Pensées diverses III – Fragment n° 54 / 85 – Papier original : RO 429-7
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 136 p. 379 / C2 : p. 337 v°
Éditions savantes : Faugère II, 369, XXVIII / Havet XXV.187 / Brunschvicg 507 / Tourneur p. 105-3 / Le Guern 595 / Lafuma 702 (série XXV) / Sellier 580
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Bibliographie ✍
LAPORTE Jean, La doctrine de Port-Royal, tome deuxième, Exposition de la doctrine (d’après Arnauld). I. Les vérités de la grâce, Paris, Presses Universitaires de France, 1923. MESNARD Jean, “Achèvement et inachèvement dans les Pensées de Pascal”, in PAPASOGLI Benedetta (dir.), Le Pensées di Pascal : dal disegno all'edizione, Studi francesi, n° 143, Torino, Rosenberg et Sellier, mai-août 2004, p. 301-320. SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970. |
✧ Éclaircissements
Voir le commentaire de GEF XIII, p. 403-404. « Toute âme chrétienne est partagée entre les mouvements de grâce qu’elle reçoit de Dieu, par les mérites du Rédempteur, et la dureté de cœur, inhérente à la nature corrompue ; les circonstances extérieures interviennent, qui sont le témoignage de la providence divine, et qui souvent sont décisives ».
En d’autres termes, Pascal résumerait ici l’idée que, si les mouvements de la grâce rencontrent l’opposition du cœur endurci, les circonstances extérieures, dont Dieu est maître, parviennent parfois à y remédier.
Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 340 sq. La toute-puissance de la grâce divine et les résistances humaines.
Sur les listes qui réunissent des expressions à partir desquelles seront composés des fragments plus développés, voir Mesnard Jean, “Achèvement et inachèvement dans les Pensées de Pascal”, in Papasogli Benedetta (dir.), Le Pensées di Pascal : dal disegno all'edizione, Studi francesi, n° 143, 2004, p. 301-320.
Les mouvements de grâce,
L’expression se trouve chez d’autres auteurs, comme Arnauld, dans un écrit qu’il a consacré à la défense de Jansénius, à propos de la seconde proposition, Réponse au P. Annat, in Œuvres, XIX, p. 159 : « il est constant », écrit Jansénius selon Arnauld, « que plusieurs sont éclairés dans l’esprit par une lumière divine, et que même ils sont touchés et frappés dans la volonté par les mouvements de la grâce de Dieu, lesquels néanmoins résistent et ne se rendent pas à cette suasion, et à ce mouvement intérieur de la grâce », in Augustinus, tome III, livre II, chapitre 27. Texte latin : « Nec vero moveat quemquam quod constet, multos divinitus mente collustrati, imo vero et in ipsa voluntate motibus divinae gratiae percelli, qui tamen ab ejus interna suasione et inclinatione dissentiunt, ut propterea falsum putet gratiam in eo cui datur, semper operari effectum ob quem datur ».
Il s’agit évidemment d’une expression figurée. Par mouvement, il faut entendre une réaction psychologique suscitée dans le cœur par la grâce. Mais il arrive aussi que l’action de la grâce dans le cœur de l’homme engendre un mouvement qui entraîne un déplacement.
Dans la Lettre sur la mort de son père, OC II, éd. J. Mesnard, p. 852, Pascal parle d’un « transport de grâce », qui fait considérer un « accident » comme la mort d’Étienne Pascal, « non pas dans lui-même et hors de Dieu, mais hors de lui-même et dans l’intime de la volonté de Dieu » et adorer « dans un humble silence la hauteur impénétrable de ses secrets ». Transport désigne une agitation de l’âme. Mais le sens de mouvement n’est pas absent (Furetière).
Voir l’écrit Sur la conversion du pécheur, dans lequel Pascal décrit l’évolution d’un homme touché par la grâce, se servant de termes évoquant un mouvement suscité par la grâce de Dieu : OC IV, éd. J. Mesnard, p. 42. « Par une sainte humilité, que Dieu relève au-dessus de la superbe, elle commence à s’élever au-dessus du commun des hommes ». Plus bas, Pascal poursuit : « cette élévation est si éminente et transcendante qu’elle ne s’arrête pas au ciel (il n’a pas de quoi la satisfaire) ni au-dessus du ciel, ni aux anges, ni aux êtres les plus parfaits. Elle traverse toutes les créatures, et ne peut arrêter son cœur qu’elle ne se soit rendue jusqu’au trône de Dieu, dans lequel elle commence à trouver son repos » : p. 42.
