Pensées diverses III – Fragment n° 82 / 85 – Papier original : RO 437-3

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 148 p. 383 v° / C2 : p. 343 v°

Éditions savantes : Faugère I, 273, XXVI / Brunschvicg 904 / Tourneur p. 110-6 / Le Guern 619 / Lafuma 727 (série XXV) / Sellier 608

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Bibliographie

 

 

DESCOTES Dominique, “Les Provinciales et l’axiomatique des probabilités”, in La campagne des Provinciales, Chroniques de Port-Royal, 58, p. 189-197.

LIVET Pierre, “Raisonner sur des cas”, in BOARINI Serge (dir.), La casuistique classique : genèse, formes, devenir, Presses Universitaires de Saint-Étienne, 2009, p. 173-186.

MESNARD Jean, “Perspectives contemporaines sur la casuistique”, in De la morale à l’économie politique, Op. cit., 6, p. 107-114.

MIEL Jan, Pascal and theology, Baltimore and London, The John Hopkins Press, 1969.

NORMAN Buford, “L’idée de règle chez Pascal”, Méthodes chez Pascal, Paris, Presses Universitaires de France, 1979, p. 87-100.

 

 

Éclaircissements

 

Ils font de l’exception la règle.

 

Ils désigne les jésuites.

Voir une étude moderne du problème des exceptions dans l’article de Livet Pierre, “Raisonner sur des cas”, in Boarini Serge (dir.), La casuistique classique : genèse, formes, devenir, p. 173-186. Voir p. 176 sq., sur les raisonnements qui traitent des exceptions.

Pascal aborde dans plusieurs textes le problème des exceptions qu’il faut apporter aux lois divines et humaines.

Laf. 648, Sel. 533. Il est fâcheux d’être dans l’exception de la règle ; il faut même être sévère et contraire à l’exception, mais néanmoins comme il est certain qu’il y a des exceptions de la règle il en faut juger sévèrement, mais justement.

Il explique dans la XIVe Provinciale, éd. Cognet, Garnier, p. 255-259, la manière dont l’Église admet légitimement ces exceptions :

« Si je n’avais qu’à répondre aux trois impostures qui restent sur l’homicide, je n’aurais pas besoin d’un long discours, et vous les verrez ici réfutées en peu de mots : mais comme je trouve bien plus important de donner au monde de l’horreur de vos opinions sur ce sujet que de justifier la fidélité de mes citations, je serai obligé d’employer la plus grande partie de cette lettre à la réfutation de vos maximes, pour vous représenter combien vous êtes éloignés des sentiments de l’Église, et même de la nature. Les permissions de tuer, que vous accordez en tant de rencontres, font paraître qu’en cette matière vous avez tellement oublié la loi de Dieu, et tellement éteint les lumières naturelles, que vous avez besoin qu’on vous remette dans les principes les plus simples de la religion et du sens commun ; car qu’y a-t-il de plus naturel que ce sentiment qu’un particulier n’a pas droit sur la vie d’un autre ? Nous en sommes tellement instruits de nous-mêmes, dit saint Chrysostome, que, quand Dieu a établi le précepte de ne point tuer, il n’a pas ajouté que c’est à cause que l’homicide est un mal ; parce, dit ce Père, que la loi suppose qu’on a déjà appris cette vérité de la nature.

Aussi ce commandement a été imposé aux hommes dans tous les temps. L’Évangile a confirmé celui de la loi, et le Décalogue n’a fait que renouveler celui que les hommes avaient reçu de Dieu avant la loi, en la personne de Noé, dont tous les hommes devaient naître ; car dans ce renouvellement du monde, Dieu dit à ce patriarche : Je demanderai compte aux hommes [de la vie des hommes,] et au frère de la vie de son frère. Quiconque versera le sang humain, son sang sera répandu ; parce que l’homme est créé à l’image de Dieu.

