Pensées diverses I – Fragment n° 31 / 37 – Le papier original est perdu
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 100 p. 341 v° / C2 : p. 295 v°
Éditions savantes : Faugère II, 263, XXX / Havet XVI.13 bis / Brunschvicg 669 / Le Guern 498 / Lafuma 582 (série XXIII) / Sellier 484
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Bibliographie ✍
LAFOND Jean, “Un débat d’esthétique à l’époque classique : la théorie du beau dans l’Epigrammatum delectus de Port-Royal et la critique par le Père Vavasseur”, Acta conventus neo-latini turonensis, Paris, 1980, p. 1269-1277. PÉROUSE Marie, L’invention des Pensées de Pascal. Les éditions de Port-Royal, (1670-1678), Paris, Champion, 2009. |
✧ Éclaircissements
Changer de figure,
Havet, éd. des Pensées, II, 1866, p. 9, donne changer de figures. Havet rapproche ce fragment aux textes relatifs aux figuratifs. Aucun commentaire ne justifie ce classement ni cette interprétation.
Furetière ne mentionne pas le sens actuel du mot figure, qui désigne aujourd’hui le visage. Le sens du mot est à l’époque beaucoup moins restreint qu’aujourd’hui. Figure doit être pris ici au sens de l’aspect extérieur général d’un corps (qui n’est pas nécessairement le corps humain).
La formule changer de figure ne peut s’employer que pour parler d’une métamorphose complète de l’aspect corporel. On parle de changer de figure pour les lycanthropes : voir par exemple Arnauld Antoine, Œuvres, XXXIII, éd. de Lausanne, d’Arnay, 1780, p. 130. Dans la Morale pratique des jésuites, Troisième volume…, p. 130, Arnauld reproche aux jésuites leurs constants changements (comme Pascal le fait dans la XVe Provinciale), en ces termes : « vous êtes donc des Protées, qui changez de figure quand il vous plaît, selon vos intérêts différents ». Mais employer cette expression pour le seul visage de l’homme est une figure de rhétorique, voire une impropriété.
Dans tout son théâtre, Racine évite cette tournure, et emploie exclusivement le terme propre, changer de visage, lorsqu’un personnage paraît décontenancé, surpris ou mécontent.
Britannicus II, 3 : Néron : « Vous vous troublez, Madame, et changez de visage.
Lisez-vous dans mes yeux quelque triste présage ? »
Bérénice I, 4 : Bérénice : « Prince, vous vous troublez et changez de visage ? »
Mithridate III, 5 : Monime : « Si le sort ne m’eût donnée à vous,
Mon bonheur dépendait de l’avoir pour époux.
Avant que votre amour m’eût envoyé ce gage,
Nous nous aimions... Seigneur, vous changez de visage ! »
Molière emploie faire une étrange figure dans Les femmes savantes, mais c’est pour désigner l’attitude générale d’un personnage, en l’occurrence Henriette qui n’a pas du tout, à entendre les poèmes de Trissotin, les mêmes attitudes d’admiration de Philaminte, Armande et Bélise.
à cause de notre faiblesse.
Changer de figure serait une formule que l’on trouve belle par faiblesse. Sur le sens du mot faiblesse chez Pascal, voir le commentaire du fragment Raisons des effets 15 (Laf. 96, Sel. 130). Raison des effets. La faiblesse de l’homme est la cause de tant de beautés qu’on établit, comme de savoir bien jouer du luth n’est un mal qu’à cause de notre faiblesse. L’intérêt de ce rapprochement est qu’il permet de rapprocher la remarque sémantique du présent fragment et la raison des effets.
Voir l’essai de définition de l’idée de faiblesse par Marie Pérouse, L’invention des Pensées de Pascal. Les éditions de Port-Royal, (1670-1678), p. 422 sq. La faiblesse de l’homme est l’un des caractères qui paraissent par sa condition mortelle et vulnérable, qui est consécutive au péché originel. Elle affecte non pas seulement le corps, mais aussi l’activité intellectuelle : voir sur ce point Meurillon Christian, “Luth pascalien et faiblesse humaine : des intrus dans la raison des effets ?”, Courrier du Centre International Blaise Pascal, n° 20, 1998, p. 47-54. Sur le rapport entre faiblesse humaine et puissances trompeuses, voir Pérouse Marie, Ibid., p. 427 sq.
On peut aussi rapprocher ce texte du fragment Laf. 585, Sel. 486 : Il y a un certain modèle d’agrément et de beauté qui consiste en un certain rapport entre notre nature faible ou forte telle qu’elle est et la chose qui nous plaît. Voir Lafond Jean, “Un débat d’esthétique à l’époque classique : la théorie du beau dans l’Epigrammatum delectus de Port-Royal et la critique par le Père Vavasseur”, Acta conventus neo-latini turonensis, Paris, 1980, p. 1269-1277 ; voir p. 1271. Les augustiniens voient dans la nature humaine un mixte de force et de faiblesse : la poésie ne peut donc être agréable que si elle diversifie les tons, car sa faiblesse rend l’homme incapable d’une tension continue. C’est une manière d’expliquer l’établissement de certains effets rhétoriques téméraires par la faiblesse de l’homme.