Fragment Vanité n° 18 / 38 – Papier original : RO 83-3
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Vanité n° 36 p. 81 / C2 : p. 21
Éditions savantes : Faugère I, 178 note, III / Havet V.9 / Brunschvicg 320 / Tourneur p. 171-3 / Le Guern 28 / Maeda I p. 146 / Lafuma 30 / Sellier 64
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Bibliographie ✍
GUION Béatrice, “Nicole, lecteur de Pascal”, in Le rayonnement de Port-Royal, p. 379 sq. MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES, 1993, p. 204 et 292. |
✧ Éclaircissements
On ne choisit pas pour gouverner un vaisseau celui des voyageurs qui est de la meilleure maison.
Modalité de parole : ce sont les demi-habiles, c’est-à-dire les esprits prétendument affranchis des préjugés du peuple, et qui pensent toujours être en possession des moyens de régler le monde, qui parlent. Sur les demi-habiles, voir Raisons des effets 9 (Laf. 90, Sel. 124).
Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES, 1993, p. 204 et 292. Double sens du mot gouverner, qui souligne ironiquement la différence des qualités exigées pour assurer la direction d’un État et celle d’un navire. Comme quoi Pascal sait jouer sur les ambiguïtés quand il en a besoin, quoi qu’il dise dans L’esprit géométrique.
L’Invincible Armada fut commandée par un Grand d’Espagne, le duc de Medinasidonia, dont l’incompétence fut une raison du désastre.
L’argument repose sur le procédé de l’échec d’une analogie. Le fonctionnement ordinaire de la société civile se passe toujours de la même manière, en accordant les postes de commandement aux plus compétents. Mais dans un cas, qui est paradoxalement celui dans lequel la compétence serait indispensable, la règle ne s’accorde pas avec la pratique ordinaire : on choisit le souverain sans considération de ses qualités, uniquement en raison de sa condition aristocratique.
Le caractère gratuit et injustifiable dans le fond de ce mode de désignation est fortement expliqué dans les Trois discours sur la condition des grands, où Pascal explique que l’âme d’un prince ne diffère pas de celle d’un batelier, et que ce qui amène un homme sur un trône n’est rien d’autre qu’une succession de hasards.
La vanité de l’homme apparaît ici dans cette incohérence qui fait que personne ne trouve anormal de raisonner de manière complètement différente dans la vie ordinaire et dans le domaine politique, alors que justement, c’est dans ce dernier domaine qu’on devrait rechercher la compétence.
♦ Suggestions de sources
Platon, La République, I, 341-342 ; VI, 488-489.
Aristote, Rhétorique, II, XX, 1393 b. « Ce sont des paraboles que les discours de Socrate, si l’on dit par exemple qu’il ne faut pas que les magistrats soient tirés au sort : c’est en effet comme si on choisissait les athlètes par le sort, non pas ceux qui ont les aptitudes physiques pour concourir, mais ceux qu’aurait favorisés la chance ; ou encore si on choisissait par le sort le marin qui doit tenir le gouvernail, comme s’il fallait prendre non celui qui sait le pilotage, mais celui qu’aurait désigné le sort ».
Havet, éd. des Pensées, I, p. 62, renvoie à Xénophon, Mémorables, III, 9, 11.
Méré, Œuvres, De la vraie honnêteté, 1er discours. « Il me vient dans l’esprit ce que disait Socrate ou Platon que ceux qui s’embarquent dans un voyage de long cours, ne prennent pas les mieux établis pour les conduire, et qu’ils jettent les yeux sur le plus excellent pilote ».