Cette défense générale ôte aux hommes tout pouvoir sur la vie des hommes ; et Dieu se l’est tellement réservé à lui seul, que selon la vérité chrétienne, opposée en cela aux fausses maximes du paganisme, l’homme n’a pas même pouvoir sur sa propre vie. Mais parce qu’il a plu à sa providence de conserver les sociétés des hommes, et de punir les méchants qui les troublent, il a établi lui-même des lois pour ôter la vie aux criminels ; et ainsi ces meurtres, qui seraient des attentats punissables sans son ordre, deviennent des punitions louables par son ordre, hors duquel il n’y a rien que d’injuste. C’est ce que saint Augustin a représenté admirablement au I. l. de la Cité de Dieu, ch. 21 : Dieu, dit-il, a fait lui-même quelques exceptions à cette défense générale de tuer, soit par les lois qu’il a établies pour faire mourir les criminels, soit par les ordres particuliers qu’il a donnés quelquefois pour faire mourir quelques personnes. Et quand on tue en ces cas-là, ce n’est pas l’homme qui tue, mais Dieu, dont l’homme n’est que l’instrument, comme une épée entre les mains de celui qui s’en sert. Mais si on excepte ces cas, quiconque tue se rend coupable d’homicide.

Il est donc certain, mes Pères, que Dieu seul a le droit d’ôter la vie, et que néanmoins, ayant établi des lois pour faire mourir les criminels, il a rendu les Rois ou les Républiques dépositaires de ce pouvoir ; et c’est ce que saint Paul nous apprend, lorsque, parlant du droit que les souverains ont de faire mourir les hommes, il le fait descendre du ciel en disant que ce n’est pas en vain qu’ils portent l’épée, parce qu’ils sont ministres de Dieu pour exécuter ses vengeances contre les coupables.

Mais comme c’est Dieu qui leur a donné ce droit, il les oblige à l’exercer ainsi qu’il le ferait lui-même, c’est-à-dire avec justice, selon cette parole de saint Paul au même lieu : Les princes ne sont pas établis pour se rendre terribles aux bons, mais aux méchants. Qui veut n’avoir point sujet de redouter leur puissance n’a qu’à bien faire ; car ils sont ministres de Dieu pour le bien. Et cette restriction rabaisse si peu leur puissance qu’elle la relève au contraire beaucoup davantage ; parce que c’est la rendre semblable à celle de Dieu, qui est impuissant pour faire le mal, et tout-puissant pour faire le bien ; et que c’est la distinguer de celle des démons, qui sont impuissants pour le bien, et n’ont de puissance que pour le mal. Il y a seulement cette différence entre Dieu et les souverains, que Dieu étant la justice et la sagesse même, il peut faire mourir sur-le-champ qui il lui plaît, et en la manière qu’il lui plaît ; car, outre qu’il est le maître souverain de la vie des hommes, il est sans doute qu’il ne la leur ôte jamais ni sans cause, ni sans connaissance, puisqu’il est aussi incapable d’injustice que d’erreur. Mais les princes ne peuvent pas agir de la sorte, parce qu’ils sont tellement ministres de Dieu qu’ils sont hommes néanmoins, et non pas dieux. Les mauvaises impressions les pourraient surprendre, les faux soupçons les pourraient la aigrir, passion les pourrait emporter ; et c’est ce qui les a engagés eux-mêmes à descendre dans les moyens humains, et à établir dans leurs Etats des juges auxquels ils ont communiqué ce pouvoir, afin que cette autorité que Dieu leur a donnée ne soit employée que pour la fin pour laquelle ils l’ont reçue.

Concevez donc, mes Pères, que, pour être exempts d’homicide, il faut agir tout ensemble et par l’autorité de Dieu, et selon la justice de Dieu ; et que, si des deux conditions ne sont jointes, on pèche, soit en tuant avec son autorité, mais sans justice ; soit en tuant avec justice, mais sans son autorité. De la nécessité de cette union il arrive, selon saint Augustin, que celui qui, sans autorité tue un criminel, se rend criminel lui-même, par cette raison principale qu’il usurpe une autorité que Dieu ne lui a pas donnée ; et les juges au contraire, qui ont cette autorité, sont néanmoins homicides, s’ils font mourir un innocent contre les lois qu’ils doivent suivre.

