Miracles III – Fragment n° 5 / 11 – Papier original : RO 447-1
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 192 p. 463 / C2 : p. 261
Éditions de Port-Royal : Chap. XXVII - Pensées sur les miracles : 1669 et janv. 1670 p. 230 /
1678 n° 14 p. 223
Éditions savantes : Faugère I, 287, LXIV et LXV ; II, 215, VII / Havet Prov. 447 p. 294 ; XXIII.21 / Brunschvicg 850 / Tourneur p. 156 / Le Guern 701 / Lafuma 881 (série XXXIV, notée XXXIII par erreur) / Sellier 443
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Bibliographie ✍
ADAM Antoine, Du mysticisme à la révolte, Les jansénistes du XVIIe siècle, Paris, Fayard, 1968. CEYSSENS Lucien, “Les cinq propositions de Jansénius à Rome”, RHE, 1971, t. LXVI, p. 449-501 et 821-886. COGNET Louis, Le jansénisme, Paris, Presses Universitaires de France, 1968. GAZIER Augustin, Histoire générale du mouvement janséniste, Paris, Champion, 1922, 2 vol. LEVILLAIN Philippe (dir.), Dictionnaire historique de la papauté, Paris, Fayard, 1994. MAYEUR J.-M., PIETRI Ch. et L., VAUCHEZ A., VENARD M., Histoire du christianisme, 9, L’âge de raison (1620-1750), Paris, Desclée, 1997. SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970. SHIOKAWA Tetsuya, Pascal et les miracles, Paris, Nizet, 1977. SHIOKAWA Tetsuya, Entre foi et raison : l’autorité. Études pascaliennes, Paris, Champion, 2012.
Voir la bibliographie du fragment Miracles I (Laf. 830, Sel. 419). Voir la bibliographie du dossier thématique sur l’Antéchrist. |
✧ Éclaircissements
Les cinq propositions condamnées, point de miracle. Car l’Église la vérité n’était point attaquée, mais la Sorbonne, mais la bulle.
La vérité n’était point attaquée : Pascal a d’abord écrit l’Église au lieu de la vérité.
Les cinq propositions en question sont celles qui ont conduit à la condamnation de l’Augustinus de Jansénius. Ce sont les suivantes :
1. Quelques commandements de Dieu sont impossibles aux justes qui veulent et s'efforcent selon les forces qu'ils ont présentes ; la grâce par laquelle ils leur seraient rendus possibles leur manque aussi.
2. Dans l'état de la nature déchue, on ne résiste jamais à la grâce intérieure.
3. Pour mériter et démériter dans l'état de la nature déchue, il n'est pas nécessaire qu'il y ait dans l'homme une liberté qui soit exempte de nécessité ; c'est assez qu'il y ait une liberté qui soit exempte de contrainte.
4. Les semi-pélagiens admettaient la nécessité d'une grâce intérieure prévenante pour chaque action, même pour le commencement de la foi, et ils étaient hérétiques en ce qu'ils voulaient que cette grâce fût telle que la volonté de l'homme lui pût résister ou obéir.
5. C'est un sentiment semi-pélagien de dire que Jésus-Christ soit mort ou qu'il ait répandu son sang pour tous les hommes, sans en excepter un seul.
Le sens dans lequel les partis opposés prenaient ces propositions est expliqué dans le bref ouvrage composé par Lalane, Saint-Amour, Manessier, Desmares, Angran, Distinction abrégée des cinq propositions qui regardent la matière de la grâce, sl, 1653, généralement connu sous le titre d’Écrit à trois colonnes.
Sur les affaires des bulles Cum occasione d’Innocent X et Ad sacram d’Alexandre VII, se reporter à ✍
Gazier Augustin, Histoire générale du mouvement janséniste, Paris, Champion, 1922, 2 vol.
Pour une vue d’ensemble sur l’histoire des bulles, on peut consulter ✍
Cognet Louis, Le jansénisme, Paris, P. U. F., 1968.
Adam Antoine, Du mysticisme à la révolte, Les jansénistes du XVIIe siècle, Paris, Fayard, 1968.
Le point de vue antijanséniste est donné dans Dumas Hilaire, Histoire des cinq propositions de Jansénius, Liège, Daniel Moumal, 1699. ✍
Les cinq propositions condamnées : les propositions imputées à Jansénius ont été condamnées par le pape Innocent X dans la bulle Cum occasione publiée le 9 juin 1653. Le texte de la bulle Cum occasione est donné dans GEF IV, p. 85-88. Pascal soutient que cette censure n’atteint pas la doctrine de la grâce efficace, commune à saint Augustin et à Jansénius. Il n’y avait donc aucune raison pour Dieu d’intervenir par un miracle pour la défense de la vérité.
