Pensées diverses I – Fragment n° 17 / 37 – Papier original : RO 127-4
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 95 p. 337 / C2 : p. 289
A été ajouté dans l’édition de 1678 : Chap. XXVIII - Pensées chrestiennes : 1678 n° 75 p. 264-265
Éditions savantes : Faugère II, 374, XL / Havet XXIV.49 / Brunschvicg 886 / Tourneur p. 78-2 / Le Guern 484 / Lafuma 563 (série XXIII) / Sellier 470
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Bibliographie ✍
FERREYROLLES Gérard, “Les païens dans la stratégie argumentative de Pascal”, in Pascal. Religion, Philosophie, Psychanalyse, Revue philosophique de la France et de l’étranger, n° 1, janv.-mars 2002, p. 29-30. LEDUC-FAYETTE Denise, “La catégorie pascalienne de l’hérésie”, in XVIIe siècle : Mersenne, Descartes, Pascal, Spinoza, Leibniz, Revue philosophique de la France et de l’étranger, n° 23, avril-juin 1995, p. 211-228. |
✧ Éclaircissements
Hérétiques.
Bouyer L, Dictionnaire théologique, p. 297-298. C’est une forme particulière du schisme, qui est la séparation du corps de l’Église ; l’hérésie consiste en une séparation, mais par une erreur doctrinale grave et opiniâtre. Le schisme se distingue de l’hérésie en ce qu’il consiste en une séparation de l’Église, pour une raison qui ne relève pas nécessairement de la doctrine. On appelle hérésiarque l’initiateur d’une hérésie.
Encyclopédie saint Augustin, Paris, Cerf, 2005, art. Hérésie, Schisme, p. 688-691. Un croyant peut tomber dans l’erreur mais cette erreur ne devient une hérésie que lorsqu’elle est reconnue comme telle par l’Église et que le croyant y persiste alors qu’il sait qu’elle ne correspond pas à ce que soutient la communauté dans son ensemble. La persistance est un élément essentiel. Saint Augustin parle de s’attacher à une hérésie. Il ne définit pas l’hérésie à partir de son identification par une condamnation officielle, et il avertit qu’il existe beaucoup d’hérésies qui n’ont jamais été condamnées par un synode, mais qui pourtant doivent être évitées. L’hérésie est une rupture de la foi plutôt que de la charité. Le schisme implique la séparation d’avec la communauté ; il retranche totalement de l’Église ceux qui y tombent ; il se manifeste par la rupture de communion. Caractères communs du schisme et de l’hérésie : p. 689. L’hérésie est généralement suscitée par un hérésiarque : p. 690. Auctor schismatis, Ép. 185, 10. Composante idolâtrique dans le schisme et l’hérésie : p. 690.
Hurter H., Theologicae dogmaticae compendium, I, § 233, 5, p. 258. Définition de l’hérétique.
Bartmann Bernard, Précis de théologie catholique, I, p. 61-63. ✍
Laporte Jean, La doctrine de Port-Royal, Les vérités de la grâce, p. 6. Il n’y a rien de faux à proprement parler dans les hérésies : chaque secte a tort en ce qu’elle rejette ce que soutient l’autre : p. 18. L’hérésie protestante supprime la liberté dans la doctrine de la grâce : p. 345.
Leduc-Fayette Denise, “La catégorie pascalienne de l’hérésie”, in XVIIe siècle : Mersenne, Descartes, Pascal, Spinoza, Leibniz, Revue philosophique de la France et de l’étranger, n° 23, avril-juin 1995, p. 211-228. ✍
Ézéch.
Tous les païens disaient du mal d’Israël et le prophète aussi.
Sur Ézéchiel, voir Cazelles Henri, Introduction à la Bible, t. 2, Introduction critique à l’Ancien Testament, Paris, Desclée de Brouwer, 1973, p. 413 sq.
Chédozeau Bernard, L’univers biblique catholique au siècle de Louis XIV. La Bible de Port-Royal, I, Paris, Champion, 2013, p. 613 sq. ✍
Cette allusion à Ézéchiel demeure particulièrement embarrassante. Elle revient pourtant, dans les Pensées, dans le fragment Miracles III (Laf. 859, Sel. 438). Injustes persécuteurs de ceux que Dieu protège visiblement.
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S’ils vous reprochent vos excès, ils parlent comme les hérétiques.
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S’ils disent que la grâce de Jésus-Christ nous discerne, ils sont hérétiques.