Voilà, mes Pères, les principes du repos et de la sûreté publique qui ont été reçus dans tous les temps et dans tous les lieux, et sur lesquels tous les législateurs du monde, saints et profanes, ont établi leurs lois, sans que jamais les païens mêmes aient apporté d’exception à cette règle, sinon lorsqu’on ne peut autrement éviter la perte de là pudicité ou de la vie ; parce qu’ils ont pensé qu’alors, comme dit Cicéron, les lois mêmes semblent offrir leurs armes à ceux qui sont dans une telle nécessité.

Mais que, hors cette occasion, dont je ne parle point ici, il y ait jamais eu de loi qui ait permis aux particuliers de tuer, et qui l’ait souffert, comme vous faites, pour se garantir d’un affront, et pour éviter la perte de l’honneur ou du bien, quand on n’est point en même temps en péril de la vie ; c’est, mes Pères, ce que je soutiens que jamais les infidèles mêmes n’ont fait. Ils l’ont au contraire défendu expressément ; car la loi des 12 Tables de Rome portait : qu’il n’est pas permis de tuer un voleur de jour qui ne se défend point avec des armes. Ce qui avait déjà été défendu dans l’Exode, c. 22. Et la loi Furem, ad Legem Corneliam, qui est prise d’Ulpien, défend de tuer même les voleurs de nuit qui ne nous mettent pas en péril de mort. Voyez-le dans Cujas, In tit. dig. de Justit. et Jure, ad l. 3. »

La saine méthode pour régler les règles et leurs exceptions est formulée par Wendrock, dans ses notes aux Lettres Provinciales, II, éd. de 1700, p. 309. Quand on apporte une loi générale, on n’est point obligé d’en apporter de spéciales contre les exceptions particulières, puisqu’elles sont censées être toutes comprises dans la loi générale, dès qu’elles n’ont pas été exceptées expressément par le législateur. Il suffit donc de citer la règle : vous ne tuerez pas. C’est à l’appui des exceptions qu’il faut des garants. Voir p. 304-305 : Dieu donne une loi générale ; les Jésuites l’éludent en y ajoutant la clause « sans cause légitime », ce qui laisse le jugement de la légitimité de la clause à la seule raison naturelle.

Pascal demande ensuite aux jésuites « par quelle autorité » ils permettent « ce que les lois divines et humaines défendent », en autorisant la pratique de l’homicide, comme l’explique la VIIe Provinciale.

Dans le Factum pour les curés de Paris contre un livre intitulé Apologie pour les casuistes, composé pour soutenir la campagne des curés contre le livre du P. Georges Pirot, Pascal explique ce qu’il considère comme particulièrement nocif dans la doctrine des probabilités développée par les casuistes. Voir Provinciales, éd. L. Cognet, Garnier, p. 405-406.

« Ce qu’il y a de plus pernicieux dans ces nouvelles morales, est qu’elles ne vont pas seulement à corrompre les mœurs, mais à corrompre la règle des mœurs ; ce qui est d’une importance tout autrement considérable. Car c’est un mal bien moins dangereux et bien moins général d’introduire des dérèglements, en laissant subsister les lois qui les défendent, que de pervertir les lois et de justifier les dérèglements ; parce que, comme la nature de l’homme tend toujours au mal dès sa naissance, et qu’elle n’est ordinairement retenue que par la crainte de la loi, aussitôt que cette barrière est ôtée, la concupiscence se répand sans obstacle ; de sorte qu’il n’y a point de différence entre rendre les vices permis et rendre tous les hommes vicieux.

Et de là vient que l’Église a toujours eu un soin particulier de conserver inviolablement les règles de sa morale, au milieu des désordres de ceux qu’elle n’a pu empêcher de les violer. Ainsi, quand on y a vu des mauvais chrétiens, on y a vu au même temps des lois saintes qui les condamnaient et les rappelaient à leur devoir ; et il ne s’était point encore trouvé, avant ces nouveaux casuistes, que personne eût entrepris dans l’Église de renverser publiquement la pureté de ses règles.

