Fragment Vanité n° 4 / 38 – Papier original : RO 79-7

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Vanité n° 18 p. 5 / C2 : p. 17

Éditions savantes : Faugère I, 207, XCII / Havet VI.59 / Brunschvicg 161 / Tourneur p. 169-1 / Le Guern 14 / Maeda I p. 82 / Lafuma 16 / Sellier 50

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Bibliographie

 

 

Voir la bibliographie générale de la liasse Vanité.

 

 

Éclaircissements

 

Vanité.

Qu’une chose aussi visible qu’est la vanité du monde soit si peu connue, que ce soit une chose étrange et surprenante de dire que c’est une sottise de chercher les grandeurs, cela est admirable.

 

Sur le sens que Pascal accorde au mot visible, voir Provinciale IV, éd. Cognet, p. 63. « Faut-il recourir à l’Écriture pour montrer une chose si claire ? Ce n’est point ici un point de foi, ni même de raisonnement ; c’est une chose de fait : nous le voyons, nous le savons, nous le sentons ».

Monde est ambigu ; dans Vanité 23 (Laf. 36, Sel. 70), il s’agit bien du milieu mondain ; ici, le sens paraît plus général.

 

Caractère paradoxal du raisonnement

 

Ici, l’ignorance de la vanité est une preuve de la vanité. L’ignorance d’un fait devient preuve de ce fait, alors que d’ordinaire on argue plutôt de la notoriété d’un fait pour l’accréditer (par exemple par l’argument du consentement général).

D’autre part, Pascal redouble l’étonnement : il est étonnant de dire que la recherche des grandeurs est une vanité. Cet étonnement lui-même est admirable, c’est-à-dire étonnant au suprême degré. Comparer avec Vanité 21 (Laf. 33, Sel. 67), qui traite aussi d’un étonnement sur le fait qu’on ne voie pas sa faiblesse et qu’on ne s’en étonne pas : Ce qui m’étonne le plus est de voir que tout le monde n’est pas étonné de sa faiblesse. On agit sérieusement et chacun suit sa condition, non pas parce qu’il est bon en effet de la suivre, puisque la mode en est, mais comme si chacun savait certainement où est la raison et la justice. On se trouve déçu à toute heure et par une plaisante humilité on croit que c’est sa faute et non pas celle de l’art qu’on se vante toujours d’avoir. Mais il est bon qu’il y ait tant de ces gens-là au monde qui ne soient pas pyrrhoniens pour la gloire du pyrrhonisme, afin de montrer que l’homme est bien capable des plus extravagantes opinions, puisqu’il est capable de croire qu’il n’est pas dans cette faiblesse naturelle et inévitable, et de croire, qu’il est au contraire dans la sagesse naturelle.

Rien ne fortifie plus le pyrrhonisme que ce qu’il y en a qui ne sont point pyrrhoniens. Si tous l’étaient ils auraient tort.

 

Compatibilité avec d’autres fragments

 

Voir Vanité 23, Qui ne voit pas la vanité du monde est bien vain lui-même. Aussi qui ne la voit, excepté de jeunes gens qui sont tous dans le bruit, dans le divertissement et dans la pensée de l’avenir.

Mais ôtez leur divertissement vous les verrez se sécher d’ennui. Ils sentent alors leur néant sans le connaître, car c’est bien être malheureux que d’être dans une tristesse insupportable, aussitôt qu’on est réduit à se considérer, et à n’en être point diverti.

L’idée initiale est analogue ; mais les deux fragments semblent se contredire, puisque ce dernier indique que seuls quelques éventés plongés dans le divertissement ne voient pas la vanité de l’homme, et que tous les autres la voient. Le fragment Vanité 4 déclare en revanche que cette vanité est très mal connue, ou connue de très peu de personnes.

Pour résoudre la contradiction, il semble qu’on puisse procéder de plusieurs manières.

1. On peut conceptualiser le sens du verbe connaître : connue dans ce cas devrait être entendu connu dans le détail de son essence, et non pas seulement de manière élémentaire, quant à l’existence seule de la vanité (voir les différents emplois du verbe dans Preuves par discours I (Laf. 418, Sel. 680), “Infini rien”).

2. On peut interpréter si peu connue non pas au sens de connue par si peu de personnes, mais de si mal connue.

 

Préparation du renversement du pour au contre

 

Pascal joue ici sur le rapport du fait de la vanité et de la connaissance qu’on peut en avoir.

La méconnaissance de la vanité est une vanité : elle ne constitue donc pas un degré dans l’argumentation qui conduira à conclure la grandeur. En revanche, la connaissance de la vanité et de la misère sera le signe de la grandeur, et permettra d’amorcer le renversement du pour au contre.

De la même manière, la connaissance de la grandeur de l’homme, telle qu’elle se trouve dans les stoïciens par exemple, ou chez Descartes, conduit à conclure la misère. Voir la liasse Grandeur.