Miracles II  – Fragment n° 8 / 15 – Papier original : RO 459-2

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 192 p. 447 v°-449 / C2 : p. 245 à 247

Éditions de Port-Royal : Chap. XXVII - Pensées sur les miracles : 1669 et janv. 1670 p. 223-224 et 221-222 / 1678 n° 7 p. 217 et n° 5 p. 215-216

Éditions savantes : Faugère II, 226, XVIII / Havet XXIII.8, 5, 5 bis / Brunschvicg 808 / Tourneur p. 148 / Le Guern 687 / Lafuma 846 (série XXXIII, notée XXXII par erreur) / Sellier 429

______________________________________________________________________________________

 

 

Bibliographie

 

 

GOUHIER Henri, Blaise Pascal. Commentaires, 2e éd., Paris, Vrin, 1971.

LHERMET J., Pascal et la Bible, Paris, Vrin, 1931.

SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970.

SELLIER Philippe, “La Bible de Pascal”, in Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., Paris, Champion, 2010, p. 185-210.

SHIOKAWA Tetsuya, Pascal et les miracles, Paris, Nizet, 1977.

 

 

Éclaircissements

 

Jésus-Christ a vérifié qu’il était le Messie, une fois seulement par sa doctrine et cent fois jamais en vérifiant sa doctrine sur l’Écriture ou les prophéties, et toujours par ses miracles.

 

Jamais en vérifiant sa doctrine sur l’Écriture ou les prophéties et toujours est une addition, qui corrige et rend plus significative la rédaction initiale Jésus a vérifié qu’il était le Messie une fois seulement par sa doctrine et cent fois par ses miracles.

Pascal a donc d’abord cru pouvoir dire qu’une fois Jésus-Christ s’est appuyé sur la doctrine, puis a préféré dire qu’il ne l’avait jamais fait. Sans doute a-t-il pensé qu’en admettant que Jésus, fût-ce une seule fois, se soit appuyé sur la doctrine, il rendait bancal son argument que le Christ devait être reçu par ses contemporains à cause de ses miracles et à cause d’eux seulement.

 

-------

Il prouve qu’il remet les péchés par un miracle.

 

Marc, II, 10-11. Miracle de la guérison du paralytique. « Or afin que vous sachiez que le Fils de l’homme a le pouvoir dans la terre de remettre les péchés, 11. Levez-vous, je vous le commande, dit-il au paralytique ; emportez votre lit, et allez-vous en votre maison » (Bible de Port-Royal).

 

-------

Ne vous éjouissez point de vos miracles, dit Jésus-Christ, mais de ce que vos noms sont écrits aux cieux.

 

Luc, X, 20. Pascal modernise en partie la Bible de Louvain qu’il suit ici. Traduction de Port-Royal : « Néanmoins ne mettez point votre joie en ce que les esprits impurs vous seront soumis : mais réjouissez-vous plutôt de ce que vos noms sont écrits dans les cieux ». Le commentaire de Port-Royal porte sur le fait que, comme l’indique saint Augustin après le Christ, « ses disciples ne doivent pas regarder comme un grand sujet de joie de ce qu’ils faisaient beaucoup de miracles, mais qu’ils auraient un sujet solide de se réjouir, si aimant autant qu’ils devaient le Seigneur, et le suivant dans la voie qu’il leur avait enseignée, par son exemple, ils se pouvaient procurer une humble espérance, que leurs noms étaient écrits pour toujours dans le ciel ». L’adjectif impurs est une addition au texte latin, qui donne : « Verumtamen in hoc nolite gaudere, quia spiritus vobis subjiciuntur : gaudete autem, quod nomina vestra scripta sunt in caelis ».

Sur le caractère archaïque du vocabulaire, voir Lhermet J., Pascal et la Bible, p. 245.

 

-------

S’ils ne croient point Moïse, ils ne croiront pas un ressuscité.

 

C’est ce qui est répondu au mauvais riche tombé en enfer : voir Luc, XVI, 31. « Et Abraham lui répondit : s’ils n’écoutent point Moïse et les prophètes, ils ne croiront pas non plus quand quelqu’un des morts ressusciterait » (tr. Sacy).

 

-------

Nicodème reconnaît par ses miracles que sa doctrine est de Dieu. Scimus quia venisti a Deo magister, nemo enim potest facere quae tu facis nisi Deus fuerit cum illo. Il ne juge pas des miracles par la doctrine, mais de la doctrine par les miracles.