Cet attentat était réservé à ces derniers temps, que le clergé de France appelle la lie et la fin des siècles, où ces nouveaux théologiens, au lieu d’accommoder la vie des hommes aux préceptes de Jésus-Christ, ont entrepris d’accommoder les préceptes et les règles de Jésus-Christ aux intérêts, aux passions et aux plaisirs des hommes. C’est par cet horrible renversement qu’on a vu ceux qui se donnent la qualité de docteurs et de théologiens substituer à la véritable morale, qui ne doit avoir pour principe que l’autorité divine, et pour fin que la charité, une morale toute humaine, qui n’a pour principe que la raison, et pour fin que la concupiscence et les passions de la nature. »

Lettres Provinciales, éd. Wendrock, tr. Joncoux, I, Première note de la Ve lettre, Dissertation théologique sur la probabilité, éd. de 1700, p. 180-181. IVe conséquence : la doctrine des probabilités supprime les péchés. Ve conséquence : elle supprime la norme qui interdit les excès.

Miel Jan, Pascal and Theology, p. 137 sq. Pascal n’attaque pas la doctrine traditionnelle de la probabilité ; dans le probabilisme, il s’en prend non seulement à une doctrine moralement pernicieuse, mais à une absurdité logique qui serait insupportable dans n’importe quel domaine. Il n’attaque même pas la casuistique en elle-même. Voir sur ce point ce que dit le Factum pour les curés de Paris : c’est un mal moins dangereux d’introduire des dérèglements en laissant subsister les lois qui les défendent, que de pervertir les lois et de justifier par là les dérèglements : p. 138. Le vice de la casuistique, ce n’est pas d’accorder de l’indulgence aux pécheurs, c’est de supprimer les péchés, et par là de supprimer le repentir et le besoin d’un sauveur : p. 138-139. Le fondement augustinien de ces arguments est qu’en ôtant la recherche du bien et la crainte de faire le mal, on laisse la concupiscence se répandre sans obstacle : p. 139.

Sur le mot et l’idée de règle, voir Laf. 648, Sel. 533. La règle est un précepte pratique permettant d’obtenir un résultat cherché, de quelque nature qu’il soit. Le mot désigne dans le cas présent le principe qui permet de discerner le bien du mal ; c’est cette règle que les probabilistes anéantissent par la doctrine de la probabilité, ôtant aux fidèles le moyen de savoir les actions bonnes et permises de celles qui ne le sont pas. Voir Norman Buford, “L’idée de règle chez Pascal”, Méthodes chez Pascal, p. 87-100. Dans OC II, J. Mesnard traduit par règle le mot canon : voir le Potestatum numericarum summa, OC II, éd. J. Mesnard, p. 1271.

Sur la notion de règle, voir aussi le commentaire du fragment Géométrie-Finesse II (Laf. 513-514, Sel. 671).

Mais les casuistes ont selon Pascal une tout autre manière de traiter les exceptions des règles, par un tour de passe-passe qui anéantit les règles et les lois à force de multiplier les exceptions.

L’art de trouver des exceptions est un produit de l’imagination qui sait faire passer les petites différences pour des distinctions importantes. Voir Laf. 574, Sel. 477. Un miracle, dit-on, affermirait ma créance, on le dit quand on ne le voit pas. Les raisons qui, étant vues de loin, paraissent borner notre vue, mais quand on y est arrivé on commence à voir encore au-delà. Rien n’arrête la volubilité de notre esprit. Il n’y a point, dit-on, de règle qui n’ait quelque exception ni de vérité si générale qui n’ait quelque face par où elle manque. Il suffit qu’elle ne soit pas absolument universelle pour nous donner sujet d’appliquer l’exception au sujet présent, et de dire, cela n’est pas toujours vrai, donc il y a des cas où cela n’est pas. Il ne reste plus qu’à montrer que celui-ci en est et c’est à quoi on est bien maladroit ou bien malheureux si on ne trouve quelque joint.

