Fragment Commencement n° 10 / 16  – Papier original : RO 61-10

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Commencement n° 221 p. 77 v°-79 / C2 : p. 104

Éditions de Port-Royal : Chap. XXVIII - Pensées Chrétiennes : 1669 et janv. 1670 p. 273 / 1678 n° 77 p. 265-266

Éditions savantes : Faugère II, 182, V / Havet XXIV.50 / Brunschvicg 257 / Tourneur p. 227-3 / Le Guern 149 / Lafuma 160 / Sellier 192

______________________________________________________________________________________

 

 

Bibliographie

 

Saint AUGUSTIN, De utilitate credendi, XI, 25, Bibliothèque augustinienne, p. 266-267.

FORCE Pierre, Le problème herméneutique chez Pascal, Paris, Vrin, 1989, p. 270-271.

MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES-CDU, 1976, p. 74-75 et p. 313.

MESNARD Jean, “Structures binaires et structures ternaires dans les Pensées de Pascal”, in Pascal, Pensées, CMR 17, 1994.

MEURILLON Christian, “Les combinaisons pascaliennes ou les avatars de la pensée ternaire”, Équinoxe, 6, Rinsen Books, Kyoto, 1990, p. 49-68.

SELLIER Philippe, Port-Royal et la littérature, I, Pascal, p. 55 sq.

 

Éclaircissements

 

Il y a trois sortes de personnes : les uns qui servent Dieu l’ayant trouvé, les autres qui s’emploient à le chercher ne l’ayant pas trouvé, les autres qui vivent sans le chercher ni l’avoir trouvé. Les premiers sont raisonnables et heureux, les derniers sont fous et malheureux. Ceux du milieu sont malheureux et raisonnables.

 

Cette idée est d’origine augustinienne : voir Saint Augustin, De utilitate credendi, XI, 25, Bibliothèque augustinienne, p. 266-267. « Duae enim personae in religione sunt laudabiles : una eorum qui iam invenerunt, quos etiam beatissimos iudicare necesse est ; alia eorum qui studiosissime et rectissime inquirunt. Primi ergo sunt iam in ipsa possessione, alteri in via, qua tamen certissime pervenitur. Tria sunt alia hominum genera, profecto improbanda ac detestanda. Unum est opinantium, id est, eorum qui se arbitrantur scire quod nesciunt. Alterum eorum qui sentiunt quidem se nescire, sed non ita quaerunt, ut invenire possint. Tertium eorum qui neque se scire existimant, nec quaerere volunt. » Tr. : « Il y a en effet, en matière de religion, deux sortes de personnes dignes d’éloges : celles qui ont déjà trouvé et qu’il faut juger pleinement heureuses, puis celles qui cherchent en toute ardeur et sincérité. Les unes sont déjà au but, les autres en route, mais assurées de parvenir. D’autre part, il y a trois sortes d’hommes à désapprouver et condamner sans ambages : d’abord ceux qui s’attachent à un préjugé, c’est-à-dire qui croient savoir ce qu’ils ne savent pas ; ensuite ceux qui, tout en ayant conscience de ne pas savoir, ne cherchent pas de manière à trouver ; enfin ceux qui ne pensent pas savoir, mais ne veulent pas non plus chercher. »

Sellier Philippe, Port-Royal et la littérature, I, Pascal, p. 55 sq. Rapport du fragment Commencement 10 avec le fragment Preuves par discours II (Laf. 427, Sel. 681), où l’on retrouve la tripartition des hommes qui servent Dieu l’ayant trouvé, le cherchent parce qu’ils ne l’ont pas trouvé, et qui ne le trouvent pas parce qu’ils ne le cherchent pas.

Ces types sont visiblement engendrés, comme c’est plusieurs fois le cas dans Commencement, mais aussi dans les Pensées en général, par voie combinatoire. Pascal a construit les types suivants :

chercher et trouver,

chercher sans trouver,

ne pas chercher et ne pas trouver.

De fait, la combinatoire permettrait d’ajouter une quatrième sorte de personne, ceux qui trouvent Dieu sans le chercher ; mais il est clair que, dans les cadres de pensée de Pascal, ce type ne saurait exister : on ne trouve pas Dieu sans le chercher, car c’est Dieu qui fait qu’on le cherche pour qu’on le trouve, et on ne peut le trouver que s’il fait chercher ; c’est ce que Pascal explique longuement dans les Écrits sur la grâce, notamment la Lettre sur la possibilité des commandements.

Cette quatrième sorte de personnes pourrait justifier la lecture « Il n’y a que… », qui demeure possible en tout état de cause.

Cette tripartition demande toutefois à être expliquée, si l’on se rappelle de ce que Pascal écrit dans le fragment Pensée 8H r° (Laf. 919, Sel. 751). Console‑toi, tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais trouvé. Il semble en résulter que si, selon Pascal, on ne cherche pas Dieu si on ne l’a trouvé, les deux premières catégories ne sont pas substantiellement différentes, et l’on revient à une opposition simple. Cependant, dans Preuves par discours II (Laf. 427-Sel. 681), on retrouvera les trois types distingués ici. C’est que la distinction entre chercher sans trouver et chercher et trouver doit être maintenue, dans la mesure où le verbe trouver est ici ambigu. On peut trouver Dieu au sens du faible commencement de la foi, sans qu’il soit sûr qu’on l’ait trouvé au sens le plus fort de ce terme, comme ce fut le cas de Pascal dans la nuit du Mémorial. Port-Royal distingue explicitement les petites grâces, qui font que l’on trouve Dieu sans être en mesure de la garder par la prière fervente, et les grâces pleines, vraiment efficaces, qui font trouver Dieu de façon plus profonde et peut-être plus durable. Ce double sens est expliqué dans la Lettre sur la possibilité des commandements, Mouvement initial, 2, OC III, éd. Jean Mesnard, p. 548-662, § 32-33 :

« la manière dont Dieu cherche l'homme lorsqu'il lui donne les faibles commencements de la foi pour faire que l'homme lui crie dans la vue de son égarement: Seigneur, cherchez votre serviteur, est bien différente de celle dont Dieu recherche l'homme quand il exauce cette prière, et qu'il le cherche pour se faire trouver. Car celui qui disait : cherchez votre serviteur, avait sans doute déjà été cherché et trouvé. Mais parce qu'il savait bien, lui qui avait l'esprit de prophétie, qu'il y avait une autre manière dont Dieu pouvait le rechercher, il se servait de la première pour obtenir la seconde.

33. Ainsi la manière dont nous cherchons Dieu faiblement, quand il nous donne les premiers souhaits de sortir de nos engagements, est bien différente de la manière dont nous le cherchons, quand, après qu'il a rompu les liens, nous marchons vers lui en courant dans la voie de ses préceptes. »

Le problème du commencement de la foi est envisagé du point de vue de la psychologie de la conversion, plutôt que de la théologie spéculative, dans l'Écrit sur la conversion du pécheur, OC IV, p. 35 sq. La part de Dieu dans le commencement de la foi est indiquée dans le début de l'écrit : « la première chose que Dieu inspire à l'âme qu'il daigne toucher véritablement est une connaissance et une vue tout extraordinaire par laquelle l'âme considère les choses et elle-même d'une façon toute nouvelle ». Dieu infuse la crainte et le trouble, le désordre et la confusion, qui empêchent de goûter avec tranquillité les choses qui la charmaient. Les trois catégories définies par Pascal ont donc toutes leur raison d’être.

Voir les dossiers thématiques Recherche et Milieu.