Miracles III  – Fragment n° 11 / 11 – Papier original : RO 343 r° / v°

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 197 p. 467 v° à 471 v° / C2 : p. 267 à 273

Éditions de Port-Royal : Chap. XXVIII - Pensées chrestiennes : 1669 et janv. 1670 p. 271-272 /

1678 n° 73 p. 264

Éditions savantes : Faugère I, 289, LXX ; II, 97, XVIII ; I, 272, XXIII ; I, 259, XXXVII ; I, 230, CLXXIII ; I, 268, VIII ; II, 326, XXIX ; I, 269, X ; I, 268, IX ; II, 260, XXVIII / Havet Prov. 343 p. 295 ; VI.60 ; XXIII.42, 33 ; XXIV.83 bis ; XXV.204 ; VII.39 ; Prov. 344 p. 289 ; XXV.130 bis ; XXIV.47 ; XXIV.11 ; XXIII.43 ; XXV. 41 / Brunschvicg 927, 385, 851, 916, 55, 262, 924, 781 / Tourneur p. 160-2 / Le Guern 707 / Lafuma 903 à 912 (série XXXIV, notée XXXIII par erreur) / Sellier 450 et 451

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Texte de Pontchâteau dans la Morale pratique des Jésuites

 

« Mensonges et fourberies des jésuites pour s’emparer d’une abbaye de religieuses bernardines en Saxe. Nous venons de voir dans l’histoire précédente que l’empereur Ferdinand II ayant résolu de tirer d’entre les mains des protestants les abbayes qu’ils avaient occupées depuis le traité de Passau fait en 1552 il avait ordonné par son édit public du 6 mars 1629, qu’elles seraient rendues au religieux des ordres auxquels elles appartenaient par leur première fondation. L’abbé du monastère de Cesarée de l’ordre de Cîteaux étant député par son général pour travailler à l’exécution de cet édit de l’empereur envoya l’abbé de Valenciennes, qui mena avec soi quatre religieuses professes bernardines, accompagnées de deux novices et d’une sœur converse, pour mettre en possession de l’abbaye de VOLTIGERODE dans la Basse Saxe. Et l’évêque d’Osnabrug, l’un des commissaires de l’empereur, les y ayant établies par l’un de ses officiers, elles y demeurèrent plusieurs mois, y faisant le service divin, et tous les autres exercices de la vie religieuse.

Mais les jésuites ayant dessein d’enlever cette abbaye, aussi bien que toutes celles des religieuses que les hérétiques devaient rendre, employèrent auprès de l’empereur le crédit de leur père Lamorman, qui se servit de deux insignes mensonges pour se la faire donner. Le premier fut que les abbés députés des ordres de S. Benoît et de Cisteaux leur avaient cédé volontairement toutes les abbayes de filles, et quelques-unes d’hommes des moins célèbres. L’autre que l’abbaye de Voltigerod, qui est proche de la ville impériale de Goslar, ÉTAIT DÉSERTE, ET QUE PERSONNE NE L’AVAIT REDEMANDÉE ; et qu’elle seraitFORT COMMODE AUX PÈRES DE LA SOCIÉTÉ, qui voulaient faire un noviciat dans cette ville, où ils avaient déjà un collège. Ce qui fut exprimé en propres termes dans la commission qu’ils obtinrent. L’un et l’autre était une fausseté signalée ; puisqu’il y avait déjà plusieurs mois que les religieuses de Cîteaux étaient en possession paisible de cette abbaye.

Mais comme les démons, selon un saint docteur, prophétisent ce qu’ils veulent faire, ces bons pères travaillèrent aussitôt à rendre vrai ce qu’ils avaient dit faussement. Le premier moyen qu’ils employèrent fut la fourberie. Ayant persuadé à ces bonnes filles qu’elles n’étaient pas en sûreté dans cette abbaye de la campagne ; qu’elles étaient exposées aux courses des soldats et aux violences de la guerre ; et qu’il était à propos qu’elles la quittassent pour un temps ; et qu’elles se retirassent à Goslar, où ils les firent recevoir dans le monastère de Franquembeg au mois de mars 1631. Mais quoique ces religieuses, qu’ils avaient épouvantées par cet artifice, en fussent sorties, elles y laissèrent tous leurs meubles, tous leurs serviteurs, tous leurs bestiaux, et tout leur ménage.

Cette supercherie ayant si bien réussi aux jésuites, ils firent bientôt voir à ces bonnes filles, qu’il n’y avait point d’autres courses de soldats, ni d’autre violence qu’elles dussent craindre, que la leur propre. Car peu de jours après, savoir le 29 du même mois de mars, le provincial de la Compagnie, nommé Herman Gauvinz, s’empara de l’abbaye, y laissant quelques jésuites ; et contraignit par force les serviteurs des religieuses qu’elles y avaient laissés, de leur faire serment de fidélité, sans en avoir rien signifié aux supérieurs de l’ordre de Cîteaux, ni à l’abbé de Césarée administrateur de ce monastère.