Sur les rapports entre la doctrine de la grâce des Écrits sur la grâce et les Pensées, outre l’introduction de J. Mesnard aux Écrits, OC III, p. 592 sq., on peut recourir aux ouvrages suivants : ✍
Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, passim.
Miel Jan, Pascal and theology, 1969.
Relire les Écrits sur la grâce, Quaderni leif, 13, 2015.
la dureté de cœur,
Truchet Jacques, La prédication de Bossuet, I, p. 181 sq. État du pécheur qui s’est tant abandonné au mal qu’il en est arrivé à se retirer toute possibilité de conversion, donc de salut. Ce n’est pas seulement un phénomène psychologique, explicable par une habitude de pécher si invétérée qu’elle ne peut plus cesser de s’exercer ; c’est une réalité d’ordre spirituel : il vient un moment, impossible à déterminer pour la sagesse humaine, où Dieu décide de retirer sa grâce au coupable ; celui-ci est dès lors perdu sans remède, voué à l’impénitence finale. La permission par laquelle Dieu permet le péché a alors une valeur de châtiment. « Il y a un jour que Dieu sait, après lequel il n’y a plus pour l’âme aucune ressource » (O VI, p. 100). « Dieu qui nous voit périr, nous avertit qu’il viendra un point où il cessera de pardonner, et auquel à la fin nous tomberons au dernier degré d’endurcissement et à l’impénitence finale » : p. 183 (O VI, p. 578).
Sur l’endurcissement du cœur et le règne du cœur mauvais, voir Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 107 sq.
Prophéties VII (Laf. 496, Sel. 736). Endurcis leur cœur. Et comment ? En flattant leur concupiscence et leur faisant espérer de l’accomplir.
Isaïe, VI, 10. « Aveuglez le cœur de ce peuple, rendez ses oreilles sourdes, et fermez ses yeux, de peur que ses yeux ne voient, que ses oreilles n’entendent, que son cœur ne comprenne, et qu’il ne se convertisse à moi, et que je ne le guérisse ».
Boucher Jean, Les triomphes de la religion chrétienne, II, Q. 45, p. 231 sq. « Ce cœur est dit être endurci quand il n’est pas enclin à aimer et vouloir quelque chose ». Aveuglement se rapporte à l’esprit, endurcissement au cœur. Comment se fait l’endurcissement du pécheur ? Plusieurs causes y concourent : Dieu aveugle et endurcit en permettant qu’on tombe dans le péché, en laissant l’homme au milieu de la tentation ; il endurcit par soustraction de la grâce et par l’abondance des faveurs dont l’homme abuse.
les circonstances extérieures.
Circonstances : particularités qui accompagnent quelque action. Furetière renvoie au latin circumstantia, et au grec peristasis, en marquant le fait que les circonstances entourent un fait ou une action, mais de l’extérieur et sans en faire intrinsèquement partie.
Pontas, Dictionnaire des cas de conscience ou décisions, par ordre alphabétique, des plus considérables difficultés touchant la morale et la discipline ecclésiastique, publié par l’abbé Migne, 1847, t. 1, p. 349-350. On appelle circonstance tout accident sans lequel une action peut subsister, et qui rend plus ou moins bonne, ou plus ou moins mauvaise, l’action qu’elle accompagne. Nos actions morales peuvent avoir sept circonstances qui sont comprises dans ce vers : Quis, quid, ubi, quibus auxiliis, cur, quomodo, quando.
Brunschvicg associe cette expression à l’idée que parfois, les circonstances viennent soutenir ou favoriser les effets de la grâce. Il prend l’exemple de l’accident arrivé à Étienne Pascal à Rouen, qui mit la famille en contact avec les frères Deschamps, ce qui a été l’origine de la conversion en série des membres de la famille à une piété plus intense.