere permitteret, quam si corripiendum ligandumque curaret ? Et tamen tunc ei molestissimus et adversissimus videretur, quando utilissimus et misericordissimus exstitisset : sed plane salute reparata tanto uberius ei gratias ageret, quanto sibi eum minus pepercisse sensisset. O si possem tibi ostendere, ex ipsis Circumcellionibus quam multos iam catholicos manifestos habeamus, damnantes suam pristinam vitam, et miserabilem errorem quo se arbitrabantur pro Ecclesia Dei facere quidquid inquieta temeritate faciebant! qui tamen ad hanc sanitatem non perducerentur, nisi legum istarum quae tibi displicent, vinculis tamquam phrenetici ligarentur. Quid illud alterum genus morbi gravissimi eorum, qui turbulentam quidem audaciam non habebant, sed quadam vetusta socordia premebantur, dicentes nobis, Verum quidem dicitis, non est quod respondeatur ; sed durum est nobis traditionem parentum relinquere : nonne salubriter regula temporalium molestiarum excutiendi erant, ut tamquam de somno lethargico emergerent, et in salutem unitatis evigilarent ? Quam multi ex ipsis nunc nobiscum gaudentes, pristinum pondus perniciosi sui operis accusant, et fatentur nos sibi molestos esse debuisse, ne tamquam mortifero somno, ita morbo veternosae consuetudinis interirent.
[Non tantum terrendos sed et docendos esse schismaticos.] At enim quibusdam ista non prosunt. Numquid ideo neglegenda est medicina, quia nonnullorum est insanabilis pestilentia ? Tu non attendis nisi eos qui ita duri sunt, ut nec istam recipiant disciplinam. De talibus enim scriptum est : Frustra flagellavi filios vestros ; disciplinam non receperunt. Puto tamen quia dilectione, non odio flagellati sunt Sed debes etiam tam multos attendere, de quorum salute gaudemus. Si enim terrerentur, et non docerentur, improba quasi dominatio videretur. Rursus si docerentur et non terrerentur, vetustate consuetudinis obdurati ad capessendam viam salutis pigrius moverentur ; quandoquidem multi, quod bene novimus, reddita sibi ratione et manifestata divinis testimoniis veritate, respondebant nobis, cupere se in Ecclesiae catholicae communionem transire, sed violentas perditorum hominum inimicitias formidare : quas quidem pro iustitia et pro aeterna vita utique contemnere debuerunt ; sed talium infirmitas, donec firmi efficiantur, sustinenda est, non desperanda. Nec obliviscendum quod ipse Dominus adhuc infirmo Petro ait : Non potes me modo sequi ; sequeris autem postea. Cum vero terrori utili doctrina salutaris adiungitur, ut non solum tenebras erroris lux veritatis expellat, verum etiam malae consuetudinis vincula vis timoris abrumpat, de multorum, sicut dixi, salute laetamur, benedicentium nobiscum, et gratias agentium Deo quod sua pollicitatione completa, qua reges terrae Christo servituros esse promisit, sic curavit morbidos, sic sanavit infirmos. »
Traduction : « Nous aurions rendu le mal pour le mal à ces hommes qui ont été nos ennemis acharnés, et qui attaquaient notre paix et notre repos par toutes sortes de violences et d'embûches, si nous les méprisions et les supportions au point que nous n’ayons rien trouvé qui puisse les effrayer et les corriger. Si quelqu'un voyait son ennemi se précipiter frénétiquement à la mort sous l’effet d’une fièvre dangereuse, s’il le laissait courir ainsi plutôt que de s’en saisir et de s’occuper de le ligoter, ne lui rendrait-il pas le mal pour le mal ? Et pourtant il lui paraîtrait cependant fort désagréable et fort hostile, alors qu’il lui serait très utile et compatissant ; mais sa santé rétablie, celui-ci rendrait grâce à son libérateur d'autant plus abondamment qu'il se rendrait compte qu'il a été moins épargné. Oh ! si je pouvais te montrer combien déjà nous avons déjà de circoncellions mêmes devenus catholiques déclarés, qui condamnent leur ancienne vie et l'erreur misérable par laquelle ils croyaient faire pour l'Église de Dieu tout ce que leur inspirait l’agitation de leur témérité ! Ils n’auraient pas recouvré cette santé de l'âme, si les lois qui te déplaisent ne les avaient pas liés comme des frénétiques. Que dire de cet autre genre de maladie très grave de ceux qui n'avaient pas cette audace turbulente, mais qui, sous le poids d'une indolence invétérée, nous disaient : Vous dites vrai, il n'y a rien à répondre ; mais il nous est dur d'abandonner la tradition de nos parents : n'était-il pas salutaire de frapper ces hommes-là du bâton des peines temporelles, pour qu’ils émergent d’une sorte de sommeil léthargique et s’éveillent dans le salut de l’unité ? Combien d’entre eux se réjouissent maintenant avec nous, se reprochent l'ancien poids de leurs actions, et avouent que nous devions les brusquer, pour qu’ils ne meurent pas de la maladie d’une habitude invétérée, comme d’un sommeil mortifère.
