Pensées diverses I – Fragment n° 22 / 37 – Papier original : RO 145-2
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 97 p. 339 / C2 : p. 291 v°
Éditions savantes : Faugère I, 259, XXXVII / Havet XXV.130 / Brunschvicg 54 / Tourneur p. 76-1 / Le Guern 489 / Lafuma 572 (série XXIII) / Sellier 475
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Bibliographie ✍
SUSINI Laurent, L’écriture de Pascal. La lumière et le feu. La « vraie éloquence » à l’œuvre dans les Pensées, Paris, Champion, 2008. |
✧ Éclaircissements
Miscell.
L’adjectif latin miscellaneus signifie mêlé, mélangé, et le neutre pluriel miscellanea désigne des choses mélangées, c’est-à-dire des morceaux portant sur des sujets variés. La meilleure traduction serait le titre que porte le manuscrit 4333 des Nouvelles acquisitions françaises de la BNF, savoir le Recueil de choses diverses, dont le premier possesseur, Louis de Monmerqué, dit que c’est une « espèce de Miscellanea ». Le sous-titre indique la nature de la « chose diverse » particulière en question.
Façon de parler.
Je m’étais voulu appliquer à cela.
Appliquer : se dit figurément en choses spirituelles et morales. Il s’applique à la géométrie. Et on dit absolument d’un homme qu’il s’applique pour dire qu’il travaille, qu’il s’attache fortement à sa profession, ou à quelque ouvrage (Furetière). Il se dit en parlant de l’esprit et des facultés de l’âme : c’est attacher fortement son esprit. Richelet renvoie à la Logique de Port-Royal, « appliquer son esprit à la recherche de la vérité ».
GEF XII, p. 57-58 rappelle en note que Michaut comprend je m’étais voulu appliquer à noter les façons de parler, et j’y ai renoncé. Brunschvicg corrige en défendant l’interprétation classique que l’application dépend de la volonté seule, et qu’il y a contradiction à dire que la « volonté n’a pas réussi à ce qui est précisément le propre de la volonté », contradiction qui est censée mettre en relief « la faiblesse de notre volonté, la misère de notre nature corrompue ».
En fait la formule Je m’étais voulu appliquer à cela n’implique pas nécessairement que la personne qui s’exprime en ces termes ne soit pas parvenue à s’appliquer à la matière, comme le pensent Michaut et Brunschvicg. Rien non plus ne justifie l’addition de l’aveu j’y ai renoncé (Michaut).
L’expression peut simplement faire état de l’effort de volonté que le locuteur a dû accomplir pour parvenir à consacrer son attention à telle matière ou son activité à telle entreprise.
Il n’y a du reste pas de raison pour rapporter systématiquement tous les fragments, même ceux qui touchent des problèmes de sémantique, à la thèse de la nature corrompue.
Pascal trouve sans doute inutile la précision redondante apportée par le verbe vouloir, l’idée de volonté étant affirmée deux fois, dans le verbe vouloir et dans le verbe appliquer.
La remarque peut toutefois avoir aussi une portée morale. On lit dans les Écrits sur la grâce, Lettre sur la possibilité des commandements, Mouvement final, 6, § 36, OC III, éd. J. Mesnard, p. 704 :
« Qu’y a-t-il de plus clair que cette proposition, que l’on fait toujours ce qui délecte le plus ? Puisque ce n’est autre chose que de dire que l’on fait toujours ce qui plaît le mieux, c’est-à-dire que l’on veut toujours ce qui plaît, c’est-à-dire qu’on veut toujours ce que l’on veut, et que dans l’état où est aujourd’hui notre âme réduite, il est inconcevable qu’elle veuille autre chose que ce qu’il lui plaît vouloir, c’est-à-dire ce qui la délecte le plus. Et qu’on ne prétende pas subtiliser en disant que la volonté, pour marquer sa puissance, choisira quelquefois ce qui lui plaît le moins ; car alors il lui plaira davantage de marquer sa puissance que de vouloir le bien qu’elle quitte, de sorte que, quand elle s’efforce de fuir ce qu’il lui plaît, ce n’est que pour faire ce qu’il lui plaît, étant impossible qu’elle veuille autre chose que ce qu’il lui plaît de vouloir. »
Le rapport est immédiatement établi au paragraphe suivant avec la maxime de l’Expositio in Epistolam ad Galatas de saint Augustin, « Quod amplius nos delectat, secundum id operemur necesse est ». Voir le commentaire de OC III, éd. J. Mesnard, p. 599, et l’étude de Thirouin Laurent et Krumenacker Yves, Les écoles de pensée religieuse à l’époque moderne, Chrétiens et Sociétés, n° 5, Université Lyon II, 2006, p. 25-64 ; voir p. 39 sq.
Il semble en résulter que Pascal n’admet pas que puisse exister un double étage de la volonté, qui engendrerait une volonté de volonté : la volonté se confond toujours avec ce qui plaît. L’expression vouloir s’appliquer ne serait donc pas seulement une redondance, mais surtout un non-sens psychologique.