Pensées diverses III – Fragment n° 55 / 85 – Papier original : RO 442-5

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 136 p. 379 / C2 : p. 337 v°

Éditions savantes : Faugère II, 178, IV / Havet XXV.138 / Brunschvicg 516 / Tourneur p. 106-1 / Le Guern 596 / Lafuma 703 (série XXV) / Sellier 581

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Bibliographie

 

 

Voir l’introduction aux Écrits sur la grâce dans l’édition de Jean MESNARD, OC III, Desclée De Brouwer, Paris, 1991.

 

DESCOTES Dominique, “Le raisonnement par l’absurde dans les Écrits sur la grâce”, in DESCOTES Dominique (dir.), Pascal auteur spirituel, Paris, Champion, 2006, p. 393-432.

MIEL Jan, Pascal and theology, The John Hopkins Press, Baltimore and London, 1969.

SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970.

 

 

Éclaircissements

 

Grâce.

 

L’édition Sellier, 581, indique que le titre est Grâce et non Gloire, comme le donne par erreur l’édition Lafuma des Œuvres complètes de la collection L'intégrale (1963).

 

Rom., 3, 27. Gloire exclue. Par quelle loi ? Des œuvres ? Non, mais par la foi.

 

Pensées, éd. Havet, I, Delagrave, 1866, p. 149. La gloire, en langage chrétien, signifie l’état glorieux des élus dans le ciel.

Bouyer Louis, Dictionnaire théologique, p. 278 sq. On parle de la glorification des élus pour parler de l’état de communication qu’ils auront en paradis avec la personne de Dieu.

Saint Paul, Épître aux Romains, III, 27-28 : « Ubi est ergo gloriatio tua ? Exclusa est. Per quam legem ? Factorum ? Non : sed per legem fidei. 28. Arbitramur enim justificari hominem per fidem sine operibus legis ». Tr. de Port-Royal : « Où donc est le sujet de votre gloire ? Il est exclu. Et par quelle loi ? Est-ce par la loi des œuvres ? Non : mais par la loi de la foi. 28. Car nous devrons reconnaître que l’homme est justifié par la foi sans les œuvres de la loi. »

Commentaire de Port-Royal :

« Où est donc, ô Juifs, le sujet de votre gloire ? Le sujet de vous glorifier vous-mêmes, et de vous élever par-dessus les Gentils. Car il semble que l’Apôtre dans ce verset, ait égard à tout ce qu’il a dit depuis le verset 1 de ce chapitre, pour rabattre l’orgueil des Juifs, et pour faire voir qu’ils n’ont pas de quoi se préférer aux Gentils : Gr. Où est donc le sujet de se glorifier ? Puisque toute la justice de l’homme vient de la grâce de Dieu, et qu’elle ne vient pas de ses propres mérites [...].

Il est tout à fait exclu : toute matière de vous glorifier en vous-même vous est ôtée.

Par quelle loi ? Est-ce par la loi des œuvres ? Est-ce par la loi de Moïse, qui vous oblige à pratiquer les œuvres qu’elle prescrit ?

Non : parce que la loi, comme loi, n’avertit pas l’homme de son infirmité et de son impuissance ; mais seulement de l’obligation qu’il a d’observer les préceptes : ce qui le porte aisément à présumer de ses forces, et à croire qu’il a en lui-même et par lui-même le pouvoir de les observer sans recourir à aucun autre secours, c’est-à-dire à la grâce de Dieu. Ce qui est la source de tous les péchés et de toutes les erreurs qui font révolter l’esprit de l’homme contre Dieu.

Mais par la loi de la foi : c’est-à-dire par la loi de l’Évangile, dont toute la doctrine, particulièrement dans cette Épître, fait connaître à l’homme sa corruption, son impuissance et son infirmité naturelle, et en même temps lui en propose le remède, qui est la foi en Jésus-Christ, lui faisant voir que c’est par elle seule, et non par ses propres forces, qu’il peut parvenir à la véritable observation de la loi : et qu’ainsi il doit mettre toute sa gloire et son espérance en ce Sauveur, et non pas en soi-même. Ou bien il faut entendre par la loi de la foi,la foi même, qui est cette loi intérieure et vivante du nouveau Testament écrite par le Saint-Esprit dans le cœur des fidèles, au lieu que celle de Moïse n’était écrite que sur des tables de pierre. Cette loi ôte à l’homme tout sujet de se glorifier, parce qu’elle le dépouille entièrement de la persuasion de son propre mérite, et lui fait reconnaître sincèrement par sa propre expérience, qu’il n’observe la loi et ne la peut observer que par la grâce de Dieu moyennant la foi en Jésus-Christ ».

Ce commentaire se borne à l’idée du besoin indispensable que l’homme a de la grâce de Dieu pour recevoir la foi.