 

Voir Jean, III, 2 : « Maître nous savons que vous êtes venu de Dieu, car nul ne pourrait faire les prodiges que vous faites si Dieu n’était avec lui ».

 

-------

Les Juifs avaient une doctrine de Dieu comme nous en avons une de Jésus-Christ, et confirmée par miracles, et défense de croire à tous faiseurs de miracles, et de plus ordre de recourir aux grands prêtres et de s’en tenir à eux. Et ainsi toutes les raisons que nous avons pour refuser de croire les faiseurs de miracles, ils les avaient à l’égard de leurs prophètes. Et cependant ils étaient très coupables de refuser les prophètes à cause de leurs miracles et Jésus-Christ, et n’eussent point été coupables s’ils n’eussent point vu les miracles.

 

Allusion à Deutéronome, XVII, 9-12. « Adressez-vous aux prêtres de la race de Lévi, et à celui qui aura été établi en ce temps-là le juge du peuple ; vous les consulterez, et ils vous rendront un jugement selon la justice et la vérité. 10. Vous ferez tout ce qu’auront ordonné ceux qui commandent au lieu que le Seigneur aura choisi, et tout ce qu’ils vous enseigneront, 11. selon la loi de Dieu, et vous suivrez leur avis sans vous détourner ni à droite ni à gauche. 12. Mais si un homme étant plein d’orgueil ne veut obéir au pontife, qui en ce temps-là exercera le ministère du Seigneur votre Dieu, ni à l’arrêt du juge, il sera puni de mort, et vous ôterez le mal du milieu d’Israël. » La note explicative de l’édition de Port-Royal explique la signification de ces prescriptions.

Deutéronome, XVIII, 9-11. « Lorsque vous serez entré dans le terre que le Seigneur votre Dieu vous donnera, prenez bien garde de ne pas vouloir imiter les abominations de ces peuples, 10. et qu’il ne se trouve personne parmi vous qui fasse passer par le feu son fils ou sa fille, ou qui consulte les devins, ou qui observe les songes et les augures, ou qui soit magiciens 11. ou qui soit enchanteur, ou qui consulte ceux qui ont l’esprit de python, et qui se mêle de deviner, ou qui interroge les morts pour apprendre d’eux la vérité ».

 

Nisi fecissem, peccatum non haberent.

 

Shiokawa Tetsuya, Pascal et les miracles, p. 131.

Jean, XV, 24. « Si opera non fecissem in eis, quae nemo alius fecit, peccatum non haberent : nunc autem et viderunt et oderunt me, et Patrem meum ».

Tr. de Port-Royal : « Si je n’avais point fait parmi eux des œuvres qu’aucun autre n’a faites, ils n’auraient point le péché qu’ils ont : mais maintenant ils les ont vues, et ils ont haï et moi et mon Père. »

Commentaire de Port-Royal : « S’il ne fût point venu, et ne leur eût point paré comme il avait fait pendant trois ans, ils ne se seraient point rendus coupables de ce péché d’incrédulité ; Il ajoute, pour faire voir davantage la grandeur de ce péché : Qu’il avait fait même parmi eux des œuvres que nul autre n’avait faites, ayant prouvé par la multitude de ses miracles, et surtout de ses guérisons miraculeuses, et par la facilité avec laquelle il les faisait, l’empire absolu qu’il avait sur la nature : et cependant refusant d’ajouter foi à leurs propres yeux, qui avaient été témoins de tous ces prodiges, ils ne laissaient pas de le haïr, lui et son Père. Mais comment, dit saint Augustin [August. In Joan. tract. 90], auraient-ils aimé le Père de la vérité, eux qui haïssaient la vérité même ? ». La suite de la note insiste sur le fait que « jamais haine n’a été plus mal fondée que celle des Juifs envers Jésus-Christ » : « funeste exemple des tristes effets que l’orgueil produit dans l’esprit de l’homme ». Mais rien ne vient expliquer l’affirmation « on n’eût point été coupable de ne point croire en lui avant sa mort », ou « Si opera non fecissem in eis, [...] peccatum non haberent ». Mais ç’aurait été le cas si les miracles n’eussent pas suffi sans la doctrine : « nunc autem excusationem non habent de peccato suo. »

Lhermet Joseph, Pascal et la Bible, p. 224.

L’original grec donne : Εἰ τὰ ἒργα μὴ ἐποίησα ἐν αὐτοῖς.