Il arrive que les casuistes fassent des exceptions aux règles, en s’appuyant sur des principes invoqués ad hoc. Voir la Xe Provinciale :

« Et le P. Bauny, continua-t-il, permet, p. 1083 et 1084, à ceux qui sont engagés dans les occasions prochaines, d’y demeurer, quand ils ne les pourraient quitter sans bailler sujet au monde de parler, ou sans en recevoir de l’incommodité. Et il dit de même en sa Théologie morale, tr. 4, De Poenit., et q. 14, p. 94, q. 13, p. 93 : Qu’on peut et qu’on doit absoudre une femme qui a chez elle un homme avec qui elle pèche souvent, si elle ne peut le faire sortir honnêtement, ou qu’elle ait quelque cause de le retenir : Si non potest honeste ejicere, aut habeat aliquam causam retinendi ; pourvu qu’elle propose bien de ne plus pécher avec lui. Ô mon Père ! lui dis-je, l’obligation de quitter les occasions est bien adoucie, si on en est dispensé aussitôt qu’on en recevrait de l’incommodité ; mais je crois au moins qu’on y est obligé, selon vos Pères, quand il n’y a point de peine ? Oui, dit le Père, quoique toutefois cela ne soit pas sans exception. Car le P. Bauny dit au même lieu : Il est permis à toutes sortes de personnes d’entrer dans des lieux de débauche pour y convertir des femmes perdues, quoiqu’il soit bien vraisemblable qu’on y péchera : comme si on a déjà éprouvé souvent qu’on s’est laissé aller au péché par la vue et les cajoleries de ces femmes. Et encore qu’il y ait des docteurs qui n’approuvent pas cette opinion et qui croient qu’il n’est pas permis de mettre volontairement son salut en danger pour secourir son prochain, je ne laisse pas d’embrasser très volontiers cette opinion qu’ils combattent. Voilà, mon Père, une nouvelle sorte de prédicateurs. Mais sur quoi se fonde le Père Bauny pour leur donner cette mission ? C’est, me dit-il, sur un de ses principes qu’il donne au même lieu après Basile Ponce. Je vous en ai parlé autrefois, et je crois que vous vous en souvenez. C’est qu’on peut rechercher une occasion directement et par elle-même, primo et per se, pour le bien temporel ou spirituel de soi ou du prochain. »

 

Les anciens ont donné l’absolution avant la pénitence ? Faites‑le en esprit d’exception.

 

Bouyer Louis, Dictionnaire théologique, art. Absolution, p. 10-11. On appelle absolution l’acte du prêtre dans le sacrement de pénitence par lequel il exerce le pouvoir du Christ, transmis aux apôtres et à l’Église, de remettre les péchés.

Sur la pratique de l’absolution, voir Pontas Jean, Dictionnaire des cas de conscience ou décisions, par ordre alphabétique, des plus considérables difficultés touchant la morale et la discipline ecclésiastique, publié par l’abbé Migne, 1847, t. 1, p. 35-36.

Antoine Arnauld, dans La fréquente communion, Partie II, ch. VIII, Lyon, Plaignard, éd. de 1646, p. 401 sq., consacre plusieurs pages à la tradition qui, dans l’Église, exige que la pénitence précède l’absolution :

« Cinquième preuve. Que l’ordre de la pénitence pour tous les péchés mortels selon les Pères est, Premièrement la confession, et la demande de la pénitence. Secondement l’imposition de la pénitence. Troisièmement l’accomplissement de la pénitence durant une espace de temps raisonnable. Quatrièmement l’absolution, qui était immédiatement suivie de la communion.

L’ordre qu’ils gardaient dans la pénitence nous fournira de nouvelle preuve, et confirmera cette dernière. Il est certain que celui que l’Église a observé durant douze siècles a été, que les pécheurs ayant découvert aux ministres de Jésus-Christ, toutes les plaies de leur âme, ils reçussent par leur ordonnance les moyens propres de les guérir, ce que saint Augustin appelle recevoir l’ordre de la satisfaction. Ce même saint, et saint Léon après lui : donner l’action de la pénitence. Le troisième concile de Carthage, ordonner le temps que le pécheur doit faire pénitence. Le troisième concile de Tours : prescrire le temps que le pénitent doit être retranché de l’eucharistie. Et avant tous ceux-là, le clergé de Rome : attendre que les remèdes nécessaires qui ont besoin de temps, aient refermé les plaies.