Comment les Messieurs de Port-Royal ont-ils pu soutenir que Jansénius n’était pas impliqué dans cette condamnation ? Ils ont remarqué que la censure des cinq propositions avait été prononcée à l’occasion (cum occasione) de la publication de l’Augustinus, mais ne précisait pas expressément que les propositions étaient tirées de Jansénius et qu’elles n’exprimaient pas la doctrine de Jansénius. Ils ont soulevé l’objection du « fait de Jansénius », savoir que seule la première proposition se trouvait à peu près dans l’Augustinus, et qu’elle pouvait du reste recevoir un sens orthodoxe. Les quatre autres n’étaient pas tirées expressis verbis du livre de Jansénius. Voir sur ce point l’exposé de Cognet Louis, Le jansénisme, p. 62 sq. Un bref du pape du 29 septembre 1654 déclara bien que la bulle avait condamné la doctrine de Jansénius, mais sans grand effet. Il en découlait que la condamnation pontificale tombait sur des propositions dont on s’accordait à penser qu’elles pouvaient paraître erronées considérées en elles-mêmes, mais que le contexte les rendait orthodoxes, et que du reste cette condamnation ne touchait pas Jansénius, et par conséquent n’atteignait pas saint Augustin.
Sur le pape Innocent X, voir ✍
Levillain Philippe, Dictionnaire historique de la papauté, Paris, Fayard, 1994, p. 892 sq. Giovanni Battista Pamfili né à Rome le 6 mai 1574, est élu pape le 15 septembre 1644 et couronné le 4 octobre. La bulle Cum occasions impressionis libri (31 mai 1653) est publiée à Rome le 9 juin ; sa réception a rencontré des résistances en France.
Mayeur J.-M., Pietri Ch. et L., Vauchez A., Venard M., Histoire du christianisme, 9, L’âge de raison (1620-1750), Paris, Desclée, 1997, p. 362. Rome et la bulle Cum occasione, dans le contexte général.
Ranke Léopold, Histoire de la papauté pendant les XVIIe et XVIIIe siècles, p. 608 sq. La position d’Innocent X à l’égard des jansénistes et de leurs adversaires : p. 659 sq.
Rapin René, Mémoires, I, Paris, Gaume et Duprey, 1865, p. 8 sq. Appréciation sur les capacités et les défauts d’Innocent X.
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Innocent X signant la bulle contre Jansénius. |
En revanche, en octobre 1656, le pape Alexandre VII (Fabio Chigi) a fulminé la bulle Ad sacram beati Petri sedem, qui déclarait solennellement que les cinq propositions se trouvaient bel et bien dans l’Augustinus : « nous [...] déclarons et définissons que ces cinq propositions ont été tirées du livre même de Cornelius Jansénius [...] et qu’elles ont été condamnées dans le sens auquel cet auteur les a expliquées ». Voir le texte de la bulle dans GEF VI, p. 59-62. Voir Gouhier Henri, Blaise Pascal. Commentaires, p. 308-309.
Sur le pape Alexandre VII, voir Levillain Philippe (dir.), Dictionnaire historique de la papauté, p. 73 sq.
D’autre part, en 1656 la Sorbonne a condamné le docteur Antoine Arnauld, en faveur duquel Pascal a composé plusieurs Provinciales.
Le vote du 14 janvier 1656 en Sorbonne aboutit à la condamnation d’Arnauld sur la question de fait (savoir si les propositions condamnées par le pape se trouvent dans l’Augustinus). Le 29 janvier 1656, les délibérations sur la question de droit aboutissent à une seconde censure sur la question de droit (savoir si la grâce, sans laquelle on ne peut rien, a manqué à saint Pierre dans sa chute), qui est acquise le 31 ; la censure est mise en circulation le 12 février 1656. Arnauld est exclu de la Sorbonne.
Sur ces événements, voir l’introduction de l’édition des Provinciales par Louis Cognet, et les trois premières Provinciales.
Voir Baudry de Saint-Gilles d’Asson Antoine, Journal d’un solitaire de Port-Royal, éd. Ernst et Lesaulnier, Paris, Nolin, 2008.
Sur ces délibérations et leur aboutissement, on peut lire pour approfondir Gres-Gayer Jacques M., Le jansénisme en Sorbonne, 1643-1656, Paris, Klincksieck, 1996, et Gres-Gayer Jacques M., En Sorbonne. Autour des Provinciales, Édition critique des Mémoires de Beaubrun (1655-1656), Paris, Klincksieck, 1997. Voir aussi De Franceschi, Entre saint Augustin et saint Thomas. Les jansénistes et le refuge thomiste (1653-1663) : à propos des 1re, 2e et 18eProvinciales, Paris, Nolin, 2009.