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S’il se fait des miracles c’est la marque de leur hérésie.
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Ezéchiel.
On dit : Voilà le peuple de Dieu qui parle ainsi.
La Préface du livre d’Ézéchiel dans la Bible de Port-Royal dit à propos des Juifs : « tout à fait inexcusable était leur indifférence à s’appliquer pour entendre ce qu’on leur disait ; car ou ils ne voulaient pas écouter ce que les prophètes leur annonçaient de la part de Dieu, ou s’ils l’écoutaient, c’était seulement comme ceux dont il est parlé dans l’Évangile et que Jésus-Christ compare à la terre sur laquelle la semence de sa divine parole tombe le long du chemin et est aussitôt enlevée par les oiseaux, c’est-à-dire par les démons ». Mais le livre d’Ézéchiel ne dit pas que ces mêmes Juifs reprochaient au prophète de parler comme les païens, et fait encore moins allusion à une réponse du prophète.
On renvoie parfois à Ézéchiel, XXII, où l’on ne trouve rien qui ressemble à ce que dit ici Pascal. GEF renvoie à Ézéchiel XVI, sans plus de justification. Havet, XXIV, 49, avoue en note qu’il « ne trouve rien dans Ézéchiel d’où on puisse inférer ce que dit Pascal sans aider beaucoup à la lettre ».
La référence la plus proche semble être celle de l’éd. de G. Ferreyrolles et Ph. Sellier, Pascal, Les Provinciales, Pensées, et opuscules divers, pour la Pochothèque, Paris, 1999, p. 1061, n. 1, à Ézéchiel, XXVI, 16-21 : « Le Seigneur me parla encore, et il me dit : 17. Fils de l’homme les enfants d’Israël ont habité dans leur terre ; ils l’ont souillée par le dérèglement de leurs affections et de leurs œuvres ; leur voie est devenue impure comme la femme qui souffre l’accident de son sexe. 18. C’est pourquoi j’ai répandu mon indignation sur eux, à cause du sang qu’ils avaient répandu sur la terre, et de leurs idoles par lesquelles ils l’avaient déshonorée. 19. Je les ai écartés en divers pays, et je les ai dispersés parmi les peuples. Je les ai jugés, et je leur ai rendu selon leurs voies et selon leurs œuvres. 20. Ils ont vécu parmi les peuples où ils étaient allés, et ils y ont déshonoré mon saint nom lorsqu’on disait d’eux : C’est le peuple du Seigneur ; ce sont là ceux qui sont de sa terre : 21. Et j’ai voulu épargner la sainteté de mon nom que la maison d’Israël avait déshonoré parmi les nations où ils étaient allés ».
Et tant s’en faut que les Israélites eussent droit de lui dire : « vous parlez comme les païens », qu’il fait sa plus grande force sur ce que les païens parlent comme lui.
En fait, c’est moins la réalité historique du conflit qui opposait Ézéchiel aux Juifs que la situation présente qui intéresse Pascal. Il pense à la polémique qui oppose Port-Royal aux jésuites, et particulièrement aux Provinciales : c’était un argument souvent employé par les polémistes antijansénistes que le groupe de Port-Royal parlait, non seulement en théologie, mais aussi à propos de la Société de Jésus, dans les mêmes termes que les protestants, et qu’ils étaient eux-mêmes hérétiques.
Selon les polémistes du parti jésuite, les jansénistes sont hérétiques : c’est le refrain du P. Annat in Réponses aux Lettres provinciales publiées par le secrétaire du Port-Royal, contre les PP. de la Compagnie de Jésus, Liège, Mathias Hovius, 1658. Les bulles d’Urbain VIII et d’Innocent X : p. 431 sq. Les jansénistes soutiennent les propositions censurées au sens déclaré hérétique : p. 433. La distinction du fait et du droit est irrecevable : p. 434 sq. Les jansénistes s’en prennent à l’autorité du pape : p. 440. Comparaison des propositions condamnées et de celles de Jansénius : p. 443 sq.
Le reproche s’accompagne en général de celui de collusion avec les calvinistes. Voir Nouët Jacques, la Lettre à une personne de condition sur la conformité des reproches et des calomnies que les jansénistes publient contre les Pères de la Compagnie de Jésus avec celles que le ministre Du Moulin a publiées devant eux, juillet 1656, reproduit in Réponses, p. 67 sq. Les Provinciales sont reçues au consistoire de Charenton comme parole d’Évangile, selon le P. Nouët. Voir aussi les Impostures, in Réponses, p. 89 sq., la Réponse à la seizième lettre, in Réponses, 466, qui dit que les Provinciales ne sont qu’un commentaire du Dénombrement des traditions romaines du ministre Du Moulin.