La Bible de Louvain (1608) donne Si opera non fecissem in eis, quae nemo alius fecit, peccatum non haberent. La Vulgate donne le même texte.

Vatable donne : Si opera non fecissem inter eos, quae nemo alius fecit, peccatum non haberent.

Le nisi à la place de si non est donc propre à Pascal, qui ne retient que l’essentiel du verset 24.

Pascal pense sans doute aussi à Jean, XV, 22, « Si non venissem et locutus fuissem eis peccatum non haberent : nunc autem excusationem non habent de peccato suo ». Tr. de Port-Royal : « Si je n’étais point venu, et que je ne leur eusse point parlé, ils n’auraient point le péché qu’ils ont : mais maintenant ils n’ont point d’excuse de leur péché ». Commentaire de Port-Royal : « Si je n’étais point venu vers les Juifs en m’incarnant au milieu d’eux, selon les oracles des prophètes ; si je ne leur avais point prouvé par plusieurs raisons, que le temps était arrivé que toutes les ombres et les figures doivent passer pour faire à la vérité ; si je ne leur avais point montré par la loi même, que le Christ, figuré anciennement et prédit dans les Écritures, était venu, en leur faisant voir que c’était de moi Moïse avait écrit ; si enfin je ne leur avais pas fait remarquer la parfaite conformité de ma doctrine avec tous les témoignages de mes prophètes, et le caractère de mon avènement dans le monde, tracé dans leurs différentes prédictions, ils ne seraient pas coupables, comme ils sont, d’un péché aussi énorme qu’est celui de l’incrédulité, et de leur opiniâtreté inflexible à rejeter la vérité que je leur ai annoncée ».

Pascal semble un peu éloigné de ce que suggèrent les notes de la Bible de Port-Royal : d’après celles-ci, le Christ a pu souligner de nombreux indices qui permettaient de le reconnaître à travers les prophéties. Pascal estime que Jésus-Christ dit que les Écritures témoignent de lui, mais il ne montre point en quoi.

 

Donc toute la créance est sur les miracles.

-------

La prophétie n’est point appelée miracle. Comme saint Jean parle du premier miracle en Cana, et puis de ce que Jésus-Christ dit à la Samaritaine qui découvre toute sa vie cachée et puis guérit le fils d’un seigneur. Et saint Jean appelle cela le deuxième signe.

 

Tout ce dernier paragraphe est écrit en bas du papier, plus largement que ce qui précède.

La Vulgate donne Ioannes, ou en abrégé Ioan, ou Ioann. dans les références.

La Bible de Vatable, dont certaines versions sont polyglottes, donne les occurrences Joannes, et dans les références Joan.

La Bible de Port-Royal donne Jean pour le français, mais dans les références, on trouve sur la même page Jean et Joan.

La Bible de Louvain (en français, 1608) donne Iean, mais aussi Ioan dans les références. On trouve aussi Ieã. Mais la Bible de Louvain datant de 1550 donne la leçon Jehan, référence qui peut être abrégée en Jeh. Il est donc vraisemblable que Pascal utilisait cette Bible lorsqu’il a composé ce fragment.

Pascal emploie donc des formes différentes selon les circonstances. Il semblerait à première vue utile d’homogénéiser ces graphies. Mais comme, avec les Pensées, nous avons affaire à un manuscrit dont on connaît le caractère cursif et abréviatif, cette solution a, pour le chercheur, un inconvénient : le fait que le nom de Jehan, par exemple, soit à la fois un archaïsme et une occurrence rare permet de faire des hypothèses sur la Bible à laquelle Pascal a emprunté tel passage de la Bible, renseignement qui peut être précieux pour le commentaire du texte. Il faut donc conserver dans l’édition l’abréviation particulière de chaque occurrence. Pour le lecteur amateur, l’inconvénient est minime, les commentaires permettant d’identifier sans difficulté l’auteur source de la citation.

Philippe Sellier a abordé la question des Bibles dont Pascal a pu disposer dans un article intitulé “La Bible de Pascal”, in Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd. Paris, Champion, 2010, p. 185-210, notamment p. 189-191. Le livre de J. Lhermet, Pascal et la Bible, qui date de 1931, demeure une source d’information utile sur les emprunts que Pascal fait à l’Écriture, mais le travail demanderait à être entièrement repris.

Il y a deux épisodes qui se situent à Cana dans l’Évangile de Jean.