Mais en fait il y en a à qui ces procédés ne réussissent pas. Mais faut-il ne faire aucun cas de la médecine parce que quelques-uns sont atteints d’une maladie incurable? Tu ne prêtes attention qu'à ceux qui sont si durs qu'ils n'ont même pas accepté ce traitement ; c'est de tels hommes qu'il est écrit : J'ai flagellé en vain vos fils ; ils n'ont pas accepté le châtiment. Je crois cependant que c'est par amour et non par haine qu’on les a fouettés. Mais tu devrais aussi prêter attention au grand nombre de ceux dont le salut nous réjouit. Si on leur faisait peur sans les instruire, cela ressemblerait à une tyrannie détestable. Si inversement on les instruisait sans les effrayer, l’endurcissement de leur vieille habitude ne les laisserait se porter que paresseusement dans la voie du salut ; car plusieurs, que nous connaissons bien, ayant recouvré la raison et reconnu la vérité par les divins témoignages, nous répondaient qu'ils désiraient passer à la communion de l'Église catholique, mais qu'ils redoutaient les violentes inimitiés d'hommes dépravés ; ils auraient dû les braver pour la justice et pour la vie éternelle ; mais en attendant qu'ils se fortifient, il faut soutenir leur faiblesse et non la désespérer. On ne doit pas oublier ce que le Seigneur lui-même a dit à Pierre encore faible : Tu ne peux pas me suivre tout de suite, mais tu me suivras plus tard. Mais quand le bon enseignement est joint à la crainte utile, pour que la lumière de la vérité chasse les ténèbres de l'erreur, et que la force de la crainte brise les liens de la mauvaise coutume, nous nous réjouissons, comme je l'ai dit, du salut du grand nombre de ceux qui bénissent Dieu avec nous et lui rendent grâce d'avoir rempli sa promesse par laquelle il a prédit que les rois de la terre serviraient le Christ, et ainsi soigné les malades et guéri les faibles ».
Saint Augustin, dans sa lettre 185 au tribun Boniface, commente la formule de la parabole du festin, forcez-les d’entrer, en proposant une méthode plus complexe : « Dominus ad magnam cœnam suam prius adduci jubet convivas, postea cogi », le Maître ordonne d’amener d’abord les convives à son grand festin, et ensuite de les contraindre ; autrement dit, les méthodes de douceur doivent être employées en première instance ; la contrainte ne doit l’être que dans le cas désespéré des irréductibles.
L’allusion aux circoncellions témoigne du reste que saint Augustin avait en tête des individus particulièrement coriaces.
Terrorem potius quam religionem.
Terrorem potius quam religionem, la terreur plutôt que la religion, est une citation, et non une clausule forgée par Pascal. La citation n’est pas soulignée.
La source, trouvée par H. Aupetit, serait Barthélémy Platina, de son nom Sacchi (1421-1481) ou Socchi, auteur de vies des papes. La formule citée par Pascal se trouve en toutes lettres dans son ouvrage, Historia B. Platinae de vitis pontificum romanorum D. N. Jesu Christo usque ad Paulum II venetum Papam, longe quam antea emendatior, doctissimarumque annotationum Onuphrii Panvinii adjuncta sunt, Coloniae, B. Gualtherium, anno MDC, p. 248 (l’original date de 1479). « Moritur autem hoc modo Bonifacius elle, qui imperatoribus, regibus, principibus, nationibus, populis terrorem potius quam religionem injicere conabatur ». Boniface VIII (Benedetto Caetani, 1235-1303) y est présenté comme le type du pape tyrannique. Sur ce pape aux méthodes autoritaires, qui tint tête au roi de France Philippe le Bel et subit l’attentat d’Anagni, voir l’article qui lui est consacré dans Levillain Philippe, Dictionnaire historique de la papauté, p. 233-236.
On retrouve la formule citée par Pascal ensuite un peu partout, presque toujours avec la référence (plus ou moins précise) à Platina. Voir par exemple Vigor Simon, Histoire du grand différend entre le pape Boniface VIII et Philippe le Bel roi de France, Paris, Cramoisy, 1655, p. 23 (l’ouvrage comporte plusieurs numérotations). « Platina superioribus haec addit, Moritur hoc modo Bonifacius ille qui imperatoribus, regibus, principibus, nationibus et populis terrorem potius quam religionem injicere conabatur ».
L’expression terrorem potius quam religionem apparaît dans les écrits de polémique contre les jésuites. Voir par exemple Doctrinae jesuiticae praecipua capita, tomus tertius, Scripta nonnulla continens, adversus hypocrisin et errores novae istius sodalitatis, quae sacrosanctum Jesu nomen sibi arroganter et falso tribuit, Rupellae, apud Theophilum Regium, 1586, p. 61, qui cite Platina (Platina, in Bonif.) et la formule Terrorem potius quam religionem.
Elle vient naturellement sous la plume de Pascal, dans ses réflexions polémiques relatives aux actions violentes des jésuites et aux excès de l’autorité pontificale dans l’affaire du Formulaire.
♦ Discussion
OC I, éd. J. Mesnard, p. 890. Le Recueil de choses diverses, f° 42 v (Lesaulnier Jean, Port-Royal insolite, Paris, Klincksieck, 1992, p. 250), témoigne que tout le monde, à Port-Royal, ne partageait pas l’avis de Pascal : « M. Dirois dit que M. Pascal n’a pas de vues justes sur tout ce qui regarde les fait de l’histoire. M. Pascal dit qu’une religion qui n’établit que la crainte est fausse : il faut dire qu’elle est imparfaite ».