Meynier Bernard, Port-Royal et Genève d’intelligence contre le très Saint Sacrement de l’Autel dans leurs livres, et particulièrement dans les équivoques de l’article XV de la seconde partie de la Seconde Lettre de M. Arnauld, J. F. Fleuriau, Poitiers, 1656. ✍
Pascal rappelle ce procédé polémique systématique dans le fragment Miracles III (Laf. 859, Sel. 438). Injustes persécuteurs de ceux que Dieu protège visiblement.
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S’ils vous reprochent vos excès, ils parlent comme les hérétiques.
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S’ils disent que la grâce de Jésus-Christ nous discerne, ils sont hérétiques.
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S’il se fait des miracles c’est la marque de leur hérésie.
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Ezéchiel.
On dit : Voilà le peuple de Dieu qui parle ainsi.
Pour récuser cette accusation, Pascal s’appuie sur le modèle supposé d’Ézéchiel pour montrer que ce n’est pas parce que l’on s’exprime sur certains points dans les mêmes termes que les hérétiques que l’on est soi-même hérétique. Et il précise que comme bien souvent les hérétiques mettent le doigt sur des défauts réels de l’Église, il n’est pas étonnant que l’on puisse constater des coïncidences entre certains hérétiques et certains bons chrétiens.
Pascal écrit dans le Ve Écrit des curés de Paris :
« 4. Voilà l’état où les Jésuites ont mis l’Église. Ils l’ont rendue le sujet du mépris et de l’horreur des hérétiques : elle, dont la sainteté devrait reluire avec tant d’éclat, qu’elle remplît tous les peuples de vénération et d’amour. De sorte qu’elle peut dire à ces Pères ce que Jacob disait à ses enfants cruels : Vous m’avez rendu odieux aux peuples qui nous environnent ; ou ce que Dieu dit dans ses Prophètes à la Synagogue rebelle : Vous avez rempli la terre de vos abominations, et vous êtes cause que mon saint nom est blasphémé parmi les Gentils, lorsqu’en voyant vos profanations ils disent de vous : C’est là le peuple du Seigneur, c’est celui qui est sorti de la terre d’Israël qu’il leur avait donnée en héritage. C’est ainsi que les hérétiques parlent de nous, et qu’en voyant cette horrible morale, qui afflige le cœur de l’Église, ils comblent sa douleur, en disant, comme ils font tous les jours : C’est là la doctrine de l’Église Romaine, et que tous les Catholiques tiennent ; ce qui est la proposition du monde la plus injurieuse à l’Église. »
Mais on ne trouve pas dans ce passage l’idée que le prophète Ézéchiel est fort du fait que les païens parlent comme lui.
Cette réponse s’inspire du fait que, selon la tradition, les hérésies sont nécessaires. Sur ce sujet, on peut renvoyer à Nicole Pierre, Perpétuité de la foi de l’Église catholique touchant l’eucharistie, avec la réfutation de l’écrit d’un ministre contre ce traité, 5e éd., Paris, Savreux, 1672, p. 150. Oportet haereses esse. La formule provient de I Cor. XI, 19, « il faut qu’il y ait des hérésies ». Elle est reprise par saint Augustin, De doctrina christiana, III, XXIII, 46, Bibliothèque augustinienne, p. 301 ; voir aussi Cité de Dieu, XV, Bibliothèque augustinienne, et XVIII, p. 667. Le paradoxe de l’existence des hérésies, c’est que, suivant le principe tout sert, même le péché, etiam peccata, elles aussi ont leur utilité : l’hérésie, cité du diable au sein de l’Église, est utile aux catholiques, d’une part en exerçant leur sagesse, d’autre part en exerçant leur patience, enfin en exerçant leur bienveillance : p. 667.
Cette idée a été développée par Nicole dans ses notes sur les Provinciales. Voir Wendrock, Provinciales, tr. Joncoux, I, p. 71, Note II préliminaire à la Ve Provinciale, Que Montalte leur [sc. aux jésuites] fait les mêmes reproches que les hérétiques font à l’Église. On reproche aux Provinciales de faire aux jésuites les mêmes reproches que les hérétiques font à l’Église. Mais les hérétiques, s’ils ont tort d’attaquer l’Église, s’en prennent cependant à de véritables plaies en elle. L’hérésie est en quelque sorte le symptôme d’un malaise dans l’Église. L’Église repousse les médisances des hérétiques non en soutenant, mais en condamnant les choses qu’ils blâment.