Le premier est le changement de l’eau en vin dans les noces auxquelles Jésus et sa mère furent invités, c’est-à-dire Jean, II, 11. « Hoc fecit initium signorum Jesus in Cana Galilaeae : et manifestavit gloriam suam, et crediderunt in eum discipuli ejus. » Tr. de la Bible de Louvain (1550) : « Jésus fit ce commencement de signes en Cana de Galilée : et manifesta sa gloire et crurent ses discipes en lui ». Tr. de Port-Royal : « Ce fut là le premier des miracles de Jésus, qui fut fait à Cana en Galilée ; et par là il fit connaître sa gloire, et ses disciples crurent en lui ». Le commentaire de Port-Royal insiste sur le fait que le miracle de Cana fut non pas le premier du point de vue chronologique, mais le premier qui fût destiné à manifester la gloire du Christ.

Commentaire : « Ce fut donc par ce prodige [que Jésus] voulut d’abord comme jeter les premiers fondements de sa divine mission, en donnant lieu à ceux qui le virent, ou qui en entendirent parler, de croire que celui qui avait eu le pouvoir de changer si subitement cette grande quantité d’eau en un vin très excellent, était le même qui, comme dit saint Augustin, change tous les ans en vin l’eau des nuées, qu’attire le cep de la vigne du fond de la terre où elle tombe. »

La rencontre de Jésus-Christ avec la samaritaine qui reconnaît en lui un prophète est rapportée dans Jean, IV, 6-29. Jésus ne se contente pas de parler à la Samaritaine d’elle-même, il lui annonce l’époque où le culte de Dieu ne sera plus situé à Jérusalem ni sur la montagne des Samaritains. Ce verset implique que la prophétie prononcée par Jésus devant la Samaritaine, qui s’intercale entre premier et second miracle n’est pas elle-même un miracle. Le commentaire de Port-Royal insiste sur la manière dont Jésus-Christ, parlant à la Samaritaine, éveille progressivement en elle une foi dont elle va ensuite faire part à d’autres. Mais il ne s’agit pas d’un miracle, Jésus-Christ accorde quand il le veut la grâce qui donne la foi.

La guérison du fils de l’officier se trouve dans le chapitre IV, v. 46-54. Le fils d’un seigneur : c’est la Bible de Louvain qui désigne le père de l’enfant guéri comme « un seigneur de cour ».

En fait, Jean, IV, 46, dans la Bible de Louvain de 1550, écrit : « Il y avait un petit roi, duquel le fils était malade en Capharnaüm ». Le texte latin porte en effet : « erat quidam Regulus ». L’édition de 1608 modernise comme suit : « il y avait un seigneur de cour... » Pascal a sans doute voulu éviter la leçon petit roi, trop facilement contestable, pour venir à l’expression plus conforme au langage de son temps.

On trouve le mot signum au sens de miracle dans l’Évangile de Jean en IV, 54 : le mot signe peut provenir aussi de la Bible de Louvain, 1550 ou 1608 : « Hoc iterum secundum signum fecit Jesu... » (1608) ; traduction de cette Bible : « Ce second signe fit encore Jésus, quand il fut venu de Judée en Galilée ». Le texte de 1550 est : « Et ce second signe fit derechef Jésus, quand il fut venu de Judée en Galilée ». Signum se trouve aussi dans la Bible de Vatable et dans la Vulgate. La Bible de Port-Royal choisira le mot miracle.

Cette guérison du fils de l’officier est miraculeuse dans la mesure où Jésus-Christ l’a opérée sans même se trouver en sa présence. Jésus a du reste précisé lui-même à l’officier : « Si vous ne voyez des miracles et des prodiges, vous ne croyez point ».

Les deux épisodes de Cana ont donc en commun avec celui de la Samaritaine qu’au bout du compte, la femme, l’officier, sa famille et les disciples croient en Jésus-Christ. Mais ils en diffèrent par le fait du miracle.

La réflexion de Miracles I (Laf. 831, Sel. 420) est sans doute une suite de cette remarque.

La prophétie n’est point appelée miracle : cette distinction représente un état de la réflexion de Pascal qui ne manque pas d’intérêt. Il distingue nettement ici miracle et prophétie, et il s’appuie sur le texte de l’Évangile pour justifier cette différence. Cependant, comme Tetsuya Shiokawa l’a montré, le progrès de sa réflexion le conduira à définir la prophétie, considérée non pas comme un fait particulier, mais dans l’ensemble de l’histoire sainte universelle, comme un miracle subsistant.