Cela fait, c’était au pénitent d’accomplir fidèlement la satisfaction que l’on lui avait enjointe, et de supporter avec courage toutes les austérités de la pénitence, se persuadant, comme tous les pères nous l’enseignent, que plus un pécheur usera de sévérité contre lui-même, plus Dieu lui témoignera sa miséricorde ; Qui bene agit paenitentiam, suus ipse punitor est, dit saint Augustin, sit oportet in se severus, ut in eum sit misericors Deus. Et saint Pacien parlant à ses pénitents, In quantum paenae vestrae non peperceritis, in tantum Deus vobis parcet ; autant que vous ne vous serez point épargnés, autant Dieu vous épargnera.

Et lors que le temps de larmes, de veilles, de jeûnes, et de toute sorte de peine et d’humiliation était achevé, il recevait l’absolution par l’imposition des mains, et en même temps l’eucharistie, pour gage et pour accomplissement de sa réconciliation avec Dieu. »

Arnauld apporte ensuite des passages de saint Innocent I, de saint Léon et de saint Grégoire.

Voir dans la même partie, ch. XI, les Raisons de l’ordre que les Pères ont gardé dans l’administration de la pénitence, et premièrement du retardement de l’absolution, dont ils ont usé pour donner moyen aux pécheurs, d’expier leurs crimes par une satisfaction salutaire, et de s’affermir dans la bonne vie.

Entendre qu’il est arrivé que les anciens donnent l’absolution avant que le fidèle ait accompli la pénitence. Mais quoique, comme les casuistes le disent à juste titre, les mœurs des modernes ont changé depuis l’Antiquité, il faut maintenir son statut d’exception à cette procédure.

On trouve une réflexion proche, non sur la confession, mais sur le baptême, dans la Comparaison des chrétiens des premiers temps avec ceux d’aujourd’hui, OC IV, éd. J. Mesnard, p. 45 sq., notamment p. 58-59, où Pascal remarque que, dans les premiers temps du christianisme, « on enseignait les catéchumènes, c’est-à-dire ceux qui prétendaient au baptême, avant que de leur conférer, et on ne les y admettait qu’après une pleine instruction des mystères de la religion, qu’après une pénitence de leur vie passée, qu’après une grande connaissance de la grandeur et de l’excellence de la profession de la foi et des maximes chrétiennes », dans les temps modernes, « le baptême ayant été accordé aux enfants avant l’usage de raison par des considérations très importantes, il arrive que la négligence des parents laisse vieillir les chrétiens, sans aucune connaissance de la grandeur de notre religion », de sorte que « le baptême précède l’instruction, l’enseignement qui était nécessaire pour le sacrement est devenu volontaire, et ensuite négligé, et enfin presque aboli ».

Il ne s’agit pas pour Pascal de revenir nécessairement à la conduite des cérémonies et des sacrements tels qu’ils étaient pratiqués dans les temps anciens, mais de maintenir l’esprit dans lequel ils étaient administrés, tout en admettant les changements de conduite qu’imposent les évolutions du monde.

 

Mais de l’exception vous faites une règle sans exception, en sorte que vous ne voulez plus même que la règle soit en exception.

 

C’est selon Pascal un tour de passe-passe que réalisent les casuistes. À la loi (par exemple celle qui interdit l’homicide) ils associent une ou plusieurs exceptions (d’une audace variable, selon qu’il s’agit de la légitime défense ou du meurtre pour une pomme), qui, une fois autorisées par des docteurs graves, deviennent des règles légitimes qui s’imposent à tous les casuistes. Mais l’interdiction de l’homicide ne peut pas être présentée comme une exception légitime à l’autorisation de l’homicide, de sorte que la loi tu ne tueras pas ne subsiste plus, ni comme règle ni comme exception.

C’est ce que, d’une autre façon, Pascal dit dans le fragment Laf. 679, Sel. 558. Prov[inciales]. Ceux qui aiment l’Église se plaignent de voir corrompre les mœurs ; mais au moins les lois subsistent. Mais ceux-ci corrompent les lois : le modèle est gâté.