« Les jésuites voulant repousser toutes les accusations de Montalte par un préjugé général qui empêchât qu’on ne lui donnât aucune créance, ils prétendent qu’il ne reproche à leur auteurs que ce que les ministres calvinistes, et particulièrement Du Moulin, ont coutume de reprocher à l’Église catholique. Sur ce fondement ils le traitent ouvertement d’hérétique et de fauteur d’hérétiques, qui en attaquant les casuistes, veut en effet attaquer la véritable doctrine de l’Église. Ils sont si satisfaits de cette réponse, qu’ils la répètent sans cesse, et en fatiguent les lecteurs dans tous leurs écrits. C’est donc avec raison que je commence par cet endroit à répondre à leurs plaintes. Il faut empêcher en réfutant celle-ci, qu’on ne soupçonne l’Église catholique d’enseigner une doctrine aussi corrompue que l’est celle des jésuites, et apprendre à tout le monde qu’elle n’a aucune part au relâchement de leur morale, ni Montalte aucune intelligence avec les hérétiques.
Mais pourquoi se donner la peine de réfuter sérieusement une absurdité si visible ? Les jésuites espèrent-ils pouvoir persuader à personne que Montalte a tiré de Du Moulin ce qu’il rapporte des casuistes ? Ceux qu’il cite le plus souvent comme Lamy, Bauny, Escobar, Cellot, Sirmond, n’ont-ils pas écrit depuis Du Moulin ?
Mais comment Montalte aurait-il trouvé toutes les maximes abominables des jésuites dans Du Moulin, où elles ne sont pas ? Et pourquoi n’aurait-il pu les voir dans leurs livres, où il est si facile de les trouver ? Pour moi je ne veux pour leur fermer la bouche, que ce parallèle même qu’ils ont fait des reproches de Montalte contre eux, et de ceux de Du Moulin contre l’Église romaine. Ils sont si différents qu’il ne faut que jeter la vue dessus, pour être convaincu que Montalte ne s’est pas plus servi de Du Moulin en écrivant ses lettres, que Du Moulin s’est servi de Montalte en composant ses livres.
Mais cette question de fait est fort peu importante en elle-même, et tout à fait inutile pour la décision de notre dispute. Car accordons aux jésuites que Montalte leur reproche des erreurs que Du Moulin attribue par un mensonge impie à toute l’Église, que s’ensuit-il de là ? Rien autre chose sinon que les casuistes déshonorent l’Église et scandalisent les hérétiques : que dans l’Église ils corrompent ses enfants, et que hors de l’Église ils éloignent de son sein ceux qui en sont séparés : de sorte que cette sainte Mère peut avec justice leur adresser la parole d’un ancien patriarche justement indigné contre la cruauté de ses enfants [Genèse, XXXIV, 30] : Vous m’avez troublé, et vous m’avez rendu odieux aux Cananéens et aux Phérésiens qui habitent cette terre.
Cependant les jésuites non seulement ne sont point touchés de tant de sujets qu’ils fournissent aux hérétiques d’insulter les serviteurs du Dieu vivant, mais ils prennent même avantage de ce scandale, ils s’en glorifient ; et comme si les reproches des hérétiques contre leurs maximes étaient des preuves aussi infaillibles de leur vérité, que la décision d’un concile œcuménique, ils en prennent occasion de décrier comme des hérétiques tous ceux qui les combattent. Et non seulement ils veulent qu’on regarde les erreurs que les hérétiques ont relevées comme autant de vérités certaines et hors d’atteinte, mais ils veulent qu’on ait le même égard pour toutes les abominations des casuistes, que les hérétiques n’ont jamais reprochées à l’Église. Si ce moyen suffit pour les mettre à couvert, j’avoue qu’ils n’ont plus rien à craindre, et qu’ils peuvent renverser la morale chrétienne, sans que personne ose s’y opposer ; car ils auront toujours cette défense toute prête contre ceux qui voudraient leur résister : Qu’il n’y a que les hérétiques qui aient accoutumé de reprendre et de blâmer la doctrine des casuistes.