 

 Donc la foi n’est pas en notre puissance comme les œuvres de la Loi, et elle nous est donnée d’une autre manière.

 

Cette note de Pascal rappelle certains passages de la Lettre sur la possibilité des commandements (premier en date des Écrits sur la grâce), par la manière dont Pascal établit par une interprétation précise des textes, une différence entre la grâce des œuvres et la grâce de la foi.

Pascal prévoit apparemment d’appliquer le raisonnement apagogique pour tirer les conséquences de la citation de saint Paul.

Voir Descotes Dominique, “Le raisonnement par l’absurde dans les Écrits sur la grâce”, in Descotes Dominique (dir.), Pascal auteur spirituel, p. 393-432.

Lettre sur la possibilité des commandements, Mouvement initial, 2, Début de la Lettre : rédaction élaborée, OC III, éd. J. Mesnard, p. 548-662, § 31-33.

« Il ne faut que remarquer qu’il y a deux manières dont l’homme recherche Dieu ; deux manières dont Dieu recherche l’homme ; deux manières dont Dieu quitte l’homme ; deux dont l’homme quitte Dieu ; deux dont l’homme persévère ; deux dont Dieu persévère à lui faire du bien, et ainsi du reste.

32. Car la manière dont Dieu cherche l’homme lorsqu’il lui donne les faibles commencements de la foi pour faire que l’homme lui crie dans la vue de son égarement : Seigneur, cherchez votre serviteur, est bien différente de celle dont Dieu recherche l’homme quand il exauce cette prière, et qu’il le cherche pour se faire trouver. Car celui qui disait : cherchez votre serviteur, avait sans doute déjà été cherché et trouvé. Mais parce qu’il savait bien, lui qui avait l’esprit de prophétie, qu’il y avait une autre manière dont Dieu pouvait le rechercher, il se servait de la première pour obtenir la seconde.

33. Ainsi la manière dont nous cherchons Dieu faiblement, quand il nous donne les premiers souhaits de sortir de nos engagements, est bien différente de la manière dont nous le cherchons, quand, après qu’il a rompu les liens, nous marchons vers lui en courant dans la voie de ses préceptes. »

Il y a une différence dans la manière dont l’homme reçoit la grâce de la foi, qui est la première de toutes, et la manière dont il reçoit la grâce d’agir dans les œuvres. Contrairement aux semi-pélagiens qui estiment que l’homme a toujours un pouvoir réellement prochain d’acquérir la foi, Pascal estime que c’est Dieu qui seul peut donner la grâce de la foi. Dans la Lettre sur la possibilité des commandements, il s’appuie sur des passages de saint Augustin, dont il tire les conséquences :

Lettre sur la possibilité des commandements, Mouvement central, 3, Rédaction préparatoire, développant partie du Mouvement initial et chevauchant sur le Mouvement final, OC III, p. 663-677. Voir § 26-27. « (Fulg. Epist. IV. chap. II) Car qui peut prier comme il faut, si ce divin Médecin ne nous inspire lui-même le commencement de ce désir, ou qui peut persévérer dans l’oraison, si Dieu n’augmente dans nous ce qu’il a commencé, ne nourrit ce qu’il a semé ; et ne conduit à l’effet de la perfection, par la suite de sa miséricorde, ce qu’il a donné gratuitement à des indignes par sa miséricorde prévenante ? Donc on n’a pas le pouvoir de persévérer dans l’oraison si Dieu ne fait persévérer.

(St Aug. de dono persever. c. XXIII.) Et ils ne veulent pas entendre que, quand nous prions, cela même est un don de Dieu. »

La grâce de la foi diffère de celle des œuvres que rien ne la précède a parte hominis, et que c’est Dieu qui agit le premier en la donnant. La grâce des œuvres en revanche est bien donnée par Dieu, mais après que l’homme a prié pour recevoir le pouvoir d’agir. Dieu répond alors à une demande de la part de l’homme, qu’il a suscitée.

Voir Lettre sur la possibilité des commandements, Mouvement final, 6, Rédaction inégalement élaborée, OC III, p. 693-707. § 9-17.