Nicole explique comment, si les lois comportent tout naturellement des exceptions légitimes, les opinions probables, elles, sont à l’abri des exceptions : lorsqu’ils sont attaqués, les casuistes se défendent en alléguant des exceptions, en prétextant « qu’il y a des choses fausses et contraires à la loi éternelle qu’elle excuse, et d’autres qu’elle ne peut excuser », ces exceptions dépourvues de fondement « qu’ils mettent à leur fantaisie » n’imposent aucune limite à la prolifération des opinions probables. Voir les notes de Wendrock, Provinciales, éd. 1700, Note première sur la cinquième lettre ou Dissertation théologique sur la probabilité, Section troisième, § V, Cinquième conséquence, p. 181 sq.

« Mais ce qu’il y a de plus pernicieux dans la doctrine de la probabilité, c’est qu’elle ouvre la porte à toutes sortes d’impiétés. Nous voyons déjà de ses horribles productions. Car tout ce que les lettres de Montalte rapportent, tout ce qui est contenu dans les Extraits des curés, et tout ce que la pudeur ou la prudence ont fait supprimer à Montalte, et à ces mêmes curés, vient principalement de cette source, et en tire la plus grande partie de son venin. Toutes ces opinions sont à la vérité redevables de leur probabilité aux différents auteurs qui les ont avancées : mais c’est de la doctrine générale de la probabilité qu’elles empruntent l’autorité qu’elles ont, et qui les fait regarder comme des règles certaines, innocentes, sûres, et qu’on peut suivre dans la pratique.

Qu’on ne s’imagine pas que l’Église soit délivrée de tous ces monstres d’opinions qui ont paru dans ce temps. Elle est menacée de bien d’autres périls. Cette contagion n’en demeurera pas là. Les conséquences de cette maxime pernicieuse s’étendent si loin, qu’elles ne vont pas à moins qu’à la ruine entière de tout le christianisme, et à faire un mélange monstrueux de toutes sortes de religions. Que les jésuites qui accusent calomnieusement les autres de nier l’incarnation, prennent garde que contre leur dessein et leur intention, les déistes ne les regardent un jour eux-mêmes comme leurs chefs. Tout est incertain, dit Cicéron, quand on s’est une fois écarté de la règle ; et quand une fois on n’est plus retenu, ni par la foi, ni par la vérité, et qu’on se donne la liberté de suivre les égarements et les caprices de son esprit, il n’y a plus rien d’assuré, rien de constant, rien de fixe et d’immuable. Or cela arrive aussitôt qu’on reçoit cette maxime, Qu’une probabilité même fausse excuse de péché, et suffit pour rendre une action honnête. Car à qui est-ce que son erreur ne paraît pas probable, soit dans ce qui regarde les mœurs, soit même dans ce qui regarde la foi ? Combien y a-t-il d’hérésies qui paraissent plus vraisemblables que ces opinions que les casuistes appellent probables ?

Les jésuites ont beau faire, ils ne trouveront jamais de bornes qui arrêtent la contagion de cette doctrine. Diront-ils qu’il y a des choses fausses et contraires à la loi éternelle qu’elle excuse, et d’autres qu’elle ne peut excuser ? Mais il n’y a pas de raison de dire qu’elle excuse plutôt les unes que les autres. Je vois bien à la vérité que semblables à des gens qui se sont laissé emporter jusque sur le bord d’un précipice, ils sont saisis de crainte, et qu’ils veulent reculer et se sauver à la faveur de quelques restrictions. Mais ils se trompent fort, s’ils espèrent que par ces exceptions qu’ils mettent à leur fantaisie, et qui n’ont aucun fondement, ils pourront retenir l’impétuosité de l’esprit humain, lorsqu’il est déjà sur le penchant du précipice, surtout s’il est excité à tout oser par la promesse spécieuse qu’on lui a fait d’une entière sûreté. »

Descotes Dominique, “Les Provinciales et l’axiomatique des probabilités”, in La campagne des Provinciales, Chroniques de Port-Royal, 58, p. 189-197.