Leur cruauté inouïe à chasser par force ces filles et leur confesseur, de cette abbaye. Mais ces filles se voyant si malicieusement trompées, trouvèrent moyen de rentrer secrètement dans leur abbaye ; et s’étant mises dans le chœur d’en-haut de l’église, elles y demeuraient nuit et jour, y célébrant tout le service divin, les jésuites occupant le reste des logements. Ce retour des filles fâcha ces bons pères. Il n’y eut rien qu’ils ne tentèrent, soit par douceur, soit par menaces, pour les en faire sortir ; et sans des paysannes hérétiques, voisines de cette abbaye, qui touchées de pitié leur apportaient du lait en cachette, ils les auraient fait mourir de faim. Mais voyant qu’elles demeuraient fermes, malgré tous ces mauvais traitements, ils résolurent de les en chasser par violence. Et ayant fait venir des sergents et des soldats le 12 d’avril veille du dimanche des Rameaux, eux étant présents, et un de leurs novices faisant le principal personnage de cette irréligieuse tragédie, par une témérité, ou plutôt par une cruauté inouïe parmi des religieux, ils arrachèrent par la force de l’église même, en un temps si saint, des vierges consacrées à Dieu, les enlevèrent parmi leurs gémissements et leurs cris, avec le scandale de toute cette province. Et ce novice les traita si mal, que l’une d’elles en ressentit plus la fureur que les autres, en demeura longtemps malade.

Cette histoire est si surprenante, qu’on pourrait croire aisément que le P. Hay qui la rapporte, aurait usé de quelque exagération si ce qu’il en dit n’était encore moins que ce qui est prouvé par des actes authentiques de justice, qu’il a inséré tout au long, tant en allemand qu’en latin. Car voici le procès verbal qui en fut fait, et envoyé à l’official d’Osnabrug, où la plainte des religieuses faite en allemand, est insérée en ces termes traduits en latin.

Nous ne pouvons pas, étant de pauvres pupilles abandonnées, ne point élever notre voix, pour nous plaindre de l’état misérable où nous a réduites l’étrange et cruel procédé, que les pères jésuites ont exercé contre nous le soir du samedi veille des Rameaux. Car étant venus avec le seigneur Widelag et deux sergents, qui sont les ministres ordinaires dont les magistrats se servent pour prendre les voleurs et les scélérats, dans notre abbaye de Voltigerod, dans laquelle nous avions été établies par notre père spirituel l’abbé de Walhenriedh commissaire subdélégué, conformément à l’édit de restitution de sa Majesté impériale, ils arrivèrent entre six et sept heures, et nous trouvant dans le chœur de l’église où nous faisions nos prières, ce seigneur et les jésuites nous parlèrent fièrement et nous pressèrent de sortir. Mais nous demeurâmes à genoux dans nos chaires, et nous répondîmes que nous étions sous l’obéissance de notre saint ordre, et qu’il ne nous était pas permis de sortir de notre maison sans le commandement de son supérieur. Après cela moi religieuse professe MARIE KOGEL, prenant nos sièges avec mes deux mains, je m’y attachai de toutes mes forces : mais ces deux sergents et le jésuite novice m’arrachant les mains par force, me prirent et le jésuite me tint serrée de ses deux bras par le milieu du corps ; et ainsi ils me portèrent en partie, et en partie me traînèrent jusqu’au bout du chœur ; et comme je criais VIOLENCE, JÉSUS VIOLENCE. JE CROIS QUE VOUS ME TUEREZ (car je ne pouvais plus respirer) ils me tirèrent hors du chœur. Et ce fut là que notre confesseur étant arrivé, me trouva couchée par terre, qui m’écriais contre la violence qu’on me faisait : mais m’ayant fait relever de force, ils me mirent dans une chaire pour m’emporter, comme ils firent, me faisant faire tout le tour de l’abbaye, et enfin me jetèrent hors de la clôture, où marchant au milieu d’un champ étant entre ces deux sergents, je fus menée par les bras comme une larronnesse et une méchante. Et en allant ayant rencontré un chariot, je me jetai à la roue, d’où ils m’arrachèrent avec tant de violence, que le lendemain je me trouvai toute meurtrie par les bras, et sentant une si grande douleur dans la poitrine (sans parler de la frayeur et de l’émotion que cette violence m’a causée) que je ne sais pas si j’en relèverai jamais.

