Pensées diverses II – Fragment n° 8 / 37 – Le papier original est perdu

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 105 p. 351 v° / C2 : p. 307

Éditions savantes : Faugère II, 158, XXX / Havet XXV.90 / Brunschvicg 440 / Le Guern 512 / Lafuma 600 (série XXIV) / Sellier 497

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Bibliographie

 

 

Voir les bibliographies de Misère 9 (Laf. 60, Sel. 94) et Vanité 31 (Laf. 44, Sel. 78),

et des dossiers thématiques sur le moi, les concupiscences et l’orgueil.

 

 

Éclaircissements

 

La corruption de la raison paraît par tant de différentes et extravagantes mœurs.

 

Différentes et extravagantes mœurs : les mœurs sont analogues aux individus. Dans De l’esprit géométrique, Pascal constate que non seulement les personnes sont toutes différentes les unes des autres, mais qu’elles sont constamment variables individuellement d’un moment à un autre. Voir De l’Esprit géométrique, II, De l’art de persuader, § 11, OC III, éd. J. Mesnard, p. 417 : « les principes du plaisir ne sont pas fermes et stables. Ils sont divers en tous les hommes, et variables dans chaque particulier avec une telle diversité, qu’il n’y a point d’homme plus différent d’un autre que de soi-même dans les divers temps. Un homme a d’autres plaisirs qu’une femme ; un riche et un pauvre en ont de différents ; un prince, un homme de guerre, un marchand, un bourgeois, un paysan, les vieux, les jeunes, les sains, les malades, tous varient ; les moindres accidents les changent. »

Les différentes et extravagantes mœurs sont principalement exposées dans les liasses Vanité et Misère, notamment dans les fragments Misère 9 (Laf. 60, Sel. 94) sur l’économie du monde, et Vanité 31 (Laf. 44, Sel. 78) sur l’imagination. Mais dans la présente note, Pascal les relie à la corruption due au péché originel. Elle marque un progrès dans le sens de la raison des effets.

La corruption de la raison : la diversité des mœurs est expressément rapportée à la corruption de la raison dans le fragment Misère 9 (Laf. 60, Sel. 94) : Le larcin, l’inceste, le meurtre des enfants et des pères, tout a eu sa place entre les actions vertueuses. Se peut-il rien de plus plaisant qu’un homme ait droit de me tuer parce qu’il demeure au delà de l’eau et que son prince a querelle contre le mien, quoique je n’en aie aucune avec lui ? Il y a sans doute des lois naturelles, mais cette belle raison corrompue a tout corrompu.

Mais il est clair que cette corruption de la raison est toujours la conséquence de la corruption du cœur, puisque c’est le cœur qui donne à la raison les principes sur lesquels elle raisonne. Voir Grandeur 6 (Laf. 110, Sel. 142). Voir aussi plus bas le fragment Preuves par discours I (Laf. 423, Sel. 680) dont la question rhétorique finale, Est-ce par raison que vous vous aimez ?, témoigne bien qu’il s’agit bien de la corruption du cœur, qui est plus profonde et plus réelle que celle de la raison.

 

Il a fallu que la vérité soit venue afin que l’homme ne véquît plus en soi-même.

 

Véquît : forme tombée en désuétude du verbe vivre ; nous dirions vécût (Brunschvicg). Voir la note de l’éd. Le Guern, Œuvres, II, Pléiade, p. 1502.

L’avènement de la vérité n’est pas un événement ponctuel : la vérité est apparue dès l’époque prophétique, sous forme figurative. Avec la venue du Christ, la vérité a été annoncée clairement dans la Révélation évangélique. Mais dans l’un et l’autre cas, l’annonce tendait à délivrer l’homme du moi, de l’amour propre, de la concupiscence, et, dans la pratique, de la délectation.

Afin que l’homme ne véquît plus en soi-même : l’édition Sellier propose pour soi-même, et non en soi-même. Les copies donnent bien en. La leçon pour soi-même marquerait bien que l’homme animé par l’amour propre se prend pour fin dernière de tout. L’idée qu’elle suggérerait n’est donc pas inexacte, ni étrangère à la pensée de Pascal. Mais en soi-même exprime clairement une idée plus originale, marquant le repliement sur soi et l’enfermement dans lequel l’amour de soi réduit l’homme. L’avènement de la vérité est selon Pascal une délivrance pour l’homme pécheur.

Le fragment Preuves par discours I (Laf. 423, Sel. 680) marque le rapport entre le cœur et la libération du moi individuel : Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point ; on le sait en mille choses. Je dis que le cœur aime l’être universel naturellement et soi-même naturellement, selon qu’il s’y adonne, et il se durcit contre l’un ou l’autre à son choix. Vous avez rejeté l’un et conservé l’autre. Est-ce par raison que vous vous aimez ?