Soumission 14 (Laf. 180, Sel. 211). Jésus-Christ a fait des miracles et les apôtres ensuite. Et les premiers saints en grand nombre, parce que les prophéties n’étant pas encore accomplies, et s’accomplissant par eux, rien ne témoignait que les miracles. Il était prédit que le Messie convertirait les nations. Comment cette prophétie se fût-elle accomplie sans la conversion des nations, et comment les nations se fussent-elles converties, au Messie, ne voyant pas ce dernier effet des prophéties qui le prouvent. Avant donc qu’il ait été mort, ressuscité et converti les nations tout n’était pas accompli et ainsi il a fallu des miracles pendant tout ce temps. Maintenant il n’en faut plus contre les Juifs, car les prophéties accomplies sont un miracle subsistant.

Prophéties 15 (Laf. 335, Sel. 368). La plus grande des preuves de Jésus-Christ sont les prophéties. C’est aussi à quoi Dieu a le plus pourvu, car l’événement qui les a remplies est un miracle subsistant depuis la naissance de l’Église jusques à la fin. Aussi Dieu a suscité des prophètes durant mille six cents ans et pendant quatre cents ans après il a dispersé toutes ces prophéties avec tous les Juifs qui les portaient dans tous les lieux du monde. Voilà quelle a été la préparation à la naissance de Jésus-Christ dont l’Évangile devant être cru de tout le monde, il a fallu non seulement qu’il y ait eu des prophéties pour le faire croire mais que ces prophéties fussent par tout le monde pour le faire embrasser par tout le monde.

Laf. 593, Sel. 493. Les Juifs le refusent mais non pas tous ; les saints le reçoivent et non les charnels, et tant s’en faut que cela soit contre sa gloire que c’est le dernier trait qui l’achève. Comme la raison qu’ils en ont et la seule qui se trouve dans tous leurs écrits, dans le Talmud et dans les rabbins, n’est que parce que Jésus-Christ n’a pas dompté les nations en main armée. Gladium tuum potentissime. N’ont-ils que cela à dire ? Jésus-Christ a été tué, disent-ils, il a succombé et il n’a pas dompté les païens par sa force. Il ne nous a pas donné leurs dépouilles. Il ne donne point de richesses, n’ont-ils que cela à dire ? C’est en cela qu’il m’est aimable. Je ne voudrais pas celui qu’ils se figurent. Il est visible que ce n’est que le vice qui leur a empêché de le recevoir et par ce refus ils sont des témoins sans reproche, et qui plus est par là ils accomplissent les prophéties.

Texte barré verticalement : Par le moyen de ce que ce peuple ne l’a pas reçu est arrivée cette merveille que voici :

Les prophéties sont les seuls miracles subsistants qu’on peut faire, mais elles sont sujettes à être contredites.

Laf. 594, Sel. 491. Conduite générale du monde envers l’Église. Dieu voulant aveugler et éclairer.

L’événement ayant prouvé la divinité de ces prophéties le reste doit en être cru et par là nous voyons l’ordre du monde en cette sorte.

Les miracles de la création et du déluge s’oubliant Dieu envoya la loi et les miracles de Moïse, les prophètes qui prophétisent des choses particulières. Et pour préparer un miracle subsistant il prépare des prophéties et l’accomplissement. Mais les prophéties pouvant être suspectes il veut les rendre non suspectes, etc.

Ce changement apparent tient à un déplacement de point de vue : si l’on se place pour ainsi dire in vivo, en considérant les miracles dans leur existence individuelle, on doit naturellement dissocier la prophétie du miracle, du fait que le miracle suppose un moyen qui lui permet d’opérer (la sainte Épine, par exemple), alors que la prophétie est un don de Dieu qui parle au cœur ; mais il n’en va plus de même lorsque l’on envisage la prophétie comme phénomène historique global, qui commence avec les patriarches et qui s’étend jusqu’à nos jours. Que les prophéties de l’Ancien Testament aient trouvé une réalisation en Jésus-Christ et dans l’histoire de l’Église apparaît réellement comme un miracle qui n’est pas réduit à l’instant de sa production, mais une condition historique d’ensemble qui, depuis les premiers temps, se poursuit toujours.

Voir sur ce point les analyses de

Shiokawa Tetsuya, Pascal et les miracles, p. 186 sq.

Gouhier Henri, Blaise Pascal. Commentaires, 2e éd., p. 212 sq.

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 581 sq.