Mais ils devraient avoir appris de saint Augustin, que les hérétiques sont à la vérité semblables aux chiens qui léchaient les plaies de Lazare, parce qu’à leur exemple ils s’attachent aux plaies de l’Église, pour en faire le sujet de leurs médisances : et qu’en cela ils sont injustes et impies de vouloir déshonorer la Mère à cause des crimes de ses enfants, et de publier que tout le corps est infecté, parce qu’il y a quelques-uns de ses membres qui le sont ; mais que néanmoins comme les chiens ne laissent pas de lécher de véritables plaies, les hérétiques aussi ne laissent pas de reprendre quelquefois de véritables désordres.
C’est pourquoi l’Église repousse les médisances des hérétiques, non en soutenant, mais en condamnant elle-même les choses qu’ils blâment, et en témoignant publiquement qu’elle ne les approuve pas non plus qu’eux, mais qu’au contraire elle les déteste encore davantage, et beaucoup plus sincèrement qu’eux. C’est ainsi que le même saint Augustin réfute les manichéens, qui rejetaient sur toute l’Église les désordres de quelques particuliers. Il condamne et fait voir que l’Église condamnait ces désordres encore plus fortement que ne faisaient ces hérétiques.
Ne m’objectez point, dit-il [De morib. Eccl.] qu’il y a des gens qui font profession d’être chrétiens, et qui en ignorent les devoirs, ou qui ne les remplissent pas. Ne m’opposez point cette foule d’ignorants qui sont superstitieux dans la religion même, ou tellement abandonnés à leurs passions, qu’ils oublient tout ce qu’ils ont promis à Dieu. Je sais qu’il y en a plusieurs qui rendent un culte superstitieux aux tombeaux et aux images, et qui faisant des festins dans les cimetières s’ensevelissent eux-mêmes tout vivants sur les sépulcres des morts, et prétendent que ces excès sont autant d’actions de piété. Je n’ignore pas qu’il y en a qui ont renoncé de bouche au monde, et qui se réjouissent néanmoins de se voir accablés de grandeurs. Mais cessez de parler mal de l’Église, ne calomniez point la Mère à cause des mœurs de ses méchants enfants, puisqu’elle les condamne comme vous, et qu’elle s’applique continuellement à les réformer.
Montalte ne fait que suivre dans ses Lettres cet exemple de saint Augustin. Il y parle des relâchements d’une Société particulière de l’Église. Mais il en parle, non comme un hérétique, mais comme tous les catholiques doivent parler de semblables désordres, lorsque les hérétiques les veulent faire retomber sur l’Église, quoiqu’elle les ait réprimés dans tous les temps par les canons de ses conciles, qu’elle les ait combattus par les écrits et par la voix des Pères, et qu’elle les condamne encore tous les jours par la vie sainte de quelques-uns de ses enfants, et par les sentiments de piété qui sont imprimés dans le cœur de tous les autres. »
Nicole mentionne ensuite les condamnations des casuistes par les évêques, les facultés, l’Assemblée du clergé, ainsi que la campagne des curés de Paris contre L’apologie pour les casuistes du P. Pirot. Il poursuit : « C’est le propre des hérétiques de défendre avec opiniâtreté les erreurs de ceux de leur parti. Il n’appartient qu’aux catholiques de condamner l’erreur jusque dans leurs frères. » En revanche, « quand les catholiques reprennent dans quelques membres de ce divin corps [l’Église] les mêmes désordres que les hérétiques y reprennent, ils font tous à la vérité une même chose, mais ils ont une fin bien différente. Les hérétiques veulent faire retomber sur la mère les dérèglements de ses enfants, et les catholiques au contraire empêcher qu’on ne les lui attribue ».
Par conséquent, ce n’est pas parce que l’on parle comme les hérétiques que l’on est hérétique soi-même : c’est très souvent parce que l’on blâme dans l’Église des défauts que les hérétiques ont eux aussi remarqués, mais qui ne sont pas nécessairement les défauts qui ont causé leur séparation.
C’est pour souligner cette différence que Pascal résume le débat entre les Juifs et Ézéchiel en inversant les rôles : tant s’en faut que les Israélites eussent droit de lui dire : « vous parlez comme les païens », qu’il fait sa plus grande force sur ce que les païens parlent comme lui. Ce n’est pas Ézéchiel qui se trouve à la remorque des païens, mais les païens qui reprennent des condamnations qu’Ézéchiel a proférées le premier.
Pascal répond pour son propre compte à l’accusation d’hérésie dans la XVIIe Provinciale, à laquelle il faut renvoyer.