« Si nous trouvons que c’est un principe ferme dans saint Augustin, que non seulement les grandes actions sont des dons de Dieu, dont personne aujourd’hui ne doute plus, mais que la prière même et la foi, qui sont des moindres choses par lesquelles on adhère à Dieu, et sans lesquelles il est sûr qu’on le quitte, sont aussi des dons de la grâce, des effets et des ouvrages de la grâce et qu’elles ne se trouvent en personne que par l’opération expresse de la grâce, cela ne suffira-t-il pas pour montrer qu’on n’a jamais la prière que par une grâce qui fasse prier ? Peut-être direz-vous que non ; et qu’encore que tous les justes aient la grâce suffisante pour prier, il arrive néanmoins que pas un ne prie que par une grâce efficace, et qu’ainsi, encore que la prière ne se trouve en personne, si elle n’est produite par la grâce, le pouvoir néanmoins pour prier se trouve en tous les justes. Mais cela n’est pas soutenable. Car c’est une question de fait de savoir si aucun juste ne réduit en acte le pouvoir prochain qu’il a de prier, sur laquelle on ne saurait répondre qu’en s’informant de tous les justes en particulier de quelle sorte la prière se forme en eux. De sorte que ce serait une témérité impertinente d’assurer de tous les justes passés et à venir que jamais la prière ne se trouvera en eux par la réduction qu’ils auront faite de leur pouvoir prochain en acte. Or on ne peut pas dire la même chose de la grâce suffisante des Thomistes, c’est-à-dire qu’on peut sans impertinence dire qu’elle ne sera jamais réduite en acte, parce qu’ils ne l’établissent pas prochainement suffisante. Mais si ce pouvoir prétendu des justes pour prier est prochain, on ne peut dire avec assurance que tous ceux en qui se trouve la prière ne l’ont pas par ce pouvoir prochain, et qu’ils l’ont par une grâce efficace. Et par conséquent, si saint Augustin et tous les Pères déclarent affirmativement que la prière est toujours un effet d’une grâce efficace, il s’ensuit nécessairement de cette affirmation universelle que ceux qui n’ont pas la prière n’ont pas un pouvoir prochain pour prier.

10. Donc pour montrer que tous ceux qui ne prient pas n’ont pas un pouvoir prochain de prier, il suffit de montrer que tous ceux qui prient, prient par une grâce efficace. Et c’est ce que nous trouvons dans tout saint Augustin, et pourquoi sont faits tous ses ouvrages sur la grâce, sans presque aucune exception.

11. (Fulgence, 160.) Cette grâce, pour être choisie, choisit la première et n’est point reçue, ni aimée sinon lorsqu’elle opère cela dans le cœur de l’homme. Donc, et la réception et le désir de la grâce est l’ouvrage de la grâce. Et après : Donc c’est elle qui se fait connaître, aimer, désirer, demander.

12. (Fulgence, 278.) On ne peut pas avoir seulement le désir de l’oraison, s’il ne nous est donné de Dieu.

13. (Augustin, 438.) Que ceux qui pensent que la prière est de nous, au lieu qu’elle nous est donnée, prennent garde comme ils se trompent. Et puis : et ils ne veulent pas entendre que cela même, que nous prions, est un don de Dieu.

14. (Augustin, 438.) Et ainsi c’est lui-même qui nous fait demander tout ce que nous désirons recevoir, il nous fait chercher tout ce que nous désirons de trouver, il nous fait heurter où nous désirons d’arriver.

15. (Augustin, 438.) Car l’oraison elle-même est un don de la grâce.

16. (Fulgence, 490.) Donc, afin que nous voulions croire en Dieu, il nous donne cette bonne volonté ; afin que nous croyions en lui, il nous donne la foi ; afin que nous l’aimions, il nous donne la charité. Et ensuite : Donc, c’est la seule grâce qui fait en nous la bonne volonté ; elle seule donne la foi à cette volonté.

17. Il serait inutile d’en rapporter plus de témoignages, puisque c’est tout l’objet de saint Augustin et de ses disciples. Considérons donc la force de ses expressions. Si donc il est vrai que cette grâce n’est ni aimée, ni reçue sinon lorsqu’elle opère elle-même cet effet dans le cœur, comment pourra-t-on dire que ceux qui ne l’aiment point ont le pouvoir prochain de l’aimer, et qu’il dépend d’eux de l’aimer sans une grâce efficace, puisqu’elle n’est jamais aimée que par sa propre efficacité ? Comment dira-t-on avec hardiesse que la prière est un don de la grâce, et que c’est lui qui nous fait demander tout ce que nous désirons, s’il se peut faire que par un pouvoir prochain on demande, quoique la grâce ne fasse pas demander ? Comment dira-t-on que c’est la seule grâce qui donne la foi à la volonté, s’il y a tant de personnes qui, ayant un pouvoir prochain d’avoir la foi, il peut arriver qu’ils l’aient en le réduisant en acte, et qu’ainsi il ne soit pas vrai en eux que la seule grâce l’ait donnée ? »

Cet argument tend à confirmer la doctrine des deux volontés, l’une principale, l’autre seconde, que Pascal développe dans le Traité de la prédestination : la volonté de Dieu est toujours première lorsqu’il donne la foi à l’homme, mais pour la suite, la coopération de l’homme comme cause seconde est nécessaire.

Sur cette doctrine, se reporter à l’introduction que Jean Mesnard consacre aux Écrits sur la grâce dans le troisième volume de son édition.

Miel Jan, Pascal and theology, The John Hopkins Press, Baltimore and London, 1969.

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970.