Après moi suivit la noble vierge ANNE LUCIE DERNBACH, proche parente du vice-chancelier de sa majesté impériale, laquelle ils enlevèrent de la même sorte, et avec la même violence, en présence de notre confesseur, qui eut beau reprocher au père recteur des jésuites, qu’il n’aurait jamais cru qu’il fût capable de faire jouer une telle tragédie en un temps si sacré, et eut beau représenter à ces sergents qu’ils se souvinssent que c’était la parente de Monsieur de Stralendorf vice chancelier de l’empire qu’ils traitaient de la sorte, il ne gagna rien par ses remontrances, mais on l’enleva comme on m’avait fait.

La troisième, propre sœur de la précédente, était ANNE SIDONIE DE DERNBACH, à laquelle ils arrachèrent les mains des chaires du chœur avec la même violence, et le jésuite novice la serrant de ses deux bras par le milieu du corps, l’entraîna dehors, et la mit sur une chaire pour l’emporter : pendant quoi elle criait au jésuite, si c’était là leur reconnaissance des grands biens que son cousin avait faits à leur collège de Fulde : que cette injure retomberait sur monsieur le vice chancelier de l’Empire. Mais elle parlait à des sourds. Ils firent le même traitement à deux autres religieuses. Et nous pouvons assurer devant Dieu, et devant toute la cour céleste, que ce que nous venons de réciter est la pure vérité.

On ne peut entendre le récit d’une histoire si pitoyable, sans être également touché de compassion envers des religieuses de piété, et d’une naissance illustre, si cruellement traitées dans leur propre monastère ; et d’indignation contre les auteurs d’une si barbare violence. Mais elle paraîtra encore plus honteuse, lorsque nous y aurons ajouté quelques autres circonstances, qui sont très fidèlement rapportées par le P. Hay, célèbre religieux bénédictin, en ces propres termes. Autrefois, dit-il, dans la vieille loi, les criminels qui s’enfuyaient dans le temple, lequel n’était purifié que par le sang des boucs et des veaux, trouvaient leur sûreté dans cet asile, s’ils pouvaient prendre la corne de l’autel. Et aujourd’hui dans la loi nouvelle, les pères de la société ne font point de conscience de se servir de sergents et des ministres des bourreaux, pour s’emparer avec insolence des temples dédiés au Dieu vivant, consacrés par les redoutables mystères de JÉSUS-CHRIST, et d’en arracher par force d’innocentes religieuses. Quelle honte ! Quelle infamie ! Le révérend père David, prieur des dominicains d’Alberstad, et un frère convers nommé Ange, se trouvèrent par rencontre à un spectacle si triste, et si inouï : et ils reprochèrent avec tant de zèle et tant de chaleur à ces jésuites l’énormité de cette action qu’il s’en fallut peu que le frère convers ne se mît en devoir de les repousser. Mais les jésuites ne se contentèrent pas de la violence qu’ils avaient faite aux religieuses, ils crurent qu’il leur était encore nécessaire de chasser par force de cette même abbaye leur supérieur et confesseur, qui étant un religieux de l’abbaye de Cesarée, nommé le père Michel Gorz. Il revenait par rencontre de la ville de Brunsvic, où il était allé requérir des calices appartenant à cette abbaye de filles. Et étant retourné assez tôt pour être le spectateur de cette tragédie, il en fut le dernier acteur. Car ayant reproché en face à ce recteur des jésuites l’indignité de l’outrage qu’il faisait à ces saintes vierges, parce qu’il ne voulait pas s’en aller, selon que ces pères le lui commandaient, et qu’il s’était retiré dans le cimetière, comme pour y chercher quelque sûreté parmi les morts, on ordonna à deux soldats, qui faisaient difficulté de mettre les mains sur ce prêtre, de jeter aux dés à qui le chasserait dehors. Cela ayant été fait, l’un d’eux le prit, et le jeta violemment hors de la porte du monastère. Ce qui obligea un soldat protestant de Mechelbourg, touché de ce lamentable spectacle, de dire avec indignation aux jésuites : On ne souffrirait pas en notre pays qu’on traitât ainsi nos ministres. Voilà quelle fut la fin de L’ÉTABLISSEMENT CANONIQUE (comme l’appelle le jésuite Crusius) des pères de cette société dans l’abbaye de Voltigerode.