Dans ces dernières condamnations, la théologie augustinienne était atteinte. Dans cette situation, Pascal estime qu’il est compréhensible que Dieu ait produit un miracle à Port-Royal pour discerner la vérité de l’erreur, le miracle de la sainte Épine.
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Il est impossible que ceux qui aiment Dieu de tout leur cœur méconnaissent l’Église tant elle est évidente.
Il est impossible que ceux qui n’aiment pas Dieu soient convaincus de l’Église.
La disposition du cœur détermine la pensée de l’homme. Voir le dossier thématique sur le cœur. Le cœur bien disposé ne peut que se rendre à l’évidence de la vérité de l’Église. En revanche, au cœur mal disposé, auquel manque la grâce, cette évidence ne s’impose pas. Pascal insiste dans l’opuscule De l’esprit géométrique, II, De l’art de persuader, § 3, OC III, éd. J. Mesnard, p. 413-414, « qu’au lieu qu’en parlant des choses humaines on dit qu’il faut les connaître avant que de les aimer, ce qui a passé en proverbe, les saints au contraire disent en parlant des choses divines qu’il faut les aimer pour les connaître, et qu’on n’entre dans la vérité que par la charité ». Mais la corruption des hommes fait qu’ils font « des choses profanes ce qu’ils devraient faire des choses saintes, parce qu’en effet nous ne croyons presque que ce qui nous plaît. Et de là vient l’éloignement où nous sommes de consentir aux vérités de la religion chrétienne, tout opposée à nos plaisirs. Dites-nous des choses agréables et nous vous écouterons, disaient les Juifs à Moïse, comme si l’agrément devait régler la créance ! ».
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Les miracles ont une telle force qu’il a fallu que Dieu ait averti qu’on n’y pensât point contre lui, tout clair qu’il soit qu’il y a un Dieu. Sans quoi ils eussent été capables de troubler.
Tout clair qu’il soit qu’il y a un Dieu : addition en marge.
Les miracles ont en principe pour raison d’être de faire croire la vérité chrétienne et de la discerner des erreurs de l’incroyance et de l’hérésie. Pascal estime qu’ils sont très puissamment convaincants, et que Dieu a dû prendre des précautions pour que l’on ne tire pas des conclusions contre lui à partir des faux miracles que pourraient susciter ses ennemis (notamment l’Antéchrist).
Et ainsi tant s’en faut que ces passages, Deut., 13, fassent contre l’autorité des miracles, que rien n’en marque davantage la force.
Sur les miracles et l’autorité, voir les travaux de Shiokawa Tetsuya, Pascal et les miracles, Paris, Nizet, 1977, et Entre foi et raison : l’autorité. Études pascaliennes, Paris, Champion, 2012.
Deutéronome XIII. « 1. S’il s’élève au milieu de vous un prophète qui dise qu’il a eu une vision en songe, ou qui prédise quelque signe ou quelque prodige, 2. et que ce qu’il avait prédit soit arrivé, et qu’il vous dise en même temps : Allons, honorons des dieux étrangers qui nous étaient inconnus, et servons-les ; 3. vous n’écouterez point les paroles de ce prophète et de cet inventeur de visions et de songes, parce que le Seigneur votre Dieu vous tente, afin qu’il paraisse clairement si vous l’aimez de tout votre cœur et de toute votre âme, ou si vous ne l’aimez pas de cette sorte. 4. Suivez le Seigneur votre Dieu, craignez-le, gardez ses commandements, écoutez sa voix, servez-le seul, et attachez-vous à lui seul : 5. Mais que ce prophète et que cet inventeur de songes soit puni de mort, parce qu’il vous a parlé pour vous détourner du Seigneur votre Dieu, qui vous a tirés de l’Égypte, et qui vous a rachetés de la maison de servitude, pour vous faire égarer de la voie que le Seigneur votre Dieu vous a prescrite ; et vous ôterez ainsi le mal du milieu de vous. »
Commentaire de Port-Royal : « Moïse parle en ce lieu non pas seulement des faux prophètes, c’est-à-dire des prophètes des faux dieux qui peuvent prédire des choses vraies, comme saint Augustin dit que cela arrive souvent par un jugement secret de Dieu [De civit. Dei, l. 2, ch. 23], qui livre ainsi les méchants à l’illusion des anges prévaricateurs en punition de leurs secrètes cupidités ; mais encore des prophètes du vrai Dieu. Et il demande à son peuple une telle fermeté dans le culte véritable du Seigneur, qu’il ne veut pas qu’il écoute même les prophètes du Très-Haut, s’ils leur enseignaient une doctrine contraire à la piété, et différente de celle qu’ils recevaient par sa bouche. C’est la même chose que saint Paul a dite depuis aux chrétiens, lorsque s’étant introduit parmi eux certaines gens qui les troublaient, et qui voulaient renverser l’Évangile de Jésus-Christ, il s’écrie : Quand nous vous annoncerions nous-mêmes, quand un ange du ciel vous annoncerait un Évangile différent de celui que nous vous avons annoncé, qu’il soit anathème [Galat. I]. Que si l’on ne doit pas écouter un prophète du Dieu vivant, ni un ange même, s’il était possible qu’il nous voulût détourner du culte de son divin maître, en nous enseignant une doctrine visiblement opposée à l’Évangile, combien doit-on s’éloigner plutôt des faux prophètes, quand même il arriverait par l’ordre de Dieu qu’ils prédissent des prodiges, et fissent des miracles ? ».
