Règle de la créance – Fragment n° 3 / 8 – Papier original : RO 269-3
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 80 p. 313 v° / C2 : p. 405 v°
Éditions savantes : Faugère II, 403 / Brunschvicg 87 / Tourneur p. 61-2 / Le Guern 459 / Lafuma 506 (série XX) / Sellier 674
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Bibliographie ✍
CROQUETTE Bernard, Pascal et Montaigne. Étude des réminiscences des Essais dans l’œuvre de Pascal, Genève, Droz, 1974, p. 49. |
✧ Éclaircissements
583. Nae iste magno conatu magnas nugas dixerit. Térent.
Croquette Bernard, Pascal et Montaigne. Étude des réminiscences des Essais dans l’œuvre de Pascal, p. 49. ✍
Térence, Heautontimoroumenos, V, 621. « Nae ista hercle magno jam conatu magnas nugas dixerit ». Tr. : « Certes, elle va se donner un grand mal pour me dire de grandes balivernes ». Mais le texte retenu par Pascal se traduit : « Certes, il va se donner un grand mal pour me dire de grandes balivernes ».
La citation est empruntée à Montaigne, Essais III, I, Chapitre I, De l’utilité et de l’honnêteté, éd. de 1652, p. 583, éd. Balsamo, Pléiade (sous le titre De l’utile et de l’honnête), p. 829. Le nombre 583 est celui de la page de l’édition des Essais de 1652, dont Pascal se sert. « Personne n’est exempt de dire des fadaises : le malheur est, de les dire curieusement : Næ iste magno conatu magnas nugas dixerit. Cela ne me touche pas ; les miennes m’échappent aussi nonchalamment qu’elles le valent. D’où bien leur prend : je les quitterai soudain, à peu de coût qu’il y eût ». En marge de l’édition de 1652 : « Certes avec un grand effort, celui-ci nous dira de grandes sottises. Terent. Heaut. Act. 4 ».
Noter que Pascal a suivi, sans doute inconsciemment, une modification introduite par la citation de Montaigne : dans le texte originel, c’est d’une femme, alors que la transcription de Montaigne suppose qu’il s’agit d’un homme (iste au lieu de ista). La traduction en marge des Essais confirme la modification (celui-ci). Il est très probable que Pascal n’est pas remonté au texte original de Térence.
Il est difficile de dire à quelle fin Pascal a noté cette citation. La situation dramatique, dans laquelle Chrémès exprime sa méfiance devant l’attitude de Sostrate, à un moment où celle-ci doit lui faire un aveu pénible, ne paraît guère propre à éclaircir ce point. Tout au plus le contexte de Montaigne permet-il peut-être d’interpréter le passage comme l’amorce d’une critique des pointes, procédé à la mode fermement réprouvé par Pascal et Port-Royal, auquel ils reprochent de forger à grand peine des jeux d’esprit insignifiants. Mais ce n’est là qu’une supposition fragile.
Quasi quicquam infelicius sit homine cui sua figmenta dominantur. Plin.
Croquette Bernard, Pascal et Montaigne. Étude des réminiscences des Essais dans l’œuvre de Pascal, Genève, Droz, 1974, p. 49.
Tiré de Montaigne, Essais, II, 12, Apologie de Raymond de Sebonde, éd. de 1652, p. 386, éd. Balsamo, Pléiade, p. 559.
« C’est pitié que nous nous pipons de nos propres singeries et inventions,
Quod finxere timent ;
comme les enfants qui s’effraient de ce même visage qu’ils ont barbouillé et noirci à leur compagnon. Quasi quicquam infelicius sit homine, cui sua figmenta dominantur. »
En marge de l’édition de 1652 : « Comme s’il n’était rien plus misérable que l’homme, sur qui ses propres ouvrages et fictions règnent. Plin. » La référence à Pline est donc fournie à Pascal par Montaigne, mais sans aucune indication de lieu. Cela se comprend du fait que cette citation est une addition manuscrite de l’exemplaire personnel de Montaigne de l’édition des Essais de 1588, qui ne donne aucune référence (pas même le nom de Pline), pas plus d’ailleurs que les lignes suivantes, dans lesquelles on croit reconnaître un écho de saint Augustin. Le nom de Pline figure seulement en marge de l’édition de 1652, sans plus de précision.
Les éditions de Montaigne et de Pascal qui tentent de compléter cette lacune indiquent toutes la même référence, Pline (l’Ancien), Histoire naturelle, II, VII, apparemment sans la vérifier, car en réalité, cette citation n’existe pas. Tout au plus peut-on constater que le chapitre VII du livre II de L’histoire naturelle fait allusion au fait que les hommes attribuent aux divinités leur sort et leurs tribulations. Mais l’idée formulée dans l’extrait latin noté par Pascal, que l’homme se rend malheureux par ses propres fictions, ne se trouve pas dans Pline. La question serait de savoir s’il s’agit d’une invention que Montaigne a introduite dans ses additions manuscrites ou s’il existe une source encore inconnue.
Quoi qu’il en soit, Pascal a retenu la citation avec la référence à Pline, mais il n’est certainement pas remonté à la source indiquée par l’édition de 1652.
En revanche, le passage de Montaigne qui précède immédiatement, relatif aux « enfants qui s’effraient de ce même visage qu’ils ont barbouillé et noirci eux-mêmes à leur compagnon », semble tiré de Sénèque, Lettres à Lucilius, Livre III, Lettre XXIV, 13, éd. P. Veyne, Paris, Bouquins, Robert Laffont, 1993, p. 661 : « Ce que tu vois arriver aux enfants, nous l’éprouvons, nous autres, grands enfants que nous sommes. Les personnes qu’ils aiment, auxquelles ils sont habitués, avec lesquelles elles jouent, si elles se présentent avec un masque, les font trembler de peur ». La référence est utile, dans la mesure où elle établit un lien avec le fragment Laf. 779, Sel. 643. Les enfants qui s’effraient du visage qu’ils ont barbouillé. Ce sont des enfants ; mais le moyen que ce qui est si faible étant enfant soit bien fort étant plus âgé ! on ne fait que changer de fantaisie. Tout ce qui se perfectionne par progrès périt aussi par progrès. Tout ce qui a été faible ne peut jamais être absolument fort. On a beau dire : il est crû, il est changé, il est aussi le même. Voir Ferreyrolles Gérard, Les reines du monde, p. 193 sq., sur les enfants qui s’effraient d’un visage qu’ils ont barbouillé ; et Ferreyrolles Gérard, “Itinéraires dans les Pensées. Spécialement de l’enfance”, in Goyet T. (dir.), L’accès aux Pensées de Pascal, Paris, Klincksieck, 1993, p. 163-181.