Fragment Vanité n° 38 / 38 – Papier original : RO 23-4
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Vanité n° 72 et 73 p. 13 v° / C2 : p. 32
Éditions savantes : Faugère II, 135, XIX / Havet XXV.36 / Michaut 50 / Brunschvicg 388 / Tourneur p. 180-1 / Le Guern 48 / Maeda II p. 199 / Lafuma 52 / Sellier 85
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Bibliographie ✍
MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd. Paris, SEDES, 1993, p. 194. |
✧ Éclaircissements
Le bon sens.
Le bon sens renvoie à Descartes et au début du Discours de la méthode. La référence se comprend sans peine, puisque Pascal, non sans ironie, considère Descartes comme le « docteur de la raison ».
Voir le dossier thématique sur le bon sens…
Ils sont contraints de dire : « Vous n’agissez pas de bonne foi, nous ne dormons pas » , etc.
Grandeur 6 (Laf. 110, Sel. 142) : Nous savons que nous ne rêvons point.
Voir le fragment Contrariétés 14 (Laf. 131, Sel. 164), pour l’argument du rêve. Mais dormir n’est pas rêver. Le fragment Laf. 803, Sel. 653 correspond au point de vue du rêveur.
Le fragment répond d’avance à ce que les amis de Pascal écriront dans la Logique de Port-Royal. Le dernier argument des auteurs de la Logique, IV, 1, éd. Clair et Girbal, p. 292 sq., contre le pyrrhonisme, c’est que les sceptiques ne croient pas par le discours intérieur ce qu’ils disent par le discours extérieur. Le meilleur moyen, avec ces philosophes, est de les rappeler à leur conscience et à la bonne foi : p. 292. Le Premier discours de la Logique, composé par Nicole, porte que « la vraie raison place toutes choses dans le rang qui leur convient ; elle fait douter de celles qui sont douteuses, rejeter celles qui sont fausses, et reconnaître de bonne foi celles qui sont évidentes, sans s’arrêter aux vaines raisons des pyrrhoniens qui ne détruisent pas l’assurance raisonnable que l’on a des choses certaines, non pas même dans l’esprit de ceux qui les proposent. Personne ne douta jamais sérieusement s’il y a une terre, un soleil et une lune, ni si le tout est plus grand que sa partie. On peut bien faire dire extérieurement à sa bouche qu’on en doute, parce que l’on peut mentir ; mais on ne le peut pas faire dire à son esprit. Ainsi le pyrrhonisme n’est pas une secte de gens qui soient persuadés de ce qu’ils disent ; mais c’est une secte de menteurs » : voir éd. Clair et Girbal, p. 19. Pascal constate la faiblesse de cette raison contre le scepticisme radical.
La distinction entre le discours intérieur et le discours extérieur est tirée d’Aristote, Seconds analytiques, I, 10, éd. Tricot, Vrin, p. 57.
Que j’aime à voir cette superbe raison humiliée et suppliante !
Voir Entretien avec M. de Sacy, § 27, OC III, p. 148, où Pascal déclare : « Je vous avoue, Monsieur, que je ne puis voir sans joie dans cet auteur la superbe raison si invinciblement froissée par ses propres armes, et cette révolte si sanglante de l’homme contre l’homme, qui, de la société avec Dieu, où il s’élevait par les maximes [de sa faible raison], le précipite dans la nature des bêtes ; et j’aurais aimé de tout mon cœur le ministre d’une si grande vengeance, si, étant disciple de l’Église par la foi, il eût suivi les règles de la morale, en portant les hommes, qu’il avait si utilement humiliés, a ne pas irriter par de nouveaux crimes celui qui peut seul les tirer des crimes qu’il les a convaincus de ne pouvoir pas seulement connaître. »
Cela souligne que ce fragment pourrait être mis dans la bouche de Montaigne.
Car ce n’est pas là le langage d’un homme à qui on dispute son droit et qui le défend les armes et la force à la main. Il ne s’amuse pas à dire qu’on n’agit pas de bonne foi, mais il punit cette mauvaise foi par la force.
Cette phrase donne un exemple particulier de ce dont Pascal proposera une idée générale dans le fragment sur les trois ordres, Preuves de Jésus-Christ 11 (Laf. 308, Sel. 339). L’ordre des esprits se conçoit par analogie avec l’ordre des corps : Les grands génies ont leur empire, leur éclat, leur grandeur, leur victoire et leur lustre. C’est aussi ce que dit Descartes, Discours de la méthode, VI, AT VI, p. 37, Alquié I, p. 639 : « C’est véritablement donner des batailles que de tâcher à vaincre toutes les difficultés et les erreurs qui nous empêchent de parvenir à la connaissance de la vérité, et c’est en perdre une, que de recevoir quelque fausse opinion ». Dans le cas présent, Pascal présente les philosophes dogmatistes comme de mauvais combattants incapables de se défendre par de vraies démonstrations contre les sceptiques, et qui voient dans l’obligation de se plaindre au lieu de combattre.