Un abbé de l’ordre de Cîteaux les en fait sortir honteusement, et y rétablit les religieuses. Mais l’abbé de Césarée administrateur de cette abbaye, qui avec l’autorité de l’empereur y avait rétabli les filles selon l’édit, ayant eu avis de cet horrible procédé, en écrivit en ces termes au P. Lamorman jésuite, confesseur du même prince : J’ai appris des choses qui sont pour moi tristes et funestes : l’événement apprendra avec le temps si elles seront utiles et avantageuses pour ceux qui n’y ont regardé que leur profit et leur avantage. Vous avez joué, mes Pères, un jeu bien étrange dont je vous envoie la relation, qui s’étant rencontré dans le temps de la Passion de JÉSUS-CHRIST, nous en a malheureusement représenté l’image et la forme. Mais il s’est trouvé deux différences bien étonnantes. L’une que ç’ont été des filles qui ont représenté la personne de JÉSUS-CHRIST ; l’autre que ceux qui prennent le nom de JÉSUS, étant accompagnés de leurs satellites, n’en ont pas joué le personnage : mais plutôt celui des Juifs qui ont persécuté et entraîné ce Sauveur. Ô société de Jésus ! Est-ce là la société que vous avez avec JÉSUS ? Je conjure votre paternelle révérence par les entrailles de la miséricorde du rédempteur, qu’elle fasse rendre les abbayes dont sa société s’est emparée sous le prétexte d’une FAUSSE CESSION, de peur que les anges de paix, selon le langage de l’Écriture, ne continuent toujours leurs gémissements et leurs larmes. Que si on ne fait pas cette restitution, nous ne manquerons pas de moyens pour la faire faire. À Cesarée le 30 de mai 1631.

Et en effet quelque pouvoir qu’eût ce jésuite sur l’esprit de l’empereur, l’ordre de Cîteaux ayant poursuivi près de sa majesté impériale le rétablissement de ces filles dans leur abbaye, il l’obtint par un arrêt solennel, et les jésuites furent obligés d’en déloger honteusement, comme n’y étant entrés que par une intrusion violente contre tout droit civil et canonique, et pour laquelle selon les canons ils méritaient d’être exemplairement châtiés. Car les anciens religieux de S. Benoît, de S. Bernard, et les autres, n’avaient besoin que de l’autorité de l’empereur, pour être rétablis dans leurs propres abbayes, parce que c’était leur bien que les hérétiques leur avaient ravis par violence, et dans lequel ils rentraient naturellement. Mais outre que le don de cette abbaye que les jésuites prétendaient leur avoir été fait par l’empereur, était nul en soi, pour être contraire à l’édit, et n’avoir été obtenu que par une manifeste surprise, comme il a déjà été remarqué, les jésuites eux-mêmes reconnaissaient par leurs livres, qu’il n’y avait que le pape qui pût faire ces translations d’abbayes des anciens ordres à leur compagnie. Et cependant quand on les pressait de montrer que le pape leur eût donné celle-ci par quelque rescrit ou quelque bulle, n’en ayant aucun, ils répondaient par une illusion digne d’eux : Que LE PAPE la leur avait donnée, PAR L’EMPEREUR : comme si, dit le P. Hay, le pape avait accoutumé d’accorder ces grâces extraordinaires par des commissions séculières des empereurs, ou des rois, et non par des bulles ou des brefs apostoliques.

Les jésuites ne laissèrent pas depuis de se vouloir emparer de diverses abbayes sous le spécieux prétexte de la plus grande gloire de Dieu : mais la noblesse catholique du Rhin en Weteravie, se sentit obligée d’en faire des plaintes publiques au pape Urbain VIII où ils se plaignent hautement de leur avarice. Nous voyons, disent-ils, très saint Père, non sans grand étonnement, que les pères de la société de Jésus par diverses persuasions et flatteries envers les souverains chefs et princes de l’empire, outre leurs grandes richesses, se veulent encore emparer des abbayes, des fondations, et des monastères, principalement de ceux des vierges nobles et illustres, sous divers prétextes de propagation de la foi, et de l’avancement du salut des âmes. Ils représentaient ensuite : Que dans ces lieux saints que les jésuites occupaient, on n’y voyait plus aucune trace des anciennes fondations, ni des œuvres de miséricorde et de charité qui s’y faisaient auparavant ; que les monastères étant abandonnés, périssaient peu à peu contre les pieuses intentions de leurs ancêtres ; que les bâtiments en tombaient par terre ; et qu’il n’y avait que les biens et les revenus qui en demeurassent pour enrichir les collèges des jésuites des dépouilles des anciens ordres.

Ainsi quelque vanité que des pères se donnaient, et quelque mépris qu’ils fissent des monastères de religieuses, en disant Que la virginité des filles consacrées à Jésus-Christ est une virginité solitaire, recluse, oisive, qui ne travaille que pour son salut particulier ; au lieu que la leur est publique, agissant, prêchante, ardente du zèle des âmes, leur cupidité et leur avarice n’en parurent que plus odieuses, n’y ayant personne qui puisse souffrir sans indignation, qu’ils aient une si haute présomption de leur compagnie, qu’ils osent prétendre que toute la religion est en danger de tomber par terre, si on ne change en des fermes de leurs collèges, dont les dérèglements sont assez connus, les demeures saintes des vierges religieuses, dont les prières continuelles sont si utiles à l’Église et aux royaumes. »