L’édition de Port-Royal ajoute une référence tirée de saint Marc sur les faux Christs et les faux prophètes (voir la comparaison du manuscrit et de l’édition).
Et de même pour l’Antéchrist : jusqu’à séduire les élus, s’il était possible.
Jusqu’à séduire les élus s’il était possible : Matthieu, XXIV, 24. « Parce qu’il s’élèvera de faux Christs et de faux prophètes, qui feront de grands prodiges et des choses étonnantes, jusqu’à séduire même, s’il était possible, les élus ».
Voir le dossier thématique sur l’Antéchrist.
Commentaires de Port-Royal : il y a eu de nombreux faux Christs, mais le plus puissant est à venir, en la personne de l’Antéchrist, « lorsqu’il voudra s’élever et se faire adorer sur la terre à la place de Jésus-Christ. Les grands prodiges et les signes éclatants qu’il fera, auront une telle force sur l’esprit des peuples pour les pervertir, qu’ils seraient capables, selon l’expression du Sauveur, de séduire les élus mêmes, s’il était possible ; c’est-à-dire, d’enlever à Jésus-Christ ceux qui sont dans son élection éternelle, s’il était possible de lui ôter celles de ses brebis, dont il dit lui-même : Qu’elles ne périront point, et que nul ne les ravira d’entre ses mains [Jean, X, 28]. Nous voyons aussi dans l’Apocalypse qu’il est dit de la seconde bête, qui peut bien nous figurer l’Antéchrist, et qui travaillait à faire adorer la première, c’est-à-dire le démon : Qu’elle fit, selon ce qu’il est dit ici, de grands prodiges, jusqu’à faire descendre le feu du ciel sur la terre devant les hommes ; et qu’elle séduisit ceux qui habitaient sur la terre, à cause des prodiges qu’elle eut le pouvoir de faire devant la bête [Apoc. XIII, 12, 13, 14]. Ce que Jésus-Christ ajoute, en disant à ses apôtres : Remarquez bien que je vous ai prédit ces choses : Ecce praedixi vobis, était pour les obliger, et tous ceux qui les suivraient, à prendre bien garde à eux, à cause de la grandeur du péril où ils seraient exposés de la part de tous ces faux Christs, qui ont commencé à paraître depuis les temps apostoliques et qui finiront à l’Antéchrist, qui doit consommer à la fin des temps l’ouvrage de l’iniquité. »
Sellier, Pascal et saint Augustin, p. 50, n. 3. Allusion à Deutéronome, XIII. Dieu dit qu’il ne faut pas croire les thaumaturges qui détourneront le peuple de lui.
Miracles II (Laf. 834, Sel. 422). S’il y a un Dieu il fallait que la foi de Dieu fût sur la terre ; or les miracles de Jésus-Christ ne sont pas prédits par l’Antéchrist, mais les miracles de l’Antéchrist sont prédits par Jésus-Christ Et ainsi si Jésus-Christ n’était pas le Messie il aurait bien induit en erreur, mais l’Antéchrist ne peut bien induire en erreur. Quand Jésus-Christ a prédit les miracles de l’Antéchrist, a-t-il cru détruire la foi de ses propres miracles ? Il n’y a nulle raison de croire en l’Antéchrist qui ne soit à croire en Jésus-Christ mais il y en a en Jésus-Christ qui ne sont pas en l’autre. Moïse a prédit Jésus-Christ et ordonné de le suivre. Jésus-Christ a prédit l’Antéchrist et défendu de le suivre.